Deux déraillements en cinq jours soulignent les conditions dangereuses prévalant sur le réseau ferroviaire au Canada

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Deux déraillements de trains survenus au Canada la semaine dernière ont démontré une fois de plus le mépris criminel dont font preuve les principaux exploitants ferroviaires pour la sécurité des travailleurs et du grand public.

Une partie des 43 wagons déraillés du CP transportant de la potasse près de Fort Macleod, en Alberta (KyleSzabo/Twitter)

Un homme de 57 ans a été tué jeudi près du hameau de Edgeley, en Saskatchewan, à environ 50 kilomètres au nord-est de Regina, lorsque le véhicule d’entretien qu’il conduisait est entré en collision avec un train du Canadien National (CN), provoquant un déraillement.

Le déraillement fait l’objet d’une enquête menée par la police du CN. Un porte-parole de l’entreprise a déclaré que 18 wagons ont quitté la voie ferrée, provoquant le déversement d’une substance non identifiée. Dans un communiqué distinct publié plus tôt jeudi, la GRC a indiqué que le train pourrait avoir transporté du combustible.

Cet accident mortel survient cinq jours seulement après le déraillement d’un train du Canadien Pacifique près de Fort Macleod, en Alberta. Quarante-trois wagons de train roulant en direction de l’ouest, lourdement chargés d’engrais potassique, se sont retrouvés pressés comme des boîtes de conserve le long d’un tronçon de voie ferrée à quelques mètres d’une autoroute.

La demande de potasse canadienne de la part d’acheteurs du monde entier a considérablement augmenté depuis le début de l’année en raison des perturbations causées par la guerre des États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine et des sanctions de grande envergure imposées à l’économie russe. Le Canada est la plus grande source de potasse au monde, représentant près de 32% de la production en 2020, suivi par la Russie avec 20%.

La police a déclaré qu’il n’y avait pas eu de blessés et que la sécurité publique n’était pas en jeu, malgré la proximité du trafic routier. Comme d’habitude, le Canadien Pacifique s’est contenté de déclarer que la cause du déraillement faisait l’objet d’une enquête, mais a refusé de fournir d’autres détails.

Les déraillements au Canada sont si fréquents que très peu font la une des journaux. Ceux qui le font se méritent rarement plus qu’une brève mention. Les wagons peuvent peser 100 tonnes ou plus, et ils transportent souvent des marchandises extrêmement dangereuses. Un accident, quelle que soit la vitesse, peut entraîner des dégâts considérables.

Au cours des six derniers mois, voici une sélection des déraillements qui se sont produits:

  • Le 6 décembre 2021, un train de marchandises du Canadien Pacifique comprenant des wagons contenant des résidus et qui avaient en dernier servi à transporter du soufre liquide, du propane et de l’ammoniac anhydre a déraillé dans le sud-est de l’Alberta. Le train de marchandises a déraillé à environ un demi-kilomètre au nord d’Ensign, un hameau du comté de Vulcan situé à environ 80 kilomètres au sud de Calgary. Sur les 39 wagons qui ont déraillé, 14 étaient des wagons-citernes contenant des résidus de leur contenu antérieur et qui étaient vides au moment du déraillement, dont huit contenaient du soufre liquide, trois du propane et trois de l’ammoniac anhydre.
  • Le 28 décembre 2021, juste au sud de Craven, en Saskatchewan, 26 wagons d’un train du Canadien Pacifique transportant de la potasse ont déraillé, bloquant une route locale.
  • Au moins une douzaine de wagons du CP transportant du maïs ont déraillé près de Drinkwater, en Saskatchewan, le 12 mars 2022.
  • Le 20 mars, au moins deux wagons du CN contenant du soufre solide ont déraillé à North Vancouver, en Colombie-Britannique. Les informations préliminaires indiquent qu’il y a eu une fuite qui s’est limitée à la propriété du CN, mais qu’il n’y a pas eu d’incendie ou de blessés.
  • Le 15 mai, un train transportant des conteneurs intermodaux dans la cour du Canadien Pacifique, au cœur de Winnipeg, a déraillé. Un porte-parole de l’entreprise a affirmé qu’aucune marchandise dangereuse n’était en cause.
  • Le 29 avril, les résidents de Field, en Colombie-Britannique, ont dû faire appel à une alimentation de secours lorsqu’un train de marchandises du CP a fait dérailler quatre wagons dans le parc national Yoho, coupant l’alimentation de la communauté en électricité.

La communauté de Field a connu plusieurs déraillements de trains au cours des dernières années. En janvier 2021, un train transportant des céréales a déraillé à environ 6,5 kilomètres à l’ouest de Field et a également provoqué une panne d’électricité temporaire dans la ville. En mars 2021, un autre train a déraillé dans la ville.

La régularité de ces déraillements potentiellement mortels souligne le fait que les exploitants ferroviaires les considèrent comme une composante normale de leur procédure d’exploitation standard, connue sous le nom de «Precision-Scheduled Railroading». L’objectif du PSR est de réduire les coûts dans tous les domaines afin de maximiser les profits pour les gros actionnaires.

