«Chaque personne infectée est une occasion de plus pour un nouveau variant d’apparaître»

La Dre Eleanor Murray, épidémiologiste de l’université de Boston, s’exprime sur la COVID-19 et l’endémicité

Voici la deuxième et dernière partie d’une interview qui discrédite les affirmations selon lesquelles la COVID-19 est devenue endémique. La première partie peut être lue ici.

La Dre Eleanor (Ellie) Murray est professeure adjointe d’épidémiologie à l’école de santé publique de l’université de Boston. Ses travaux portent notamment sur l’amélioration des méthodes de prise de décisions fondées sur des données probantes et sur l’interaction homme-données. Elle se concentre principalement sur les applications de santé publique et d’épidémiologie clinique, y compris les applications au VIH, au VPH, au cancer, aux maladies cardiovasculaires, aux troubles psychiatriques, aux troubles musculo-squelettiques, à l’épidémiologie sociale et environnementale et à la santé des mères et des adolescents. Elle mène également des métarecherches évaluant les biais dans les recherches existantes. Pendant la pandémie de COVID, la Dre Murray a travaillé à l’amélioration de la communication scientifique en matière d’épidémiologie et est rédactrice associée pour les médias sociaux au American Journal of Epidemiology.

La Dre Elenor Murray

Elle a écrit des commentaires sur la pandémie pour le Washington Post et a donné de nombreuses interviews sur le sujet. Plus récemment, elle a critiqué l’appel à déclarer la COVID endémique, invoquant une mauvaise utilisation du terme scientifique et s’opposant à sa politisation pour des manœuvres politiques opportunistes. Elle a eu la gentillesse d’accepter notre demande d’interview.

BM: Le terme endémique est politisé même par les organismes internationaux de santé. Nous le voyons à la tête de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), où le directeur régional de l’Europe, le Dr Hans Kluge, a suggéré qu’Omicron va conduire au dénouement de la pandémie en Europe. Le directeur général de l’OMS, Tedros, a contré cette position, déclarant que cette proposition était dangereuse et que la pandémie restait une urgence de santé publique de portée internationale. Cette dichotomie au sein du principal organisme mondial de santé est frappante. De même, nous constatons que la Maison-Blanche et le CDC ont une vision tout aussi optimiste de la situation.

Que pensez-vous de tout cela?

EM: L’un des défis majeurs de cette pandémie est que nous avons raté un moment crucial pour maîtriser la COVID au niveau mondial en janvier et février 2020.

Ce manquement est dû en grande partie aux problèmes que les États-Unis ont rencontrés avec des trousses de tests défectueux ou en limitant les tests aux personnes ayant des antécédents de voyage au lieu d’admettre que la COVID était déjà présente aux États-Unis.

Nous n’entendons pas les gens admettre que les États-Unis ont été l’un des plus importants contributeurs de cas dans cette pandémie. Et que l’absence de contrôle précoce aux États-Unis a contribué à une crise qui n’est toujours pas résolue. Je pense donc que c’est difficile d’admettre que le problème est toujours d’actualité si vous ne voulez pas reconnaître que vous avez joué un rôle dans son apparition. Nous avons très rarement entendu des gens dire: «Vous savez quoi, ce n’était pas la bonne approche, essayons quelque chose de nouveau». Nous évaluons rarement si les choses ont bien fonctionné ou non, car une évaluation pourrait révéler pourquoi les choses n’ont pas fonctionné.

Nous voyons constamment des gens écrire des articles d’opinion dans le New York Timesou donner des interviews sur CNN ou d’autres réseaux, en répétant sans cesse: «Encore deux semaines et ce sera fini!» Et ils disent cela depuis deux ans, et ils n’ont jamais de compte à rendre. Pourquoi se donner la peine de changer ce message si c’est le message que les gens [les sociétés de médias] veulent qu’on présente. Il existe de nombreux incitatifs à diffuser un tel message et absolument aucune motivation réelle à faire ce qui est juste.

À l’opposé de tout cela, un message sans ambiguïté existe qui émane des experts et des groupes d’intérêts spéciaux selon lequel on sera attaqué si on tente de maîtriser la COVID malgré les inconvénients pour le public. Ainsi, la plupart des gens, y compris les dirigeants politiques et les élus, trouvent plus facile de ne rien faire. Et si le gouvernement se lave les mains de la pandémie et laisse les gens mourir, alors nous devrions l’en tenir responsable, mais ce n’est pas le cas.

