Les leçons politiques du sabotage de la grève du secteur public du Nouveau-Brunswick par le SCFP

L’année 2021 a été marquée par une recrudescence de la lutte des classes au Canada et dans le monde. Les travailleurs de tous les secteurs économiques, des mineurs et travailleurs des secteurs manufacturiers et de la transformation de la viande, aux enseignants et aux travailleurs des garderies, ont organisé des grèves, des débrayages et d’autres formes de protestation pour exiger des augmentations de salaire après des décennies de concessions et l’amélioration des conditions de travail dans le contexte où la pandémie de COVID-19 fait rage.

L’arrêt de travail de deux semaines de plus de 22.000 travailleurs du secteur public du Nouveau-Brunswick a été la plus grande grève générale au Canada au cours de la dernière année. Les aides-enseignants, les concierges des écoles, les chauffeurs d’autobus, les employés des collèges communautaires, le personnel des soins de santé et d’autres ont gagné la sympathie générale et le soutien actif d’un grand nombre de travailleurs. La grève a été sabotée par le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) qui a imposé de nouveaux contrats qui ne répondaient pas aux principaux griefs des travailleurs, au moment même où elle commençait à se transformer en une confrontation politique directe avec le gouvernement progressiste-conservateur de droite du premier ministre Blaine Higgs.

Travailleurs du secteur public du Nouveau-Brunswick en grève – une pancarte indique «Travail essentiel. Salaire essentiel?»; une autre «Étudier pour ne pas être payé» (Facebook du SCFP)

La grève des travailleurs du secteur public du Nouveau-Brunswick illustre les questions politiques et organisationnelles auxquelles sont confrontés tous les travailleurs qui entrent en lutte contre les exigences de l’élite dirigeante en matière d’austérité et d’exploitation accrue, et contre sa politique meurtrière de retour au travail et à l’école dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Par-dessus tout, cela démontre que les travailleurs doivent s’engager dans une lutte politique contre l’austérité capitaliste pour obtenir ne seraient-ce que leurs revendications les plus immédiates, et que cette lutte ne peut être menée qu’indépendamment des syndicats propatronaux.

Les travailleurs du secteur public n’avaient pas eu d’augmentation de salaire depuis 15 ans. Ils ont commencé leur lutte en demandant une augmentation salariale de «rattrapage» de 20% sur quatre ans. En fin de compte, le SCFP a accepté une «augmentation» de 2% par an sur cinq ans, plus une augmentation annuelle de 25 cents par heure. Même si l’on accepte la vantardise optimiste du SCFP selon laquelle cette formule se traduirait par une augmentation salariale de 15% sur cinq ans, cette augmentation est bien inférieure à l’inflation, qui est d’environ 5% par an, ce qui signifie que les travailleurs verront leur salaire réel diminuer.

Le gouvernement Higgs a également obtenu ce qu’il voulait sur les pensions, l’autre enjeu majeur de la grève. Les négociateurs du SCFP ont conclu un protocole d’entente avec le gouvernement qui lui donne le pouvoir de transférer les deux groupes de travailleurs encore admissibles aux pensions à prestations déterminées à un régime de pension inférieur à «risque partagé», ce qui élimine toute obligation pour le gouvernement de garantir les taux de pension. Le niveau d’hostilité des travailleurs à l’égard de ce plan a été démontré par le fait que la section locale 1253, qui représente 1.900 concierges et travailleurs d’entretien des écoles, a voté pour le rejeter. Ayant isolé les concierges, le SCFP a répondu à leur vote de rejet en refusant de reprendre la grève ou même de fixer un délai de grève, montrant ainsi clairement que le syndicat a l’intention d’imposer les concessions rejetées par les travailleurs.

Enhardi par les actions du syndicat, Higgs a déjà signifié que le gouvernement fera pression pour obtenir des concessions radicales sur les normes de travail, afin d’obtenir davantage des travailleurs, en particulier ceux qui fournissent des soins de santé, lors de la prochaine ronde de négociations. Celles-ci devraient commencer dans quelques mois, car les travailleurs sont restés sans contrat pendant quatre ans ou plus. «À l’avenir», a déclaré le premier ministre, le gouvernement mettra l’accent «sur l’innovation et les changements dans notre lieu de travail et dans nos habitudes de travail.»

Des leçons politiques urgentes doivent être tirées de cette expérience, en particulier par les centaines de milliers d’éducateurs et le personnel de soutien de l’Ontario qui seront confrontés à leur propre bataille contractuelle en 2022, par les travailleurs de l’automobile et de fabrication de pièces qui font face à l’assaut des multinationales pour réduire leurs salaires et leurs conditions, et par les travailleurs d’un bout à l’autre du pays dans les secteurs privé et public qui seront poussés à la lutte par des salaires stagnants, des prix en forte hausse et le refus des employeurs de protéger correctement les travailleurs contre la pandémie.