Le déraillement le plus notoire associé à Field est celui du train 301 du Canadien Pacifique survenu en février 2019, et qui a coûté la vie au chef de train Dylan Paradis, à l’ingénieur de locomotive Andrew Dockrell et au chef de train stagiaire Daniel Waldenberger-Bulmer. Le train circulait dans des températures extrêmement froides, sous les -25 Celsius. En raison du danger que représente un tronçon de voie ferrée en pente raide, le Canadien Pacifique appliquait auparavant une règle selon laquelle aucun train ne devait être autorisé à descendre Field Hill lorsque la température était inférieure à -25 degrés Celsius. Cette politique avait été adoptée à cause du fait bien connu que les freins sont moins efficaces par temps extrêmement froid. Mais le Canadien Pacifique a abandonné cette politique après l’hiver 2015-2016, sans qu’aucune explication ne soit fournie quant aux raisons.

Dans la poursuite acharnée des profits, l’équipage du train a reçu l’ordre de rouler en dépit de ces conditions dangereuses. Le résultat a été tragique.

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada, un organisme édenté qui n’a aucun pouvoir de réglementation ou pour forcer le respect des lois, a publié un rapport accablant sur le déraillement de février 2019 survenu à Field – rapport que l’entreprise continue de contester. La Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, les laquais de l’entreprise qui représentent 16.000 travailleurs du rail, n’a pas grand-chose à dire sur le sujet, si ce n’est qu’elle est convaincue que les recommandations du rapport du BST seront mises en œuvre.

Un rapport de vérification indépendant effectué pour le vérificateur général du Canada en 2021 a documenté un total de 1.245 accidents ferroviaires au Canada en 2019, dont 694 déraillements, soit près de deux par jour. L’audit visait à déterminer si Transports Canada avait mis en œuvre certaines recommandations d’un rapport de 2013 concernant la surveillance du transport sécuritaire des personnes et des marchandises sur les voies ferrées sous réglementation fédérale par le ministère. Transports Canada n’a pas été en mesure de démontrer si les activités de surveillance du ministère avaient contribué à améliorer la sécurité ferroviaire. En outre, le ministère n’a pas évalué l’efficacité des systèmes de gestion de la sécurité des chemins de fer – malgré les nombreux rapports des 14 années précédentes recommandant que Transports Canada vérifie et évalue ces systèmes.

Il appert que Transports Canada n’a pas mesuré l’efficacité globale de sa surveillance en matière de sécurité ferroviaire. Le ministère n’a pas réussi à déterminer si la sécurité ferroviaire s’était améliorée à la suite de ses inspections et vérifications des systèmes de gestion de la sécurité.

Il n’est guère surprenant que Transports Canada soit si laxiste dans ses fonctions de surveillance. Les deux plus grands exploitants ferroviaires au pays, le Canadien National (CN) et le Canadien Pacifique (CP), ont chacun leur propre service de police et mènent leurs propres enquêtes. Le conflit d’intérêts est flagrant, mais pleinement accepté par un système politique voué à l’accumulation de profits privés. Ensemble, le CN et le CP représentent plus de 95% des tonnes-kilomètres ferroviaires annuelles du Canada, plus de 75% des voies ferrées et les trois quarts du tonnage total transporté par le secteur ferroviaire. Ce duopole est presque une loi en soi. Avec la flambée des prix des produits de base, en particulier des céréales et de la potasse, due à la guerre par procuration des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie, la pression pour transporter le plus de marchandises possible le plus rapidement possible ne fera qu’augmenter.

Un travailleur du Canadien Pacifique a récemment expliqué dans une lettre adressée au World Socialist Web Siteque la mise à mal de la sécurité et des protections des travailleurs sur les lieux de travail s’est développée au fil des décennies. «Les relations de travail et la sécurité publique des chemins de fer canadiens ont connu une descente rapide», écrit-il. Bien qu’il y ait eu une lutte continue dans les années précédant la déréglementation introduite en 1992 par la Loi sur la sécurité ferroviaire, une fois le processus enclenché, le déclin s’est accéléré à un rythme effréné. Ce processus a été toléré par tous les paliers de gouvernement qui, de l’avis des travailleurs ferroviaires expérimentés, agissent de concert avec Transports Canada et le Bureau de la sécurité des transports. Ils sont collectivement complices d’une approche passive qui consiste à ne rien faire.»

La récente série de déraillements n’est pas seulement la responsabilité des exploitants ferroviaires, mais aussi celle du syndicat des Teamsters, qui fait tout pour étouffer les luttes des travailleurs ferroviaires pour une meilleure sécurité au travail. En mars, les Teamsters ont refusé de donner suite à un vote de grève massif au Canadien Pacifique, donnant à l’entreprise l’initiative de mettre en lock-out 3.000 ingénieurs de locomotive, agents de triage et chefs de train. Après avoir réagi au lock-out en déclenchant une grève symbolique, les Teamsters l’ont rapidement annulée et ont soumis toutes les questions en litige à l’arbitrage exécutoire, un processus truqué en faveur de l’employeur qui prive les travailleurs de tout droit de vote sur leurs futures conditions d’emploi.

En réponse au sabotage de la grève par les Teamsters, les travailleurs du CP ont formé le Comité des travailleurs de la base du CP afin d’unifier les travailleurs du rail de partout en Amérique du Nord dans une lutte commune pour mettre fin au contrôle de la grande entreprise sur les chemins de fer, et pour obtenir des emplois bien rémunérés et des conditions de travail sécuritaires. Nous encourageons vivement tous les travailleurs du rail à contacter le comité au cpworkersrfc@gmail.comet à participer à cette lutte cruciale.

(Article paru en anglais le 27 mai 2022)

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