Critique de livre : La Commune de Saint-Louis de 1877 : le communisme au cœur du pays de Mark Kruger

La commune de Saint-Louis de 1877 : le communisme au cœur du pays, deMark Kruger. 330 pages. Octobre 2021. ISBN : 978-1-4962-2813-0

L'un des événements les plus révolutionnaires de l'histoire américaine est aussi l'un des moins connus : en juillet 1877, la classe ouvrière de Saint-Louis a lancé une grève générale et s'est emparée du pouvoir dans la ville, instaurant une dictature prolétarienne de courte durée. A sa tête se trouvait le Workingmens’s Party of the United States, WP (Parti ouvrier des États-Unis), un descendant de la Première Internationale. Les travailleurs de Saint-Louis élurent un comité exécutif pour diriger les fonctions du gouvernement et superviser l'économie pendant une brève période de quelques jours jusqu'à ce que la direction vacille et cède face à la répression capitaliste.

La commune de Saint-Louis de 1877 a représenté le centre de gravité révolutionnaire de la grande grève spontanée des cheminots, qui a commencé début juillet et s'est terminée en septembre 1877. Des baisses de salaires draconiennes, des conditions de travail dangereuses et des inégalités sans précédent ont déclenché le soulèvement, qui a balayé les États-Unis, d'un océan à l'autre. Sa portée et sa spontanéité ont ébranlé les fondements mêmes du pouvoir capitaliste et inauguré une nouvelle époque, mettant la classe ouvrière au premier plan en tant que force puissante.

Couverture du livre

Cette riche histoire est le sujet d'un nouveau livre, The St. Louis Commune of 1877: Communism in the Heartland , écrit par Mark Kruger, un professeur à la retraite qui vit dans la ville. Le livre de Kruger est précieux. Peu de choses ont été écrites sur la commune de Saint-Louis depuis le Reign of the Rabble ( Le régime du petit peuple)  deDavid Burbank, publié en 1966, un récit méticuleux très détaillé. L'ensemble de la vague de grèves fut traitée par Robert Bruce en 1959 dans son livre 1877 :Year of violence (Année de la violence) et en 1977 par Philip Foner dans The Great Labour Uprising of 1877 (Le grand soulèvement ouvrier de 1877).

Le livre de Kruger est une réfutation du mensonge le plus fondamental de l'histoire américaine: qu'il n'y a pas eu de lutte de classe ou de socialisme aux États-Unis. Une décennie seulement après la guerre civile, le socialisme a trouvé un sol fertile en Amérique alors que les travailleurs étaient jetés dans une lutte massive et souvent sanglante contre les capitalistes. La classe ouvrière américaine, bien que diversifiée sur le plan ethnique et racial, s'est battue avec acharnement pour élever son niveau de vie et pour les droits fondamentaux au travail contre la bourgeoisie.

Mais la Commune ne peut être entièrement comprise indépendamment de l'influence internationale du socialisme et des soulèvements révolutionnaires du milieu du XIXe siècle. La réussite de Kruger est de placer le soulèvement dans ce contexte plus large: les révolutions de 1848 en Europe, la Première Internationale et la Commune de Paris, qui ont toutes eu une profonde influence sur la politique et la société américaines.

Le livre de Kruger contient de précieuses leçons. Il devrait trouver un succès auprès du public ouvrier à un moment où la popularité du socialisme est à la hausse, où le capitalisme devient de plus en plus un gros mot, et où la première vague de grèves depuis des décennies se renforce, déclenchée par la pandémie de COVID et la politique de la classe dirigeante de faire passer les profits avant les vies tuant plus de 800.000 personnes aux États-Unis et des millions à travers le monde.

Le boom et les inégalités après la guerre civile

De la destruction de l'esclavage pendant la guerre civile, une nouvelle ère émergea. Kruger plante le décor en parlant des tendances du développement industriel et de ses dépressions, la pauvreté et l'oppression de la classe ouvrière, la bassesse et la corruption des riches, et la croissance massive de l'industrie ferroviaire.

Le capitalisme américain se lança dans une expansion sans précédent. Entre 1865 et 1873, la production industrielle augmenta de plus de 75 pour cent. L'industrie ferroviaire allait ouvrir la voie, reliant la ville et la campagne, donnant naissance à une classe ouvrière indocile et, en termes objectifs, forgeant son unité.

