Le JVP chauvin cinghalais se dit prêt à remplacer le gouvernement actuel du Sri Lanka

Dans une interview accordée au Daily Mirrorau début du mois, le chef du Janatha Vimukthi Peramuna (JVP), Anura Kumara Dissanayake, a déclaré qu’il y avait «un besoin urgent de prendre le pouvoir politique» pour sauver le Sri Lanka du désastre. «Nous sommes prêts à prendre le pouvoir», a-t-il déclaré.

Le capitalisme sri-lankais est en effet embourbé dans une profonde crise économique, sociale et politique alimentée par la pandémie mondiale de COVID-19. La croissance économique dégringole. Les devises étrangères se tarissent, car les exportations, le tourisme et les envois de fonds des travailleurs expatriés ont considérablement diminué, ce qui menace de provoquer un défaut de paiement de la dette extérieure.

Anura Kumara Dissanayake [Photo: Anura Kumara Dissanayake Facebook]

Dans une tentative désespérée de soutenir l’économie, le gouvernement du président Gotabhaya Rajapakse a réagi en réduisant les importations, y compris de produits essentiels, et en imposant de nouvelles mesures d’austérité à la classe ouvrière.

Cette situation a provoqué de nombreuses grèves et protestations au cours de l’année écoulée, impliquant des centaines de milliers de travailleurs dans les secteurs public et privé. Dans les districts ruraux, les agriculteurs, menacés de ruine, ont protesté à plusieurs reprises contre l’interdiction d’importer des produits agricoles de base, notamment des engrais.

L’éruption de la lutte des classes effraie la classe dirigeante. Les deux partis traditionnels de la bourgeoisie sri-lankaise – le Parti national uni (UNP) et le Parti de la liberté sri-lankaise (SLFP) – se sont scindés et ne sont plus que des organisations croupion.

Ni le parti au pouvoir, le Sri Lanka Podujana Peramuna, qui s’est séparé du SLFP, ni le Samagi Jana Balavegaya (SJB), qui s’est séparé de l’UNP, ne bénéficient d’un large soutien populaire. Le gouvernement Rajapakse, qui s’appuie fortement sur l’armée, n’a d’autre réponse au mécontentement croissant que la répression.

Le JVP tente maintenant d’offrir ses services afin de sauver le capitalisme sri-lankais du désastre, et il est promu en conséquence.

Le JVP a été formé dans les années 1960 en recrutant des jeunes cinghalais mécontents dans le sud de l’île, sur la base de la guérilla paysanne du maoïsme et du castrisme, fortement teintée de chauvinisme cinghalais. Sa «lutte armée» a conduit à un désastre après l’autre.

Le JVP a depuis longtemps abandonné ses prétentions bidon de lutte pour le socialisme. Comme d’autres formations similaires dans le monde, le JVP s’est depuis longtemps intégré à l’establishment politique, troquant les armes automatiques contre de confortables sièges parlementaires.

L’interview très médiatisée du chef du JVP dans le Daily Mirror fait partie d’une couverture médiatique plus large du JVP qui met en avant ses «dénonciations» de la mauvaise gestion et de la corruption du gouvernement. Un chroniqueur, écrivant récemment sur la crise du pays, s’est déclaré favorable à Anura Kumara Dissanayake: «Est-il la solution? Pourquoi pas?»

L’interview de Dissanayake au Daily Mirror est remarquable par l’absence totale de toute préoccupation pour le sort des travailleurs au milieu de la catastrophe sociale créée par la pandémie de COVID-19. Il ne demande pas l’imposition de mesures de santé publique de base telles que les masques, les tests, la recherche des contacts et les confinements. Il ne critique pas la politique criminelle d’«ouverture» du gouvernement, parce qu’il soutient sa priorité de faire passer les profits avant les vies. Le JVP a rejoint la conférence de tous les partis sur la pandémie convoquée par le président Rajapakse en avril 2020 et a offert son soutien aux politiques du gouvernement.

Tous les efforts de Dissanayake sont dédiés à sauver l’économie du Sri Lanka des profondeurs d’une crise qu’il impute à la corruption, au gaspillage et à la mauvaise gestion, et pas à la crise mondiale du système de profit en faillite. À la place des politiciens égoïstes du gouvernement et de l’opposition, Dissanayake propose un gouvernement de technocrates: comme si de nouveaux visages allaient résoudre une situation économique difficile qui trouve ses racines dans la crise du capitalisme mondial incommensurablement intensifiée par la pandémie.

Dissanayake s’est vanté que le JVP et son associé, le National People’s Power (NPP) – une collection hétéroclite d’organisations de façade du parti et de syndicats ainsi que d’universitaires, de professionnels et d’ex-radicaux sympathisants – pourraient nommer «un cabinet avec des personnes extrêmement qualifiées dans les domaines respectifs… par rapport au régime précédent et au régime actuel».