Les travailleurs sont confrontés à une lutte politique

La première leçon est que les travailleurs qui luttent pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail, dans un contexte de pandémie utilisée par l’élite dirigeante pour accroître ses vastes richesses et intensifier l’exploitation des travailleurs, sont immédiatement confrontés à des tâches politiques. Dès le premier jour de leur grève, les travailleurs du secteur public du Nouveau-Brunswick ont fait face à l’opposition intransigeante de l’État capitaliste, de ses institutions et de ses partis politiques. Au troisième jour de la grève, le gouvernement du Nouveau-Brunswick est intervenu pour fermer indéfiniment les écoles de la province sous le prétexte cynique d’un manque de garanties quant à la sécurité et à l’hygiène dû aux débrayages des concierges et des travailleurs de l’entretien. Venant d’un gouvernement qui a catégoriquement refusé de fermer les écoles tout au long de la pandémie afin d’arrêter l’infection de masse des enfants, des enseignants et de leurs proches, ce geste était une tentative claire de dresser le public contre les grévistes afin d’imposer les exigences d’austérité du gouvernement.

Au huitième jour de la grève, Higgs lui-même est intervenu pour ordonner le retour au travail des travailleurs de soutien aux soins de santé, usant, ou plutôt abusant, des pouvoirs d’urgence dont dispose son gouvernement en raison de l’urgence sanitaire. Higgs, qui a été ministre des Finances et premier ministre de gouvernements qui ont privé le système de santé de la province de ressources, a prétendu que son action briseuse de grève visait à préserver la capacité des hôpitaux à offrir des services d’urgence. Tout travailleur bravant l’interdiction draconienne était menacé d’une amende journalière pouvant atteindre 20.400 dollars.

Le rôle de l’État en tant que fer de lance de l’application des attaques exigées par la classe dirigeante contre les travailleurs a été démontré à maintes reprises au cours des derniers mois. En avril, le gouvernement fédéral de Trudeau est intervenu pour criminaliser une grève des débardeurs du port de Montréal contre les conditions de travail brutales et le manque de sécurité d’emploi. Au Québec, une lutte de plusieurs mois des travailleurs d’un abattoir d’Olymel a été étranglée en août après que le gouvernement provincial de la Coalition Avenir Québec soit intervenu pour forcer l’acceptation d’un contrat pourri avec le soutien des syndicats. En Ontario, le gouvernement provincial de Ford et le gouvernement fédéral de Trudeau offrent des milliards de dollars de subventions aux trois constructeurs automobiles de Détroit alors qu’ils suppriment des emplois dans le cadre de leur transition vers les véhicules électriques, comme l’a montré récemment le licenciement de 1.800 travailleurs de l’usine d’assemblage de Stellantis à Windsor en octobre.

Les syndicats sont des ennemis acharnés de la classe ouvrière

La deuxième leçon est que les syndicats ne sont pas les alliés des travailleurs dans les luttes qu’ils mènent, mais leurs ennemis les plus acharnés. Ces organisations sont redevables à la direction des entreprises et à l’État capitaliste. Depuis des décennies, elles piétinent les traditions de lutte militante de la classe ouvrière auxquelles elles étaient autrefois associées et imposent l’austérité et les reculs, tout en s’intégrant toujours davantage au patronat et à l’État capitaliste. Les syndicats s’opposent catégoriquement à la mobilisation du pouvoir de la classe ouvrière et à la lutte politique indépendante nécessaire pour obtenir de meilleurs salaires et défendre et étendre les droits sociaux des travailleurs face aux exigences d’austérité et de «compétitivité» de la classe dirigeante.

Les syndicats sont complices de toutes les attaques exigées par les grandes entreprises, demandant simplement que les bureaucrates syndicaux bien payés soient impliqués dans leur élaboration et leur mise en œuvre. Cela est camouflé par des références constantes à la protection de la «négociation collective» et du «système des relations de travail», ce qui signifie en réalité l’accès de la bureaucratie syndicale aux structures de cogestion dans les bureaux du gouvernement et les salles des conseils d’administrations des entreprises. Cela a trouvé son expression la plus claire dans l’application par les syndicats de la politique d’économie et d’écoles ouvertes de l’élite dirigeante pendant la pandémie, qui a entraîné l’infection de masse des travailleurs et des milliers de décès évitables.

Au Nouveau-Brunswick, le SCFP, le plus grand syndicat du Canada avec plus de 600.000 membres, a cherché à tout prix à isoler la lutte des travailleurs du secteur public. Il a retardé le déclenchement d’une grève pendant des mois, même si les travailleurs étaient sans contrat depuis quatre ans ou plus et qu’une majorité écrasante avait soutenu la grève. Lorsque la grève a été déclenchée, le syndicat a scrupuleusement évité de faire appel à ses centaines de milliers de membres, sans parler de la classe ouvrière dans son ensemble, et a plutôt encouragé les travailleurs à se lancer dans des coups d’éclat pour influencer les députés et les représentants du gouvernement. Le SCFP a répondu à l’ordre de retour au travail de Higgs pour les travailleurs de la santé en déposant un grief devant les tribunaux capitalistes, un geste visant à démobiliser les travailleurs et àencourager les illusions dans l’État capitaliste.

