Ayant appuyé le gouvernement libéral du Canada depuis des années, Jagmeet Singh accuse Trudeau de «faire la guerre» aux travailleurs

Dans un discours prononcé le 17 janvier devant le caucus parlementaire du Nouveau Parti démocratique (NPD), soutenu par les syndicats, le chef du parti, Jagmeet Singh, a accusé le gouvernement libéral du Canada de «faire la guerre» à la classe ouvrière. Selon l’agence médiatique La Presse canadienne, Singh a déclaré: «Si vous travaillez dans ce pays, vous ne devriez pas avoir faim... Vous ne pouvez même pas trouver de médicaments contre le rhume pour vos enfants. En ce moment, ça ressemble à une guerre contre les travailleurs».

Certes, les réductions dans les dépenses publiques menées par le gouvernement libéral, son soutien aux réductions des salaires réels, sa réponse homicide face à la pandémie et son rôle de première ligne dans la guerre des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie constituent une «guerre» contre les travailleurs. Mais Singh omet de mentionner «un petit détail»: avec le soutien inconditionnel des syndicats, le NPD soutient le gouvernement libéral minoritaire depuis des années et, depuis mars 2022, son parti a même conclu une alliance gouvernementale officielle avec eux.

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, et le premier ministre libéral, Justin Trudeau [Photo: YouTube]

Si l’on peut décrire Trudeau et ses ministres comme les généraux de l’armée menant la guerre de classe des capitalistes, Singh, le caucus du NPD et les bureaucrates de l’appareil syndical en constituent le corps des officiers subalternes.

Les syndicats servent de pilier essentiel au gouvernement Trudeau depuis sa première victoire électorale de 2015. À la demande des syndicats, le NPD s’est engagé à soutenir directement le gouvernement libéral après n’avoir pu obtenir une majorité parlementaire lors des élections fédérales de 2019. Les trois années qui ont suivi ont été marquées par une escalade massive de l’assaut de la guerre de classe de l’élite dirigeante contre les travailleurs, à commencer par l’énorme sauvetage de 650 milliards de dollars pour les banques et les grandes entreprises au début de la pandémie de COVID-19.

Pendant cette période de soutien du NPD au gouvernement Trudeau, on a vu l’imposition de la campagne de retour au travail des «profits avant la vie» durant la pandémie, qui a entraîné des dizaines de milliers de morts inutiles; les préparatifs et le lancement de la guerre contre la Russie, comprenant une collaboration étroite avec les nationalistes ukrainiens d’extrême droite, accompagnés de la fourniture de ressources pratiquement illimitées aux Forces armées; et l’application de mesures d’austérité «post-pandémiques».

À la fin de 2021, peu après que le NPD – fortement encouragé par les syndicats – ait entamé des pourparlers avec les Libéraux pour conclure un «accord de confiance et d’approvisionnement» l’engageant à maintenir les Libéraux au pouvoir jusqu’en 2025, Trudeau a réagi à l’émergence du variant Omicron de la COVID-19 en abandonnant presque tous les efforts visant à arrêter la propagation du virus mortel. Pendant que Singh était aux côtés de Trudeau en mars 2022 pour annoncer la finalisation de leur accord, le gouvernement Trudeau était en train de superviser le démantèlement de toutes les mesures de santé publique restantes, l’élite dirigeante ayant adopté le programme d’extrême droite du «Convoi de la liberté». Les conséquences ont été dévastatrices pour les travailleurs, l’année 2022 ayant été la plus meurtrière de la pandémie au Canada avec près de 20.000 décès officiels dus à la COVID-19.

Ces dix mois d’«accord de confiance et d’approvisionnement» ont permis au gouvernement Trudeau de recourir à des mesures d’austérité «post-pandémiques» afin de récupérer les centaines de milliards qu’il a remis à l’oligarchie financière en début de pandémie au détriment des travailleurs et des services publics. Cette démarche s’accompagne du soutien explicite de Trudeau et de la ministre des Finances Chrystia Freeland aux fortes hausses des taux d’intérêt de la Banque du Canada visant à plonger l’économie en récession afin de réduire les coûts de main-d’œuvre et d’augmenter les profits des entreprises.