La faillite de la perspective du JVP est évidente lorsque Dissanayake expose le «plan national» du parti, qui n’est rien de plus qu’une collection d’espoirs et de phrases vides. Il ne fait aucune mention de la crise économique mondiale.

Pour sauver le pays d’un défaut de paiement imminent, le JVP va demander un moratoire de trois ans sur le remboursement de la dette. Il n’explique pas comment il va convaincre les institutions internationales et les banques de le faire.

Dissanayake a déclaré qu’il n’était pas opposé à la recherche d’un renflouement auprès du FMI, qui est connu pour imposer des exigences d’austérité. Il pense plutôt qu’une telle approche devrait être «prudente», comme si le Sri Lanka, au bord de la faillite, et non le FMI, allait fixer les conditions!

Après avoir noté une baisse précipitée des envois de fonds des Sri-Lankais travaillant à l’étranger, Dissanayake déclare que le JVP offrira des incitations pour rapatrier les fonds. Il n’explique pas comment le JVP va endiguer la déflation incontrôlée de la roupie, source de la réticence à envoyer des fonds au pays.

Dans une démonstration éloquente de son orientation de classe, le JVP va demander aux riches Sri-Lankais du monde entier d’investir chez eux. Quant à savoir dans quoi ils vont investir, le JVP a eu l’idée brillante que les cultures traditionnelles sri-lankaises et l’industrie du logiciel sont des perspectives lucratives: comme si personne n’avait jamais essayé ces options auparavant.

En réalité, ce plan national pompeux n’est rien d’autre qu’une promesse faite aux grandes entreprises que le JVP soutient le capitalisme sri-lankais et agira toujours dans son intérêt. Le véritable intérêt de la classe dirigeante pour le JVP est de savoir si elle peut l’utiliser comme un outil pour détourner, diviser et désorienter un mouvement croissant de la classe ouvrière.

Dans son introduction à l’interview, le Daily Mirror note que le JVP «a montré des progrès impressionnants dans sa popularité parmi toutes les sections de la société». En fait, le soutien du JVP a plongé à la suite de ses manœuvres et alliances sordides au cours des trois dernières décennies avec les partis traditionnels de la bourgeoisie sri-lankaise.

En 2004, il disposait de 39 sièges parlementaires et a rejoint un gouvernement de coalition dirigé par la présidente Chandrika Kumaratunga, au sein duquel ses quatre ministres étaient chargés d’imposer un programme promarché. Le JVP a participé aux dernières élections sous l’égide du National People’s Power, qui n’a remporté que trois sièges. Deux sont allés à des membres du JVP.

Interrogé sur la façon dont le JVP propose de former le gouvernement, étant donné qu’il ne compte actuellement que trois députés, qu’il rejette les coalitions avec les partis traditionnels «corrompus» et que le gouvernement actuel a encore trois ans de mandat, Dissanayake a suggéré qu’il accède au pouvoir par d’autres moyens.

«En ce qui concerne le changement de gouvernement, notre première option est les élections. Mais dans le monde, nous avons vu comment ces régimes corrompus et désastreux ont été renversés par les gens qui sont descendus dans la rue. C’est aussi cela la démocratie. Même si ce n’est pas notre plan, nous sommes prêts à le faire… Il n’est donc pas nécessaire d’attendre trois ans de plus».

À la question de savoir si le JVP interviendrait si une telle situation se présentait, Dissanayake a déclaré: «Oui. S’il y a un danger que le pays devienne un État en faillite et qu’il y ait un effondrement des institutions sociales, alors en tant que mouvement politique, nous avons la responsabilité de le faire».

Au milieu d’un mouvement de masse croissant des travailleurs et des pauvres, le JVP offre ses services à la classe dirigeante sri-lankaise pour s’assurer qu’elle ne pose aucun défi au pouvoir bourgeois. Tout ce que le JVP a fait jusqu’à présent démontre qu’il est déterminé à sauver le capitalisme, et non à le renverser.

Au cours des derniers mois, le parti – par l’intermédiaire de ses syndicats d’enseignants, de travailleurs de la santé, de l’électricité, ainsi que dans les ports et les zones franches – s’est efforcé de limiter les luttes répétées des travailleurs pour l’amélioration des salaires et des conditions de travail. Le JVP sème l’illusion que le gouvernement et les grandes entreprises peuvent être poussés à accorder des concessions.

Le 24 novembre de l’année dernière, Vijitha Herath, un dirigeant et député du JVP, a déclaré lors d’une réunion Zoom organisée par des dirigeants de grandes entreprises que son parti était «prêt à aider le gouvernement du président Gotabhaya Rajapakse, temporairement, à surmonter la grave crise économique».