Toute la croissance n'a pas été l'œuvre de la «main invisible» du marché. Le gouvernement a offert des concessions, des contrats et des subventions de terres publiques lucratives, en adoptant les lois sur les chemins de fer du Pacifique de 1862 et 1863. Avec les largesses du gouvernement, le chemin de fer transcontinental a été achevé en 1869. Et avec le soutien des politiques anticoncurrentielles des gouvernements étatique et fédéral, le chemin de fer de Pennsylvanie allait devenir la plus grande entreprise au monde, écrit Kruger.

Saint-Louis, comme beaucoup d'autres villes, a grandi à pas de géant. Situé dans la partie industrielle la plus à l'ouest du pays, l'emplacement avantageux de St. Louis en a fait un poste frontalier potentiel pour l'expansion vers l'ouest. D'énormes sommes de capitaux furent injectées dans la ville dans le but de propulser Saint-Louis à la première place d'une course sans merci contre des concurrents tels que Chicago. John O'Fallon et James Lucas, deux des capitalistes les plus riches de la ville, se sont précipités pour financer l’entreprise Iron Mountain Railroad et les industries adjacentes telles que la fabrication de wagons ferroviaires, le conditionnement de viande et la production de charbon. Des industriels véreux notoires tels que Jay Gould accaparèrent de larges parts du marché des chemins de fer. Les bénéfices atteignaient des niveaux vertiginieux.

Panorama de l'âge d'or de Saint-Louis

A cette époque, connue sous le nom de Gilded Age [littéralement 'âge doré', n.d.t.] – un double sens inventé par Mark Twain – la bourgeoisie a poursuivi sans vergogne la richesse et l'autoglorification, affichant des symboles de son statut social. Kruger donne l'exemple de William Vanderbilt, fils de Cornelius, le magnat du New York Central Railway, qui a construit un manoir à Midtown Manhattan imitant un château de style Renaissance française. Ses murs étaient ornés de tapisseries italiennes de la Renaissance représentant des scènes de la mythologie grecque et romaine classique. Un vitrail représentant la rencontre amicale du roi Henri VIII avec François Ier de France a souligné l’adoption par l'oligarchie financière émergente en Amérique des manières des monarchies en Europe, couvertes de sang avec leur richesse obscène.

Mais cette orgie de richesse était brutalement interrompue par des crises. En 1873, un effondrement financier mondial bouleversa les États-Unis, puis le monde, précipitant plus de la moitié des compagnies de chemin de fer en redressement judiciaire en 1876. Les actions des chemins de fer chutèrent de 60 pour cent. La dépression dura jusqu'à la fin de la décennie, appauvrissant la société et exacerbant la colère de la classe ouvrière.

Le monde en Amérique : les quarante-huitards, la Première Internationale et la Commune de Paris

La force considérable du livre de Kruger est son attention particulière aux influences internationales sur les travailleurs américains. Kruger montre que la «classe ouvrière américaine» a toujours été très internationale.

La classe ouvrière était composée d'une très forte proportion d'immigrants de la première ou de la deuxième génération. Parmi eux se trouvaient des milliers de travailleurs allemands radicaux, dont beaucoup étaient des réfugiés politiques des révolutions de 1848 en Europe. Ils ont contribué à donner une impulsion puissante et saine à la politique américaine. Kruger montre que ces immigrants ont contribué de manière décisive à la victoire de l'Union dans le Missouri pendant la guerre civile - les Allemands étaient massivement hostiles à l'esclavage - et il soutient que ces exilés politiques étaient indispensables à la grève générale et à la Commune, fournissant «la philosophie et la direction».

Soixante-trois mille Allemands ont immigré aux États-Unis en 1848, passant à environ 230.000 en six ans. À Saint-Louis, un tiers de la population était née en Allemagne et la population adulte se composait de 77 pour cent d'immigrants, principalement originaires d'Allemagne et d'Irlande. Les journaux allemands ont proliféré, totalisant 80 pour cent de tous les journaux en langue étrangère en 1880. Et Saint-Louis n'était pas le seul. Milwaukee, Chicago, Cincinnati et d'autres grandes villes américaines avaient une importante population allemande.

L'immigrant allemand le plus célèbre de Saint-Louis était Joseph Weydemeyer, un ami de Marx et le fondateur de l'American Workers League, qui devint colonel de la quarante et unième infanterie du Missouri pour l'armée de l'Union pendant la guerre civile. Crédité d'avoir introduit le socialisme dans la ville, Weydemeyer a déménagé à Saint-Louis en 1861 sur la suggestion de Friedrich Engels, qui pensait que les idées socialistes trouveraient un écho dans la grande population allemande. Il a édité un journal de langue allemande, Die Neue Zeit, et a été élu auditeur du comté de St. Louis, plaidant pour la journée de travail de huit heures. Weydemeyer est mort en 1866 dans une épidémie de choléra.