BM: J’aimerais parler de la politique de vaccination de la Maison-Blanche de Biden, qui signifie que si l’on est vacciné, on peut essentiellement faire tout ce que l’on veut sans aucune restriction réelle. La question est de savoir si cette politique peut fonctionner contre le virus du SRAS-CoV-2. En d’autres termes, pouvons-nous abandonner tous les ABC de la santé publique et nous en remettre uniquement aux vaccins?

Avant que vous ne répondiez, je tiens à dire que depuis que les vaccins ont été mis à la disposition du public, nous avons vu les décès dus à la COVID augmenter dans le monde entier. Non pas parce que les vaccins ne sont pas efficaces, mais parce que les mesures d’atténuation et les restrictions telles que le port du masque et la fermeture des écoles ont été supprimées simultanément. Nous n’avons jamais vraiment maîtrisé les infections avant de vacciner ne serait-ce qu’une infime partie de la population mondiale. Même les scientifiques de l’OMS ont averti à l’époque que les campagnes de vaccination sans contrôle des infections conduiraient à de nouveaux variants, ce qui s’est avéré exact.

EM: Je pense que la plus grande faille de la politique axée uniquement sur le vaccin est qu’elle a complètement ignoré ce que ces vaccins n’étaient pas censés faire: ils ne stoppent pas complètement les infections.

Lorsque les fabricants de vaccins, Pfizer, Moderna et d’autres sociétés, ont présenté leurs plans pour tester leurs vaccins, ils ont explicitement choisi de s’attaquer à leur efficacité contre les décès, les maladies graves et les hospitalisations. Et ils ont expressément décidé de ne pas inclure l’infection comme résultat essentiel.

Lorsqu’ils ont commencé leurs essais, la prévention des infections n’était pas une priorité. Ils ne cherchaient même pas à savoir si le vaccin pouvait prévenir les infections. Ils essayaient d’arrêter la véritable crise qui submergeait le système de soins de santé. Ils ont dit: «Sauvons d’abord des vies, et ensuite nous pourrons commencer à contrôler l’infection.» Mais quelque part, le message a été détourné.

Si nous pouvions obtenir un vaccin qui empêche 60 pour cent des décès, les gens pensaient que ce serait un énorme succès. Et puis, les résultats des essais sont sortis: 95 pour cent d’efficacité contre les infections graves. C’était incroyable, et cela s’est passé si vite. Les vaccins ont tellement bien fonctionné pour contrôler les décès et les infections graves qu’ils se sont laissés emporter par leur enthousiasme en oubliant tout ce qu’ils auraient dû savoir: les vaccins n’arrêtent pas nécessairement les infections. Il ne s’agit pas d’une stratégie de contrôle des infections.

Maintenant, il semble qu’ils puissent réduire les infections d’environ 50 pour cent en cas d’exposition, ce qui est bien. Mais pour être honnête, ce n’est pas la même chose que 95 pour cent, et il n’y a jamais eu de raison de penser qu’ils étaient efficaces à 95 pour cent contre les infections. Mais je pense que l’interprétation la plus charitable que je puisse faire est que les gens ont été emportés par l’enthousiasme suscité par la capacité de ces vaccins à protéger contre la mort, et qu’ils ont oublié cet aspect de la question.

BM: Et maintenant, six mois après l’administration de deux doses (avec une vaccination complète), les vaccins actuels offrent une protection négligeable contre la maladie symptomatique avec le variant Omicron, et contre l’hospitalisation, l’efficacité du vaccin a chuté pour se situer entre 25 et 35 pour cent.

EM:Nous observons ce qui semble être une capacité considérable du variant Omicron d’échapper à l’immunité. Je pense que l’on peut se demander dans quelle mesure la réponse immunitaire des gens s’affaiblit et dans quelle mesure Omicron fait quelque chose de légèrement différent. Et je pense que les meilleurs experts que je lis disent que c’est probablement un mélange des deux. Si c’est vrai, on a eu beaucoup de chance jusqu’à présent, vu l’ampleur de la maladie.

