Royaume-Uni: Boris Johnson salue «l’heure de gloire» de l’Ukraine et s’engage à fournir davantage d’équipements militaires

Le premier ministre britannique Boris Johnson s’est adressé au parlement ukrainien, prenant une pose churchillienne en décrivant la guerre avec la Russie comme «l’heure de gloire» du pays.

Boris Johnson est le premier dirigeant mondial à s’adresser à l’assemblée ukrainienne depuis le début de la guerre en février. Son discours, prononcé par liaison vidéo, fait suite à un bain de foule à Kiev avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky le mois dernier.

Le premier ministre britannique Boris Johnson s'adresse au Parlement ukrainien depuis Downing Street, 03/05/2022 (Photo: Andrew Parsons/Number 10 Downing Street/Flickr)

Le Royaume-Uni continue de se positionner comme la principale voix en Europe en faveur d’une escalade de la guerre OTAN-Russie sur l’Ukraine, afin de s’attirer les faveurs des États-Unis. L’apparition de Johnson a suivi les discussions de l’Union européenne, la veille au soir, sur un embargo sur le pétrole russe à mettre en place progressivement d’ici la fin de l’année, après des mois de remarques moqueuses dirigées par Johnson et la presse britannique contre la dépendance énergétique de l’Allemagne vis-à-vis de la Russie.

Le chef de l’opposition allemande Friedrich Merz, chef de l’Union chrétienne-démocrate, était en visite en Ukraine au moment où Johnson s’exprimait. Il a accusé le chancelier allemand Olaf Scholz de «procrastination, tergiversation et timidité» au sujet de la guerre.

Le discours du premier ministre britannique était empreint de rhétorique nationaliste, saluant «le caractère indélogeable du patriotisme et de l’amour de la patrie ukrainiens». Il a salué «la démocratie ukrainienne contre la tyrannie de Poutine» le jour où le même parlement auquel il s’adressait interdisait les activités des partis politiques «qui justifient, reconnaissent ou nient l’agression armée de la Russie contre l’Ukraine», selon l’agence de presse Interfax.

Le fait que Johnson invoque l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en Grande-Bretagne en utilisant la phrase du discours de Churchill de juin 1940, «Ce fut leur heure de gloire», renforce un récit mensonger plus large des puissances de l’OTAN. Il sous-entend que l’invasion russe – une réponse réactionnaire à la menace d’empiètement de l’OTAN sur ses frontières – est une version du XXIe siècle des campagnes militaires de l’Allemagne nazie.

La tromperie est double.

Premièrement, l’invasion russe ne peut être comparée de près ou de loin à l’offensive génocidaire du Troisième Reich. Toute allusion de ce genre vise à minimiser les horreurs de la guerre d’anéantissement nazie à l’Est, à attiser une hystérie anti-russe frénétique et à camoufler les destructions causées par les guerres menées par les États-Unis et leurs alliés au cours des dernières décennies en Irak et en Afghanistan.

Deuxièmement, ce sont les puissances de l’OTAN, alliées à l’Ukraine et qui l’utilisent comme mandataire qui tentent d’étendre la guerre plus à l’Est, ayant pour objectif d’entrainer l’effondrement et le démembrement de la Russie. Cela a été essentiellement admis par les secrétaires d’État et de la Défense des États-Unis et le président de la Chambre des représentants, qui ont déclaré que Washington avait l’intention de «mettre la Russie à genoux», d’en «venir à bout» militairement et de poursuivre le conflit «jusqu’à la victoire».

Johnson a tenu à déplorer que les puissances de l’OTAN «n’aient pas réussi à imposer les sanctions que nous aurions dû imposer» en 2014, «lorsque la Crimée a été arrachée à l’Ukraine». Il a juré que «nous ne pouvons pas refaire la même erreur».

Mercredi dernier, la ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss, a déclaré que la Grande-Bretagne et ses alliés devaient «redoubler d’efforts» et «pousser la Russie hors de l’ensemble de l’Ukraine». Cela inclut la saisie de la Crimée, annexée par la Russie et considérée comme vitale pour sa sécurité. Le ministre de la Défense, Ben Wallace, a soutenu sa position.

Dans un article publié lundi dans le Guardian, la responsable du «Forum Ukraine» de Chatham House, Orysia Lutsevych, applaudit Truss en demandant: «Que signifierait concrètement une victoire pour l’Ukraine et pour l’Europe?» Elle répond: «Toute fin doit être décisive», faisant référence à un prétendu «consensus au sein du peuple [ukrainien] concernant le retour de la Crimée et du Donbass sous le contrôle de Kiev» et à «l’effondrement du poutinisme en tant que doctrine et à la fin des revendications de la Russie à la domination de territoires ailleurs en Europe orientale et en Asie centrale».

Les objectifs de l’Ukraine «coïncident avec ceux de ses alliés», conclut Lutsevych.

À ces fins, les États-Unis et les puissances européennes accumulent des armes en Ukraine, dont beaucoup sont destinées à ses unités militaires d’extrême droite et fascistes, y compris le régiment Azov qui occupe l’aciérie assiégée Azovstal à Marioupol. Au cours de son discours, Johnson a annoncé l’envoi de 300 millions de livres sterling supplémentaires d’équipements militaires britanniques, dont des équipements de guerre électronique, un système radar de contre-batterie, des équipements de brouillage GPS et des milliers de dispositifs de vision nocturne.

