Retour vers l'index

La crise du verglas: désastre naturel ?

 

La tempête de verglas qui a frappé une grande partie du Québec, du sud de l'Ontario et une partie des États-Unis soulève des questions importantes.

Le verglas aura causé 22 morts à l'échelle du Québec sans compter les gens qui sont morts en tombant de leurs toits durant le déglaçage. 1000 pilonnes électriques sont tombés ainsi que 24000 poteaux de bois, 120 lignes de transports ont été endommagées. 12 000 soldat ont été mobilisés, le plus important déploiement militaire en tant de paix de l'histoire du Canada. 3 millions de personnes ont été en panne simultanément à un certain moment donné. Des dizaines de milliers de personnes ont été privées de courant durant plus d'un mois. 454 centres d'hébergement se sont ouverts recevant, dans des conditions souvent lamentables, des centaines de milliers de personnes sinistrées. Les hôpitaux ont été submergés, les médecins et les infirmières littéralement débordés.

Des milliers de personnes ont perdu plusieurs semaines d'emploi, entraînant une hausse de 250% de demande de chômage. Le gouvernement du Québec leur a offert un maigre dix dollars par jour de compensations et le gouvernement fédéral refuse de lever la pénalité des deux premières semaines pour les demandes d'assurance-emploi.

Ce n'est pas la premières fois que le verglas est à l'origine d'une crise: c'est déjà arrivé en 1943 et en 1961. De plus, l'an dernier, dans l'Anaudière et au Labrador, deux tempêtes de verglas (avec des précipitations respectives de 50 mm et de 55 mm) ont provoqué des dommages importants et privé des milliers de personnes d'électricité. La tempête de cette année aura duré 5 jours et laissé entre 50 et 90 mm de verglas.Comment se fait-il qu'une tempête de verglas puisse avoir des conséquences aussi dramatiques ? Était-ce un phénomène naturel, un « act of god » imprévisible, contre lequel la science et la technologie moderne ne peuvent rien, comme le prétendent le gouvernement et la direction d'Hydro-Québec ? Ou bien s'agit-il plutôt des effets combinés de la pollution globale, elle-même causée par l'anarchie du système capitaliste, et de la politique de coupures de tous les paliers de gouvernement autour de leur objectif commun du « déficit zéro » ?

La réponse du gouvernement à la crise

La réponse du gouvernement Bouchard a consisté comme d'habitude à rejeter le blâme sur quelqu'un d'autre, dans ce cas-ci, la nature, dans le cas de la crise du système de santé, la direction des hôpitaux, les médecins, les infirmières ou encore le personnel de soutien. En règle générale, le gouvernement fédéral est responsable d'une manière ou d'une autre, pour toutes et chacune de ces crises. La politique socio-économique du gouvernement québécois -- qui ne diffère en rien de celle appliquée par les autres provinces et par Ottawa -- n'est jamais en cause. En quoi consiste-t-elle cependant?

C'est une politique de démantèlement de ce qui reste de l'État-providence . La santé, l'éducation, le sécurité du revenu, les services publics, l'emploi, tout est passé sous le rouleau destructeur des compressions budgétaires. À Hydro-Québec, la même politique de coupures et de rationalisation est appliquée, dans un contexte où la sociéte d'état cherche à se repositionner dans la nouvelle réalité économique mondiale.

La nationalisation de l'hydroélectricité a été utilisée par la bourgeoisie francophone du Québec pour renforcer sa position économique et politique par rapport à ses rivaux dans le reste du Canada et en Amérique du Nord. Durant les années soixante-dix, le gouvernement du Québec a lancé un vaste programme pour remplacer les systèmes de chauffages au mazout par des systèmes électriques. Aujourd'hui, 70 % de la population chauffe à l'électricité, alors qu'avant les années soixante-dix, 70 % de la population chauffait au mazout. Cette dépendance à l'électricité a assuré à Hydro une clientèle payante qui lui permettait d'offrir de l'électricité en bas des coûts de production aux grandes compagnies québécoises de pâtes et papier et d'aluminium.

Aujourd'hui, ce type de politique, axé sur le développement du marché national, n'est plus possible et est dépassée par la globalisation des marchés et de la production. Le monde est dominé par les marchés financiers et les centaines de milliards de dollars qu'ils déplacent chaque jour d'une région à l'autre du globe à la recherche des meilleurs rendements. Le capital financier global contrôle la dette du gouvernement, dont la tâche consiste désormais à puiser jusqu'au dernier sou des poches de la population pour couvrir les intérèts. Sinon, sa cote de crédit baisse et l'argent est retiré pour être placé ailleurs, mettant pratiquement l'État en faillite. La classe dirigeante a aussi besoin de ces capitaux, le nerf de la guerre, pour financer ces opérations et sa lutte pour conquérir de nouveaux marchés.

La recherche des profits maximum le plus vite possible mène à une politique de coupures drastiques dans les dépenses, sans égard pour les conséquences sur la sécurité de la population. Selon Louis Champagne, président du syndicat professionnel des ingénieurs d'Hydro-Québec, le niveau d'entretien du réseau était inadéquat, ce qui a été un facteur aggravant de la crise. Hydro a procédé à de nombreuses coupures depuis quelques années et l'argent destiné à l'entretien du réseau a été dirigé vers le développement de la capacité exportatrice de la société. Selon Jacques Ruelland, du mouvement Au courant, et professeur à l'UQAM, les orientations d'Hydro-Québec ont changé depuis quelques années: « désormais, Hydro visera la rentabilité. Mais est-elle là pour vendre de l'électricité au américains ou pour faire un réseau fiable ? ».

