Un courriel fuité dévoile le complot de la direction et du syndicat pour briser la grève chez Kellogg’s, alors que Sanders tente de dévier la colère sur le Mexique

Un courriel fuité de la direction a révélé l’existence d’une conspiration entre le syndicat BCTGM (Boulangerie, confiserie, tabac et minoterie) et la direction de Kellogg’s pour mettre fin à la grève de deux mois et demi des 1.400 travailleurs du secteur des céréales aux États-Unis. Jeudi, Kellogg’s et le syndicat ont annoncé un nouvel accord de principe presque identique à celui que les travailleurs ont déjà rejeté il y a deux semaines, permettant à l’entreprise de recourir de manière illimitée aux travailleurs «transitoires» de deuxième niveau, moins payés. Un vote éclair avait été convoqué pour hier.

Courriel fuité de la direction de Kellogg’s

Le courriel, d’abord signalé par le groupe pseudo de gauche « Syndicat encore plus parfait » (More Perfect Union) a été apparemment envoyé à plusieurs membres de la direction de l’usine. Il déclare: «En bref, le coût global reste le même. On ne fait que déplacer l’argent d’un seau à l’autre». Le courriel ajoute avec une satisfaction malicieuse: «Aucun gain global pour eux [les travailleurs de Kellogg’s] avec 3 semaines de grève supplémentaires et aucun revenu. Pas de prime de ratification».

«Nous sommes convaincus que cette proposition sera adoptée», ajoutent les courriels, car «la plupart des membres du comité de négociation du syndicat sont favorables à cette proposition et prévoient de la recommander» (souligné par nous). Je sais que tout le monde est fatigué et tendu dans l’usine, essayez de vous concentrer sur ce que nous devons faire. Veuillez essayer de limiter au minimum les discussions sur les négociations dans l’usine autour des travailleurs».

Bien que le reportage de More Perfect Union ait ignoré la référence clé au syndicat, le courriel démasque le BCTGM comme complice de la tentative de la direction de briser la grève, et le fait que la direction compte sur le syndicat pour «faire passer» un contrat que les travailleurs ont déjà rejeté. De plus, les instructions données aux collègues managers de faire le silence radio autour des travailleurs sur le contrat est un signal clair qu'ils comptent principalement sur le syndicat pour intimider l'opposition en leur nom.

Les travailleurs doivent répondre en rejetant l'ensemble du cadre frauduleux de cette soi-disant «négociation collective», qui est démasquée comme étant, en réalité, une conspiration syndicat-patronat visant à briser leur lutte courageuse. L'ensemble du comité de négociation doit être mis à la porte et un nouveau comité être élu, composé des travailleurs de la base les plus fiables de l'usine.

La semaine dernière, le World Socialist Web Site a averti que le silence du BCTGM en réponse à la menace de la direction de licencier les travailleurs en masse suite au dernier vote sur la convention collective équivalait à un consentement tacite. Il montrait que ce dernier travaillait avec la direction pour vaincre la résistance des travailleurs par une séries de menaces et d’intimidations. Cela a été prouvé au-delà de tout doute, d’abord par le «nouvel» accord de principe même, et maintenant par la fuite du courriel.

Dans les jours qui précédaient l’élection, le BCTGM s’est engagé dans une campagne massive de censure. Quelques heures seulement après l’annonce de l’accord de principe, il a archivé plusieurs groupes Facebook locaux comptant des milliers de membres, afin d’empêcher les travailleurs de se parler et de renforcer l’opposition au contrat. En cela, ils suivent l’exemple du syndicat de l’automobile UAW, qui a utilisé des méthodes similaires cet automne pour imposer un nouveau vote sur un contrat que les travailleurs avaient eux aussi rejeté, et mettre fin à une grève d’un mois chez John Deere.

Malgré ces manœuvres, les travailleurs restent défiants. «Je continue à voter NON», a déclaré un travailleur chevronné. «Kellogg’s est aux abois. Les gros bonnets sont passés par Battle Creek ce matin. Je ne pense pas qu’ils aient aimé ce qu’ils ont vu. Ils manipulent les prix des actions, agissant comme si nous avions abandonné. J’espère que les membres sont plus malins que les dirigeants sur cet accord de merde».

«Ce contrat me ferait gagner beaucoup d’argent», a-t-il ajouté, «et me donnerait les quatre années dont j’ai besoin pour prendre ma retraite, mais je ne me soucie pas de cela pour le moment. J’en ai assez de voir les jeunes se faire avoir. Ce n’est toujours pas bon pour eux. Je vais voter NON. S’il est rejeté [Kellogg’s] en apportera un autre avant que le rapport trimestriel ne sorte».

Un autre travailleur en grève de Kellogg’s a déclaré: «Ce contrat est le même que le précédent, juste quelques mots de changés. Si nous l’acceptons maintenant, toute cette grève n’aura servi à rien. J’espère que nous voterons NON!»

Ce travailleur a dénoncé la stratégie perdante du BCTGM. «C’est comme [le club de football] Detroit Lions. Combien d’années ont-ils joué à “ne pas perdre” et ils finissent par perdre à chaque fois. On ne peut gagner que si on joue pour gagner».

«Nous avons déjà vu ce genre de choses», a-t-il ajouté. «Dans le contrat de 2015, quand ils ont commencé le niveau inférieur transitoire, beaucoup de gens parlaient des accords louches que le BCTGM avait faits».

Mais malgré la détermination des travailleurs, la grève est en danger tant que sa conduite est laissée entre les mains de la bureaucratie syndicale. Maintenant plus que jamais, les travailleurs doivent prendre la lutte en main en formant un comité de grève de la base pour s’opposer aux trahisons du syndicat, faire appel au soutien le plus large possible et développer une stratégie pour la victoire.

