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Les centrales syndicales sanctionnent l'abolition de 12 000 emplois dans le secteur public:

Les travailleurs ont besoin d'une nouvelle stratégie politique

 

En combinant une entente avec les centrales syndicales à une loi spéciale (la loi 104), le gouvernement Bouchard a réussi à éliminer 12 000 postes à temps plein dans le secteur public. Il se prépare maintenant à réduire les salaires des employés municipaux de $250 millions, pendant que le ministre de la Santé, Jean Rochon, impose des compressions additionnelles de plus de $200 millions pouvant entraîner la fermeture d'autres hôpitaux à Montréal.

Il ne fait plus aucun doute que le gouvernement Bouchard -- tout comme ses homologues à Ottawa et dans les autres provinces -- vise à compléter plus d'une décennie de coupures budgétaires en détruisant de façon systématique ce qui reste des programmes sociaux, bien que ceux-ci constituent, pour une couche importante de la population, le dernier rempart contre la pauvreté absolue.

Ayant pressenti l'impact dévastateur d'une telle politique, des dizaines de milliers de travailleurs du secteur public ont voté contre l'entente sanctionnant l'abolition de milliers d'emplois. En automne dernier, c'était les étudiants du cégep qui avaient lancé un mouvement de grèves de plusieurs semaines pour protester contre la destruction progressive du réseau de l'éducation sous le coup des compressions budgétaires.

Malgré cette forte opposition populaire, le gouvernement Bouchard a été capable d'imposer son agenda anti-social. Pourquoi?

 

Le rôle des centrales syndicales

 

La demande gouvernementale initiale consistait en une coupure salariale de 6% touchant tous les employés de l'État et financée par les surplus des caisses de retraite. Mais cette demande a provoqué la colère des membres de la base. Craignant de voir un mouvement de grèves se développer, les dirigeants syndicaux ont cherché une autre façon d'imposer les coupures exigées par Québec.

Les Gérald Larose, Clément Godbout, Lorraine Pagé et cie ont alors proposé au gouvernement d'éliminer 15 000 postes au moyen de retraites anticipées. Bouchard a immédiatement accepté cette proposition en notant qu'elle menait à des économies permanentes. La proposition syndicale servait aussi à diviser les travailleurs, car les retraites anticipées avantageuses des travailleurs plus âgés seraient financées à même les caisses de retraite communes.

Ainsi, dès le début des « négociations », loin de défendre leurs membres, le réseau des services publics et les droits des usagers, les dirigeants syndicaux ont embrassé les objectifs budgétaires du gouvernement. Ils ont ramené devant leurs membres des propositions qui avaient déjà été rejetées, qualifiant de gains des coupures pires encore que ce que le gouvernement demandait. « Nous avons répondu aux exigences comptables et à la menace d'une décote », a affirmé Larose après la signature de l'entente.

En d'autres mots, les travailleurs ne font pas simplement face à un ennemi extérieur -- le patronat et le gouvernement -- mais aussi à un ennemi intérieur: leurs propres dirigeants syndicaux, qui se sont intégrés à l'appareil gouvernemental et qui participent au démembrement de l'État-Providence. Voilà ce qui explique en partie pourquoi le gouvernement péquiste a pu, en dépit d'une forte opposition populaire, refaire aux travailleurs le coup de 1982-83, dans le contexte d'une crise sociale encore plus profonde.

 

Une nouvelle orientation politique est nécessaire

 

Mais ce n'est qu'un aspect du problème. Après tout, cela fait maintenant près de quinze ans que les dirigeants syndicaux mènent les travailleurs d'une défaite à l'autre. Ils sont maintenant discrédités aux yeux d'une grande partie des membres de la base, qui considèrent, non sans raison, que leurs cotisations devraient servir à défendre leurs intérêts, et non à couvrir les frais d'une bureaucratie privilégiée. Pour l'immense majorité des travailleurs non-syndiqués, par ailleurs, les syndicats ne sont rien de plus qu'une grosse « business ».

La colère justifiée des membres de la base et des travailleurs non-syndiqués à l'endroit des bureaucrates syndicaux, si elle reste à un niveau purement empirique, ne peut toutefois mener qu'à un sentiment d'impuissance. Elle doit plutôt devenir le point de départ d'une étude approfondie, à la fois des conditions historiques et des points de vue politiques, qui ont mené à la transformation des syndicats en agences du patronat et du gouvernement.

