Le chef de la Réserve fédérale américaine s’inquiète d’une «offensive des salaires» durant la prochaine année

La légère hausse des salaires des travailleurs américains, due à la concurrence entre les entreprises pour trouver de nouveaux employés, a provoqué une onde de choc dans toute la grande entreprise américaine. Ces derniers jours, les principaux responsables de la politique économique, les analystes de Wall Street et les médias ont prévenu que le plus grand danger pour l’économie capitaliste n’était pas le variant Omicron, mais une éventuelle «offensive salariale» des travailleurs l’année prochaine, qui pourrait bouleverser l’ensemble du système financier.

Lors d’une conférence de presse la semaine dernière, Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale américaine n’a rien dit des horribles pertes de vies humaines pendant la pandémie, se contentant de noter que le variant Delta «a eu pour effet de ralentir l’embauche» et «a nui au processus d’élaboration des chaînes d’approvisionnement mondiales». Faisant fi des dangers du variant Omicron, plus infectieux, il a ajouté: «Je pense que, vague après vague, les gens apprennent à vivre avec».

Bâtiment de la Réserve fédérale sur Constitution Avenue à Washington [Photo: AP Photo/J. Scott Applewhite, dossier]

Les remarques de Powell ont suivi la réunion du Federal Open Market Committee, composé de 12 membres, qui a voté pour effectuer trois hausses de taux d’intérêt d’un quart de point en 2022 et commencer à réduire ses achats d’actifs pour faire face aux pressions inflationnistes dans l’économie américaine. Cette annonce constitue un revirement par rapport à sa position d’il y a neuf mois, lorsque les responsables de la Réserve fédérale avaient indiqué qu’il n’y aurait pas de hausse des taux avant 2024.

Powell a clairement indiqué que la préoccupation de la Réserve fédérale concernant l’inflation n’était pas l’impact de la hausse de 6,8 pour cent des prix à la consommation – la plus élevée depuis quatre décennies – sur le niveau de vie des travailleurs. Plutôt, a-t-il dit, les salaires ont «augmenté rapidement» au cours des derniers mois, et c’est devenu clair pour les banquiers centraux que la hausse des salaires a «à la fois un effet plus important sur l’inflation et plus persistant».

Powell a déclaré que le facteur décisif à l’origine de la décision de relever les taux d’intérêt était l’indice du coût de l’emploi (ICE) publié le 29 octobre par le Bureau of Labor Statistics, qui, selon lui, a montré une hausse «très élevée» de 5,7 pour cent des coûts horaires de la main-d’œuvre au cours des trois derniers mois.

La Réserve fédérale et divers prévisionnistes économiques avaient initialement pensé que la hausse des salaires serait temporaire et transitoire. Ils s’attendaient à ce que l’annulation par le gouvernement Biden des chèques de relance en cas de pandémie et la prolongation des allocations de chômage suffisent à ramener les travailleurs sur le marché du travail et à atténuer les «pressions inflationnistes».

Mais l’effort qui vise à utiliser la pression économique pour forcer les travailleurs à retourner dans les usines et les lieux de travail infectés a largement échoué, a déploré Powell. «La mesure importante qui a été décevante a vraiment été la participation à la population active, bien sûr, alors que nous avions largement pensé, j’avais certainement pensé que l’automne dernier, lorsque l’assurance-chômage serait épuisée, que les vaccinations augmentent, que les écoles rouvrent, que nous voyions une augmentation significative, si vous voulez, ou au moins une augmentation de la main-d’oeuvre active». Bien qu’il y ait eu «une certaine amélioration», a-t-il dit, «il semble maintenant probable que le retour à une participation plus élevée va prendre plus de temps».

Il a poursuivi: «Le rapport entre les offres d’emploi, par exemple, et les postes vacants a brisé tous les records, les démissions, les salaires, tous ces enjeux sont encore plus source de conflits.» Pour «certaines personnes», a-t-il dit, «elles ne veulent pas retourner sur le marché du travail parce qu’elles sont vulnérables sur le plan médical ou parce qu’elles ne sont pas à l’aise pour y retourner alors que la COVID est encore partout. C’est une chose. Le manque de disponibilité des services de garde d’enfants pour les soignants en fait certainement partie, pas seulement pour les enfants, mais aussi pour les personnes plus âgées.»

