Des dizaines de morts dans les frappes aériennes saoudiennes mettent en évidence les crimes de guerre américano-saoudiens

Ces derniers jours, la coalition dirigée par l’Arabie saoudite a multiplié les frappes aériennes contre son voisin méridional appauvri, le Yémen, avec une série d’attaques horribles contre des infrastructures et des bâtiments civils qui n’avaient joué aucun rôle dans cette guerre qui dure depuis sept ans. Ces attaques constituent des crimes au sens de la quatrième convention de Genève.

Vendredi, une frappe aérienne saoudienne contre un centre de détention à Saada, dans le nord du Yémen, où se trouvaient des travailleurs migrants africains qui transitaient par le Yémen pour se rendre en Arabie saoudite, a fait au moins 82 morts et 266 blessés, le nombre de victimes devant encore augmenter à mesure que les secouristes fouillent les décombres.

La carte localise deux frappes aériennes saoudiennes au Yémen. L’une a frappéune prison dans la ville de Saada, au nord-ouest du pays, et l’autre dans la ville portuaire de Hodeidah, à l’ouest, où on a touché un centre de télécommunications  ; paralysant l’accès àInternet dans le pays. (Photos AP)

Une autre attaque contre un centre de télécommunications dans la ville portuaire de Hodeidah a paralysé l’Internet du pays et tué trois enfants qui jouaient à proximité. Netblocks, qui surveille les blocages d’Internet, a décrit le Yémen comme connaissant « un effondrement de la connectivité Internet à l’échelle nationale  ». Tandis que, l’agence d’aide, le Conseil norvégien pour les réfugiés, a décrit l’attaque comme « une attaque flagrante contre l’infrastructure civile qui aura également un impact sur la fourniture de notre aide. »

En début de semaine, l’ONU a déclaré que la violence de ce mois-ci pourrait bientôt dépasser celle observée en décembre, où358 civils avaient été tués ou blessés, en raison du nombre alarmant de frappes aériennes, de drones et de roquettes utilisés contre des civils et des cibles non-militaires. Selon l’organisation d’aide humanitaire Save The Children, les trois derniers mois de 2021 ont vu une augmentation de 60 pour cent des victimes civiles.

Des combats féroces ont eu lieu dans les districts de Marib et de Shabwa, dans le sud du Yémen. C’est le dernier bastion régional du gouvernement soutenu par l’Arabie saoudite. Aussi, c’est le lieu de la plupart des réserves de pétrole du pays. Alors que, les Houthis ont atteint les faubourgs de la ville de Marib. Sa chute signifierait la fin définitive du régime dirigé par le président Abdu Rabbu Mansour Hadi, qui a fui depuis longtemps vers Riyad. Ces derniers jours, les combattants pro-Hadi, aidés par de nombreuses frappes aériennes saoudiennes mais aussi par des mercenaires financés et entraînés par les Émirats arabes unis, notamment la Brigade Giants, ont repoussé les Houthis, tuant des centaines de combattants. Cette situation a incité les Houthis à lancer lundi une attaque de drones contre Abou Dhabi, capitale des Émirats arabes unis (EAU), qui a fait trois morts et six blessés.

Mardi, les frappes aériennes saoudiennes ont tué20 personnes, dont plusieurs civils, dans la capitale et plus grande ville, Sanaa. Les sites web des Houthis y montrent des scènes horribles de femmes, d’enfants et de personnes âgées à côté de maisons en ruines. Ils montrent aussi des hôpitaux et de cliniques sans médicaments et de salles d’opération éclairées par des lampes de poche, faute d’électricité. D’autres frappes sur des installations de traitement des eaux ont privé plus de 120.000  personnes de la capitale d’un accès à l’eau potable.

Aucune de ces atrocités n'aurait pu être commise sans les avions de combat, les bombes, les armes, le matériel, la formation, la maintenance et le soutien logistique, y compris les renseignements sur les cibles et le ravitaillement en vol des avions saoudiens, fournis par les États-Unis et le Royaume-Uni. Washington et Londres ont soutenu la coalition dirigée par l’Arabie saoudite dans son assaut qui a débuté en 2015, lui fournissant une couverture politique et diplomatique à l’ONU.