Joseph Weydemeyer

La bannière du socialisme scientifique se déplaça alors vers la section américaine d'une nouvelle organisation de socialistes et de militants ouvriers: l'International Workingmen's Association, ou Première Internationale, qui avait tenu son premier congrès la même année que la mort de Weydemeyer.

Les événements en relation avec la Première internationale en Europe ont eu un impact sur les développements américains. En 1872, au Congrès de La Haye de la Première Internationale, après la rupture irréparable entre Karl Marx et Friedrich Engels d'un côté et les anarchistes dirigés par Mikhaïl Bakounine de l'autre, Engels a présenté une motion pour déplacer le Conseil général à New York de peur que les bakouninistes ne fassent main basse sur l’organisation. Friedrich Sorge, un immigrant allemand et chef de la section allemande de l'Internationale à New York, prit en charge la gestion quotidienne de l'organisation.

Friedrich Sorge

En la sauvant d'une disparition prématurée, elle rapporterait des dividendes historiques au mouvement ouvrier aux États-Unis.

Kruger écrit que lors du dernier Congrès de la Première Internationale en 1876, surnommé le Congrès de l'Unité, 19 sections ont formé un nouveau parti politique marxiste, le Workingmen's Party USA (WP). Albert Currlin, un boulanger et futur chef de la Commune, a rassemblé la délégation de Saint-Louis pour réaliser cet objectif historique. Les membres du WP ont été élus à Chicago, Milwaukee et Cincinnati, publiant 24 journaux au total.

Malgré une courte durée de vie aux États-Unis, se dissolvant à Philadelphie, en Pennsylvanie, en juillet 1876, la Première Internationale sema des graines dans le jeune mouvement ouvrier américain. En 1871, il comptait un total de 19 sections, passant à 35 à la fin de l'année. St. Louis avait des sections de langue allemande, anglaise, française et tchèque.

Selon Kruger, la Première Internationale «était la première fois que les travailleurs s'organisaient à l'échelle internationale», diffusant des idées radicales et menant la lutte internationale pour la journée de travail de huit heures. La branche américaine, un mélange éclectique de marxistes, d'anarchistes, de réformistes et de partisans de Ferdinand Lassalle, a soutenu les grèves de plus de 100.000 travailleurs dans 32 métiers différents à travers l'Est et le Midwest.

La Commune de Paris, autre épisode fondateur inspirant la classe ouvrière internationale, a fait germer des idées radicales parmi les travailleurs américains. La Première Internationale, qui comptait 17 membres élus à la direction de la Commune le 28 mars 1871, apporta cette expérience à ses cadres et dans la classe ouvrière internationale, notamment par le pamphlet incisif de Marx, La guerre civile en France, qui connut plusieurs éditions pendant la première année et fut traduit dans de nombreuses langues différentes. Les ouvriers communistes et les membres de l'Internationale ont soutenu la Commune et ont joué un rôle actif dans son déroulement, tenant les barricades contre l'armée française et le boucher Adolphe Thiers, qui fera assassiner plus de 20.000 parisiens.

La Commune de Paris a également terrorisée les capitalistes américains, semant parmi eux la panique et la soif de sang. Le New York Herald, pro Parti démocrate, déclara: «Faites de Paris un tas de ruines si nécessaire, que ses rues coulent des fleuves de sang, que tout ce qui s'y trouve périsse, mais que le gouvernement maintienne son autorité et démontre son pouvoir.» Dans des articles de presse et des discours politiques similaires à travers le pays, la classe dirigeante américaine a fait savoir aux travailleurs qu'elle embrassait pleinement les méthodes de Thiers.

La Grande Grève des cheminots et la Commune de Saint-Louis de 1877

Les derniers chapitres rassemblent ces volets en 1877 à Saint-Louis, où ce qui a commencé comme un conflit social contre les baisses de salaires et les conditions dangereuses de travail s'est transformé en un soulèvement révolutionnaire de la classe ouvrière. Selon les mots de l'auteur, «la grève qui a commencé sur des questions de subsistance a élargi son champ d'action et s’est revêtu des aspects de la guerre des classes».

