La Fed suspend ses baisses de taux d’intérêt

Le président de la Réserve fédérale américaine Jerome Powell. [AP Photo/Tom Williams, Pool]

La Réserve fédérale [Fed – la banque centrale] américaine a indiqué qu'elle avait l'intention de baisser ses taux d'intérêt cette année, mais que ces réductions se feront plus tard que les délais réclamés par les marchés.

En réponse à une question posée lors de la conférence de presse suite à la réunion de la Fed mercredi, son président, Jerome Powell, a pratiquement exclu une baisse des taux en mars. Il a déclaré que, sur la base de ses discussions, ce n'était pas là le «scénario de base». Les indices de Wall Street ont baissé suite à ses remarques.

L'indice de référence S&P 500 a chuté de 1,6 pour cent suite à cette décision, après avoir atteint un niveau record lundi, sa plus forte baisse depuis septembre.

Dans sa déclaration sur cette décision, le Comité fédéral du marché ouvert (initiales anglaises FOMC) a déclaré que les perspectives économiques étaient incertaines et qu'il restait «très attentif aux risques d'inflation». Même si les dernières données montraient que le taux d'inflation était en baisse, le comité n’était pas encore disposé à agir en faveur d’une baisse des taux.

« Le Comité ne pense pas qu'il sera approprié de réduire la fourchette cible tant qu'il n'aura pas acquis une plus grande confiance dans le fait que l'inflation évolue durablement vers les 2 pour cent. »

Dans ses remarques préparées, Powell a déclaré que la Fed estimait que son taux directeur était «probablement à son maximum pour ce cycle de resserrement et que, si l'économie évolue globalement comme prévu, il sera probablement approprié de commencer à réduire la rigueur politique à un moment donné cette année».

Mais il a averti que l’économie avait surpris les prévisionnistes à bien des égards depuis la pandémie et que «la poursuite des progrès vers notre objectif d’inflation de 2 % n’est pas assurée».

Compte tenu de l'insistance du communiqué du FOMC sur la nécessité d'une «plus grande confiance», la conférence de presse s'est ouverte avec des questions sur ce qu'il faudrait pour y parvenir.

Powell n’a pas été explicite, mais ses remarques indiquaient que la Fed se concentre principalement, comme elle l’a toujours fait, sur la question des salaires.

Dans son allocution d'ouverture, il a noté que comme les «tensions sur le marché du travail» s’étaient atténuées, les progrès en matière d’inflation s’étaient poursuivis et que les risques liés la réalisation des objectifs d’inflation et d’emploi s’étaient «mieux équilibrés».

Lors de la séance de questions-réponses, Powell a déclaré que l'inflation des biens était en baisse et a évoqué la question de l'inflation dans le secteur des services. Dans le passé, il avait déclaré que la question clé ici, était celle des salaires.

Les dernières données du Bureau of Labor Statistics des États-Unis montrent que les salaires ont augmenté de 4,2 pour cent au cours de l'année, contre 4,4 pour cent en septembre, ce qui est clairement insuffisant pour compenser la baisse du niveau de vie des travailleurs.

Mais la Fed souhaite voir une nouvelle baisse des salaires avant de vouloir déclarer que les attentes inflationnistes s’étaient stabilisées autour de son objectif de 2 pour cent.

Andrew Hunter, économiste en chef adjoint du cabinet de recherche Capital Economics, est entré dans le vif du sujet dans ses commentaires au Financial Times.

« Le nouveau ralentissement de la croissance des salaires, évident dans l'indice du coût de l'emploi du quatrième trimestre, illustre que l'assouplissement des conditions du marché du travail contribue à faire baisser l'inflation », a-t-il déclaré, et que les dernières données contribueraient à « rassurer » la Fed sur le fait qu'elle est en bonne voie pour atteindre son objectif de 2 pour cent.