Bernie Sanders défend le syndicat et promeut le nationalisme «l’Amérique d’abord» lors d’un rassemblement à Battle Creek

Plus tôt dans la journée, le sénateur du Vermont Bernie Sanders s’est rendu à Battle Creek, dans le Michigan, dans le but d’obtenir du soutien pour le syndicat et de détourner la colère des travailleurs. L’événement qui a duré moins de trente minutes et était en grande partie les mêmes phrases démagogiques que Sanders emploie depuis des années, avait un caractère irréel. Il présentait l’appareil du BCTGM comme l’avant-garde de la lutte contre Kellogg’s, alors même qu’il est jusqu’au cou dans une campagne visant à imposer un contrat de capitulation. On n’a quasiment pas mentionné l’existence de l’accord de principe, à l’exception d’une brève allusion du président de la section 3G, Trevor Bidelman, qui a formulé certaines critiques discrètes de l’accord laissant entendre qu’il s’attendait à ce que le contrat soit rejeté.

Sanders a tenté de présenté le problème central de la grève comme étant celui d’une entreprise américaine déloyale qui menace de transférer des emplois américains au Mexique. Au point culminant de son discours, il a déclaré: «Si vous aimez l’Amérique, vous aimez les travailleurs. Et si vous aimez les travailleurs américains, vous n’expédiez pas leurs emplois à des gens désespérés au Mexique en les payant 90 cents de l’heure».

Ce nationalisme réactionnaire de type «Amérique d’abord» n’est pas différent dans son principe de celui de Donald Trump et de l’extrême droite. En fait, Breitbart, dont l’ancien rédacteur en chef Steve Bannon est un allié clé de Trump, tente de profiter de la campagne anti-mexicaine du BCTGM pour renforcer la crédibilité de sa propre politique fasciste.

Cette démagogie anti-mexicaine ne sert qu’à isoler la grève de son plus puissant réservoir de soutien, la classe ouvrière internationale. Malgré toute sa démagogie visant la «classe milliardaire», la présentation par Sanders d’une direction de Kellogg’s «déloyale» laisse ouverte la possibilité d’exploiteurs américains «loyaux» dont les intérêts seraient unis à ceux des travailleurs. En effet, à la fin de son discours, Sanders a enjoint la foule à faire appel à l’oligarchie patronale même pour «créer une économie qui fonctionne pour nous tous, et pas seulement pour quelques-uns». Cela a des implications particulièrement dangereuses alors que le capitalisme américain se prépare à un conflit militaire avec les puissances nucléaires Russie et Chine, dans une tentative désespérée de maintenir sa suprématie mondiale.

En fait, le nationalisme «Amérique d’abord» est un élément central et de longue date de la politique de Sanders. En 2015, il a dénoncé l’ouverture des frontières comme une proposition des «frères Koch» qui «rendrait tout le monde plus pauvre en Amérique». Lorsqu’il est revenu sur ce thème en 2019, il s’est attiré les louanges du leader néonazi Richard Spencer, qui a organisé l’émeute fasciste de Charlottesville, en Virginie. Sanders n’est pas un nazi, mais sa promotion du nationalisme anti-mexicain ne sert qu’à désarmer la classe ouvrière et à donner une légitimité politique à l’extrême droite.

Peu importe comment elle est présentée, la promotion d’une possible identité d’intérêts entre patronat et travailleurs, dans le cadre de l’État national, ne peut que servir à lier les travailleurs pieds et poings à leurs «propres» exploiteurs autochtones. C’est pourquoi, au milieu d’un discours démagogique qui attaquait Kellogg’s, Sanders a également fait l’éloge du «sacrifice» fait par les travailleurs de Kellogg’s en travaillant des semaines durant sans un seul jour de congé, comme ayant contribué à «sauver l’Amérique pendant la pandémie.» C’est là un mensonge promu par l’industrie alimentaire même pour justifier son imposition d’heures supplémentaires brutales et son refus d’arrêter la production pendant la pandémie.

En fait, des études indépendantes ont montré que l’approvisionnement alimentaire américain n’a jamais été en danger, même aux premiers stades de la pandémie. En maintenant les travailleurs au travail aussi longtemps que possible cependant, Kellogg’s et d’autres grandes entreprises alimentaires ont vu leurs bénéfices monter en flèche, alors même que des dizaines de milliers de travailleurs de l’agro-alimentaire étaient contaminés et que des centaines mourraient.

Contrairement au nationalisme économique de Sanders, de nombreux travailleurs de Kellogg’s considèrent les travailleurs d’autres pays comme leurs alliés naturels. Comme l’a fait remarquer un travailleur, «le soutien que nous avons reçu de tout le pays, de tout le monde – c’est vraiment émouvant. Nous sommes suivis par beaucoup de gens, et je ne sais pas ce qui se passera, si nous gagnons ou si nous perdons, mais c’est très puissant de voir des travailleurs palestiniens en Israël brandir une banderole en soutien à notre grève.»

Les travailleurs de Kellogg’s bénéficient d’un énorme soutien aux États-Unis et dans le monde. Mais pour gagner leur lutte, ils doivent la retirer des mains du BCTGM et se battre pour construire des comités indépendants de la base qui peuvent développer une stratégie pour gagner. Leur grève fait partie d’une rébellion croissante des travailleurs du monde entier contre les conditions de la pandémie et des décennies d’exploitation capitaliste.

«Quelque chose de grand doit se produire», a conclu le travailleur de Kellogg’s. «Et ça va arriver: une révolution».

Travailleurs de Kellogg’s: contactez le WSWS pour en savoir plus sur la formation d’un comité de grève de la base dans votre région.

(Article paru d’abord en anglais le 18décembre 2021)

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