En mai et juin 1877, les magnats américains des chemins de fer ont réduit simultanément les salaires pour la deuxième ou la troisième fois depuis le début de la dépression – des réductions de salaire totalisant jusqu'à 50 pour cent – malgré d'importants bénéfices et des augmentations salariales considérables répartis entre les dirigeants et les actionnaires.

Des travailleurs bloquent des trains pendant la grande grève des chemins de fer à Martinsburg, en Virginie-Occidentale

Les cheminots refusaient d'être réduits à la misère. La grande grève des chemins de fer a éclaté à Martinsburg, en Virginie-Occidentale, et à Baltimore, dans le Maryland, le 16 juillet. Parfois appelé le Grand soulèvement, elle se distingue toujours par sa spontanéité, son ampleur massive et par la féroce solidarité de la classe ouvrière.

La grève a fait boule de neige, apparemment de son propre chef. À Baltimore, les fabricants de boîtes, les fabricants de boîtes de conserves et les scieurs se sont joints à la grève, exigeant satisfaction de leurs propres augmentations de salaire. Les mineurs et les bateliers ont arrêté les trains en Virginie-Occidentale, les chômeurs ont rejeté les invitations de jouer les briseurs de grève, et les propriétés ferroviaires telles que le B&O sont tombées entre les mains des travailleurs. Des mineurs de charbon en Pennsylvanie ont rejoint la grève. La grève a balayée le nord et le sud, l'est et l'ouest, atteignant la Californie. Des troubles civils massifs ont eu lieu en Virginie-Occidentale, Maryland, Pennsylvanie, Ohio, New York, New Jersey, Michigan, Indiana, Illinois, Kentucky et Missouri. Kruger dit que le 22 juillet, plus d'un million de travailleurs se sont mis en grève.

Pris au dépourvu au début, les gouverneurs se sont précipités pour envoyer des milices pour décapiter le mouvement grandissant, mais certains ont refusé de tirer sur leurs frères de classe ou ont été submergés par le nombre et la volonté des masses. Le président Rutherford B. Hayes envoya 3.000 soldats fédéraux à divers endroits. La violence secoua Pittsburgh, Philadelphie, Chicago, Buffalo et Scranton, en Pennsylvanie. Des centaines furent tués et blessés.

Incendie de l'Union Depot à Pittsburgh, pendant la grande grève des chemins de fer

La presse bourgeoise a qualifié les ouvriers de «communistes assoiffés de sang», «d'hommes mal habillés, d'apparence malfaisante, aux traits durs, aux sourcils crasseux et négligés […] des visages renfrognés». Et elle a averti qu'«à Saint-Louis, une cellule [le WPUSA] de la commune [de Paris] […] conspire pour le renversement des gouvernements du monde».

Le Parti ouvrier (WP), lui-même pris de court, a dû rattraper les événements, mettant tout son poids derrière le mouvement. Le 22 juillet, Philip Van Patten, le secrétaire correspondant du WP, appela toutes les sections du parti à soutenir la grève, préconisant des revendications telles qu'une journée de huit heures et la nationalisation des industries ferroviaires et télégraphiques.

Ce sera à St. Louis, cependant, que le WP fort de 1 000 membres jouera le rôle le plus important, comme le montre le travail de Kruger.

Le WP s'est empressé d'organiser des réunions pour gagner le mouvement et lui donner une direction. Lors d'une réunion, Peter Lofgreen, secrétaire financier de la section anglophone du WP, Albert Currlin, et Henry F. Allen, socialiste utopique et peintre d'enseignes de métier, tous membres du comité exécutif du WP, ont exigé un retour à la grille des salaires de 1873, représentant une augmentation de 50 pour cent, ainsi que la nationalisation.

Le lundi 23 juillet, le WP convoqua une autre réunion de masse, renforçant ainsi sa légitimité  à la tête de la grève et orientant la discussion vers le nœud du problème, le système capitaliste. En installant trois podiums permettant à la foule immense d’entendre, les membres du WP et les travailleurs ont appelé à la révolution. Lofgreen a demandé : «Pourquoi devrions-nous nous laisser piétiner par quelques monopoles qui, ayant les rênes du gouvernement entre leurs mains, utilisent les assassins organisés pour nous écraser?» Les acclamations ont explosé.

