Le gouvernement ultra-droitier de la Coalition avenir Québec (CAQ) de François Legault a pris pour cible les quelque 600.000 travailleurs du secteur public qui sont sans conventions collectives depuis mars dernier. Il cherche à leur imposer des «hausses» de salaire dérisoires de 9% sur cinq ans, une réduction des régimes de pensions et une forte augmentation de la charge de travail.
Mais les travailleurs ne font pas seulement face à de nouvelles attaques massives sur leurs conditions de travail. Le gouvernement Legault est tout aussi déterminé à intensifier l'assaut contre les services publics en perpétuant le sous-financement des réseaux publics de santé et d’éducation et en introduisant toujours plus de privatisation.
Les travailleurs du secteur public doivent s’opposer à ces politiques de la CAQ, un gouvernement d’hommes d’affaires, de comptables, de banquiers et de millionnaires déterminé à faire passer les profits avant tout. C’est particulièrement évident dans le domaine de la santé où la privatisation constitue le cœur de la «réforme» du ministre de la Santé Christian Dubé et de son projet de loi 15 (qui porte le nom orwellien de Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace).
Le régime public de soins de santé au Québec a été sous-financé de façon chronique par les gouvernements successifs du Parti québécois (PQ) et du Parti libéral du Québec (PLQ) au cours des dernières décennies. Comme dans l’ensemble du Canada, il s’est détérioré à un point tel que les délais de traitement s’accumulent, les listes d’attentes s’allongent et la capacité pour la population d’y accéder va en diminuant.
Cela fait partie d’une stratégie consciente de l’élite dirigeante pour créer une base sociale d’appui pour la privatisation parmi les sections privilégiées des classes moyennes qui ont les moyens de payer pour un accès rapide à des soins de qualité.
La part du financement privé – c’est-à-dire les coûts pour des soins de santé non couverts par le régime universel d’assurance-maladie – augmente constamment dans la province. En 1979, elle était de 17,5% alors qu’elle atteignait 27,2% 40 ans plus tard en 2019. Après une légère diminution causée par la pandémie de Covid-19, elle se situait toujours à 25,8% en 2022. En 2019, les dépenses privées en santé au Québec s’élevaient à 15,7 milliards de dollars et, en relation avec le PIB, elles ont plus que doublé depuis 1981.
En 2002, le gouvernement du PQ a autorisé la création de groupes de médecine de famille (GMF) privés, permettant ainsi pour la première fois la pratique de la médecine familiale en dehors des CLSC publics.
Entre 2006 et 2008, le premier ministre libéral Jean Charest et son ministre de la santé, le Dr Philippe Couillard, ont créé une liste d’une cinquantaine de chirurgies et traitements pouvant désormais avoir lieu dans des établissements privés. Simultanément, les libéraux ont réduit de moitié le coût des permis nécessaires pour opérer une clinique privée.
En 2014, il y a eu la «réforme Barrette», du nom du Dr Gaétan Barrette, le ministre de la Santé dans le gouvernement de Philippe Couillard devenu premier ministre. Cette «réforme» a massivement réduit les ressources des CLSC au profit des GMF privés; donné de l’argent public à trois cliniques privées de la région montréalaise pour qu’elles accaparent le marché des opérations électives; et légalisé les frais afférents pour favoriser la rentabilité des cliniques privées. Ces initiatives ont mené à un véritable exode du personnel médical vers les cliniques privées.
Un autre facteur a été la prolifération des agences privées d’infirmières auxquelles les gouvernements ont recours en payant le prix fort. Ces agences attirent des candidates en offrant un horaire flexible, contrairement au temps supplémentaire obligatoire de plus en plus courant dans le réseau public.
Selon des données de Statistiques Canada, en 2019, plus de 52% du personnel médical travaillait à leur compte ou dans une «firme ou entreprise du secteur privé», laissant 48% dans le secteur public. Par contraste, en 1987, le secteur public comptait pour plus de 60% de l’ensemble du personnel médical.
Dans un reportage publié cet été, le Globe and Mail rapportait que le Québec détient le record canadien de médecins désaffiliés du régime public, dont la proportion est passée de 2,1% à 4,13% depuis 2012. Au Québec, 641 médecins travaillent exclusivement au privé, contre 9 en Colombie-Britannique et 3 en Alberta.
Cet exode du personnel vers les cliniques privées contribue à accentuer la pénurie que vit le système public depuis que le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard – à la suggestion des centrales syndicales – a drastiquement réduit en 1997 le personnel médical (préposés aux bénéficiaires, infirmières, etc.) par un vaste programme de retraites anticipées au nom du «déficit zéro». Cette pénurie a pris une tournure dramatique avec la pandémie de Covid-19 alors que le système déjà grandement affaibli par les décennies de coupures se retrouve au bord de l’effondrement à chaque nouvelle vague.