Tout en reconnaissant que «les salaires ne sont pas une partie importante de l’histoire de l’inflation élevée que nous voyons», Powell a averti, «s’il y avait une situation où les salaires réels étaient constamment supérieurs à la croissance de la productivité, cela exercerait une pression à la hausse sur les entreprises, et elles augmenteraient les prix… Nous ne voyons pas encore cela. Mais avec les conflits qui pointent sur le marché du travail – les salaires que nous voyons, c’est quelque chose que nous surveillons.»

«Le marché du travail est, à bien des égards, bien plus tendu qu’il ne l’a jamais été au cours de la dernière expansion», a déclaré Powell. «Vous savez, habituellement, dans toutes les autres expansions, c’est qu’il n’y a pas assez d’emplois et que les gens ne trouvent pas de travail», a-t-il dit, ajoutant: «Ce dont nous avons besoin, c’est d’une autre longue expansion, comme celles que nous avons connues au cours des 40 dernières années».

Malgré une baisse du taux officiel de chômage, 4,2 millions de travailleurs supplémentaires ont quitté leur emploi en octobre. En novembre 2021, le taux de participation à la population active des adultes américains âgés de 65 ans et plus était inférieur de 7,2 pour cent à celui de février 2020, tandis que celui des adultes «dans la force de l’âge» âgés de 25 à 54 ans a diminué de 1,3 pour cent, selon Marketplace. Dans le cadre de ce que l’on appelle la «grande démission», environ trois millions de travailleurs de plus ont pris leur retraite depuis le début de la pandémie que ce qui avait été prévu d’après les tendances de l’année précédente, selon les estimations de la Réserve fédérale de Saint-Louis.

Le «marché du travail tendu» offre aux travailleurs – en particulier les moins bien rémunérés – un moyen de pression plus important pour exiger des salaires plus élevés. Selon la Réserve fédérale d’Atlanta, l’augmentation moyenne des salaires pour les personnes ayant changé d’emploi était de 5,1 pour cent en octobre, mesurée en tant que moyenne mobile sur trois mois de la croissance du salaire médian, contre 3,7 pour cent pour celles qui sont restées au même poste.

Malgré les avertissements de la Réserve fédérale, les augmentations de salaire se trouvent extrêmement limitées et 70 pour cent des travailleurs ont subi une baisse de leur salaire réel. Le Bureau of Labor Statistics (Bureau des statistiques du travail – BLS) a indiqué au début du mois que le salaire horaire moyen des employés de production et des employés sans supervision du secteur privé n’a augmenté que de 12 cents, pour atteindre 26,40 dollars. Au total, au cours des 12 derniers mois, le salaire horaire moyen n’a augmenté que de 4,8 pour cent.

Si l’on tient compte de l’inflation, les salaires réels ont diminué de 1,9 pour cent au cours de l’année écoulée, selon le BLS. D’octobre à novembre, le salaire horaire moyen réel de l’ensemble des employés a diminué de 0,4 pour cent. Depuis le début de la pandémie en février 2020, les salaires réels ont baissé d’environ 1 pour cent, comme l’a déclaré à Fortune Jason Furman, économiste et professeur à la John F. Kennedy School of Government de l’université Harvard.

Pour ce qui est des salaires qui dépassent la productivité des travailleurs, c'est exactement le contraire qui s'est produit au cours des quatre dernières décennies. Depuis 1979, les salaires réels des travailleurs n’étant pas à des postes de cadre n'ont augmenté que de 17 pour cent, alors que la productivité a progressé de 61,8 pour cent, soit 3,5 fois plus vite.