La foule hurla lorsqu'un autre orateur a déclaré que la classe ouvrière était taxée «pour soutenir une armée permanente devant être utilisée pour repousser les invasions des puissances étrangères, mais l'armée est maintenant utilisée comme un outil pour opprimer et massacrer des hommes, des femmes et des enfants innocents». Un autre s'écria : « Pourquoi cet état de choses? Parce qu'il en est ainsi, selon la loi. Eh bien, si c'est la loi, alors on condamne la loi. [Acclamations prolongées]. Si c'est la règle qui régit la société, alors plus tôt elle sera enfreinte, mieux ce sera.»

Lucas Market Square, où le Parti ouvrier a pris la parole lors de réunions de masse pendant la Commune de Saint-Louis

Pendant ce temps, l'élite de la ville et deux anciens généraux des armées de l’Union et des Etats confédérés organisèrent le Comité de salut public, dont le nouveau but était de mettre la classe ouvrière sous la botte de la bourgeoisie. Les forces fédérales sont entrées dans la ville en apportant de la main-d'œuvre, des armes et des munitions. Un bain de sang se préparait.

Le point culminant de la grève fût le mercredi 25 juillet. Dès le lendemain, l’élan s'était dissipé. La Commune tomba sans trop de résistance. Ses dirigeants ont été arrêtés et envoyés en prison à St. Louis et East St. Louis, situés de l'autre côté du fleuve Mississippi dans l'Illinois. Le dimanche 29 juillet, la classe dirigeante reprit la ville. Après la chute de la Commune, l'élite de la ville créa l'organisation Veiled Prophet, organisant des défilés annuels célébrant la victoire sur la grève.

Kruger est quelque peu spéculatif sur les raisons de la défaite de la commune de Saint-Louis. L'essentiel de son analyse semble impliquer que cela était dû à un manque de détermination de la direction, qui n'a jamais vraiment tenté de conquérir le pouvoir. Il fait également référence à l'exploitation des tensions raciales et ethniques parmi les travailleurs noirs, blancs de souche, allemands et irlandais.

Bien que les questions de race et nationalité aient divisé la population, cela a été en partie surmonté pendant la grève, en opposition aux attitudes racistes de certains dirigeants tels que Currlin. Par exemple, le comité exécutif du WP, constitué de plusieurs centaines de grévistes et de sympathisants multiraciaux et multiethniques, a exigé que les salaires des bateliers, tous noirs, soient augmentés de 50 pour cent, le même montant que réclamaient les cheminots. Les travailleurs noirs et blancs, armés de matraques, ont encouragé les travailleurs à se joindre à la grève, fermant plusieurs lieux de travail. Lors d'une réunion de masse, un travailleur noir a demandé à la foule si des travailleurs blancs étaient avec lui ou non : la foule a répondu: «Nous le sommes!»

Avec le recul, il semble que c'était ait trop demander à l'histoire qu'une révolution prolétarienne réussisse aux États-Unis en 1877. La lutte des classes était nouvelle et puissante, mais les ouvriers avaient accumulé peu d'expérience. Dans tout le pays, de puissantes grèves ont éclaté sans direction politique. En ce sens, le succès ou l'échec de la Commune de Saint-Louis peut être attribué avant tout à l'insuffisance de la conscience politique de la classe ouvrière à l'échelle nationale, même si à Saint-Louis le WP a tenté d'élever cette conscience et de révéler la nécessité de s'emparer du pouvoir politique de la classe capitaliste. Bien que Saint-Louis soit une ville importante, elle n'était en aucun cas comparable au rôle de Paris dans la vie nationale française.

Ce qui est étonnant, c'est jusqu'où les choses sont allées en 1877, surtout à Saint-Louis. À sa conclusion, aucune des revendications pour lesquelles les travailleurs avaient combattu n'a été satisfaite, mais le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière américaine, bien qu'immature dans son développement théorique et organisationnel, était parfaitement visible.

Plus de 140 ans se sont écoulés depuis les événements de 1877, mais l'expérience détient encore des leçons cruciales pour la classe ouvrière d'aujourd'hui alors qu'elle est confrontée à un système capitaliste en déclin terminal. Il est impératif qu'avant la prochaine explosion révolutionnaire, qui sera d'envergure internationale, que ses leçons soient assimilées. Les événements de 1877 et la Commune de Saint-Louis montrent l'énorme puissance sociale de la classe ouvrière. Mais elles révèlent également la nature décisive d'une direction révolutionnaire préparée, la nécessité d'élever la conscience politique des travailleurs contre les fausses promesses de la classe dirigeante et le besoin d'unité de classe en opposition à tous les efforts visant à diviser les travailleurs selon des politiques raciales et ethniques.

(Article paru en anglais le 3 janvier 2022)

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