Chaque personne infectée est une occasion de plus pour un nouveau variant d’apparaître, et nous avons tellement d’infections en ce moment. Rien n’empêche l’existence d’un variant qui échapperait totalement à l’immunité. Rien n’empêche non plus qu’une mutation génère un variant deux fois plus grave que Delta. On dit toujours qu’Omicron est bénin, alors qu’il est seulement moins grave que Delta, mais il est aussi sévère que la souche initiale.

Mais on aurait pu avoir un variant Omicron plus grave que le Delta. On aurait pu avoir un Omicron aussi sévère que le Delta. C’est juste de la chance que nous n’en avons pas eu. Ce n’est pas une loi [que les variants doivent évoluer vers des souches plus légères].

BM: Le Dr Ashish Jha, doyen de l’école de santé publique de l’université Brown, a été un promoteur ouvert de la politique COVID de la Maison-Blanche et de l’assouplissement des restrictions. Il a récemment comparé les vagues d’infections à des orages. Je le cite: «Je dis depuis des semaines qu’avec la diminution des cas, nous pourrons bientôt assouplir les restrictions de santé publique. Je vois cela comme la météo. Lorsqu’il pleut à verse, parapluie, imperméable, bottes sont indispensables. Lorsque l’orage se transforme en bruine, ils deviennent moins essentiels».

Je trouve cette métaphore tout à fait inappropriée. Tant de personnes ont souffert pendant la pandémie, sans parler des 900.000 personnes qui sont mortes dans le pays et des millions d’autres qui ont perdu la vie dans le monde. Cela inclut 700.000 personnes âgées de plus de 65 ans. C’est une insulte à leur mémoire.

Et il y a la Dre Monica Gandhi, qui a prédit à plusieurs reprises que la pandémie était en voie de disparition, minimisant constamment la gravité des infections.

Que pensez-vous de ce genre de messages, et quel devrait être le rôle d’un fonctionnaire de santé publique à cet égard pendant la pandémie?

EM: Les responsables de la santé publique qui ont la capacité de faire quelque chose ont une responsabilité envers le public et doivent s’immuniser contre ceux qui disent cela. Beaucoup d’entre eux ne font même pas partie de la réponse. Ils font d’autres choses. Ils sont payés pour faire autre chose, et ils ne font que donner leur opinion.

Ils minimisent beaucoup la gravité de la pandémie. Et malgré le fait que j’ai utilisé une métaphore de tornade plus tôt, je ne pense pas que les métaphores météorologiques soient une bonne comparaison pour la COVID. Au moins, avec une tornade, ça se termine. Et ensuite, je suppose qu’il y a la prochaine saison des tornades, mais on a une bonne période d’accalmie.

Mais si vous comparez la COVID à la pluie, ça devrait être la mousson. Et on doit peut-être réfléchir à un scénario dans lequel un pays connaît des moussons deux fois par an et à tout ce qu’on doit faire pour s’y adapter. Nous entendons régulièrement parler de catastrophes naturelles causées par des inondations et des dégâts dus aux moussons parce que nos systèmes ne peuvent pas les maitriser et ne peuvent pas gérer autant d’eau. Nous avons besoin de meilleurs systèmes.

Ainsi, dans les régions plus développées du monde, nous pourrions voir de meilleures réponses aux moussons, alors que dans d’autres pays moins développés et à faible revenu, ces tempêtes causent des décès et des dommages massifs aux communautés. Mais dire aux gens de prendre un parapluie… Ce n’est pas une bruine, c’est un blizzard, c’est une mousson et ce n’est pas fini. Et ça revient chaque année, et ça tue des gens chaque année. Et si nous ne faisons rien, c’est ce qui va se passer chaque année.

BM: Si vous le permettez, je voudrais poursuivre cette réflexion derrière l’analogie de la pluie, car il y a quelque chose d’encore plus sinistre dans la métaphore du Dr Jha.

La comparaison des vagues de pandémie avec les averses insère également dans le message l’idée erronée que ces nombres massifs d’infections sont simplement un sous-produit d’un phénomène naturel. Autrement dit, aussi malheureuse que la COVID ait été pour la population, c’était inévitable et intrinsèque à la nature du virus. C’est l’idée que le Dr Jha insère dans sa métaphore. Mais nous savons que les conséquences dévastatrices sont le résultat d’une stratégie politique délibérée.