Cette annonce fait suite à la déclaration faite au Parlement la semaine dernière selon laquelle le Royaume-Uni enverrait des missiles Brimstone et des véhicules de défense aérienne Stormer à l’Ukraine et envisage aussi d’expédier des chars Challenger 2 à la Pologne pour remplacer les chars donnés par Varsovie à Kiev. Le Royaume-Uni est déjà l’un des plus gros contributeurs à l’effort de guerre OTAN-Ukraine et a maintenant donné un demi-milliard de livres d’équipement militaire, en plus de former des dizaines de milliers de soldats ukrainiens et de déployer des milliers de ses propres troupes, chars, navires et avions de chasse en Europe de l’Est, ainsi que des forces spéciales en Ukraine même.

Les États-Unis ont fourni jusqu’à présent 3,7 milliards de dollars en aide militaire déclarée et mettent à disposition 20 milliards de dollars supplémentaires.

C’est la classe ouvrière qui doit payer le prix de ce bellicisme. Avant son discours sur l’Ukraine, Johnson a accordé une interview à l’émission d’information «Good Morning Britain». Interrogé sur l’aggravation de la crise du coût de la vie, le premier ministre a exclu toute aide aux familles confrontées à un effondrement historique de leurs revenus, mettant en garde contre une «spirale inflationniste» et déclarant: «Nous devons être prudents».

Johnson s’est plaint: «Nous dépensons déjà 83 milliards de livres par an pour assurer le service de la dette publique; c’est énorme, c’est bien plus que ce que nous dépensons pour la défense».

Il a fait ces commentaires le jour où la société énergétique BP a annoncé son bénéfice trimestriel le plus élevé en dix ans, soit 6,2 milliards de dollars, citant des recettes pétrolières et gazières «exceptionnelles», et où l’Office des statistiques nationales a révélé que quatre Britanniques sur dix ont du mal à payer leur gaz et leur électricité et sont contraints d’acheter moins de nourriture.

La hausse des prix, les réductions de salaire de facto et l’austérité du gouvernement ont un impact dévastateur sur le niveau de vie et provoquent une opposition généralisée dans une classe ouvrière profondément sceptique quant aux intentions déclarées du gouvernement et de l’OTAN en Ukraine.

Un article inquiet du commentateur économique européen du Financial Times, Martin Sandbu, publié dimanche, met en garde: «L’expression est laide et son contenu encore plus laid, mais la “fatigue vis-vis de l’Ukraine” est un risque réel dans les démocraties occidentales». Sous le titre «Les dirigeants occidentaux doivent préparer le public à une économie de guerre», Sandbu a déclaré: «La crise du coût de la vie risque de s’aggraver avant de s’améliorer».

Aucune trace du sentiment populaire ne trouve son expression dans la politique dominante. Les journaux, et plus particulièrement le Guardian, rapportent que le Parti conservateur de Johnson pourrait perdre plus de 500 sièges lors des élections municipales, ce qui constituerait son pire résultat depuis les années 1990. Mais cela ne fera rien d’autre que de transférer la responsabilité de la mise en œuvre des politiques d’austérité des conseillers conservateurs à leurs homologues travaillistes et, dans certains cas, libéraux-démocrates et verts.

Si des élections générales étaient organisées demain et que les travaillistes les remportaient, la politique étrangère du Royaume-Uni demeurerait la même. Le chef travailliste sir Keir Starmer a déclaré en réponse au discours de Johnson: «Nous soutenons la fourniture d’équipements militaires». Il a même refusé de critiquer le moment choisi pour faire cette déclaration, deux jours avant les élections municipales, déclarant: «Je ne pense pas que nos arguments sur le moment choisi soient très pertinents» et qu’il ne voulait pas que les partis soient «divisés» sur le soutien à l’Ukraine.

Starmer s’est également solidarisé avec les députés conservateurs d’arrière-ban qui réclament une augmentation des dépenses militaires: «Je pense que le gouvernement va devoir revenir devant le Parlement et réexaminer les dépenses de défense et je sais que de nombreux députés conservateurs le pensent également». Il a appelé le gouvernement à ne pas supprimer «10.000 [militaires] supplémentaires de nos forces armées».

L’unanimité des travaillistes avec les conservateurs sur tous les points fondamentaux de la politique signifie que leur seule critique à l’égard de Johnson est qu’il n’est pas à la hauteur pour les mener à bien, avec un retour incessant sur le scandale du «partygate». L’absurdité du débat politique officiel en Grande-Bretagne a été résumée par l’interview de «Good Morning Britain», lorsque Johnson s’est vu demander «Êtes-vous honnête?», non pas en rapport avec son affirmation absurde selon laquelle le Royaume-Uni n’est pas impliqué en Ukraine pour «provoquer un changement géopolitique», mais sur les fêtes à Downing Street pendant le confinement.

(Article paru en anglais le 4 mai 2022)

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