Les assauts contre les travailleurs et les dépenses publiques menés par le gouvernement libéral qui est soutenu par les syndicats avec l’appui du NPD sont vus comme nécessaires pour financer le programme irréfléchi de réarmement militaire et l’escalade de la guerre de l’OTAN menée par les États-Unis contre la Russie. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, provoquée par les États-Unis, le gouvernement Trudeau a fourni plus de 1,1 milliard de dollars en aide militaire au régime ukrainien d’extrême droite. Parallèlement, le gouvernement a décidé d’augmenter d’ici 2026 ses dépenses en matière de défense de 73 % par rapport au niveau de 2017. Cette augmentation, qui représente un budget de défense d’environ 32 milliards de dollars par rapport aux 19 milliards de dollars de 2017, ne comprend même pas les dizaines de milliards de dollars retenus par Ottawa pour moderniser les installations du NORAD, le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord, au cours des deux prochaines décennies. La modernisation du NORAD vise à intégrer davantage le Canada dans les plans de Washington visant à mener un «conflit stratégique entre grandes puissances» avec la Russie et la Chine, y compris avec des armes nucléaires.

Le NPD est à l’avant-garde de cette explosion insensée de militarisme. Les principaux politiciens du NPD approuvent sans réserve les livraisons d’armes du Canada à l’Ukraine et son rôle de premier plan dans l’intégration des milices fascistes dans les forces armées du pays. Ils exhortent également le gouvernement Trudeau à adopter une ligne plus dure envers la Chine. L’une des rares critiques formulées par le NPD, amplifiée par les syndicats, est que le Canada doit se doter d’une industrie de défense nationale plus forte, c’est-à-dire qu’il doit être plus autonome dans la production de ses propres armes de mort et de destruction, afin de mieux poursuivre ses intérêts impérialistes dans le monde.

La prétendue indignation de Singh sur la guerre menée contre les travailleurs est d’autant plus cynique qu’il évite délibérément de dire le moindre mot sur le rôle de premier plan joué par ses alliés syndicaux. À l’approche des élections fédérales de 2019, Unifor et la Fédération canadienne des enseignants ont permis à Trudeau de s’adresser à leurs congrès pour faire un discours de réélection, et les syndicats ont dépensé des millions de dollars dans la campagne qui a suivi pour aider à réélire les Libéraux. Lorsque Trudeau a été réélu à la tête d’un gouvernement minoritaire, Unifor et le reste de la bureaucratie se sont réjouis du fait que le NPD détenait «l’équilibre du pouvoir».

Pendant la pandémie, les syndicats ont contribué à imposer la campagne de retour au travail et à l’école de l’élite dirigeante, notamment en dénonçant comme «illégale» toute action collective de la part des travailleurs voulant s’opposer aux conditions de travail dangereuses.

Les syndicats ont également profité de la pandémie pour approfondir qualitativement leurs liens corporatistes avec le gouvernement libéral. Ainsi, au début de 2020, le président du CTC, Hassan Yussuf, qui a été nommé au Sénat par la suite par Trudeau pour services rendus à la classe dirigeante, a déclaré de façon tristement célèbre que le Canada avait besoin d’un «front de collaboration» entre les employeurs et les syndicats pour traverser la pandémie et faire en sorte que le capitalisme canadien sorte vainqueur de la lutte post-pandémique mondiale pour les marchés et les profits. Les conséquences de cette collaboration privilégiant les profits des entreprises au détriment des vies humaines sont bien connues: alors que plus de 50.000 personnes sont mortes lors des vagues successives d’infections massives à la COVID-19 causées par la réouverture prématurée de l’économie, les profits des entreprises ont atteint des sommets. Simultanément, on a vu une explosion des inégalités sociales, avec une montée en flèche de la richesse des milliardaires, tandis que le niveau de vie des travailleurs a été ravagé par des mesures d’aide inadéquates pour faire face aux répercussions de la COVID-19 et la plus grande poussée inflationniste connue depuis des décennies.

Les syndicats se sont montrés pour le moins lyriques à propos de l’accord conclu par Singh avec Trudeau en mars 2022. Le communiqué du CTC d’alors commençait par la déclaration suivante: «Les syndicats du Canada célèbrent l’entente historique conclue aujourd’hui», tandis qu’Unifor pour sa part «félicitait» le NPD. Quant à Singh, il a conclut lors de son discours au caucus qui a suscité une ovation de la part des députés assemblés, en jurant que le «caucus du NPD va tout faire pour défendre les travailleurs et les familles».