Alors que le président Joe Biden a levé la désignation des Houthis comme « organisation terroriste étrangère » et a fait une vague déclaration peu après son entrée en fonction l’année dernière selon laquelle il mettrait fin au «  soutien américain aux opérations offensives dans la guerre  », le soutien américain à Riyad et à la guerre s’est poursuivi sans relâche. Le gouvernement Biden a refusé d’ordonner la moindre sanction contre le dirigeant de facto de l’Arabie saoudite, le prince héritier Mohammed bin Salman, qui a ordonné l’assassinat sauvage et le dépeçage du journaliste saoudien en exil Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul, en Turquie, en octobre 2018, alors qu’il possédait des preuves concluantes de son implication dans ce crime. En novembre dernier, Biden a approuvé une vente d’armes de 650 millions de dollars à Riyad qui comprenait 280 missiles air-air AIM-120C destinés aux avions de combat saoudiens.

Mercredi, Biden a déclaré qu’il serait « très difficile  »de mettre fin à cette guerre de sept ans, ce qui revient à dire qu’il soutiendrait Riyad et Abu Dhabi quoi qu’il arrive. Il est allé plus loin en ajoutant qu’il envisageait de redésigner les Houthis comme une organisation terroriste internationale, un acte qui reviendrait à soumettre par la faim le peuple yéménite, dont la plupart vivent dans les zones contrôlées par les Houthis, puisque cela rendrait presque impossible l’arrivée de l’aide humanitaire dans le pays.

Vendredi, le secrétaire d’État Antony Blinken a appelé le ministre des Affaires étrangères d’Arabie saoudite pour souligner «  l’engagement des États-Unis à aider les partenaires du Golfe à améliorer leurs capacités de défense contre les menaces provenant du Yémen.  »

L’Arabie saoudite —avec l’aide de ses alliés régionaux —a lancé un assaut aérien, terrestre et maritime contre le Yémen en mars 2015. C’était à la suite d’un soulèvement des rebelles dirigés par le mouvement Ansar Allah/Houthi qui a renversé le gouvernement Hadi, pour rétablir sa marionnette au pouvoir. La guerre en cours s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par la Maison des Saoud pour maintenir le pouvoir des despotes du Golfe et de leurs alliés dans la péninsule. Cela s’est passé sur fond de tensions sociales bouillonnantes qui ont atteint leur paroxysme lors du printemps arabe de 2011.

Depuis lors, le Yémen s’est fragmenté au milieu des combats menés par de nombreuses milices concurrentes, dont l’alliance et la loyauté ont changé à plusieurs reprises : le nord et certaines parties du sud sont contrôlés par les Houthis, le sud-ouest est sous le contrôle du Conseil de transition du sud (STC) séparatiste soutenu par les Émirats arabes unis, et le sud et l’est sont sous le contrôle du gouvernement soutenu par l’Arabie saoudite, ce qui conduit àune guerre ouverte entre les alliés locaux de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis.

Selon l’ONU, la guerre menée par l’Arabie saoudite avait, à la fin de 2021, tué377 000 personnes, directement ou indirectement, par la faim et la maladie. Quatre millions de personnes se sont trouvées contraintes de fuir leurs foyers. Au moins 75.000 enfants de moins de cinq ans sont morts de faim, tandis que la pire épidémie de choléra des temps modernes a infecté 2,5  millions de personnes et en a tué plus de 4000.

La guerre a paralysé l’économie du Yémen, la banque centrale étant divisée entre les autorités rivales de Sanaa et d’Aden, qui luttent pour contrôler les flux commerciaux et la taxation du carburant. L’effondrement de la valeur du riyal dans les zones contrôlées par le gouvernement a rendu le prix des produits importés tels que la nourriture et le carburant hors de portée de la plupart des gens. En conséquence, l’ONU décrit cette guerre comme étant à l’origine de la pire catastrophe humanitaire au monde.