Un tel bilan doit servir à l'élaboration d'une nouvelle stratégie permettant aux travailleurs, aux chômeurs et aux jeunes de faire face et de riposter à l'assaut tous azimuts de la classe dirigeante sur les emplois, les salaires et les services publics les plus élémentaires.

 

Le marché et la nouvelle politique sociale

 

Le premier ministre Lucien Bouchard défend la politique de son gouvernement en disant qu'il faut rassurer les marchés financiers par « l'assainissement des finances publiques ».

Bouchard emploie les mêmes mots pour emprunter la même voie que ses confrères d'Ottawa et des autres provinces: le libéral Jean Chrétien a réduit de façon drastique les transferts aux provinces et les allocations de chômage; le conservateur Mike Harris en Ontario aura coupé d'ici 1998 près de $8 milliards ou 15 p. cent des dépenses sociales de sa province; le social-démocrate Glen Clark en Colombie-Britannique a, quant à lui, supprimé des milliers d'emplois dans la fonction publique.

Ainsi, peu importe le palier de gouvernement ou l'étiquette politique, c'est la même stratégie de classe qui est appliquée à travers le Canada et à l'échelle internationale. La logique du marché capitaliste signifie aujourd'hui que la moindre déduction sur les profits, en particulier sous la forme de taxes qui assurent une viabilité financière aux programmes sociaux, est jugée inacceptable.

Dans la lutte pour les profits, les compagnies « rentables » sont celles qui réussissent à exploiter la main-d'oeuvre la moins chère sur le marché mondial et à bénéficier des avantages fiscaux offerts par les gouvernements. Sous la pression de la compétition internationale, la classe capitaliste dans tous les coins du monde doit réajuster continuellement ses rapports avec la classe ouvrière, exigeant toujours plus de concessions et détruisant les minces filets de sécurité sociale qui existaient encore.

Ainsi, dans les pays capitalistes avancés, les gouvernements sont en train d'imposer une contre-révolution dans la politique sociale. Au Québec, les deux sommets socio-économiques, tenus en mars et en octobre 1996, et réunissant le gouvernement, le patronat, les syndicats et les groupes communautaires, ont établi le cadre politique de cette nouvelle offensive contre la classe ouvrière. Le principal résultat de ces sommets a été une entente formelle entre tous les « partenaires » portant sur l'objectif du « déficit zéro » pour l'an 2000, soit l'imposition de coupures totalisant $6 milliards ou 15% des dépenses de programme du gouvernement québécois.

L'imposition de cet agenda de guerre de classe s'est faite à un rythme sans précédent, l'étape la plus récente étant l'abolition conjointe par le gouvernement et les centrales syndicales de plus de 12 000 postes dans les hôpitaux, les écoles et les cégeps. Une liste partielle des coupures effectuées indique l'ampleur de l'assaut en cours:

* De 1995 à l'an 2000, $2,5 milliards (ou 20 p. cent du budget) auront été coupés dans le réseau de la santé, entraînant la fermeture de neuf hôpitaux rien qu'à Montréal; l'introduction de l'assurance-médicaments va coûter $200 millions de plus par année aux personnes âgées et aux assistés sociaux pour leurs prescriptions.

* Dans l'éducation, $600 millions ou 10 p. cent du budget ont été éliminées depuis 1989. Depuis 1990, les frais de scolarités universitaires ont augmenté de 350%; le gouvernement péquiste a doublé ces frais pour les étudiants étrangers et hors-province, et introduit des resserrements dans les prêts et bourses.

* Dans l'aide sociale, $400 millions ont été coupés depuis deux ans et le travail obligatoire a été imposé aux jeunes assistés sociaux, qui seront maintenant forcés d'accepter des emplois de « cheap labor ».

 

La transformation des syndicats et le nationalisme

 

Les syndicats sont historiquement basés sur la lutte pour améliorer les conditions de travail dans le cadre du système de profit. Durant l'époque du boum économique de l'après-guerre, les travailleurs ont pu faire certains gains matériels sur cette base. Dans les pays capitalistes avancés, la classe dirigeante pouvait se permettre d'acheter la paix sociale au moyen de concessions sous la forme de salaires plus élevés et d'avantages sociaux. Mais la révolution informatique et la création d'un marché international du travail au cours des deux dernières décennies a définitivement mis fin à l'époque du syndicalisme en tant que perspective de lutte.

