L’inégalité mondiale en matière de vaccins: «une décision politique des pays riches»

Sur les 8,07 milliards de doses des multiples vaccins COVID administrées, la plupart sont allées aux pays riches.

Alors qu’environ 60 à 70 pour cent des adultes ont été entièrement vaccinés en Amérique du Nord et en Europe occidentale et que beaucoup reçoivent actuellement leur troisième injection, seuls 6 pour cent des habitants des pays à faible revenu ont reçu ne serait ce qu’une seule dose. Plus de 3,5 milliards de personnes, soit près de la moitié de la population mondiale, attendent leur première dose.

Les pays riches ont reçu plus de 16 fois plus de vaccins COVID-19 par personne que les nations plus pauvres qui dépendent du programme COVAX de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Selon une analyse réalisée par le Financial Times, les pays à faible revenu n’ont reçu que 9,3 vaccins pour 100 personnes, dont 7,1 par le biais du programme COVAX. En comparaison, les pays à revenu élevé ont reçu 155 vaccins pour 100 personnes, dont 115 dans le cadre d’accords bilatéraux et multilatéraux connus. Dans de nombreux pays à faible revenu, même le personnel de santé ne se trouve pas encore vacciné.

Des personnes qui viennent de se faire vacciner contre la COVID-19, vendredi 3 décembre 2021, attendent que leur carte de vaccination soit traitée au centre polyvalent d’Orange Farm, en Afrique du Sud. (AP Photo/Jerome Delay)

Certains des pays les plus riches du monde auront 1,9 milliard de doses de plus que nécessaire, ce qui a incité l’OMS à lancer un nouvel appel pathétique aux dons et aux échanges de doses.

Rien de tout cela n’est accidentel. Dans son entretien avec le Financial Times, le PDG de Moderna, Stéphane Bancel, répondant à ceux qui avaient reproché à Moderna de ne pas faire assez pour distribuer le vaccin dans le monde, a vendu la mèche. «C’était surtout une décision politique des pays riches», a-t-il déclaré. «Aux États-Unis, on nous a dit que nous n’avions pas d’autre choix que de donner 60 pour cent de notre production au gouvernement américain.»

Ces mêmes pays, au nom des grandes entreprises pharmaceutiques et d’autres sociétés et institutions financières, ont rejeté les dérogations aux droits de propriété intellectuelle sur la fabrication des vaccins, tout en bloquant l’octroi de capacités de fabrication supplémentaires dans les pays à revenu faible et intermédiaire ; et en refusant un meilleur accès aux vaccins grâce à un approvisionnement accru par le biais de COVAX. Ce dernier est l’initiative publique-privée soutenue par les Nations unies, conçue pour partager les vaccins dans le monde entier à moindre coût.

Les conséquences sont dévastatrices tant pour les pays pauvres que pour les pays riches. Sans l’ensemble des mesures d’élimination du virus au niveau mondial, y compris la vaccination généralisée, l’éloignement social, la fermeture des lieux de travail, des écoles et des universités non essentiels, les infections vont augmenter, permettant l’émergence d’Omicron et d’autres souches plus virulentes.

En l’absence de mesures qui visent à contenir le virus et à protéger des vies, les Nations unies ont estimé que les pays à revenu faible ou intermédiaire subiront des pertes économiques de douze mille milliards de dollars jusqu’en 2025.

Cette situation découle inexorablement du fonctionnement du mode de production et de distribution capitaliste, basé sur la maximisation des profits par les grandes entreprises et leurs financiers.

Au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) les pays capitalistes avancés abritant la poignée de sociétés pharmaceutiques géantes détentrices de brevets de vaccins, au développement largement financé par des fonds publics, ont agi pour renforcer leurs profits déjà obscènes. Ces pays ont rejeté les appels de l’Inde et de l’Afrique du Sud, soutenus par plus de 100 autres pays, 100 lauréats du prix Nobel et d’éminents groupes de défense des droits de l’homme dont Médecins sans frontières, Human Rights Watch et Oxfam, à renoncer à la propriété intellectuelle (PI) et à les autoriser à fabriquer ou importer des versions génériques moins chères.