Les invocations répétées des porte-parole de l’oligarchie financière des dangers d’une «spirale salaires-prix» sont une référence effrayée à la vague explosive de grèves des travailleurs dans les années 1970 afin de protéger leur niveau de vie des ravages de l’inflation, entrainée par le déclin mondial de la position du capitalisme américain. Entre 1969 et 1979, il y a eu 3.300 grèves qui impliquaient plus de 1.000 travailleurs, soit une moyenne de 300 par an. Ce chiffre a atteint un sommet de 424 grèves, impliquant un total de 1,8 million de travailleurs, en 1974, lorsque le taux d’inflation a atteint 11 pour cent.

La classe dirigeante américaine a répondu par le «choc Volcker» en 1979, lorsque le président de la Réserve fédérale, Paul Volcker, a porté le taux préférentiel à 21,5 pour cent, provoquant la pire récession depuis la Grande Dépression et «extirpant l’inflation» de l’économie par le biais du chômage de masse, du démantèlement des syndicats et d’importantes réductions de salaire.

Les «expansions» économiques des quatre dernières décennies dont Powell fait l’éloge étaient fondées sur un transfert massif de richesses de la classe ouvrière vers les super-riches. La hausse de la bourse, qui a bien plus à voir avec l’inflation qu’avec les salaires, a été alimentée par la politique d’«assouplissement quantitatif» de la Réserve fédérale, c’est-à-dire l’offre d’argent pratiquement gratuit aux spéculateurs financiers.

Entre 2009 et 2020, avec le soutien total des syndicats de l’AFL-CIO, les augmentations ont été en moyenne de 2,8 pour cent par an, dépassant à peine un taux d’inflation annuel de 1 à 2 pour cent. Cette tendance se poursuit depuis la pandémie. Selon le BLS, les travailleurs non syndiqués ont vu leurs salaires augmenter à un rythme beaucoup plus rapide que les travailleurs syndiqués. Contrat après contrat, les syndicats ont accepté des augmentations de salaire bien inférieures au taux d’inflation, ce qui a érodé davantage le niveau de vie des travailleurs.

Dans le même temps, les syndicats maintiennent les travailleurs en poste alors que le virus mortel du SRAS-CoV-2 se propage dans les usines, les écoles et d’autres lieux de travail, coûtant la vie à des milliers d’éducateurs, de travailleurs des transports en commun et des soins de santé, ainsi qu’à des travailleurs du secteur privé dans les domaines de la transformation alimentaire, de la logistique, de la fabrication et d’autres industries. Les employeurs, avec le soutien total des syndicats, réagissent à la pénurie de main-d’œuvre en imposant des niveaux inhumains d’heures supplémentaires, minant la santé des travailleurs et les exposant davantage à la COVID-19.

Cela a été un facteur important dans la révolte de la base contre les syndicats propatronaux et la vague de grèves de cette année, de Volvo Trucks et Frito-Lay à John Deere et Kellogg. Bien que ces entreprises et d’autres fassent des profits records, la classe dirigeante est terrifiée à l’idée que la résistance croissante de la classe ouvrière fasse s’écrouler l’ensemble du château de cartes financier construit par la dette massive des sociétés – qui a augmenté de 1.300 milliards de dollars depuis la pandémie – et l’inflation des valeurs boursières.

Le remboursement de la dette de 32.000 milliards de dollars contractée par la Réserve fédérale et les banques centrales du monde entier nécessite l’extraction continue de la plus-value du travail de la classe ouvrière. C’est ce qui se cache derrière les politiques criminelles consistant à maintenir ouvertes les écoles et les entreprises non essentielles alors que la pandémie devient incontrôlable.

Les hausses de taux proposées par la Réserve fédérale sont censées être une attaque préventive contre les prétendues demandes «inflationnistes» des travailleurs, alors même que les politiques des banques centrales ont contribué à une augmentation de 5.500 milliards de dollars de la richesse des milliardaires du monde entier pendant la pandémie. L’opposition de la classe ouvrière aux États-Unis et dans le monde entier n’en est cependant qu’à sa phase initiale. Dans l’année à venir, les luttes de masse contre le sacrifice de millions de vies au profit des sociétés prendront une forme toujours plus explosive et consciemment anticapitaliste.

(Article paru en anglais le 20décembre 2021)

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