Dans l’ensemble, il semble y avoir une divergence de vue quant à l’état de l’économie américaine. Faisant référence aux données officielles dans son discours d'ouverture, Powell a déclaré que l'activité économique s'était développée à un «rythme solide», avec une croissance du produit intérieur brut s'établissant à 3,3 pour cent au quatrième trimestre et à 3,1 pour cent sur l'année.

L’expérience des travailleurs sur le terrain est très différente. Plutôt qu’une «économie Boucle d’or» – une croissance en hausse, une inflation en baisse et un chômage à un niveau historiquement bas – ils sont confrontés à une vague de licenciements.

L'annonce faite cette semaine par UPS de son intention de licencier 12 000 travailleurs dans l'ensemble de ses opérations mondiales fait suite à la destruction de milliers d'emplois dans l'industrie automobile au cours du mois dernier.

Des emplois sont également supprimés dans l'industrie technologique ; il y eut 25 000 licenciements au cours du premier mois de cette année, après la perte de plus d'un quart de million d’emplois en 2023.

L’aggravation de la situation de l'emploi a été soulignée dans un article du Wall Street Journal sur la baisse du taux de démission, indiquant une précarité croissante de l'emploi. L’année dernière, le nombre de personnes ayant quitté leur emploi a diminué de 6,1 millions par rapport à 2022, soit une baisse de 12 pour cent, le niveau le plus bas en trois ans.

Dans des commentaires au Journal, Brett Ryan, économiste américain principal à la Deutsche Bank, a indiqué que la situation économique n'était pas ce qu'elle paraissait.

« En apparence, les choses semblent être vraiment bonnes et robustes, mais quand on va au fond des choses, on constate que le marché du travail est tiré par un ensemble plus restreint d'industries et montre des signes de ralentissement substantiel », a-t-il déclaré, notant que l'emploi dans seulement trois secteurs – loisirs/hôtellerie, gouvernement et soins de santé – avaient représenté la majeure partie des créations d'emplois l'an dernier.

Le taux de chômage officiel n’est que de 3,7 pour cent, le plus bas depuis 50 ans. Mais comme l'a souligné un commentateur de la chaîne économique CNBC, environ 85 pour cent des États affichent un taux de chômage plus élevé.

L’une des raisons de la chute de Wall Street était le facteur persistant de la cupidité pure et simple – la déception que la finance ne parviendrait pas à mettre la main sur de l’argent moins cher aussi vite qu’elle l’avait espéré.

Mais une autre raison est la crainte que si les taux d'intérêt restent trop longtemps à leur niveau actuel, cela aura un impact majeur sur des domaines tels que l'immobilier commercial, qui sont devenus dépendants de taux plus bas.

Ces inquiétudes ont pris forme mercredi lorsque les actions de New York Community Bancorp, qui a racheté la Signature Bank en faillite lors de la crise bancaire de l'année dernière, ont plongé de 46 pour cent à un moment donné après avoir annoncé une perte importante.

La banque a déclaré avoir perdu 260 millions de dollars au cours des trois derniers mois de 2023, en baisse par rapport à un bénéfice de 164 millions de dollars au même trimestre de 2022, et qu'elle réduisait ses dividendes afin de se conformer aux réglementations résultant du rachat de Signature.

La banque a attribué cette forte baisse à une augmentation des pertes sur prêts, dont beaucoup étaient liées aux immeubles de bureaux – une situation à laquelle sont confrontées de nombreuses banques régionales des États-Unis, fortement impliquées dans l'immobilier commercial.

Le directeur général de la NYCB, Thomas Cangemi, a déclaré que la banque avait examiné « la faiblesse générale des agences dans tout le pays » et qu'elle avait réfléchi au «choc des paiements et au choc des taux d'intérêt compte tenu de la hausse des taux d'intérêt que nous avons connue au cours des derniers trimestres».

Si ces évolutions s’accentuent et se répandent plus largement, alors la clameur à Wall Street pour que la Fed commence à réduire les taux d’intérêt s’intensifiera.

(Article paru en anglais le 1 février 2024)

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