Des marchés nerveux attendent les décisions des banques centrales

Au cours des deux prochains jours, trois des principales banques centrales du monde prendront des décisions importantes en matière de politique monétaire, dans un contexte d’incertitude croissante quant à la durée de la bulle boursière et de la hausse de l’inflation.

Aujourd’hui, la Réserve fédérale américaine devrait annoncer une réduction accélérée de son programme d’achat d’actifs afin d’ouvrir la voie à une hausse de son taux d’intérêt de base au début de l’année prochaine, dans le cadre de sa lutte contre la hausse de l’inflation, qui atteint actuellement 6,8%, soit le niveau le plus élevé depuis près de 40 ans.

De nouvelles hausses du taux global sont en préparation. L’indice des prix à la production publié hier a montré un bond de 0,8% pour le mois de novembre, soit une augmentation annuelle de 9,6% – le taux le plus rapide en glissement annuel depuis la première collecte de données en 2010. Dans son communiqué de presse, le Bureau of Labor Statistics a déclaré que la hausse des prix à la production était «généralisée».

Immeuble de la Réserve fédérale sur l’avenue Constitution à Washington [Photo: AP Photo/J. Scott Applewhite, dossier]

Les organes de décision de la Banque d’Angleterre et de la Banque centrale européenne se réuniront jeudi.

On s’attendait à ce que la BoE relève son taux, alors que l’inflation dépasse 4% et devrait atteindre au moins 5,5% l’année prochaine. Mais un mouvement dans cette direction a été remis en question avec la propagation des infections à la COVID-19 au Royaume-Uni, surtout celles du variant Omicron.

Cependant, dans sa dernière mise à jour sur l’économie britannique, le Fonds monétaire international a déclaré que la banque centrale devrait «retirer le soutien exceptionnel fourni au cours de l’année 2020.»

Soulignant une préoccupation majeure de toutes les institutions financières du capitalisme mondial, à savoir que l’inflation entraînera des luttes croissantes pour l’augmentation des salaires, le FMI a déclaré qu’il était important «d’éviter le biais de l’inaction» compte tenu des coûts associés à la maîtrise des effets «de second tour» de l’inflation.

L’inflation est également en hausse dans la zone euro, où elle atteint 4,9%. Mais la BCE devrait maintenir ses achats d’actifs et insister à nouveau, conformément aux déclarations de sa présidente Christine Lagarde, sur le fait qu’une augmentation des taux d’intérêt n’est pas dans l’horizon immédiat. Cela est dû en grande partie à la crainte des conséquences pour les économies endettées de la zone euro.

Comme l’a déclaré Joerg Kraemer, économiste en chef de Commerzbank, au Wall Street Journal: «Contrairement à la BCE, la Fed se retire vraiment de l’activité d’achat d’obligations. La Fed n’a tout simplement pas d’Italie à soutenir.»

Lorsque l’inflation était faible, les banques centrales du monde entier ont estimé qu’elles pouvaient continuer à injecter de l’argent dans le système financier à hauteur de milliers de milliards de dollars, faisant grimper les cours des actions à de nouveaux records et augmentant la richesse de l’oligarchie financière et des milliardaires de la pandémie qui se gavent de maladie et de mort.

Mais avec la hausse des prix au niveau mondial et l’affirmation selon laquelle l’inflation était un phénomène «transitoire» ayant été balayée, la situation est devenue beaucoup plus complexe.

Dans des circonstances autrefois considérées comme «normales», une hausse de l’inflation aurait entraîné une augmentation des taux d’intérêt, notamment pour freiner les revendications salariales des travailleurs. Mais la crainte est que le resserrement monétaire ne précipite une chute brutale du marché boursier alimenté par la dette, entraînant des problèmes majeurs pour l’ensemble du système financier dans des conditions où l’expérience de l’effondrement de mars 2020 est toujours présente.

La volatilité du marché a déjà été observée à Wall Street depuis le début de la semaine. Lundi, l’indice S&P 500 a chuté de 0,9% après avoir clôturé la semaine dernière à un niveau record, le 67e de l’année jusqu’à présent. Le Dow a chuté de 0,9% et le NASDAQ, à forte composante technologique, a perdu 1,4%.

Les baisses se sont poursuivies hier, le S&P 500 ayant chuté de 0,7% et le NASDAQ de 1,1%.

Les girations d’Ark Invest, le fonds géré par Cathie Wood, surnommée la «reine du marché haussier», sont emblématiques, comme l’a souligné un article du Financial Times ceweek-end. Son fonds, qui se concentre sur les valeurs technologiques, a gagné près de 150% l’année dernière, mais a perdu 21% cette année.