Le SCFP a poursuivi cette stratégie parce qu’il savait que les travailleurs du secteur public jouissaient d’un soutien populaire massif. Même les propres comptes-rendus du SCFP sur les piquets de grève ont dû reconnaître que les grévistes étaient inondés de dons, y compris un soutien financier ainsi que de la nourriture et d’autres articles, par les résidents locaux.

Malgré tous les efforts du syndicat, le soutien populaire à la grève a pris une forme de plus en plus organisée. La veille de l’annonce par le SCFP de la fin soudaine de la grève, le 13 novembre, des milliers de parents, d’étudiants et de sympathisants ont lancé un boycott de l’apprentissage en ligne en solidarité avec la grève. Les bureaucrates du SCFP étaient manifestement terrifiés à l’idée qu’une évolution de la lutte dans ce sens aurait rapidement conduit à une confrontation politique ouverte avec le gouvernement Higgs, mettant à mal leurs relations cordiales avec le premier ministre et ses ministres.

Déterminé à mettre fin à la grève, le syndicat, dans ce qui est maintenant une pratique courante, a violé les normes démocratiques les plus fondamentales. Dès que les responsables syndicaux ont conclu leur accord de capitulation avec le gouvernement, ils ont ordonné aux travailleurs de démonter leurs piquets de grève et de retourner au travail. Au cours des trois jours suivants, ils ont organisé des réunions de ratification éclair au cours desquelles les travailleurs ont été contraints de voter sur les accords de principe sans avoir la possibilité d’en étudier le contenu ou d’en débattre entre eux.

Les travailleurs doivent créer des comités de la base et unifier leurs luttes au niveau international pour obtenir leurs revendications

La troisième leçon est que les travailleurs qui entrent en lutte sont en position de force pour mobiliser le pouvoir social de la classe ouvrière et obtenir leurs revendications. La pandémie de coronavirus a été un événement déclencheur, exacerbant la crise capitaliste déjà bien avancée et tous les maux sociaux qui l’accompagnent, notamment les bas salaires et l’exploitation impitoyable des travailleurs, ainsi que la vaste accumulation de richesses pour les super-riches. Les politiques brutales et meurtrières menées par les gouvernements provinciaux et fédéral au Canada, et par les gouvernements à l’échelle internationale, pour donner la priorité à la protection des profits de la grande entreprise au détriment des vies humaines pendant une pandémie mortelle, politisent et radicalisent des millions de travailleurs dans le monde.

Ces processus objectifs entraînent une recrudescence des luttes de la classe ouvrière qui n’avait pas été vue depuis plus de quatre décennies. La grève du secteur public du Nouveau-Brunswick fait partie d’une vague de luttes de la classe ouvrière à travers l’Amérique du Nord, y compris les grèves des travailleurs de Volvo Trucks, John Deere et Kellogg’s aux États-Unis, et des mineurs de Vale, des travailleurs des mines et des fonderies d’Arcelor-Mittal et des travailleurs de la transformation alimentaire d’Olymel au Canada. L’une des principales caractéristiques de toutes ces luttes est qu’elles se sont développées sous la forme de rébellions des travailleurs de la base contre les efforts de la bureaucratie syndicale pour imposer les diktats de l’employeur.

Mais les travailleurs en grève doivent apprendre à transformer cette force objective en un pouvoir politique conscient. Il ne suffit pas d’être simplement en colère et frustré par les trahisons des syndicats et les politiques pandémiques impitoyables de la classe dirigeante. Ce qu’il faut, c’est une forme organisée permettant de coordonner et de fournir une direction politique à chaque grève et action de travailleurs, où qu’elles éclatent, et une perspective politique pour guider ces luttes. Les travailleurs de Volvo Trucks, du fabricant de pièces automobiles Dana et de John Deere ont fait le premier pas dans ce processus en formant des comités de la base indépendamment des syndicats propatronaux et en opposition à ceux-ci. Les travailleurs de tous les secteurs économiques, publics et privés, doivent suivre cet exemple pour assurer la victoire dans les prochaines batailles de classe.

Afin de fournir la coordination mondiale et la direction politique dont ces luttes ont besoin, le Comitéinternational de la Quatrième Internationale, dont le Parti de l’égalité socialiste est la section canadienne, a créé l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC). Nous appelons fortement tous les travailleurs qui entrent en lutte à soutenir la construction de l’IWA-RFC en tant que direction consciente des luttes de masse de la classe ouvrière qui se développeront dans la période immédiate à venir. Si ces luttes doivent briser la domination sur la vie sociale et politique dont jouit l’oligarchie financière et garantir à tous les travailleurs des emplois décents et sûrs et une protection contre la COVID-19, elles doivent être guidées par une perspective socialiste et internationaliste.

(Article publié en anglais le 30 décembre 2021)

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