Perspectives

Alors que les républicains discutent d'une attaque contre la sécurité sociale et Medicare

Le «conflit» autour du plafond de la dette entraînera des coupes importantes dans les dépenses sociales

Le gouvernement Biden et la Chambre des représentants contrôlée par les républicains ont entamé une série de manœuvres politiques comprenant des discussions en coulisses sur le relèvement du plafond de la dette fédérale, qui s’élève actuellement à 31.400 milliards de dollars. L’autorisation fédérale d’emprunter a expiré et le Trésor va épuiser les manipulations financières à court terme pour éviter un défaut de paiement de la dette d’ici début juin, selon la secrétaire au Trésor Janet Yellen.

Un débat public s’est engagé à Washington et dans les médias bourgeois. Les républicains de la Chambre des représentants exigent que toute solution permettant de relever le plafond de la dette s’accompagne de coupes sévères dans les dépenses sociales intérieures, coupes qui avoisineraient 130 milliards de dollars, soit environ 8 pour cent des dépenses actuelles. La Maison-Blanche et les démocrates du Congrès, qui contrôlent le Sénat, exigent un projet de loi «propre» pour relever le plafond de la dette, c’est-à-dire un projet qui n’inclut aucune réduction des dépenses ou d’autre disposition.

Le Washington Post a rapporté mardi que la discussion au sein du parti républicain est allée bien au-delà des réductions immédiates qui sont susceptibles d'accompagner un accord avec les démocrates pour relever ou suspendre le plafond de la dette:

Ces derniers jours, un groupe de législateurs républicains a réclamé la création de groupes spéciaux qui pourraient recommander des changements à la sécurité sociale et à Medicare, qui font face à de véritables problèmes de solvabilité qui pourraient entraîner des réductions de prestations au cours de la prochaine décennie. D’autres membres du parti ont ressorti des plans plus détaillés pour réduire les coûts, notamment en portant l’âge de la retraite à 70 ans, ce qui cible avant tout les jeunes Américains qui n’ont pas encore obtenu de prestations fédérales.

«Nous n’avons pas d’autre choix que de prendre des décisions difficiles», a déclaré le représentant Kevin Hern (Républicain-Oklahoma), qui est à la tête du Republican Study Committee, un bloc de plus de 160 législateurs conservateurs qui a approuvé l’an dernier le relèvement de l’âge de la retraite et d’autres changements. «Chacun doit tout remettre en question».

Ces commentaires révèlent l’orientation de la politique de la classe dirigeante dans son ensemble. Hern n’est pas un cas isolé, mais un allié de premier plan du président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy. Dans le mécanisme de la politique capitaliste, le Freedom Caucus fasciste, qui a bloqué l’élection de McCarthy à la présidence pendant 15 tours de ballotage, pousse la majorité républicaine de la Chambre plus à droite, comme en témoignent les concessions arrachées notamment sur la dette et les dépenses. La majorité de la Chambre pousse à son tour le gouvernement Biden plus à droite, comme en atteste la demande de McCarthy de négocier directement avec la Maison-Blanche sur le plafond de la dette. Biden a déjà fait ses premières concessions en acceptant de rencontrer McCarthy avant le discours sur l’état de l’Union du 7 février.

Dans tous les commentaires publics sur le plafond de la dette, ni les deux partis capitalistes ni les médias n’abordent les questions plus fondamentales: d’où vient la dette nationale, et qui doit la payer? C’est parce qu’ils cherchent à dissimuler les problèmes de classe fondamentaux dans la crise fiscale. Il est vrai que le capitalisme américain est confronté à la faillite. Mais pourquoi les travailleurs, qui n’ont pas provoqué la crise et n’en sont pas responsables, devraient-ils en payer le prix, par l’éviscération des prestations sociales?

La crise de la dette est bien réelle, comme le montre le graphique ci-dessous. La dette totale du gouvernement américain était de 5.600 milliards de dollars en 2001, lorsque George W. Bush est entré à la Maison-Blanche. Huit ans plus tard, après une réduction massive des impôts pour les riches et le lancement de guerres majeures en Afghanistan et en Irak, la dette nationale s’élevait à 11.700 milliards de dollars, soit plus du double, une augmentation de 6.100 milliards de dollars.

L’augmentation de la dette nationale américaine, de 2001 à 2022 [Photo: Département du Trésor] [Photo: Treasury Department]

La dette nationale a encore augmenté de 8.000 milliards de dollars sous le gouvernement Obama, passant de 11.700 milliards de dollars à 19.800 milliards de dollars. Les principales dépenses extraordinaires comprennent le sauvetage du système financier américain et de l’industrie automobile en 2009, après l’effondrement de Wall Street, la poursuite des guerres en Afghanistan et en Irak, ainsi que les nouvelles guerres en Libye et, par procuration, en Syrie. Il y avait aussi le coût continu des réductions d’impôts de Bush, la plupart ayant été conservées dans le cadre d’un accord bipartisan entre Obama et le Congrès contrôlé par les républicains.

Le gouvernement Trump a accumulé autant de dettes en quatre ans qu’Obama en huit ans, en grande partie à cause de nouvelles réductions d’impôts pour les riches en 2017, et de nouvelles dépenses pour le Pentagone afin de préparer les futures guerres avec la Russie et la Chine. Une énorme série de sauvetages d’entreprises au cours de la première année de la pandémie de COVID-19 a porté la nouvelle dette additionnelle à 8.300 de milliards de dollars.

