Les syndicats britanniques exigent des sanctions renforcées contre la Russie : battre le tambour pour la troisième guerre mondiale

Les syndicats mènent une ruée vers la guerre de la Grande-Bretagne, des États-Unis et de l'OTAN contre la Russie. Unite et Unison, les deux plus grands syndicats britanniques, ont organisé la semaine dernière des boycotts par les dockers contre le déchargement du pétrole et du gaz russe des navires battant pavillon étranger.

Les tabloïds britanniques encouragent les boycotts anti-russes (capture d'écran)

Samedi, des dockers membres d'Unite ont refusé de décharger du pétrole russe d'un pétrolier battant pavillon allemand amarré à Birkenhead Docks près de la raffinerie de pétrole de Stanlow dans le Cheshire. Leur action a été claironnée par la presse britannique, «Les dockers en colère au Royaume-Uni refusent de décharger le pétrole russe en raison de l'invasion de l'Ukraine» (The Sun), «Les dockers britanniques refusent de décharger le pétrolier russe en signe de solidarité avec l'Ukraine» (TheMirror) et «Ton pétrole, va te le faire mettre Vlad» (Sunday People).

Unison, le plus grand syndicat de Grande-Bretagne, avait déjà annoncé que ses membres refuseraient de décharger du gaz naturel liquéfié (GNL) russe de deux pétroliers devant accoster à Kent. Le Boris Vilkitskiy et le Fedor Litke seraient sous pavillon chypriote et transporte suffisamment de GNL pour assurer les besoins de la Grande-Bretagne pendant 12 jours.

Le Boris Vilkitskiy (source : Creative Commons)

Le boycott du Saltcod a été décrit comme une action populaire, le Mirror affirmant que les travailleurs avaient «pris les choses en main». Rien ne saurait être plus loin de la vérité.

Unite et Unison manipulent la véritable répulsion des dockers face à l'invasion russe de l'Ukraine pour faire avancer les objectifs économiques, militaires et stratégiques de l'impérialisme britannique. Il est nécessaire que les travailleurs maintiennent leur esprit critique. Unite and Unison feignent l'indignation face au sort des civils ukrainiens, exigeant un blocus économique contre la Russie, mais n'ont jamais exigé de mesures similaires pour s'opposer à des crimes bien plus graves commis par l'impérialisme britannique et américain contre la Serbie, l'Irak, l'Afghanistan, la Syrie, la Libye et le Yémen qui ont fait des millions de victimes. Le boycott de marchandises est une opération instrumentalisée par des responsables syndicaux redevables aux grandes entreprises britanniques et à l'État.

C'est la secrétaire générale d’Unite, Sharon Graham, qui a déclaré à l'opérateur maritime indien Essar que ses membres ne déchargeraient «en aucun cas du pétrole russe, quelle que soit la nationalité du navire qui le livre». Elle a tweeté : « Essar peut croire qu'il est acceptable de transporter du pétrole russe sous un pavillon de complaisance, mais Unite ne le pense pas. Unite exhorte le secrétaire aux transports @grantshapps à combler immédiatement cette lacune.»

À peine deux jours plus tôt, le gouvernement Johnson avait annoncé un deuxième déluge de sanctions économiques contre la Russie, y compris une interdiction d'entrée de navires battant pavillon russe, immatriculés, détenus ou affrétés par la Russie dans les ports britanniques. Mais cela n'est pas allé assez loin pour Unite. Graham a dénoncé le gouvernement pour «avoir rechigné sur les sanctions», insistant sur le fait que tous les navires battant pavillon étranger soient interdits d'accoster avec des marchandises russes.

Unite, qui utilise régulièrement la menace des lois antigrèves pour saboter et réprimer les mouvements sociaux des travailleurs, a agi en l’occurrence avec une vitesse époustouflante. Le boycott, équivalant à une interdiction de travailler, a été imposé unilatéralement sans même un seul scrutin consultatif! Ce qui revient à dire que faire grève sans scrutin n'est légal que si cela contribue à renforcer les objectifs de guerre de l'OTAN.

Matt Lay, responsable de la branche d'énergie chez Unison, a déclaré au Manchester Evening News concernant le Boris Vilkitskiy et le Fedor Litke, «Ces pétroliers semblent avoir disparu pour le moment, mais la cargaison pourrait être de retour sur d'autres navires d'ici quelques jours. Même les navires ayant une connexion clairement établie avec la Russie sèment la confusion et pourraient traverser les mailles du filet pour atteindre un port britannique […] Le gouvernement devrait agir immédiatement si ces sanctions visent une réelle efficacité».

Il a déclaré au Sun du magnat Murdoch: «Les travailleurs du terminal du réseau électrique national ne veulent pas toucher à la cargaison étant donné la tragédie qui se déroule en Ukraine», ajoutant : «Ces employés sont déterminés à montrer leur soutien au peuple ukrainien et à respecter les sanctions imposées contre Russie.»

Les boycotts des cargaisons russes par les syndicats ne sont nullement motivés par le souci du peuple ukrainien. Graham, Lay et leurs collègues dirigeants agissent de concert avec le Parti travailliste, le gouvernement Johnson et l'OTAN contre la Russie. Cela a été clairement indiqué dans une lettre de la députée travailliste Louise Haigh au secrétaire aux Transports Grant Shapps le 6 mars. La lettre à «Cher Grant» retweeté par Unite, appelait à «une protection des syndicalistes s’opposant au régime de Poutine» et prenait le ton d’un appel  amical aux conservateurs pour qu'ils n’utilisent pas les lois antigrèves contre les «travailleurs britanniques défendant des principes» qui «défendent les valeurs britanniques».

Lettre de la députée travailliste Louise Haigh au secrétaire aux Transports Grant Shapps (source : @LouHaighTwitter)

Toute prétention à une politique indépendante a été totalement discrédité par Haigh, qui a déclaré : «Nous sommes unis avec le gouvernement et nos alliés européens et de l'OTAN pour condamner sa violation odieuse du droit international.»

Shapps est un partisan enragé de Mme Thatcher qui met actuellement en œuvre plus de 400 millions de livres sterling de réductions budgétaires visant les travailleurs du transport en commun de Londres. Il a dénoncé les grévistes du Métro la semaine dernière comme «ingrats» sur fond d'une chasse aux sorcières féroce vis-à-vis du syndicat des chemins de fer, de la mer et des transports comme étant «des larbins de Poutine» et des dénonciations de grévistes du Métro comme «l'ennemi souterrain». On ne sait pas si Mme Haigh, députée de Sheffield Heeley, a demandé des assurances similaires à Shapps concernant le droit de grève des travailleurs du Métro.

Une campagne internationale

Les syndicats britanniques ne sont pas les seuls à soutenir les objectifs de guerre de leur «propre» nation impérialiste. Aux Pays-Bas, Niek Stam, du syndicat des dockers FNV Havens, a déclaré que son syndicat préparait des interdictions de fret russes similaires: «Il y a du sang sur ce pétrole, du sang sur ce charbon et du sang sur le gaz. L'effusion de sang irakien, afghan et libyen n'a suscité aucune demande similaire de sanctions, d'interdictions de travail ou de boycott contre les États-Unis ou la Grande-Bretagne.

Les syndicats de tous les pays alliés de l'OTAN sont le fer de lance des revendications d'action contre la Russie. Une déclaration de la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) du 3 mars, citait le secrétaire général adjoint d’Unite, Steve Turner, se vantant comme suit : «Unite a recherché de manière proactive une action à l'échelle du Royaume-Uni de la part du gouvernement pour interdire aux navires russes d'accoster dans nos ports. L'ITF a déclaré que les «interdictions à la britannique» sont désormais adoptées par les syndicats affiliés à travers l'Europe, le Canada et l'Australie.

Au Canada, le président des dockers de l'International Longshore and Warehouse Union (ILWU), Rob Ashton, a écrit au premier ministre Justin Trudeau le 28 février, appelant le gouvernement fédéral à «intensifier [les sanctions] et cesser tout commerce maritime avec la Russie et ses alliés».

La lettre d'Ashton a donné toute sa voix à la fièvre guerrière qui s'empare des riches cadres qui composent les syndicats d'aujourd'hui et à l'alliance corporatiste qu'ils ont forgée avec leur classe dirigeante. Ashton a commencé sa lettre en félicitant le gouvernement Trudeau «pour tout ce qu'il a fait pour le peuple ukrainien jusqu'à présent», avant d'exiger une interdiction complète des navires appartenant à la Russie, battant pavillon étranger ou affrétés d'entrer dans les ports canadiens «sauf en cas d'incident de sécurité maritime», [mais] même là-dessus, nous appelons à la prudence » [souligné ajouté]. Avec cette dernière phrase, l'ILWU bafoue le droit de la mer qui oblige «tous les capitaines d'un navire à porter secours à toute personne en danger en mer», quelle que soit leur nationalité.

Ashton conclut en exigeant de Trudeau qu'il arrête toutes les exportations canadiennes de produits de base vers la Russie. Tout cela, l'ILWU le propose dans un esprit de «solidarité avec les travailleurs de toutes les nations»!

En Australie, Paddy Crumlin, secrétaire national du syndicat l'Union maritime d'Australie (MUA) et président de longue date de l'ITF, a écrit au Premier ministre du Parti libéral, Scott Morrison, le 3 mars, pour exiger «des pressions sur les intérêts économiques, sociaux et stratégiques de la Russie à travers le Région Asie-Pacifique». Crumlin a expliqué à Morrison, «les guerres sont menées en utilisant le sacrifice des femmes et des hommes qui travaillent et de leurs familles des deux côtés de tout conflit. Nous savons que les travailleurs ukrainiens et les travailleurs russes subiront le poids de la violence et des troubles qui suivront cette invasion pendant de nombreuses années à venir.» Mais c'est justement le résultat recherché par les planificateurs de guerre des États-Unis et de l'OTAN. Trois jours plus tard, Morrison a prononcé sa propre contribution à la Troisième Guerre mondiale, un discours décrivant un «arc d'autocratie» s'étendant de la Russie à la Chine, annonçant la construction d'une base de sous-marins nucléaires de 10 milliards de livres à Port Kembla, Newcastle ou Brisbane.

Paddy Crumlin (source: ITF)

Aux États-Unis, la filiale côtière de l'ILWU a annoncé le 3 mars que ses membres «ne chargeraient ni ne déchargeraient aucune cargaison russe entrant ou sortant des 29 ports de la côte ouest des États-Unis».

Le président international de l'ILWU, Willie Adams, a déclaré : «Avec cette action de solidarité avec le peuple ukrainien, nous envoyons un message fort que nous condamnons sans équivoque l'invasion russe». Les boycotts de l'ILWU s'ajoutent à une batterie de sanctions imposées par l'administration Biden visant à faires s’effondrer l'économie russe en prélude au changement de régime et à la satrapie américaine. On n’a aucun souvenir d’un boycott de l'ILWU contre Halliburton, Raytheon, Lockheed Martin ou l'une des autres sociétés américaines qui ont récolté des milliards de dollars grâce à l’anéantissement de l'Irak.

Clausewitz et Lénine

Il y a des questions majeures auxquelles sont confrontés les dockers à l'échelle internationale : Quelles sont les implications des interdictions sur la navigation russe? Pourquoi les syndicats s'alignent-ils sur le gouvernement Johnson, l'administration Biden et d'autres gouvernements capitalistes pour exiger des sanctions encore plus sévères? Quels intérêts cela sert-il? Quelles sont les exactement les intentions qui président à cet alignement de la classe ouvrière?

Samedi, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a averti: «L'hystérie des sanctions dans laquelle Londres joue l'un des rôles principaux, sinon le principal, ne nous laisse d'autre choix que de prendre des mesures de rétorsion proportionnellement sévères. Londres a fait le choix définitif d'une confrontation ouverte avec la Russie.» Le président Vladimir Poutine a déclaré que les sanctions imposées à la Russie étaient «semblables à une déclaration de guerre, mais Dieu merci, on n'en est pas arrivé là».

Les puissances de l'OTAN intensifient les mesures militaires et économiques contre la Russie, heure par heure, qui n'ont pas de précédent en dehors de la guerre mondiale. Le 1er mars, le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, a déclaré que l'Union européenne se préparait à déclencher une guerre économique et financière totale contre la Russie. L'ancien Premier ministre russe Dmitri Medvedev, aujourd'hui chef adjoint du Conseil de sécurité russe, a répondu sur Twitter : «Surveillez votre langue, messieurs! Et n'oubliez pas que dans l'histoire de l'humanité, les guerres économiques se sont souvent transformées en guerres réelles.»

Poutine et Medvedev sont des représentants de l'oligarchie capitaliste qui a émergé de la dissolution de l'Union soviétique par la bureaucratie stalinienne en 1991. Ils sont des adversaires acharnés du marxisme. Le discours de Poutine du 21 février, reconnaissant l'indépendance de Donetsk et de Louhansk, a attaqué Lénine pour avoir protégé les droits des minorités nationales dans le cadre d'une Union volontaire des Républiques socialistes soviétiques (URSS) créée en 1922.

Poutine, un ancien responsable stalinien du KGB, a dénoncé les bolcheviks pour avoir «coupé le pays en morceaux», affirmant que «la Russie a été volée» et avertissant «Nous sommes prêts à vous montrer ce que signifie un véritable nettoyage du communisme dans l'Ukraine». L'invasion de Poutine, basée sur les traditions réactionnaires tsaristes et staliniennes du nationalisme grand-russe, est un désastre pour la classe ouvrière ukrainienne et russe qui fait directement le jeu des planificateurs de guerre de l'OTAN.

Lénine à son bureau, 1918

Mais la remarque de Medvedev, «La guerre économique mène à la guerre tout court», est vraie. C'est une allusion au célèbre dicton du théoricien militaire Carl von Clausewitz selon lequel «la guerre est une continuation de la politique par d'autres moyens». Lénine a fait un examen attentif des écrits militaires de Clausewitz en 1915, alors qu'il était en exil à Berne dans le cadre de sa lutte contre la vague de patriotisme social qui a détruit le mouvement socialiste déclenché par la Première Guerre mondiale. Lénine a rejeté toutes les explications subjectives de la guerre, qui étaient inévitablement formulées en termes moralisateurs. Kautsky, Plekhanov et d'autres renégats du marxisme ont soutenu la guerre, employant des expressions chauvines telles que «Défense de la patrie» pour obscurcir les objectifs impérialistes des puissances rivales. Lénine a écrit:

 «Appliquée aux guerres, la thèse fondamentale de la dialectique, que Plekhanov déforme avec tant d'impudence pour complaire à la bourgeoisie, c'est que ‘la guerre est un simple prolongement de la politique par d'autres moyens’ (plus précisément, par la violence). Telle est la formule de Clausewitz, l'un des plus grands historiens militaires, dont les idées furent
fécondées par Hegel. Et tel a toujours été le point de vue de Marx et d'Engels, qui considéraient toute guerre comme le prolongement de la politique des puissances - et des diverses classes au sein de ces dernières - qui s'y trouvaient intéressées à un moment donné.»

Plus d'un siècle plus tard, ce conseil de Lénine, Marx, Engels (et Clausewitz) devrait être pris à cœur par tout ouvrier ayant une conscience de classe. La nature de toute guerre est déterminée par le caractère de classe du régime qui la mène et de «la position objective des classes dirigeantes dans tous les pays belligérants» (Lénine) dans leur relation à l'économie mondiale et à la politique mondiale. De ce point de vue, il faut s'opposer à l'invasion de l'Ukraine par les oligarques capitalistes de Moscou. Mais cela doit être mené dans le cadre de la lutte de la classe ouvrière internationale contre la guerre impérialiste.

Les États-Unis, la Grande-Bretagne et d'autres puissances de l'OTAN mettent en œuvre des plans de guerre préparés depuis des décennies. Ils étendent leurs guerres pour le pétrole en Irak, en Afghanistan et en Libye dans le Caucase, la Russie et l'Asie centrale. La même lutte inter-impérialiste pour le territoire, les marchés et les ressources qui a produit deux guerres mondiales au siècle dernier menace l'humanité avec une troisième.

La classe ouvrière internationale a un pouvoir immense dans cette situation – un demi-million de dockers peuvent mettre à genoux le commerce mondial. Elle doit prendre des décisions sur la manière et dans l'intérêt de quelle classe elle doit utiliser ce pouvoir.

(Article paru en anglais le 10 mars 2022)

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