Comme vous l’avez noté, des pays comme l’Australie, le Vietnam, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud, et surtout la Chine, ont mis en place des contrôles d’infection rigoureux. Ils ont réussi à maintenir le nombre de cas très bas et le nombre de décès exceptionnellement bas par rapport aux États-Unis et à l’Europe.

L’espérance de vie dans ces pays qui suivent une stratégie «zéro COVID» est restée stable, voire a augmenté. Pendant ce temps, elle a considérablement diminué aux États-Unis et en Russie, et même au Canada.

Les commentaires du Dr Jha selon lesquels il s’agit d’un processus naturel sont donc tout à fait inappropriés. À mon avis, le fait qu’un responsable de la santé publique de sa stature tienne de tels propos est remarquablement insensible et malveillant. Il tente d’absoudre les dirigeants politiques de toute responsabilité de protéger la population et de rejeter la faute sur les gens. Qu’en pensez-vous?

EM: Je pense que c’est précisément l’autre problème de la métaphore météorologique: elle fait croire aux gens qu’il n’y a pas grand-chose que l’on puisse faire, mais ce n’est pas vrai.

Une autre chose fascinante que nous avons vue pendant cette pandémie, c’est la disparition de la grippe. Nous pensions avoir fait de notre mieux contre la grippe pendant plusieurs décennies. Et puis l’année dernière, un seul décès pédiatrique dû à la grippe, alors qu’il y en avait généralement plusieurs centaines lors des saisons grippales précédentes.

BM: Si nous revenions en 2019, serait-il juste de dire que personne n’aurait dit que la grippe pouvait être arrêtée?

EM: Si vous m’aviez dit en 2019 que nous n’aurions pas de décès d’enfants lors de la prochaine saison de grippe, je vous aurais ri au nez. Nous n’avions aucune idée que c’était quelque chose que nous pouvions faire, et nous pensions que nous faisions tout ce que nous pouvions. Personne ne veut d’une autre année semblable à 2020 chaque année, mais il y a certaines leçons que nous pouvons tirer de cette expérience et non seulement du contrôle de la COVID mais aussi de la prévention de la grippe. Et l’une des leçons que nous devrions tirer de cette expérience est que la grippe est beaucoup plus facile à gérer que la COVID, car nous avons encore eu beaucoup de décès dus à la COVID, et nous n’avons presque pas eu de décès dus à la grippe.

Des phénomènes comme la diminution de la grippe et du virus respiratoire syncytial ont probablement un impact sur l’augmentation de l’espérance de vie dans les pays qui ont mené un contrôle raisonnable des maladies infectieuses contre la COVID, et par conséquent, contre d’autres pathogènes respiratoires.

BM:Lorsque nous parlons de COVID et de la grippe, la pandémie de grippe de 1918 nous vient à l’esprit, où plus de 600.000 personnes sont mortes aux États-Unis. L’ampleur actuelle des décès dus à la COVID est stupéfiante et sans précédent. Nous avons enregistré plus de 900.000 décès officiels dus à la COVID, mais les décès excédentaires s’élèvent à plus de 1,2 million.

Si l’on tient compte des différences de taille des populations, la pandémie de 1918 aurait tué plus de 2,1 millions de personnes aujourd’hui. Malgré toutes nos connaissances scientifiques, thérapeutiques et technologiques actuelles, l’ampleur des décès est extraordinaire et comparable à la pandémie de grippe d’il y a 100 ans.

EM: Je pense que le plus intéressant dans la comparaison entre la grippe de 1918 et la COVID-19 est qu’en 1918, la communauté scientifique n’avait même pas encore découvert les virus, de sorte que l’ensemble de la réponse reposait sur beaucoup moins de science.

En revanche, nous avons pu identifier le virus SRAS-CoV-2 à l’origine de la COVID-19 environ une semaine après les premiers rapports et nous avons développé des vaccins candidats dans le mois qui a suivi. Malgré cela, le discours public sur les masques, les fermetures et l’utilisation des vaccins n’a pratiquement pas changé par rapport à ce qu’il était en 1918.