Si ces faux discours ont un quelconque impact, c’est grâce aux organisations de pseudo-gauche comme La Riposte socialiste, la Ligue pour l’Action socialiste et International Socialists, qui continuent de proclamer que le NPD est un «parti de masse des travailleurs» ou «de la classe ouvrière». La Riposte socialiste, dont les membres mènent leurs activités en tant que membres à part entière du NPD, maintient la position absurde selon laquelle le parti social-démocrate canadien pro-austérité et pro-guerre peut être transformé en un instrument de la classe ouvrière pour lutter contre les «patrons», voire faire avancer la lutte pour le socialisme. La section canadienne de la mal nommée Tendance marxiste internationale n’a jamais pu se résoudre à condamner en principe l’entrée du NPD dans une alliance gouvernementale avec les Libéraux, le parti traditionnel préféré de la bourgeoisie canadienne à la tête de son gouvernement national. Dans l’un des très rares articles qu’ils ont écrits sur le sujet, le dirigeant de La Riposte socialiste Alex Grant s’est contenté plutôt de prendre Singh à partie pour ne pas avoir négocié de meilleures conditions pour que le NPD puisse donner ses voix au gouvernement.

Mais plus significatif encore est le silence radio de la pseudo-gauche sur le soutien enthousiaste apporté par la bureaucratie syndicale à l’alliance libérale/néo-démocrate. Les syndicats sont non seulement un pilier essentiel du soutien au gouvernement Trudeau depuis 2015, mais ils interviennent constamment pour saboter l’opposition des travailleurs aux mesures d’austérité sauvage, à la réduction des salaires et aux politiques homicides de gestion de la pandémie. L’automne dernier, lorsque 55.000 employés de soutien du secteur de l’éducation ont défié l’interdiction de grève draconienne du gouvernement Ford de droite radicale en Ontario, un épisode qui a provoqué des appels généralisés pour une grève générale dans toute la classe ouvrière, les principaux représentants des grands syndicats canadiens sont intervenus pour saborder la grève sans même consulter les travailleurs. La Riposte socialiste s’est alors empressée de défendre les bureaucrates syndicaux face à la colère généralisée de la base en affirmant de façon calomnieuse que les travailleurs n’étaient «pas prêts» à mener une grève générale contre Ford.

Une déclaration de la présidente du CTC, Bea Bruske, publiée le 26 janvier, révèle combien les syndicats se considèrent comme les saboteurs en chef des luttes des travailleurs. Écrivant dans le Globe and Mail, le porte-parole de l’élite financière de Bay Street au Canada, Bruske a averti son riche auditoire que les services des syndicats seront indispensables pour éviter un «hiver de mécontentement» comme en Grande-Bretagne. S’exprimant sans ambages dans le langage des couches privilégiées de la classe moyenne qui peuplent la bureaucratie syndicale, Bruske affirme que «la dernière chose que les Canadiens souhaitent en ce moment, c’est une agitation syndicale dans tout le pays». Pour éviter ce scénario cauchemardesque, elle exhorte les entreprises et les gouvernements de tous les paliers à accepter «un plus grand équilibre dans l’économie» par l’entremise d’un «mouvement syndical renforcé». Ce que Bruske entend par là, c’est un partenariat renforcé entre l’État, les grandes entreprises et la bureaucratie syndicale, au nom de laquelle elle parle, pour étouffer l’opposition de la classe ouvrière à la baisse de leur niveau de vie, aux mesures d’austérité et à la guerre.

Les travailleurs peuvent s’attendre à une chose: que Singh et le NPD «vont tout faire» pour préserver type d’alliance pro-guerre et pro-austérité préconisée par Bruske. C’est justement cette alliance des Libéraux, des Néo-démocrates et des bureaucrates syndicaux qui constitue le principal obstacle politique à l’émergence de l’opposition de la classe ouvrière contre les inégalités sociales, les conditions de travail misérables et la guerre impérialiste. La lutte contre cette alliance nécessite une rupture politique décisive des travailleurs avec les syndicats et le NPD et l’adoption de la perspective socialiste et internationaliste défendue par le Parti de l’égalité socialiste.

(Article paru en anglais le 31 janvier 2023)

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