Si le président américain Joe Biden a publiquement soutenu l’appel à la renonciation aux droits de brevet, c’était à l’égard du public. Washington n’a rien fait pour aborder les aspects techniques de la question ou pour affronter les entreprises pharmaceutiques.

Comme l’a souligné la directrice générale de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala, ancienne ministre des Finances du Nigeria et numéro deux de la Banque mondiale, «le travail de l’OMC n’est pas seulement défini par la renonciation aux droits de propriété intellectuelle. Si vous obtenez la dérogation, mais que vous n’avez pas de capacité de fabrication, vous ne pouvez pas l’utiliser. Si vous avez une capacité de fabrication, mais pas de transfert de technologie, vous ne pouvez pas l’utiliser».

Les grands trusts pharmaceutiques n’ont aucun intérêt à renforcer la capacité de fabrication de vaccins qui ferait baisser les prix. Ils n’ont pas non plus d’intérêt à éradiquer un virus qui s’est révélé être une mine d’or pour eux. Seuls sept pays d’Afrique disposent d’installations de fabrication de vaccins, et se sont vu refuser en grande partie le droit de produire des vaccins occidentaux sous licence.

Le Maroc et l’Égypte ont annoncé leur intention de commencer à produire les vaccins chinois Sinopharm et Sinovac. Le Rwanda a signé un accord avec l’Union européenne pour renforcer ses capacités de production de vaccins. L’Afrique du Sud a récemment signé un accord de 700 millions de dollars avec les États-Unis et l’Europe pour produire 500 millions de doses du vaccin Johnson & Johnson d’ici à la fin 2022.

L’ancien PDG de Pfizer a joué un rôle clé dans l’élaboration de l’accord mondial sur les brevets de l’OMC, connu sous le nom d’ADPIC, qui sous-tend les bénéfices des grandes entreprises pharmaceutiques. Pfizer a également pris la tête de la campagne qui vise à contourner le CTAP (Technology Access Pool) COVID-19 de l’OMS ; Pfizer l’a qualifié de «non-sens». On avait mis en place le dispositif CTAP en mai 2020 pour stimuler l’offre de produits thérapeutiques, diagnostiques, vaccinaux et autres produits de santé COVID-19. L’idée était de permettre un accès rapide, équitable et abordable via des licences volontaires. Ces dernières étaient non exclusives et transparentes, axées sur la santé publique.

Les puissances impérialistes ont soutenu à bout de bras les entreprises pharmaceutiques dans leur refus de partager leur technologie et leur savoir-faire et d’empêcher que leurs vaccins soient donnés à certains pays. Même lorsque les doses sont remplies et finies — l’étape finale de la production d’un vaccin — dans des pays pauvres comme l’Afrique du Sud, comme dans le cas du vaccin monodose de Johnson & Johnson, elles sont exportées vers les pays riches. Les États-Unis et l’Union européenne ont encore limité la production en restreignant non seulement les exportations de vaccins, mais aussi les matières premières nécessaires à leur production.

Le programme COVAX n’a atteint aucun de ses objectifs, en raison du nationalisme vaccinal et des profits excessifs, bien qu’il ait supplié les pays riches de partager leurs vaccins. Les pays riches s’étant empressés de signer des contrats avec les fabricants, COVAX s’est retrouvé isolé, sans pouvoir obliger les fabricants à honorer leurs contrats par le biais de poursuites judiciaires, ce qui l’a obligé à compter sur les dons.

Le programme comptait sur les fournitures de l'Inde, le plus grand fabricant de vaccins au monde, mais n'a reçu aucune dose depuis mars. En effet, l'Inde a interdit l'exportation de la production du Serum Institute du vaccin Oxford/AstraZeneca afin d'approvisionner le marché intérieur dans le contexte d'une augmentation massive des cas, et a conclu un accord pour 600 millions de doses supplémentaires.

