Royaume-Uni: La police métropolitaine lance une enquête sur les fêtes du gouvernement conservateur pendant la pandémie

La crise du «partygate» qui secoue le gouvernement du premier ministre Boris Johnson s’est aggravée mardi, la police métropolitaine annonçant l’ouverture d’une enquête criminelle.

Depuis plusieurs semaines, Boris Johnson est ébranlé par des fuites successives qui montrent que lui et d’autres hauts responsables du gouvernement ont organisé des fêtes, des séances de consommation d’alcool et des rassemblements à Downing Street et dans d’autres bâtiments de Whitehall, enfreignant ainsi les règles de restriction et les directives sur la COVID alors que le pays était en confinement.

Entre 15 et 19 fêtes sont actuellement examinées par une enquête du Bureau du Conseil des ministres, dirigée par le haut fonctionnaire Sue Gray.

Gray doit rendre ses conclusions cette semaine, après avoir recueilli lundi les déclarations écrites de l’ancien conseiller principal aigri du premier ministre, Dominic Cummings. Cummings, qui est à l’origine des fuites, est politiquement encore plus à droite que Johnson.

Le premier ministre Boris Johnson revient du Parlement au 10 Downing Street à Londres, le mardi 25 janvier 2022 (AP Photo/Alastair Grant)

La Met (la police métropolitaine de la région de Londres) a annoncé son enquête le lendemain du reportage de Paul Brand, journaliste d’ITV News, selon lequel Boris Johnson a organisé une autre fête, cette fois-ci pour son anniversaire, dans la salle du Cabinet de Downing Street. Jusqu’à 30 invités y ont participé et se sont fait servir de la nourriture, le 19 juin 2020. Brand affirme que Johnson a également accueilli des membres de sa famille dans son appartement de Downing Street le même soir. Ces événements ont eu lieu pendant le premier confinement COVID-19 de l’Angleterre, lorsque tous les rassemblements sociaux en intérieur étaient interdits en Angleterre.

S’exprimant mardi lors d’une audience d’une commission de l’Assemblée de Londres, dame Cressida Dick, commissaire du Met, a confirmé que ses services «enquêtent désormais sur un certain nombre d’événements qui se sont déroulés à Downing Street et à Whitehall au cours des deux dernières années, en relation avec des violations présumées de la réglementation COVID-19». Cressida Dick a pris cette mesure après avoir reçu les «grandes lignes des conclusions» de l’enquête de Gray.

Cressida Dick (Source: Wikimedia Commons)

La Met enquêtera sur des «infractions par voie de déclaration sommaire. Les personnes qui les ont commises se voient infliger une amende forfaitaire». Il existe «des preuves que les personnes impliquées savaient ou auraient dû savoir que ce qu’elles faisaient était une infraction».

Pendant des semaines, la Met a refusé de s’impliquer malgré les allégations d’illégalité formulées par Johnson et des représentants du gouvernement. Elle a déclaré que cela n’était pas dans sa politique d’entreprendre des enquêtes rétrospectives sur les violations du confinement.

Dick a dû reconnaître la colère croissante contre le gouvernement Johnson, après la mort de plus de 176.000 personnes à cause de la COVID. Elle a déclaré: «Je comprends parfaitement que les allégations diffusées dans les médias au cours des dernières semaines suscitent une profonde inquiétude dans le public».

Les reportages initiaux de mardi étaient que l’intervention de la Met signifiait que les conclusions de Gray ne seraient pas disponibles avant des semaines. Mais quelques heures plus tard, on apprenait que la Met ne s’était pas opposée à la publication du rapport de Gray avant la fin de son enquête criminelle. Sam Coates, rédacteur politique adjoint de Sky, a déclaré: «Gray consultera des avocats et certains fonctionnaires. On m’a dit que le premier ministre et les conseillers politiques de “Number 10” ne participent pas à cette décision».

Le rapport de Gray pourrait maintenant être publié dès aujourd’hui [mercredi].

En début de semaine, il a été rapporté que toutes ses conclusions ne seraient pas rendues publiques, car il était du ressort du premier ministre – après avoir autorisé l’enquête de Gray – de publier ou de retenir toute information qu’il jugerait utile.

Alors que l’on pensait que le temps de Johnson était compté, les députés conservateurs faisant la queue pour envoyer des lettres afin d’atteindre le nombre de 54 requis pour déclencher une élection à la tête du Parti conservateur, seuls six d’entre eux ont été confirmés par le chef des députés d’arrière-ban, sir Graham Brady, et moins de 10 des 359 députés conservateurs ont ouvertement demandé sa démission.

Les avis sont très partagés sur l’intervention de la Met, certains spéculant qu’il s’agit du coup de grâce pour Johnson, d’autres disant que cela obligera le parti à se rallier au chef.

Dans une déclaration qui montre que Johnson a l’intention de se retrancher et de rester jusqu’au bout de la crise, il a déclaré mardi aux députés qu’il n’avait enfreint aucune loi et que «je me réjouis de la décision de la Met de mener sa propre enquête, car je pense que cela contribuera à donner au public la clarté dont il a besoin et à mettre un terme à cette affaire».