Herath a promis que le JVP «parviendrait à un consensus sur la discipline et la gestion financières essentielles» si le gouvernement était prêt. Une telle «discipline financière» signifierait inévitablement de nouvelles mesures d’austérité et de nouveaux fardeaux pour les travailleurs. Bien que le régime Rajapakse n’ait pas accepté l’offre, les commentaires de Herath démontrent clairement son soutien aux grandes entreprises et la priorité qu’il accorde au profit sur les vies.

Dans son interview au Daily Mirror, alors qu’il cherchait à se poser en champion de la nation, le chef du JVP a cherché à désavouer la politique réactionnaire chauvine cinghalaise du parti. Il a affirmé qu’il avait tourné la page et il défendait l’égalité des droits pour les Tamouls et les musulmans.

Le JVP a toujours été un partisan impitoyable du suprémacisme cinghalais et a soutenu la guerre communautaire contre les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) séparatistes dès le début, en 1983, à la suite d’un pogrom anti-tamoul.

En 2005, le JVP a soutenu le régime du président Mahinda Rajapakse qui a rompu unilatéralement un cessez-le-feu et a relancé la guerre communautaire réactionnaire. Le parti s’est fait le porte-voix des militaires et a fait l’apologie de leurs crimes de guerre jusqu’à leur conclusion sanglante en mai 2009, lorsque des dizaines de milliers de civils ont été tués et des dirigeants du LTTE qui se rendaient, assassinés.

Personne ne devrait croire la déclaration intéressée de Dissanayake selon laquelle le parti «aurait dû réfléchir plus sérieusement aux difficultés rencontrées par les civils tamouls ordinaires… nous avons failli à nos responsabilités. Nous avons fait une auto-analyse à ce sujet». De quelles difficultés s’agit-il? Quelles responsabilités le JVP n’a-t-il pas assumées? Quelle auto-analyse a-t-il faite?

Le mea culpa de Dissanayake n’explique rien et est complètement vide de sens. Le JVP n’a aucune intention de lutter pour les droits démocratiques des Tamouls et des musulmans ordinaires, mais il s’oriente vers les partis discrédités des élites tamoules et musulmanes – l’Alliance nationale tamoule et le Congrès musulman du Sri Lanka – avec lesquels Dissanayake a déclaré que le JVP est prêt à travailler.

Le léopard n’a pas changé de taches. À la suite de l’attaque terroriste perpétrée par des extrémistes islamiques contre des églises et des hôtels de luxe le 21 avril 2019, le JVP a rejoint le chœur du chauvinisme immonde antimusulman attisé par les racistes bouddhistes cinghalais. Dissanayake et d’autres députés du JVP ont exigé au parlement que tous les musulmans dénoncent l’attaque et aident à la traque menée par l’armée, comme si toute la communauté musulmane était responsable.

Un dernier avertissement s’impose. L’un des principaux attraits du JVP pour la classe dirigeante est son passé d’attaques physiques meurtrières contre la classe ouvrière. Il s’est amèrement opposé à l’accord indo-lankais de 1987, accusant le gouvernement de l’époque de diviser l’île en concluant un accord pour introduire des soldats de la paix indiens dans le Nord et l’Est afin de désarmer les LTTE.

Le JVP a lancé une campagne raciste cinghalaise répugnante dans laquelle il a ordonné aux travailleurs de participer à ses grèves et manifestations sous la menace d’une arme. Ses hommes armés ont tiré et tué tous ceux qu’ils considéraient comme des opposants politiques à leur campagne pour «sauver la nation», y compris des travailleurs et des responsables syndicaux.

Le JVP a assassiné trois membres de la Ligue communiste révolutionnaire, l’ancêtre du Parti de l’égalité socialiste, qui s’opposait à l’Accord, non pas dans l’optique du JVP de «sauver la nation», mais dans celle d’unifier la classe ouvrière – tamoule, cinghalaise et musulmane – contre les plans de la bourgeoisie.

La tâche révolutionnaire d’unir la classe ouvrière au Sri Lanka et à l’échelle internationale prend maintenant un caractère d’urgence face à l’aggravation de la crise créée par la pandémie de COVID-19. Pour défendre les droits démocratiques et sociaux les plus élémentaires, la classe ouvrière doit s’engager dans la lutte pour le socialisme et gagner à ses côtés des sections de la population rurale et urbaine pauvre pour établir un gouvernement ouvrier et paysan. C’est la perspective pour laquelle le PES se bat aujourd’hui, en opposition à tous les outils politiques de la classe capitaliste, y compris le JVP.

(Article paru en anglais le 25 janvier 2022)

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