«Cependant, poursuit l’article, Ark n’est que la partie émergée d’un vaste iceberg de spéculations qui a pris des proportions monstrueuses au cours de l’année écoulée.»

Il cite les remarques de Doug Ramsey, directeur des investissements de The Leuthold Group, qui a déclaré: «Nous pensons que 2021 a gagné sa place dans le livre comme l’année la plus sauvage et la plus spéculative de l’histoire du marché boursier américain, éclipsant même 1929 et 1999.»

Il a ajouté que cela ne signifiait pas que 2022 apporterait «une panique ou un krach, peut-être juste un degré de sobriété».

C’est peut-être le vœu le plus cher des sociétés d’investissement et de l’oligarchie financière, qui craignent un effondrement, mais la réalité est, comme Ramsey et d’autres l’ont noté, que la spéculation, alimentée par les banques centrales, est historiquement sans précédent.

Et cela pourrait continuer alors que la Fed commence à resserrer progressivement sa politique monétaire.

Gregory Perdon, co-chef des investissements chez Arbuthnot Latham, a déclaré au Wall Street Journal qu’il pensait que les actions pourraient continuer à augmenter même en cas de resserrement des conditions monétaires.

«L’exemple classique serait: hausse des taux, baisse des actions. La réalité, c’est qu’il y a tellement de liquidités, il y a tellement de demande pour obtenir un rendement sur les actifs qu’en fin de compte, nous allons devoir avoir un resserrement beaucoup plus agressif pour faire chuter les actions.»

La même remarque a été faite d’une manière différente par Jason Forman, qui a présidé le Council of Economic Advisers d’Obama. Il a fait remarquer qu’avec la hausse de l’inflation, le taux d’intérêt réel avait baissé et que la politique monétaire de la Fed s’était donc en fait assouplie.

«Cela indique que la politique est en train de dépasser la cible plus que ne le souhaitait la Fed, et qu’une correction plus importante est peut-être nécessaire», a-t-il déclaré.

Les rachats d’actions sont un facteur important qui a fait grimper l’indice S&P 500 de 25% cette année jusqu’à ses récentes chutes. Selon les données publiées la semaine dernière, les entreprises de l’indice ont racheté pour 234,5 milliards de dollars d’actions au troisième trimestre de cette année, dépassant le précédent record de 223 milliards de dollars au quatrième trimestre de 2018. Le niveau des rachats devrait encore augmenter au cours du dernier trimestre de cette année.

L’effet des rachats d’actions peut être observé dans le cas d’Apple, l’un des praticiens les plus agressifs de cette forme de manipulation financière. Elle était illégale jusqu’en 1982, date à laquelle les lois l’interdisant ont été abrogées sous l’administration Reagan, l’économie américaine étant de plus en plus fondée sur le parasitisme financier.

L’un des principaux sujets de discussion dans les commentaires de l’actualité financière cette semaine est le temps qu’il faudra à Apple pour atteindre une capitalisation boursière de 3.000 milliards de dollars, après la hausse de 30% du cours de son action depuis le début de l’année, qui a enregistré une augmentation de 11% la semaine dernière.

Il a fallu deux ans pour passer de 1.000 milliards de dollars à 2.000 milliards de dollars, mais Apple n’est plus très loin des 3.000 milliards de dollars en seulement 16 mois.

Un autre marqueur de la spéculation est le flux d’argent dans les fonds négociés en bourse (ETF), qui suivent les indices du marché des actions. Les actions des ETF peuvent être achetées et vendues sur les marchés comme les actions d’une entreprise individuelle.

Les données publiées la semaine dernière montrent que les flux entrants dans les ETF à l’échelle mondiale au cours de l’année qui s’est achevée en novembre ont dépassé 1.000 milliards de dollars, soit un total de 735,7 milliards de dollars pour l’ensemble de l’année dernière.

Les ETFs apportent un nouveau niveau d’instabilité. En effet, ils sont basés sur des modèles similaires qui suivent les indices du marché. Lorsque le marché est en hausse, ils peuvent générer des rendements importants, comme le montre le cas d’Ark, mais ils peuvent également subir des pertes importantes lorsque le marché commence à chuter, ce qui accentue le mouvement de baisse.

Il est impossible de prédire exactement quelle sera la réaction à l’annonce de la Fed aujourd’hui et à celles des banques centrales qui suivront.

Mais on peut dire une chose avec certitude: la bulle boursière sans précédent, que les politiques de l’élite dirigeante ont encouragée, signifie que l’ensemble du système financier repose sur des fondations de plus en plus fragiles.

(Article paru en anglais le 14 décembre 2021)

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