On peut trouver de vieilles tribunes libres de personnes en colère contre les masques en 1918 qui auraient pu être écrites aujourd’hui, et les choses que les gens évoquent comme des craintes concernant la vaccination sont les mêmes que depuis les années 1800 ou avant. Je pense qu’une partie du problème vient du fait que, même si la science a progressé à pas de géant, nous n’avons pas réussi à suivre en termes d’éducation publique.

En particulier, il n’y a pas d’éducation à la santé publique à aucun moment de la scolarité de la maternelle à la 12e année, et même les programmes de santé publique de premier cycle sont nouveaux et rares. Il n’y a pratiquement pas eu de messages de santé publique ou de campagnes d’éducation publique autour de la COVID-19 – j’ai peut-être manqué quelque chose. Toujours est-il que je n’ai pas vu d’affiches, de panneaux d’affichage, de publicités sur Internet ou de spots publicitaires pour donner aux gens les informations essentielles dont ils ont besoin.

Et malgré cela, le gouvernement s’en remet presque exclusivement aux personnes qui font leur propre évaluation des risques et choisissent leurs propres mesures d’atténuation des risques sans avoir, tant s’en faut, les informations dont elles ont besoin pour faire des choix éclairés.

Je pense qu’il y a deux choses. Je pense que le gouvernement n’a pas réussi à mettre en œuvre la réponse nécessaire pendant la pandémie. L’infrastructure existante de réponse à la pandémie continue d’être sous-financée, et nos stocks étaient tous vides lorsque la COVID a débarqué. Et toutes les personnes qui étaient auparavant en place pour répondre aux pandémies n’étaient plus là pour le faire, leurs postes ayant été supprimés et rendus obsolètes.

Et donc, effectivement, il y a une part de responsabilité gouvernementale. Mais je pense également qu’il y a une composante d’éducation sociétale. Les gens n’ont rien appris de plus sur les maladies respiratoires que ce qu’ils savaient en 1918. C’est pourquoi nous voyons les mêmes arguments contre les précautions que ceux avancés en 1918. Les scientifiques en savent beaucoup sur les virus, mais une grande partie du grand public ne fait pas la différence entre un virus et une bactérie.

Nous le constatons depuis des décennies et le fait que les gens prennent des antibiotiques pour soigner des maladies virales et les risques associés de développer des bactéries résistantes aux antibiotiques. Les gens ne connaissent pas la différence entre l’immunité endémique et l’immunité collective, voire la pandémie. Il y a tellement de choses que le public doit apprendre sur la santé communautaire. Il y a donc un écart éducatif important entre ce que les gens devraient savoir pour prendre des décisions éclairées et intuitives sur la gestion des risques et le niveau de gestion des risques que le gouvernement exige de la population.

BM:Comme nous approchons de la fin de notre discussion, je voulais aborder quelques sujets supplémentaires.

Malgré les tentatives de minimiser constamment l’impact de la COVID sur les enfants, au cours des derniers mois, nous avons vu les infections chez les enfants monter en flèche et avec elles, les admissions à l’hôpital. Rien qu’en janvier, on a recensé plus de 3,5 millions d’infections chez les enfants, et les estimations du CDC font état de plus de 1.200 décès chez les enfants. Si l’on compare ce chiffre à celui des décès dus à la grippe, la COVID tue les enfants à un taux près de deux à trois fois supérieur. Cela signifie que la COVID-19 est deux à trois fois plus mortelle que la grippe pour ce groupe d’âge. De votre point de vue, la COVID est-elle dangereuse pour les enfants?

EM:Oui, elle est dangereuse pour les enfants. C’est évident que des enfants sont hospitalisés et meurent, et nous constatons un syndrome inflammatoire multisystémique et diverses complications. Donc, oui, cela peut représenter un danger pour les enfants. Et je pense que la question la plus compliquée est de savoir si quelque chose a changé avec Omicron, ou si cela a toujours été le cas.

C’est un peu plus difficile de répondre à cette question parce que nous faisions beaucoup de choses auparavant pour limiter les types de contacts que les enfants avaient. Et, comme vous le savez, nous avons constaté moins d’infections chez les enfants plus tôt dans la pandémie et moins d’hospitalisations chez les enfants.

Mais nous ne faisions pas non plus un excellent travail de dépistage chez les enfants. Et nous savons que les enfants semblent plus susceptibles d’être atteints de la maladie asymptomatique que les adultes. Par conséquent, les tests basés sur les symptômes ne sont pas très utiles pour comprendre l’étendue de l’infection chez les enfants.