rentabilité vs besoins sociaux

Le vrai problème ne se pose pas en fait en termes de fiabilité versus exportation. Pour satisfaire un marché national aussi bien qu'international, un réseau fiable est tout aussi nécessaire. Hydro-Québec doit rentabiliser ces opérations pour financer le déficit du gouvernement. Cette année 500 millions ont été versés dans les coffres du gouvernement pour aller au service de la dette. La crise aura coûté plus d'un milliard de dollars, mais le ministre Landry a affirmé que l'objectif du déficit zéro n'était pas remis en question. Pour l'atteindre et à cause des coûts liés au verglas, de nouvelles compressions seront nécessaires, a-t-il déclaré. La fiabilité du réseau électrique est menacée parce que le marché exige des profits maximum dans les délais les plus courts, peu importe les effets cumulatifs sur la santé du réseau lui-même et la sécurité de toute une population. C'est la raison pour laquelle, le gouvernement Bouchard a été si anxieux d'annoncer et d'adopter le plus vite possible le « plan d'urgence» d'Hydro -- des investissements massifs largement orientés vers l'exportation -- alors que la crise du verglas n'était même pas encore terminée et que des milliers de personnes étaient toujours dans le noir. André Caillé le P.D.G. d'Hydro-Québec déclarait à la Presse : « Adopter le plan était la meilleure réponse à donner aux marchés financiers internationaux. Il fallait dire à nos partenaires que, malgré le verglas, on va de l'avant. L'incertitude risquait de nous faire perdre des millions de dollars. »

Le gouvernement a profité de la crise pour pousser encore plus loin dans ce sens. En donnant comme excuse l'effondrement du réseau et l'urgence de le rebâtir, le PQ a adopté par une série de décrets le plan d'urgence préparé par la direction d'Hydro-Québec. Ce plan quinquennal d'Hydro-Québec, (1998-2002) totalise des investissements de 13 milliards d'ici l'an 2002. Le PQ a sauté par dessus la procédure normale des audiences devant le BAPE (Bureau d'audiences publiques pour l'environnement) et l'étude par la Régie de l'énergie, et il a repoussé la commission parlementaire. Ce plan est entièrement orienté vers l'augmentation de la production pour l'exportation. Sur les 13 milliards, 500 millions sont réservés pour la reconstruction. Bouchard n'a même pas tenté de nier ce fait. Il a déclaré en entrevue : « C'est très pertinent de développer le Québec et l'emploi. On doit miser sur nos forces et l'une d'elles, c'est Hydro. C'est même une carte maîtresse dans notre jeu. »

En plus de la reconstruction de ce qui a été détruit par le verglas, les décrets prévoient 3 interconnections ( branchement entre deux réseaux distincts) avec le réseau américain et une avec le réseau ontarien pour augmenter de près de 25% les ventes d'électricité sur l'ensemble de son marché. Les ventes hors Québec vont augmenter de 40% en cinq ans.

De nouvelles rivières vont être détournées, la central Saint-Margueritte va reprendre du service et un programme d'approvisionnement d'électricité thermique va être élaboré.

La société entend doubler son bénéfice net à 1,8 milliard dans cinq ans, augmenter le rendement ( la productivité ) sur l'avoir propre de 6 à 11,5 % et verser plus de 3,3 milliards de dividendes au gouvernement.

Dans tout ce programme très peu est prévu pour éviter une autre catastrophe du genre causé par les « forces naturelles». Il n'y aura aucun enfouissement de ligne, en fait les seuls changements sont l'insertion de pilonnes antidominos pour éviter les effondrement de lignes complètes de transports, et la construction de nouvelles lignes pour « boucler » le réseau autour de Montréal. La construction de ces lignes avait été rejeté par le BAPE il y a quelques années à moins qu'elle ne soient enfouies.

Technologie et organisation sociale

Le fait est que la « crise du verglas » n'est pas une catastrophe naturelle. Les impacts dévastateurs d'une tempête, voire d'un tremblement de terre, sur une société technologiquement aussi avancée que la nôtre ne peuvent pas être mis sur le compte de la nature. La tempête de verglas n'est pas aussi « naturelle » qu'elle ne semble. Les scientifiques ont établi que les gaz à effet de serre, produits par l'utilisation d'huile, de charbon et de gaz comme source d'énergie dans l'industrie capitaliste, menace la planète de changements climatiques catastrophiques. Il est plus que vraisemblable que les précipitations de verglas des dernières années soit l'une des conséquences de ces dérèglements climatiques.

La planète est entourée de satellites d'observation scientifique qui scrutent chaque déplacement d'air et variation de température. Bien qu'il y ait un élément d'imprévisibilité dans les phénomènes naturels, la science et la technologie nous permettent de nous préparer et de minimiser les conséquences de ces manifestations.

Le problème n'est pas dans l'insuffisance technologique ou scientifique mais dans l'organisation capitaliste de la société , un régime antidémocratique, entièrement orienté, socialement et politiquement, vers la production de profits pour une infime minorité de personnes et de corporations

S'il est une leçon qui doit être tirée de cette crise c'est le fait que les intérêts privés d'une minorité de la population, les banques, les gestionnaires de portefeuilles et les grands clients d'Hydro, que le gouvernement sert et a voulu rassurer en adoptant les récents décrets, prime sur la vie et la sécurité de la grande et vaste majorité de la population.

La mise en place et l'exploitation des services publics, tant pour le réseau de distribution et de production d'électricité que pour le réseau de la santé, l'éducation et l'emploi, nécessite une participation active et démocratique de la population, des scientifiques et des spécialistes dans chaque domaine avec pour objectif commun, les intérêts et le mieux-être de la population en général.

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés