Le syndicat RMT promeut le nationalisme pour bloquer une mobilisation de classe contre P&O Ferries et le gouvernement britannique

La campagne «Sauvez les emplois de P&O» du syndicat «Ferroviaire, maritime et transports» (Rail, Maritime and Transport – RMT) est dépourvue de tout appel à la classe ouvrière pour qu’elle se mobilise contre le licenciement massif de 800 travailleurs par P&O Ferries.

Elle est destinée au gouvernement conservateur de Boris Johnson, sur la base d’un appel nationaliste à défendre les travailleurs britanniques contre la société mère de P&O, DP World, basée à Dubaï. Le syndicat, censé être militant, n’a organisé aucune action industrielle pour empêcher les ferries de quitter le port avec un équipage de remplacement, embauché pour une fraction des salaires versés aux travailleurs licenciés.

Nautilus International et le RMT, qui représentent respectivement les officiers et les matelots, ont collaboré pour réduire au silence les travailleurs brutalement maltraités. Ils ont informé leurs membres que s’ils s’exprimaient publiquement, ils risquaient une réduction de leur indemnité de licenciement, qui contient un accord de non-divulgation.

Mick Lynch (WSWS Media)

Le syndicat «Unite», qui représente 106 travailleurs basés à terre de P&O, n’a pas organisé d’action de solidarité, affirmant que le licenciement du jour au lendemain par l’entreprise de près d’un tiers des effectifs n’affecte pas immédiatement ses membres.

La réaction du RMT aux licenciements massifs de P&O s’inscrit dans la continuité de son bilan pourri de collaboration de classe et de nationalisme, qui a fait le lit du piétinement des droits des travailleurs.

DP World pouvait être confiant que son dernier acte de brutalité d’entreprise resterait sans réponse de la part des syndicats. Ils ont donné leur accord à la précédente série de licenciements massifs chez P&O Ferries il y a moins de deux ans.

En juin 2020, l’entreprise avait annoncé la suppression de 1.100 emplois, dont 300 travailleurs portuaires. Le RMT se souvient de ce licenciement, organisé après consultation du syndicat, avec une nostalgie à peine dissimulée: «P&O a licencié 600 marins britanniques pendant la pandémie. Bien que nous nous y soyons totalement opposés, P&O Ferries et DP World ont respecté l’ensemble de la procédure de licenciement requise par la législation britannique».

Le RMT et «Unite» n'ont pas mobilisé d'opposition à la suppression de plus d'un millier d'emplois en pleine pandémie. Alors même que, DP World a obtenu 10 millions de livres du gouvernement Johnson pour licencier 1 400 personnes.

Pour les syndicats, le seul enjeu qui compte est de savoir s’ils sont toujours reconnus comme des partenaires dans les exercices de restructuration et de réduction des coûts des entreprises.

À l’époque, le RMT avait multiplié les appels nationalistes au gouvernement Johnson, opposant les marins britanniques aux équipages étrangers. Une pétition du RMT adressée au premier ministre mettait l’accent sur la position de la Grande-Bretagne en tant que «nation insulaire» et sur le fait que P&O avait été créé en 1840 par une charte royale: «Les gouvernements successifs n’ont pas réussi à empêcher que les marins britanniques se trouvent remplacés par des équipages étrangers moins chers sur les ferries et autres navires qui travaillent à partir des ports britanniques, au point que les marins britanniques occupaient moins du quart de plus de 67.000 emplois en 2019».

Le nationalisme réactionnaire de la campagne «Sauvez nos marins» (Save Our Seafarers) du syndicat au fil des ans n’a pas défendu un seul emploi de «marin britannique». Au contraire, la campagne nationaliste de division a facilité la surexploitation des équipages étrangers. La pétition souligne les conditions de travail draconiennes auxquelles ces travailleurs sont confrontés, notamment «des salaires bien inférieurs au «Salaire de subsistance national» (National Living Wage) de 8,72 livres sterling par heure (10,47 euros) et des contrats qui exigent des journées de 12 heures, 7 jours par semaine pendant 6 mois».

Tweet du RMT du 17 mars 2022 rappelant qu’il a collaboré à la perte d’emploi de 600 travailleurs en 2020 chez P&O. Il précise que «le processus complet de licenciement requis par la loi britannique a été respecté par P&O Ferries et DP World». (capture d'écran : RMT/Twitter)

«Sauvons nos marins  2020» (Save Our Seafarers 2020) était le moyen utilisé par le RMT pour s'attirer les bonnes grâces du gouvernement pendant la pandémie. Le syndicat a profité de la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement mondiales et de la résurgence de la lutte des classes pour intensifier les appels à un partenariat visant à sécuriser les routes de fret critiques dans l’intérêt national. Des discussions ont eu lieu sur une nouvelle législation visant à fixer un salaire commun de misère pour les travailleurs nationaux et étrangers.

En octobre 2020, le RMT a salué une proposition d’amendement du gouvernement à la législation sur le salaire minimum national (NMW). L’amendement vise à étendre son champ d’application à une série d’opérations maritimes dans les eaux territoriales britanniques. Le syndicat a affirmé dans un communiqué de presse du 1er octobre que: «Un certain nombre de ferries, de chaînes d’approvisionnement offshore et de routes commerciales côtières entre les ports britanniques sont dotés d’équipages de marins recrutés et domiciliés en dehors du Royaume-Uni. Leur contrat se base sur des taux de rémunération de base qui sont bien inférieurs au taux négocié collectivement par le RMT et le NMW. Payer les équipages en dessous du NMW sur ces routes sera illégal à partir du 1er octobre 2020».

Cette décision fait suite à des tables rondes entre le RMT, des ministres et des fonctionnaires des départements des affaires et des transports en septembre 2020. Le RMT a déclaré que tout ce qui était nécessaire était d’attendre les orientations ultérieures du gouvernement sur la façon dont le nouvel arrangement serait appliqué.

Si le gouvernement avait donné suite, le RMT aurait réussi à fixer le salaire minimum pitoyablement bas (9,50 £ à partir du 1er avril 2022) comme référence pour les marins britanniques à aligner dans un conflit interne pour les emplois avec les équipages étrangers. Comme l’a déclaré le syndicat, «les marins britanniques sont désormais en meilleure position pour rivaliser pour ces emplois et le RMT exigera la pleine reconnaissance de toutes les notations sur tous les navires marchands qui travaillent sur ces routes».

Même cela s’est avéré être du vent. La législation modifiée sur le NMW comportait des lacunes importantes. Notamment le fait qu’elle ne s’appliquait pas aux services de ferry entre le Royaume-Uni et l’Europe continentale et l’Irlande. P&O Ferries a exploité cela impitoyablement en remplaçant 800 employés par du personnel intérimaire embauché à des salaires d’esclavage.

Peter Hebblethwaite s'exprimant devant la commission parlementaire des transports (screenshot-ParliamentTV)

Après avoir faussement revendiqué la victoire il y a deux ans, le RMT utilise cyniquement la détresse des travailleurs licenciés de P&O pour faire pression en faveur de la mise en œuvre de son accord mercenaire avec le gouvernement pour agir en tant que maître d’œuvre de main-d’œuvre bon marché. Dans un communiqué de presse daté du 21 mars, on peut lire: «Le RMT a demandé à Boris Johnson de rencontrer une délégation de travailleurs licenciés de P&O alors qu'il devient clair que le gouvernement a retardé de plus de deux ans l’adoption d’une législation qui aurait protégé les travailleurs».

«Le syndicat a rappelé les engagements pris en 2020 lors d’un débat parlementaire par le ministre [pair héréditaire conservateur] Viscount Younger de Leckie. Il s’agit de la nécessité d’introduire une législation pour empêcher les compagnies maritimes de payer moins que le salaire minimum».

La réaction du RMT aux actions brutales de P&O Ferries a été un nationalisme toxique et une tromperie politique. Les syndicats sont les co-architectes du nivellement par le bas mené par les compagnies maritimes et de ferries qui appartiennent à des sociétés transnationales telles que DP World.

Ses conséquences désastreuses ont été soulignées par la comparution du PDG de P&O, Peter Hebblethwaite (salaire de base, 325.000 livres sterling), (390.429 euros) devant la commission parlementaire des transports jeudi. Il a déclaré aux députés que le personnel de remplacement était payé en moyenne 5,50 livres (6,60 euros) de l'heure, le plus bas étant à 5,15 livres (6,18 euros), ce qui signifie que la compagnie a pu réduire de moitié ses coûts de main-d'œuvre du jour au lendemain.

Ce n’est qu’un début. Selon les taux fixés par la Fédération internationale des ouvriers du transport (qui revendique 677 organisations membres dans 149 pays qui représentent un total de 19,7 millions d’adhérents) et l’Organisation internationale du travail, un matelot ordinaire peut légalement être payé à partir de 1,99 dollar de l’heure. Le personnel d’agence recruté à 5 livres pour renouveler rapidement l’équipage des navires peut facilement se voir ramené à des salaires inférieurs ou remplacé à l’avenir.

C’est pourquoi Hebblethwaite, hypocritement critiqué par le secrétaire aux transports Grant Shapps, s’est senti en confiance pour déclarer devant les députés: «Je le referais». Il a ajouté: «Nous n’étions pas viables avant, et je sais que si nous n’avions pas fait des changements radicaux, l’entreprise aurait fermé».

Pendant ce temps, les 800 personnes licenciées sont abandonnées à leur sort. Le secrétaire général du RMT, Mick Lynch, a admis devant la commission des transports de jeudi que les travailleurs avaient eu jusqu’à aujourd'hui pour accepter le paiement de l’entreprise, accepter une clause de non-divulgation et renoncer à toute action en justice future. L’entreprise a affirmé mercredi que 575 travailleurs étaient en discussion sur les indemnités de licenciement.

Comme l’a expliqué le WSWS, «Ce qu’il faut, c’est une lutte basée sur l’appel historique de la classe ouvrière révolutionnaire: “Travailleurs du monde, unissez-vous”. Les travailleurs ne peuvent s’opposer à l’offensive conjointe du gouvernement et des entreprises qu’en unissant leur force collective en Grande-Bretagne et à l’échelle internationale sur la base d’un programme socialiste qui place les moyens de subsistance des travailleurs au-dessus des profits des super-riches».

(Article paru d’abord en anglais le 26 mars 2022)

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