La réponse de la bureaucratie syndicale a été de chercher à défendre sa position sociale privilégiée en transformant les syndicats, d'instruments pour la défense des intérêts économiques immédiats des travailleurs, en instruments pour imposer l'agenda anti-social de la classe dirigeante.

On peut retracer les grandes étapes de ce processus dans le cas des travailleurs du secteur public, qui ont constitué dans les années 60 et 70 la couche la plus militante de la classe ouvrière au Québec. Les syndicats étaient alors associés à l'établissement d'un État-Providence moderne au Québec, en particulier à la mise sur pied d'un réseau public de la santé et de l'éducation.

La grève du secteur public de 1972 a cependant marqué un tournant dans la politique des chefs syndicaux. Ce puissant mouvement de la classe ouvrière avait soulevé la question fondamentale suivante: qui devait prendre les décisions politiques, et au nom de quels intérêts de classe? Il n'était nullement question pour les dirigeants syndicaux de remettre en question l'ordre capitaliste. Ils ont plutôt travaillé à détourner ce puissant mouvement -- qui faisait partie d'un soulèvement international des travailleurs symbolisé par la grève générale de mai 68 en France -- derrière la perspective nationaliste du Parti Québécois.

En dépit de son « préjugé favorable envers les travailleurs » et des concessions accordées lors de son premier mandat à la fin des années 70, le PQ a toujours représenté une section de la classe capitaliste québécoise. Par son appel nationaliste à des couches de la classe moyenne et à certaines sections des travailleurs, le PQ a cherché à renforcer sa position de classe aux dépens de la bourgeoisie canadienne-anglaise. Son « Maîtres chez nous » signifiait que des hommes d'affaires et des gestionnaires québécois devaient remplacer leurs homologues canadiens-anglais. Rien de plus.

Le rôle des syndicats, avec l'appui vital d'innombrables organisations de la petite-bourgeoisie de « gauche », a été de camoufler la véritable nature de classe du PQ et de présenter celui-ci comme le représentant de tous les Québécois, « toutes classes confondues ». Cette fraude a été démasquée lors du second mandat du PQ qui a coïncidé avec la récession de 1982 et qui a vu ce dernier rouvrir les conventions collectives dans le secteur public et décréter des coupures salariales de 20 p. cent. (Fait à noter, le ministre des Finances du gouvernement Lévesque à l'époque était Jacques Parizeau, et son négociateur en chef dans le secteur public, Lucien Bouchard.)

Les travailleurs ont réagi en se retournant contre ce parti qui avait tant abusé de leur confiance et manipulé leurs espérances, ce qui a mené à la défaite électorale du PQ dans les élections de 1984 et à sa quasi-extinction. Mais -- et c'est là le problème politique fondamental de la classe ouvrière -- le même vote qui chassait Lévesque du pouvoir faisait rentrer celui-là même qui avait été renversé par le soulèvement ouvrier des années 70, à savoir Robert Bourassa.

Là encore, la bureaucratie syndicale a joué un rôle-clé pour empêcher les travailleurs de tirer les leçons politiques de la débâcle qu'a entraînée la subordination du mouvement ouvrier à un parti capitaliste sur la base d'une perspective nationaliste. Alors que cette expérience douloureuse soulevait directement la nécessité pour les travailleurs de s'organiser comme une force politique indépendante, les chefs syndicaux tiraient la conclusion opposée qu'il fallait s'intégrer davantage à l'ordre capitaliste.

Ainsi, au début des années 80, les bureaucrates de la FTQ lançaient, avec le soutien financier du gouvernement, le Fonds de Solidarité, qui utilise les épargnes des travailleurs pour aider des compagnies en difficulté. Lors de la création du Fonds de Solidarité, le président de la FTQ à l'époque, Louis Laberge, a déclaré que c'était une mesure plus « révolutionnaire » que la création d'un parti ouvrier. En d'autres mots, la bureaucratie syndicale avait déjà pris clairement conscience qu'elle représentait une couche sociale distincte, privilégiée, dont les intérêts étaient opposés à ceux des membres de la base et coïncidaient plutôt avec ceux de la classe capitaliste.

