Québec: les travailleurs en CPE doivent rejeter le sabotage de leur grève par les syndicats

Les syndicats censés représenter les milliers d’éducatrices et travailleurs des Centres de la petite enfance (CPE) ont annoncé mercredi qu’ils avaient conclu des ententes de principe avec le gouvernement du Québec pour le renouvellement des conventions collectives. Deux syndicats représentant plus de 4000 éducatrices et employés de soutien en CPE, la FIPEQ-CSQ et le SQEES-FTQ, ont aussitôt annoncé qu’ils suspendaient la grève générale illimitée devant débuter le lendemain. Quant aux 11.000 membres de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), elles devraient poursuivre la grève illimitée entamée le 1er décembre jusqu’à ce que l’entente soit soumise au vote en assemblée générale. 400 établissements sont touchés par la grève.

Manifestation de travailleurs de garderie en grève au Québec (Crédit photo : CNTU)

Dans un incident révélateur, la FSSS a dû modifier un message initial sur sa page Facebook où elle écrivait: «Dès que les résultats nationaux seront connus, nous annoncerons le retour au travail pour le lundi 13 décembre». Des travailleuses de la base ont réagi avec indignation. «Si vous dites qu’on retourne au travail le 13 décembre pourquoi voter alors?», a écrit l’une d’elles. La FSSS «prend pour acquis que nous allons voter en faveur de la proposition», a commenté une autre. «On dirait qu’ils connaissent les résultats», a écrit une troisième.

De son côté, la présidente du Conseil du trésor, Sonia Lebel, s’est félicitée d’avoir signé une entente «historique». Sachant que l’entente qu’ils ont signée ne répond en rien aux besoins et aux demandes réels des travailleurs, les centrales syndicales n’ont pas osé la recommander aux travailleurs. Parlant plutôt d’une offre «présentable», Stéphanie Vachon, représentante à la Confédération des syndicats nationaux (CSN) a déclaré «avoir fait tout ce que nous pouvions pour faire avancer les priorités des travailleurs à la table de négociations, mais au bout du compte la décision leur revient».

Bien que les syndicats refusent de dévoiler les détails, on sait qu’ils ont réduit leurs demandes initiales significativement. Faisant fi de la solidarité qui existe parmi les travailleurs, les syndicats ont accepté des offres «différenciées» pour les employés de soutien (concierges, cuisiniers, aides-éducatrices, secrétaires-réceptionnistes, adjointes-administratives). Ces dernières, qui représentent environ 20% de la main-d’œuvre, se sont fait offrir des hausses salariales de 11% sur trois ans, soit environ la moitié de celles proposées aux éducatrices. Il s’agira d’un appauvrissement en termes réels pour ces travailleurs, dont plusieurs gagnent à peine plus que le salaire minimum.

En réalité, l’entente comprend quelques dollars de l’heure de plus pour l’ensemble des travailleurs. Elle ne va pas améliorer les conditions de travail dans les garderies qui sont devenues encore plus difficiles en temps de pandémie, y compris avec l’imposition de ratios excessifs pour pallier à la pénurie de main-d’œuvre.

Alors qu’elles gagnaient un maigre 19$ à l’entrée et 25$ de l'heure au plus haut échelon, les éducatrices gagneraient plus ou moins 22$ de l'heure au premier échelon et 30$ de l'heure au dernier échelon selon le nouveau contrat. Ces «hausses» salariales sont en fait un plan de rétention dans un domaine rongé par la pénurie d’éducatrices. Et encore, avec un taux d’inflation atteignant déjà les 4,7% cette année, ces hausses ne représentent pas un enrichissement réel, ni un quelconque rattrapage salarial pour des décennies de bas salaires. Et comme il l’a fait avec les infirmières, le gouvernement Legault cherche également à augmenter la semaine de travail des éducatrices, offrant une prime de 50$ par semaine pour celles qui accepteraient de passer à 40 heures par semaine.

Pour justifier ces offres «différenciés», la ministre Lebel a dit que le gouvernement n’avait pas la «capacité de payer». C'est le vieux mensonge répété depuis des décennies par la classe dirigeante pour justifier les compressions sociales et transférer d’immenses richesses sociales aux riches et aux entreprises.

Fait significatif, l’entente ne semble contenir aucune mesure de protection supplémentaire contre la COVID-19 pour les éducatrices, qui travaillent aux premières lignes, sans protection adéquate, dans des milieux infestés par le virus, entourés d’enfants majoritairement non-vaccinés.

La trahison des syndicats s’inscrit dans leur collaboration de longue date avec le patronat et le gouvernement pour enrichir l’élite dirigeante aux dépens des travailleurs. Aujourd’hui pleinement intégrés dans la gestion de l’état capitaliste, les chefs syndicaux agissent comme de véritables polices industrielles contre les travailleurs. Après des décennies à imposer les coupures, les syndicats travaillent maintenant main dans la main avec le gouvernement pour maintenir les écoles et les garderies ouvertes pour que les parents aillent générer des profits pour la grande entreprise en pleine pandémie.

Les syndicats ont tout fait pour retarder la grève et empêcher toute forme d’unité. C’est ce qu’a exprimé Valérie Grenon, présidente de la FIPEQ-CSQ: «On met tout en œuvre pour régler et pour éviter la grève générale illimitée parce qu’on sait que ça cause des problèmes aux parents et des pertes financières pour nos intervenantes».