La pandémie a aussi causé une augmentation des listes d’attentes pour certaines chirurgies et d’autres traitements, bien que la CAQ ait fait réaliser environ 162.000 opérations dans des cliniques privées depuis 2021 au coût de 200 millions de dollars. Si les listes d’attentes ne cessent de s’allonger, c’est que les délais sont causés non pas par un «manque d’efficacité» du réseau public, mais par la pénurie de personnel qui fait que les blocs opératoires ne fonctionnent en moyenne qu’à 80% de leur capacité.
Bien que les propres chiffres du gouvernement Legault démontrent qu’il en coûte plus de faire réaliser des opérations au privé que dans les hôpitaux publics, et que de multiples études réalisées au Québec et ailleurs dans le monde démontrent que le secteur privé est moins efficace que le système public en matière de soins de santé, la réponse de la CAQ aux multiples crises qui touchent le système de santé est encore et toujours une intensification de la privatisation des services.
Réalisant une promesse faite durant la campagne électorale de l’automne 2022, le gouvernement Legault a annoncé en mars dernier la publication d’appels d’offres pour la construction de deux «mini-hôpitaux» privés. Ces deux établissements, dont l’un serait situé dans l’est de Montréal et l’autre dans la ville de Québec, doivent ouvrir en 2025 et offriront un GMF, des salles d’urgence pour traiter des problèmes mineurs et des salles d’opération pour des interventions en chirurgie d’un jour.
En accaparant uniquement les «problèmes mineurs» et les chirurgies plus simples, ces mini-hôpitaux privés perpétueront une problématique liée à la présence du privé en santé, à savoir que pour générer des profits, les cliniques privées ne traitent que les cas plus simples, laissant au système public les cas compliqués et partant, coûteux.
Par ailleurs, à la fin du mois d’août, les médias ont révélé qu’une douzaine d’établissements publics allaient accorder des contrats d'une valeur totale de près de 500 millions de dollars à des cliniques privées pour la réalisation de 600.000 procédures médicales, dont des interventions chirurgicales d’un jour, des services d’endoscopie, d’imagerie et d'opérations ophtalmologiques.
Toutes ces initiatives s’inscrivent dans le contexte où Dubé, un comptable de formation, a déposé en mars dernier le projet de loi 15 qui constitue une nouvelle attaque frontale sur le réseau public de santé.
Deux des piliers de cette soi-disant réforme sont la centralisation des décisions d’opération au sein d’une nouvelle agence, Santé Québec, et la fusion des conventions collectives des employés du réseau pour réduire le nombre d’interlocuteurs syndicaux lors des négociations, tout en permettant le déplacement des travailleurs d’une région à une autre sans tenir compte de l’ancienneté «locale».
Le troisième pilier de la réforme Dubé est la privatisation. Santé Québec sera, selon le premier ministre Legault, basée sur le modèle d’Hydro-Québec, une société d’État gérée comme une entreprise privée qui génère des sommes d’argent considérables pour le gouvernement du Québec en priorisant l’extraction de profits aux dépens de la fiabilité de ses infrastructures et en faisant payer aux citoyens, à l’exception des grandes entreprises, des prix exorbitants pour leur électricité. Hydro-Québec versait un salaire annuel de 600.000$ à sa présidente Sophie Brochu avant son départ il y a quelques mois.
Lors d’une allocution à la Chambre de commerce métropolitaine, Dubé a demandé aux représentants du patronat de lui fournir des candidats pour les postes de président et de vice-présidents de Santé Québec, affirmant qu’il voulait des «top guns» du secteur privé pour diriger son agence et qu’il était prêt à «mettre sur la table des offres salariales concurrentielles [à ce qui se fait au privé] pour attirer des candidats».
Le projet de loi 15 octroie à Santé Québec le pouvoir de tenir à jour la liste des services de soins de santé qui sont couverts par le régime public, laissant ainsi toute latitude à une poignée de riches hommes d’affaires de privatiser encore plus de services, y compris des soins de base.
Les travailleurs de la santé et tous les travailleurs du secteur public doivent s’opposer aux plans du gouvernement Legault en matière de privatisation qui soulèvent la question fondamentale suivante: faut-il laisser le système de santé devenir une source de profits plutôt qu’un droit social fondamental?
Les travailleurs du secteur public doivent rejeter l’argument frauduleux du gouvernement Legault et de la classe dirigeante qu’il n’y aurait «pas d’argent» pour les services publics. Ils doivent défendre le principe d’un système public de santé suffisamment financé pour être accessible, fiable, entièrement gratuit et performant. Ce faisant, ils défendront la cause de tous les travailleurs – pas juste au Québec, mais dans le reste du Canada et à l’échelle nord-américaine – et créeront les meilleures conditions pour rallier la population derrière eux.
Ce qui est à l’ordre du jour, c’est une lutte politique contre le gouvernement Legault par le biais d’une mobilisation indépendante de la classe ouvrière, en rupture avec les appareils syndicaux nationalistes et procapitalistes qui cherchent à contenir et à saboter la lutte des travailleurs du secteur public.
L’auteur recommande également:
[23 septembre 2023] Formons des comités de la base pour lancer une lutte politique indépendante de toute la classe ouvrière contre Legault