Les pays les plus pauvres furent donc contraints de conclure leurs propres accords avec les fabricants, ce qui a encore affaibli le pouvoir de négociation du programme, puisque COVAX a dû négocier au nom d'un nombre réduit de pays. La grande majorité des 10,9 milliards de vaccins devant être fabriqués cette année ayant déjà été vendus, la majeure partie des 950 millions de doses restantes comprend des vaccins chinois et un vaccin indien, le Covaxin.

En conséquence, le programme COVAX n’a livré jusqu’à présent qu’environ 582 millions de doses sur un objectif annuel déjà très réduit de 1,4 milliard de doses et il doit maintenant faire face à la tâche impossible de livrer le reste avant la fin de l’année. Les responsables de l’Union africaine estiment que le programme ne fournira que 470 millions de doses aux pays africains d’ici la fin décembre, soit moins d’un quart des 2 milliards nécessaires pour administrer deux doses à l’ensemble de la population adulte. Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique, a déclaré: «À ce rythme, le continent pourrait ne pas atteindre l’objectif de 40 pour cent avant la fin mars 2022».

Si le coût des vaccins et les limites de l’approvisionnement ont été des problèmes majeurs, les pays à faible revenu doivent encore faire face aux coûts supplémentaires, bien plus élevés et souvent insurmontables, de l’entreposage frigorifique, de la distribution et de l’administration, sans avoir ni l’infrastructure ni le personnel de santé pour le faire. La République démocratique du Congo a dû donner 1,3 million des 1,7 million de doses AstraZeneca fournies par COVAX, car elle n’a pas pu les administrer avant leur expiration. Etant donné que seulement 28 pour cent des établissements de soins de santé en Afrique subsaharienne disposent d’une électricité fiable, GAVI, le partenariat public-privé qui travaille avec COVAX, cherche à acquérir des milliers de boîtes froides, de porte-vaccins, de réfrigérateurs et de congélateurs pour 71 pays à faible revenu.

Les grandes puissances utilisent les vaccins comme instrument de «soft power» dans la poursuite de leurs intérêts géostratégiques. Le président américain Joe Biden a annoncé, lors d’une conférence COVID tenue en marge de la session d’ouverture de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre, que les États-Unis feraient don de 500 millions de vaccins Pfizer supplémentaires aux pays à revenu faible ou intermédiaire, ce qui porterait le total des dons américains à plus de 1,1 milliard de doses.

On largement considéré cette décision comme un effort qui vise à renforcer la position de Washington, une semaine après l’annonce faite par la Chine qu’elle avait fourni 1,1 milliard de doses de vaccin à plus d’une centaine de pays. L’Europe a annoncé qu’elle donnerait 70 millions de ses vaccins à COVAX.

Comme toutes les preuves le montre, tout appel aux élites dirigeantes pour lutter contre l’inégalité des vaccins, et encore moins pour éliminer le virus est voué à l’échec.

Une politique scientifique en matière de coronavirus, qui place les vies avant les profits, exige la saisie des actifs des sociétés pharmaceutiques et autres grandes entreprises et de leurs financiers, afin de financer les mesures nécessaires à l’élimination du virus. Cela comprend: l’abolition des droits de propriété intellectuelle détenus par les géants de l’industrie pharmaceutique; une collaboration mondiale pour la production et la distribution de vaccins par tous les pays qui en ont les moyens. Cela comprend aussi la fourniture d’un financement de masse pour que chaque pays mette en œuvre un programme de vaccination complet par le biais de responsables de la santé publique et de systèmes de santé qui garantissent une distribution et une administration sûres et efficaces.

Cela ne sera possible que lorsque la classe ouvrière prendra la lutte en main. Pour y parvenir, il est nécessaire de construire le Comité international de la Quatrième Internationale pour mener cette lutte et de faire connaître son initiative, l’Alliance internationale des travailleurs des comités de base (IWA-RFC).

(Article paru d’abord en anglais le 4 décembre 2021)

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