En pleine crise ukrainienne, la marine américaine organise des exercices de guerre en mer de Chine méridionale

Alors même que les États-Unis et leurs alliés européens battent les tambours de guerre contre la Russie au sujet de l’Ukraine, la marine américaine participe à des exercices de guerre provocateurs en mer de Chine méridionale qui visent à menacer la Chine. Ces exercices navals indiquent clairement que les planificateurs de guerre du Pentagone reconnaissent que tout conflit avec la Russie pourrait très rapidement s’élargir et impliquer la Chine.

Deux porte-avions nucléaires – l’USS Carl Vinson et l’USS Abraham Lincoln – et leurs groupes d’attaque ont entamé des exercices militaires conjoints dimanche. On n’a pas essayé de prétendre que ces exercices avaient un caractère routinier. Ils visaient, selon un communiqué de presse, «à renforcer les opérations maritimes intégrées en mer et la préparation au combat».

La stratégie «AirSea Battle» [bataille aéronavale] du Pentagone en vue d’une guerre avec la Chine repose sur le contrôle par les États-Unis des eaux adjacentes au continent chinois, en particulier de l’île d’Hainan, qui est adjacente à la mer de Chine méridionale et abrite des bases de sous-marins clés. AirSea Battle envisage un assaut massif aérien et de missiles sur les bases et infrastructures militaires chinoises à partir des bases, navires de guerre et sous-marins américains.

L’USS Abraham Lincoln [Photo: US Navy]

C’est exactement ce à quoi l’US Navy se prépare. Selon le communiqué de presse, les deux groupes d’attaque des porte-avions sont engagés «dans des opérations conjointes qui comprennent des opérations de communication maritime améliorées, des opérations de lutte anti-sous-marine, des opérations de guerre aérienne, des réapprovisionnements en mer, des opérations intergroupes et des opérations d’interdiction maritime».

La semaine dernière, un article du South China Morning Post a noté que les groupes d’attaque de porte-avions américains étaient entrés 10 fois en mer de Chine méridionale en 2021, contre six fois en 2020 et cinq en 2019. Avant même les exercices actuels, l’USS Carl Vinson avait effectué un exercice conjoint de cinq jours autour des îles Spratly contestées en mer de Chine méridionale avec l’Essex Amphibious Ready Group, qui est spécifiquement chargé des assauts amphibies.

La semaine dernière, l’USS Carl Vinson et le groupe amphibie Essex ont rejoint l’USS Abraham Lincoln et l’America Expeditionary Strike Group, qui est également désigné pour les assauts amphibies, pour des jeux de guerre dans la mer des Philippines, à l’est de Taïwan. La très importante présence navale américaine se trouve renforcée par deux navires de guerre japonais, le porte-hélicoptères JS Hyuga et le destroyer JS Myoko.

L’inclusion d’unités navales amphibies américaines est particulièrement menaçante, non seulement pour le continent chinois, mais aussi pour les îlots contrôlés par la Chine dans la mer de Chine méridionale, qui seraient des cibles de choix dans toute guerre entre les États-Unis et la Chine.

L’article du South China Morning Post indique que les opérations navales américaines en mer de Chine méridionale ont augmenté en nombre et en complexité. Citant un ancien instructeur militaire de la marine taïwanaise, l’article suggère qu’on a modifié les routes d’entrée des navires de guerre américains en mer de Chine méridionale afin d’éviter les systèmes radars à distance des récifs chinois Mischief, Subi et Fiery Cross.

Les médias américains ont pratiquement ignoré les jeux navals américains de guerre, se concentrant plutôt sur la réaction chinoise: l’envoi d’avions de guerre dans la zone d’identification de défense aérienne (ZIDA) de Taïwan, qui sont invariablement décrits comme des «intrusions» et des «menaces» et cités comme preuve des intentions de Pékin d’envahir Taïwan. Selon les autorités taïwanaises, 39 avions militaires chinois ont pénétré dans la zone d’identification aérienne dimanche, puis 13 autres, lundi.

Cette propagande anti-chinoise implique encore une fois deux poids deux mesures hypocrites. Lorsque la marine américaine effectue des exercices de guerre à des milliers de kilomètres du territoire américain le plus proche, elle opère dans les «eaux internationales» pour garantir «un Indo-Pacifique libre et ouvert». En revanche, lorsque des avions de guerre chinois pénètrent dans l’espace aérien international à proximité du continent chinois, ils sont considérés comme une agression chinoise. Les ZIDA n’ont en général aucune valeur en droit international. En outre, la ZIDA taïwanaise inclut de manière provocatrice des zones situées au-dessus de la Chine continentale.

À l’instar des mesures prises à l’encontre de la Russie au sujet de l’Ukraine, Washington a adopté un modus operandi similaire à l’égard de la Chine au sujet de Taïwan. Les opérations militaires russes sur le territoire russe se trouvent citées comme «preuve» d’une invasion imminente de l’Ukraine. C’est le prétexte aux menaces contre Moscou et à un énorme renforcement militaire américain en Europe de l’Est, comme l’accumulation de ce que le contre-amiral Dan Martin, commandant du groupe de frappe USS Carl Vinson, a décrit comme une «force maritime écrasante» contre la Chine.

Dans une interview accordée aux médias australiens lors d’un séjour à Sydney la semaine dernière, la ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss, a averti, sans fournir l’ombre d’une preuve, que la Chine pourrait exploiter la crise ukrainienne pour envahir Taïwan. «La Russie travaille plus étroitement avec la Chine qu’elle ne l’a jamais fait. Les agresseurs travaillent de concert et je pense qu’il incombe à des pays comme le nôtre de travailler ensemble», a-t-elle déclaré.

Dans le même ordre d’idées, le commentateur du Financial Times Gideon Rachman a publié le week-end dernier un long article intitulé «Nouvel ordre mondial: Les plans de la Russie et de la Chine prennent forme». Il a, par inadvertance, mis en évidence les motifs sous-jacents, non pas tant de la géopolitique russe et chinoise, mais des mouvements agressifs de l’impérialisme américain en Europe de l’Est et en Asie orientale.

Rachman a déclaré: «Deux caractéristiques de l’ordre mondial actuel que les Russes et les Chinois récusent fréquemment sont l’“unipolarité” et l’“universalité”. Plus simplement, ils estiment que les arrangements actuels donnent trop de pouvoir à l’Amérique – et ils sont déterminés à changer cela».

En réalité, la menace vient des États-Unis: dans son déclin historique, l’impérialisme américain est déterminé à consolider la domination mondiale qu’il a établie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par tous les moyens, y compris militaires. Son triomphalisme après la dissolution de l’Union soviétique en 1991 a disparu et il vise maintenant ce qu’il considère comme les principales menaces à l’ordre impérialiste de l’après-guerre, dans lequel il était le chef de file.

La pandémie de COVID-19 a considérablement intensifié les tensions géopolitiques et accéléré la planification de la guerre par le Pentagone. Face à une immense crise sociale, économique et politique à l’intérieur du pays, qui conduit à une montée de la lutte des classes, le gouvernement Biden cherche à projeter ces tensions sociales vers l’extérieur, contre un ennemi externe, ce qui accroît considérablement le danger de guerre.

Bien que la Russie soit la cible immédiate, les exercices de la marine américaine dans les eaux au large de la Chine continentale sont un avertissement: quel que soit le point de départ d’un conflit, celui-ci peut rapidement se transformer en une guerre mondiale désastreuse impliquant des puissances dotées de l’arme nucléaire.

(Article paru en anglais le 26 janvier 2022)

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