Johnson a sans doute puisé du réconfort dans le fait que les infractions aux règles de confinement sont si répandues au sein du parti conservateur qu’une enquête criminelle empêchera désormais son retrait chirurgical. Le Times a rapporté mardi que le chancelier Rishi Sunak a également assisté à la fête d’anniversaire de Johnson, alors même qu’il s’apprêtait à participer à une réunion stratégique sur la COVID à Downing Street. Sunak est le favori pour remplacer Johnson.

L’intervention de Dick est révélatrice des forces de droite qui mènent la campagne de «partygate» qui vise à évincer Johnson. Leur principale préoccupation est qu’il n’est pas capable de diriger le gouvernement alors que l’impérialisme britannique fait face à une très importante opposition intérieure à son programme d’immunité collective et d’austérité sociale, et alors même qu’une guerre potentielle avec la Russie se profile.

Dick, qui était alors commandant en chef de la Met, est tristement célèbre pour avoir dirigé l’opération du 22 juillet 2005 qui s’est soldée par l’exécution policière, dans le métro de Londres, du travailleur brésilien innocent Jean Charles de Menezes, le lendemain des attentats terroristes dans la capitale.

Ce n’est pas la première fois que la Met s’implique dans un conflit politique au plus haut niveau de Westminster. En novembre 2018, elle a lancé une enquête sur le Parti travailliste à propos d’une accusation d’antisémitisme bidon qui visait le chef du parti de l’époque, Jeremy Corbyn, et ses partisans de gauche. Dick s’est vu remettre un dossier de plaintes assemblé par les partisans de Tony Blair et des sionistes alors qu’elle participait à une émission téléphonique de la LBC. Ce dossier de chasse aux sorcières a ensuite servi de justification à l’ouverture d’une enquête par la Commission pour l’égalité et les droits de l’homme (EHRC). La publication du Reportage de l’EHRC en octobre 2020 a déclenché une chaîne d’événements qui a conduit le successeur de Corbyn à la tête du parti, sir Keir Starmer, retirant à Corbyn la position de whip du parti pour avoir refusé de s’excuser de ne pas être intervenu assez rapidement contre les personnes accusées d’antisémitisme.

Johnson joue surtout son avenir sur son rôle de premier plan dans l’incitation à la guerre contre la Russie en accusant Moscou de vouloir envahir l’Ukraine.

Mardi, le Daily Mail, dans un éditorial intitulé «La folie des fêtes fait le jeu de Poutine», s’est plaint: «Un autre jour, un autre récit à sensation d’une “fête” à Downing Street. Laissez de côté le fait qu’il s’agissait d’une surprise pour l’anniversaire de Boris Johnson et qu’elle n’a duré que quelques minutes. Le goutte-à-goutte constant de l’accusation continue».

«Mais n’est-ce pas la preuve que nous sommes en proie à une folie collective? Car pendant que la Grande-Bretagne est obsédée par les fêtes, Vladimir Poutine est occupé à faire tourner sa formidable machine de guerre. Elle est maintenant prête à attaquer».

«La nouvelle d’hier, selon laquelle nous retirons nos diplomates d’Ukraine, a soudainement rendu réelle et terrifiante une menace qui grondait en arrière-plan depuis des mois. Et cela remet le Partygate dans son véritable contexte».

Les travaillistes exigent la destitution de Johnson, mais en s’appuyant sur des appels aux sections les plus prédatrices de l’élite dirigeante.

Mardi, le blogue Labour list a publié un article commun, «L’unité internationale contre l’agression russe est cruciale et doit continuer», par les partisans de Tony Blair, David Lammy et John Healey, suite à leur visite en Ukraine au début du mois. Les deux députés ont dénoncé la Russie comme «une autocratie ayant peu de considération pour le droit international ou les droits de l’homme». L’Ukraine, au contraire, est «un pays souverain et indépendant en voie de démocratisation». Renversant la réalité, ils ont affirmé: «Nous ne devons pas croire les affirmations de la Russie selon lesquelles l’OTAN est responsable de l’escalade. C’est une alliance défensive fondée sur la sécurité et les valeurs progressistes».

Ils ont déclaré: «Avec la récente montée des menaces russes, la Grande-Bretagne a raison de renforcer le soutien militaire à l’Ukraine pour qu’elle puisse se défendre, comme nous le faisons depuis 2015, et c’est pourquoi nous avons soutenu la livraison de nouvelles armes défensives à courte portée la semaine dernière».

Cet agenda belliciste a fait en sorte que le chef du parti, Starmer, a répondu aux déclarations belliqueuses de Johnson au Parlement mardi, selon lesquelles «si la Russie envahit l’Ukraine, nous chercherions à contribuer à tout nouveau déploiement de l’OTAN pour protéger nos alliés en Europe», en déclarant que les travaillistes «restent résolus» à soutenir «l’indépendance et la souveraineté de l’Ukraine».

(Article paru en anglais le 26 janvier 2022)

Loading