On ne sait donc toujours pas s’il existe une différence dans la probabilité que les enfants soient infectés s’ils entrent en contact avec quelqu’un aujourd’hui ou lors des vagues précédentes. Ou bien est-ce simplement parce que les enfants avaient moins de contacts au début de la pandémie et que, maintenant qu’ils retournent en masse à l’école et qu’ils sont en contact avec tant d’autres enfants, c’est pour cela qu’ils tombent malades?

Mais la question de la gravité de la maladie, en termes d’hospitalisation, est encore une fois un peu difficile à comparer, car certaines écoles effectuent désormais davantage de tests de surveillance. Cela permet de détecter certains cas asymptomatiques et rend la question de la gravité un peu plus difficile.

Ce qu’il faut retenir, c’est que les enfants peuvent se retrouver à l’hôpital, avoir des problèmes de santé chroniques et mourir de la COVID. Et il y a plus d’enfants qui meurent de la COVID que de la grippe.

Dans la société occidentale, au fil des décennies, nous avons tellement fait pour réduire la mortalité infantile que les gens ne croient presque plus que cela puisse arriver. Ils n’en ont pas vraiment peur et n’appréhendent pas les conséquences d’une infection de COVID. À moins que le risque de mourir soit élevé et qu’ils entendent que leurs amis meurent, ils ne pensent pas que cela leur arrivera, même si cela peut arriver à quelqu’un d’autre.

Nous devons repousser cet instinct qui pousse les gens à dire: «La mort de mon enfant est quelque chose de si incroyablement horrible que je vais simplement supposer que cela ne peut pas arriver au mien». C’est incroyablement horrible, mais ça peut arriver. Et donc, nous devons nous assurer que nous protégeons les enfants et la meilleure façon de protéger les enfants est de limiter la COVID dans les communautés.

Nous devons faire baisser les taux de COVID chez les adultes. Nous devons faire vacciner tout le monde. L’idée que les bars et les restaurants soient ouverts lorsque les écoles sont fermées est ridicule. Mais nous devons aussi faire preuve de souplesse en ce qui concerne les écoles. Si la COVID augmente dans les écoles, nous devons les fermer pour maitriser la COVID dans la communauté. Les écoles sont liées aux communautés, et les communautés sont liées aux écoles. Tout s’alimente mutuellement.

BM:Lors de discussions avec des collègues et des experts de la santé, craignent-ils que la COVID entraîne une augmentation des taux de maladies chroniques dans la population?

EM: C’est une question importante, mais nous n’avons pas vraiment consacré le temps et les efforts nécessaires pour comprendre ce qui est probable. Nous avons beaucoup de signaux dans les données que nous recueillons qui suggèrent qu’il y a des conditions chroniques que la COVID peut déclencher. Il y a des séquelles chroniques à la COVID et des conséquences chroniques d’une infection à la COVID. Il semble que certaines des personnes infectées lors de la première vague en souffrent encore. Pour certaines personnes, il semble que ça puisse persister.

Nous avons des indications selon lesquelles la COVID pourrait déclencher l’apparition du diabète chez les enfants. Si c’est le cas, ce sera une maladie qui durera toute la vie. Nous voyons des personnes chez qui la COVID semble déclencher des crises cardiaques. Nous devons mieux comprendre ce qui se passe, en particulier chez les diabétiques qui ont des crises cardiaques.

Ces personnes ont un risque beaucoup plus élevé de conséquences graves si elles sont infectées par la COVID. Et si les gens développent des maladies chroniques après la COVID, la réinfection pourrait potentiellement être bien pire que leur première infection.

Et puis qui sait quelles autres conditions de santé à long terme les infections répétées pourraient déclencher. Nous n’avons pas encore assez d’informations pour le savoir, mais nous en avons assez pour savoir que nous devrions suivre cela de près.

BM: Dre Murray, merci pour votre temps. Cette discussion a été cruciale, et nous vous en sommes très reconnaissants.

EM: C’était un plaisir de discuter avec vous. Si vous avez des questions complémentaires, n’hésitez pas à m’écrire.

(Article publié en anglais le 8 février 2022)

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