Le blocus naval que les Émirats arabes unis ont mis en place avec le soutien de la marine américaine démontre la collusion entre les régimes réactionnaires du Golfe. Le but de cette intervention était d’affamer la population yéménite et de la soumettre. Mais aussi, elle a aggravé l’effet dévastateur des centaines de milliers de frappes aériennes saoudiennes. Près de 80 pour cent des 30 millions d’habitants du Yémen ont besoin d’une forme d’aide humanitaire ou de protection pour survivre.

En novembre dernier, l’ONU a déclaré que cinq millions de personnes étaient au bord de la famine, et que près de 50.000 d’entre elles connaissaient déjà des conditions proches de la famine. Près de 2,3  millions d’enfants de moins de cinq ans, soit le nombre le plus élevé jamais enregistré, risquent de souffrir de malnutrition aiguë. Quatre enfants sur cinq ont besoin d’une aide humanitaire, 400 000 souffrent de malnutrition aiguë sévère et deux millions ne se trouvent pas scolarisés. Le mois dernier, le Programme alimentaire mondial a déclaré qu’il était « contraint  »de réduire l’aide au Yémen en raison d’un manque de fonds et a prévenu qu’il y aurait une recrudescence de la faim dans les mois à venir.

Il est clair que les récentes frappes aériennes soutenues par les États-Unis ne sont que le prélude à une guerre totale, sans même un clin d’œil au droit international qui interdit les attaques contre les civils, les infrastructures civiles et les crimes contre l’humanité, pour reprendre le contrôle du Yémen. Pourtant, la réaction —ou pour être plus précis le silence —des grandes puissances est frappante. Aucun gouvernement ne veut appeler ce qui s’est passé par son vrai nom : un crime de guerre. Au mieux, les scènes épouvantables de carnage et de souffrance de masse ne suscitent que  quelques expressions de désapprobation.

Alors que Blinken avait condamné lundi les attaques des Houthis contre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, le département d’État n’a fait aucun commentaire sur les attaques menées vendredi par l’Arabie saoudite contre le Yémen.

Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s’est contenté d’une déclaration insipide en réponse aux attaques de vendredi, affirmant que «  l’escalade doit cesser  ». Il a ajouté que ces frappes aériennes, ainsi que d’autres dans différentes parties du pays, avaient fait des victimes parmi les enfants et a souligné que « les attaques contre les civils et les infrastructures civiles, sont interdites par le droit humanitaire international  ».

L’hypocrisie et le cynisme des médias ne connaissent aucune limite. La presse ordurière pro-impérialiste reste silencieuse sur les crimes commis par les alliés des États-Unis et du Royaume-Uni au Yémen, ainsi qu’en Afghanistan, en Irak et en Syrie. Alors qu’elle est féroce suite aux rapports américains et britanniques, non-étayés, selon lesquels Moscou prévoirait d’organiser une opération «  sous faux drapeau  »pour justifier une invasion de l’Ukraine. En réalité, il ne s’agit que d’une couverture pour une opération de ce type menée par les forces spéciales ukrainiennes. Ces dernières sont entraînées par des conseillers militaires américains travaillant à l’intérieur du pays, en vue d’une attaque contre la Russie.

Les raisons pour lesquelles l'on ferme les yeux sur les agissements de la Maison des Saoud sont claires. C'est un marché clé pour les armes américaines et elle joue un rôle vital pour l’impérialisme américain en réprimant la classe ouvrière en Arabie saoudite et dans toute la région. Enfin elle soutient la domination de Washington dans le Moyen-Orient riche en ressources. La Maison des Saoud s’est alliée à Tel-Aviv dans un axe anti-iranien qui menace de pousser la région dans une autre guerre catastrophique. La seule réaction possible à cette situation est que la classe ouvrière s’unisse au-delà des frontières dans une lutte pour prendre le pouvoir et désarmer les pourvoyeurs de mort et de destruction au moyen d’une révolution socialiste.

(Article paru d’abord en anglais le 24 janvier 2022)

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