Au cours des deux premières années du gouvernement Biden, la dette nationale a encore augmenté de 3.000 milliards de dollars, surtout en raison de la poursuite des renflouements liés à la pandémie de COVID-19 et d'autres dépenses destinées à empêcher l'effondrement économique. S’y ajoute désormais une augmentation rapide des dépenses militaires, axée sur la guerre par procuration contre la Russie en Ukraine. Les propositions visant à réduire le déficit en augmentant les impôts des super-riches n'ont abouti à rien au Congrès. Comme Biden l'a promis à un public de riches bailleurs de fonds avant l'élection de 2020, ils ne souffriraient pas avec un démocrate à la Maison-Blanche, malgré sa rhétorique populiste: «Personne ne verra de changement dans son niveau de vie. Rien ne changerait fondamentalement».

Pour résumer: la dette nationale américaine est passée de 5.600 milliards de dollars à 31.400 milliards de dollars depuis 2001. Sur cette augmentation massive de 25.800 milliards de dollars, les guerres en Afghanistan et en Irak et la «guerre contre le terrorisme» dans son ensemble représentent 8.300 milliards de dollars, selon l’étude «Coût de la guerre» de l’université Brown. Les réductions d’impôts accordées par Bush et Trump, largement maintenues sous Obama et Biden, coûtent au moins 5.300 milliards de dollars. Les renflouements de Wall Street en 2008-2009 et 2020 ont coûté environ 8.000 milliards de dollars supplémentaires.

En quoi cela relève-t-il de la responsabilité de la classe ouvrière? On n’a pas consulté le peuple américain sur des guerres qui ont été lancées sans même être officiellement déclarées. On n’a pas consulté le peuple américain sur les deux sauvetages financiers massifs, qui ont été approuvés par le Congrès comme mesures «d’urgence» en seulement quelques jours. On n’a pas consulté le peuple américain non plus sur les réductions d’impôts des riches, présentées comme devant profiter à tous les Américains, alors que 90 pour cent de la manne financière, voire plus, est allée au 1 pour cent le plus riche.

Alors que les démocrates et les républicains se concentrent sur la sécurité sociale, Medicare et d’autres programmes universels (appelés ainsi parce que leurs bénéficiaires ont le droit légal de recevoir les prestations), ces programmes ne sont pas la cause de la multiplication par près de six de la dette nationale au cours des deux dernières décennies. Au contraire, comme le montre ce graphique, les actifs détenus par le fonds fiduciaire de la sécurité sociale ont augmenté régulièrement sur une période de 30 ans, ne diminuant que légèrement au cours des deux dernières années. Ces actifs restent proches de 3.000 milliards de dollars.

Actifs détenus par le fonds fiduciaire de la sécurité sociale, 1987-2022 [Photo: Treasury Department]

Les appels incessants à la «réforme» de la sécurité sociale découlent du désir des vautours financiers de Wall Street de mettre la main sur ce tas de liquidités et d’en faire une source de profits. George W. Bush a tenté de le faire en 2005, mais il a fait face à une telle tempête politique, accompagnée d’une opposition croissante à la guerre en Irak, qu’il a dû abandonner ses efforts. Dans la crise actuelle, on assiste à de nouveaux efforts pour piller le Fonds fiduciaire et mettre 66 millions de retraités américains à la merci des marchés financiers.

La jeune génération de la classe ouvrière est encore plus menacée. C’est la véritable signification du langage utilisé actuellement par les leaders républicains de la Chambre, comme le chef de la majorité Steve Scalise, qui a affirmé que son parti veut une sécurité sociale «renforcée pour les personnes âgées qui y ont cotisé». Cela signifie que les personnes non âgées, et en particulier les jeunes, ne doivent pas s’attendre à des prestations et ne les obtiendront pas.

Des démocrates de droite comme le sénateur Joe Manchin utilisent des formulations similaires. Ce dernier a demandé la création d’une commission spéciale de la Chambre et du Sénat chargée d’examiner des options pour «renforcer» la sécurité sociale, tout en excluant une réduction des niveaux actuels de prestations. Les futurs niveaux de prestations pour les futurs retraités sont donc sur la table, ainsi que l’âge de la retraite, actuellement de 67 ans, mais susceptible d’être repoussé. Des changements dans la façon dont le programme calcule le montant des augmentations liées au coût de la vie sont également envisagés.

Aucun des deux partis ne discutera d’une solution à la crise financière qui fait porter le fardeau, non pas aux travailleurs, mais à l’oligarchie financière capitaliste. C’est un coût qu’elle est éminemment capable de supporter. Un rapport d’Oxfam publié au début du mois, à la veille du Forum économique mondial de Davos, en Suisse, qui a réuni des milliardaires et des politiciens capitalistes de premier plan du monde entier, a donné un aperçu de l’énorme accumulation de biens par les super-riches.

Dans ce qu’elle a appelé une «explosion des inégalités», Oxfam a indiqué que depuis 2020, le 1 pour cent le plus riche a capté près des deux tiers de toutes les nouvelles richesses – soit près de deux fois plus d’argent que les 99 pour cent les plus pauvres de la population mondiale. Les fortunes des milliardaires augmentent de 2,7 milliards de dollars par jour, alors même que l’inflation gruge les salaires d’au moins 1,7 milliard de travailleurs. La pandémie, tout en étant une catastrophe pour les travailleurs, principales victimes de l’infection, de la mort et de l’effondrement économique, a été une aubaine pour les riches.

Les travailleurs doivent rejeter toutes les tentatives des politiciens des deux partis contrôlés par la grande entreprise, les démocrates et les républicains, de leur faire payer la crise de la dette qui est une expression du déclin colossal dans la position mondiale du capitalisme américain. Et ils doivent rejeter tous les efforts des syndicats et de leurs alliés de la pseudo-gauche pour garder cette opposition dans les limites du parti démocrate. Seule la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière peut défendre les avantages sociaux qui sont le résultat de plusieurs décennies de lutte de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 27 janvier 2023)

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