Après le coup subi en 1982, il a fallu sept ans aux travailleurs du secteur public pour relancer la lutte: en automne 89, en pleine campagne électorale, ils défiaient les lois anti-syndicales mises en place sous Bourassa et lançaient un vaste mouvement de débrayages. Mais, invoquant la nécessité de rétablir la « paix sociale », la bureaucratie syndicale a été en mesure de torpiller ce mouvement. (Deux des principaux dirigeants syndicaux de l'époque, Diane Lavallée de la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec, et Monique Simard, de la Fédération des affaires sociales, devaient par la suite devenir des candidats-vedettes d'un PQ ressuscité, lors des élections provinciales de 1993.)

Depuis l'explosion de 1989, les travailleurs du secteur public ont subi une série de gels de salaires, de compressions budgétaires et de coupures de postes, d'abord sous le gouvernement Bourassa réélu, puis de façon intensifiée sous Parizeau, et enfin, à un niveau sans précédent, sous Bouchard. Celui-ci a été en mesure de refaire à 450 000 travailleurs le même coup que 15 ans plus tôt. En dernière analyse, c'est le prix que paie la classe ouvrière pour n'avoir pas tiré à temps les leçons de 1982. Il ne faut pas que cela se reproduise. La récente et amère expérience de 1997 doit être assimilée.

Les chefs syndicaux forment une couche sociale privilégiée vouée à la défense du système de profit et participant à l'assaut continuel sur les intérêts élémentaires des travailleurs. Leur perspective nationaliste sert à subordonner politiquement les travailleurs à la classe capitaliste, au nom de critères abstraits comme la langue, et à diviser les travailleurs du Québec de leurs frères de classe du Canada anglais. Leur appui au PQ et à son programme séparatiste vise à jeter le blâme de la crise socio-économique sur « le fédéral » dans le but de cacher le véritable problème, à savoir le système capitaliste lui-même.

 

Une nouvelle perspective de lutte

 

Les travailleurs et les jeunes ne pourront pas faire un pas de l'avant tant qu'ils n'auront pas consciemment rejeté le poison du nationalisme québécois pour s'orienter sur la voie de la lutte politique indépendante. Ils doivent se tourner vers leurs frères et soeurs de classe du Canada anglais, des États-Unis et d'ailleurs dans le monde dans une lutte commune contre la véritable source du chômage et de la pauvreté: le système capitaliste.

Les gouvernements capitalistes se cachent derrière l'argument qu'il n'y a pas d'argent pour les besoins sociaux. C'est un mensonge flagrant. Il y a beaucoup plus de ressources aujourd'hui qu'il y a 30 ou 40 ans. Les progrès technologiques ont énormément augmenté la productivité du travail. Mais à cause de la propriété privée, la masse accrue de richesses n'est pas répartie dans la société en général.

Au Québec, comme à l'échelle internationale, il existe un large fossé entre les besoins du monde ordinaire et les milieux de la politique officielle. La classe dirigeante agit non pas en fonction de considérations morales, mais sur la base d'une défense énergique de ses intérêts économiques. Pour la classe ouvrière, c'est l'opposé, elle a actuellement une direction qui lui ment et qui lui cache ses véritables intérêts.

Les travailleurs ont des intérêts de classe inconciliables avec ceux de la classe dirigeante. La question fondamentale est la suivante: quelle classe va contrôler les leviers économiques de la société? Qui va prendre les décisions qui vont affecter des millions de gens? Les banques, les corporations transnationales, les détenteurs de vastes capitaux, ou la vaste majorité de la population qui produit, par son travail, les richesses de la société? Quels intérêts sont prioritaires? Les profits des corporations ou les besoins des gens ordinaires pour des emplois décents, des services de santé et un système d'éducation accessibles et de qualité?

Ces grandes questions, auxquelles les travailleurs font face, convergent vers une seule, la nécessité de construire un parti politique luttant pour l'établissement d'un gouvernement démocratique des travailleurs. Un tel gouvernement prendrait les mesures nécessaires pour la réorganisation de la vie économique et sociale en fonction des intérêts prioritaires de la population en général.

Voilà pour quoi lutte le Parti de l'égalité socialiste. Tous ceux qui cherchent une voie pour lutter contre les attaques de la grande entreprise et de ses partis politiques, ainsi qu'une alternative à la faillite de la politique de la bureaucratie syndicale, devraient considérer soigneusement ces questions, étudier notre programme et prendre la décision d'adhérer à notre parti.

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