Bien que la CSN ait été forcée de déclencher une grève générale illimitée sous la pression des travailleurs de la base (qu’ils vont annuler le plus vite possible), les syndicats affiliés à la CSQ et à la FTQ ont refusé d’aller en grève en même temps malgré un mandat voté par les membres à plus de 90%. Comme c’est le cas lors de chaque conflit de travail, les syndicats craignent qu’un mouvement unifié des travailleurs ne s’étende à d’autres sections de la classe ouvrière et ne devienne le catalyseur d’une vaste contre-offensive à l’austérité capitaliste. Les sondages rapportent d’ailleurs un fort appui des parents envers les éducatrices et le personnel de soutien.

La grève dans les CPE au Québec arrivait au moment même où les chauffeurs d'autobus de Laval, la troisième plus grande ville de la province, ont tenu deux journées de grève à la fin novembre. Les 800 employés des entrepôts de la Société des alcools du Québec ont tenu trois jours de grève en novembre et viennent de rejeter à 86 pour cent une entente de principe survenue entre le gouvernement et leur syndicat.

C'est pour étouffer le mouvement de grève dans les garderies que les syndicats ont publié le weekend dernier une «déclaration commune» en alliance avec les partis d'opposition (Parti québécois, Parti libéral, Québec solidaire). Cette déclaration fait appel au premier ministre Legault, ex-PDG d'Air Transat et multimillionnaire, pour «s'impliquer directement afin de régler le conflit de travail». Rappelons que le dernier conflit de travail où les syndicats ont demandé l’intervention du premier ministre était celui du lock-out de 18 mois à l'aluminerie ABI de Bécancour. Alors que les syndicats refusaient de faire appel à l'ensemble de la classe ouvrière et faisaient plutôt des appels futiles aux actionnaires d'ABI et à différents représentants de l'establishment politique incluant Legault, celui-ci a régulièrement défendu la multinationale en dénonçant les demandes «excessives» des travailleurs d'ABI et les salaires «trop élevés» du secteur manufacturier. Le lockout s'est soldé par de nombreux reculs pour les travailleurs.

Le PQ et le PLQ auxquels se sont alliés les chefs syndicaux pour faire pression sur Legault sont les deux partis de l’austérité au Québec qui ont saccagé les services publics au cours des quarante dernières années. Avec les libéraux, les conservateurs et le NPD au niveau fédéral, ils sont la source directe des conditions de travail pitoyables et du manque de ressources dans les services publics.

La soumission des syndicats devant Legault donne toute la marge de manœuvre à ce dernier pour préparer une loi spéciale, qui fait toujours partie «des outils qui sont disponibles» si les travailleurs rejettent les ententes. Comme toujours, les chefs syndicaux n'ont rien fait pour mettre en garde et préparer leurs membres à défier de telles lois – qui ont été utilisées à maintes reprises au Québec et dans tout le Canada dans les dernières années pour étouffer l'opposition croissante des travailleurs aux mesures d'austérité – car cela soulève aussitôt la nécessité de mobiliser de plus larges couches de la classe ouvrière en défense des travailleurs ciblés.

L'attitude anti-ouvrière des syndicats est en lien avec le plein appui qu'ils ont donné à Legault dans sa gestion désastreuse de la pandémie. Ils ont pleinement accepté la politique meurtrière de faire passer les profits avant les vies qu’ont adoptée le gouvernement Legault et le gouvernement fédéral de Trudeau, notamment en envoyant les parents travailler dans des lieux de travail non-sécuritaires en pleine pandémie. C'est pour cela que les gouvernements capitalistes ont insisté, avec le plein appui des syndicats, pour que les milieux de travail non-essentiels ainsi que les écoles demeurent ouverts afin que les profits puissent continuer d'être extraits de la classe ouvrière.

Les travailleurs des CPE doivent rejeter les ententes signées par la CAQ et les chefs syndicaux. En rien ces nouveaux contrats ne vont répondre aux vastes problèmes liés au sous-financement chronique des garderies, ni améliorer le quotidien des éducatrices et des travailleurs de soutien. Comme en éducation, les ententes ne permettent pas aux travailleurs de répondre aux besoins grandissants des enfants dans une période de crise économique et sociale sans précédent.

Contrairement à ce que disent les chefs syndicaux, les travailleurs de CPE ne doivent avoir aucune confiance envers la CAQ ou les partis de l’opposition. Ils doivent plutôt se tourner vers leurs véritables alliés: le demi-million d’employés du secteur public au Québec et l’ensemble de la classe ouvrière. Les conditions pour une telle unité sont propices: après des années de concessions et d’austérité capitaliste, une vague de luttes ouvrières militantes traverse aujourd’hui l’Amérique du Nord.

En plus de s’opposer ouvertement aux lois spéciales anti-démocratiques, les travailleurs doivent s’unir autour d’un programme conjoint exigeant des investissements massifs dans les services publics, l’embauche de milliers de travailleurs, l’amélioration significative des conditions de travail de tous et une protection accrue dans les lieux de travail face à la cinquième vague de la pandémie.

Une telle initiative ne peut aller de l’avant sans la mobilisation politique de tous les travailleurs dans des comités de la base, indépendants des appareils syndicaux pro-capitalistes.

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