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Deng Xiaoping et le sort de la révolution chinoise

 

Tiré de l'International Workers Bulletin

 

Bien que le décès de Deng Xiaoping ait entraîné toute une série d'hommages posthumes, pas un seul média n'est allé au-delà de banalités sur celui qui, tout en encourageant le développement capitaliste en Chine, n'a jamais cessé de supprimer toute opposition politique. En fait, la couverture médiatique portait principalement sur les préoccupations des investisseurs soucieux de savoir si leur argent était toujours en sécurité en Chine maintenant que Deng est mort.

Des questions sérieuses sont néanmoins soulevées lorsque l'on se penche sur la carrièreet le passé de Deng Xiaoping. Comment pourrait-il en être autrement d'un homme qui adirigé la nation la plus populeuse au monde pendant près d'une génération et dont lacarrière politique est liée à la montée et à la chute d'une des plus grandes révolutions sociales des temps modernes ?

Pour évaluer le rôle de Deng Xiaoping, il est nécessaire d'étudier le cours de la Révolution chinoise et son rapport avec les problèmes stratégiques de la lutte pour le socialisme auXXe siècle : La Révolution russe a-t-elle montré la voie de sortie de l'impasse du capitalisme ? Quelle classe, ouvrière ou paysanne, constitue une force sociale capable d'établir une nouvelle société ? Y-a-t-il une voie nationale vers le socialisme ? Et enfin, quel est le rôle de la direction révolutionnaire dans une telle transformation ?

Fils aîné d'un petit propriétaire foncier prospère de la province du Sichuan, Deng Xiaoping est né en 1904. Il faisait partie d'une génération extraordinaire d'intellectuels révolutionnaires qui vint à maturité en Chine après l'effondrement de la dynastie mandchoue en 1911. Après sa défaite infligée par la Grande-Bretagne dans la guerre de l'opium de 1839-42, l'empire chinois s'était engagé sur la voie du déclin final, aux prises avec la stagnation économique, la guerre civile et la prostration devant les demandes des puissances impérialistes rivales. Ainsi, le plus humiliant symbole de sa faiblesse fut la perte de contrôle de parties de son territoire octroyées sous formes de concessions à la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, les États-Unis et autres puissances impérialistes. Des quartiers entiers de villes telles Shangai, Tianjin et Dalian, et des enclaves entières comme Hong Kong, furent cédées aux puissances étrangères qui régnèrent sur la force de police et l'appareil judiciaire chinois.

La Chine se désintégra littéralement avec le renversement de la dynastie mandchoue en 1911. Des dirigeants militaires rivaux se proclamèrent seigneurs de la guerre dans les diverses régions. À la chute de l'empire, Sun Yat-sen, fondateur du parti nationaliste Guomindang, proclama la république démocratique bourgeoise à Beijing. Mais il fut vite chassé par le seigneur de la guerre local, Yuan Shi-Kai, et trouva refuge dans la province de Guangdong en Chine méridionale.

La classe capitaliste chinoise ne pouvait effectuer les tâches de la révolution démocratique bourgeoise en Chine, soit l'émancipation de la paysannerie soumise à la tutelle de la classe semiféodale des grands propriétaires fonciers issus de la petite noblesse, l'unification du pays face à la domination des seigneurs de la guerre et la libération de la Chine de la domination impérialiste. Pourquoi ? Parce qu'elle était liée économiquement aux grands propriétaires fonciers, à la petite noblesse et aux puissances impérialistes pour laquelle elle servait d'intermédiaire. Conséquemment, elle était donc incapable de jouer quelque rôle révolutionnaire indépendant.

 

Le marxisme et la Révolution chinoise

 

En 1919, un mouvement révolutionnaire populaire éclata en Chine. L'élément déclencheur en fut la conférence de Versailles où les puissances impérialistes avaient décidé, suite à la Première Guerre mondiale, que les concessions accordées par l'empire chinois à l'Allemagne, comprenant notamment toute la péninsule de Shandong, devaient être cédées au Japon, l'un des alliés victorieux. En réaction, des dizaines de milliers d'étudiants participèrent à une manifestation antijaponaise sur la place Tian Anmen le 4 mai 1919, déclenchant ainsi une vague de protestations et un boycott des produits japonais qui s'étendirent rapidement dans tout le pays.

Les jeunes les plus résolus et les plus critiques trouvaient leur inspiration dans l'exemple de la Révolution russe de 1917. Exactement comme en Chine, la bourgeoisie russe s'était avérée incapable d'accomplir les tâches de la révolution démocratique bourgeoise, soit la destruction du tsarisme et l'émancipation de la paysannerie de l'oppression semiféodale. Ces tâches échurent plutôt à la classe ouvrière du pays qui renversa l'autocratie tsariste lors de la révolution de février 1917, pour ensuite prendre le pouvoir en octobre 1917 sous la direction du Parti bolchevik alors dirigé par Lénine et Trotsky. C'est pourquoi la nouvelle jeunesse révolutionnaire chinoise se tourna vers la classe ouvrière embryonnaire qui avait joué un rôle proéminent lors des protestations antijaponaises.

Le développement industriel chinois se fit en l'absence de compétition étrangère, et remontait aux débuts de la Première Guerre mondiale, alors que les usines s'étaient multipliées pour répondre aux commandes de guerre. Le Parti Communiste Chinois (PCC) fut fondé en 1920 sous la direction de Chen Du-xiu qui devait plus tard diriger l'Opposition de gauche et fonder la section chinoise du mouvement trotskyste mondial. Le PCC se développa rapidement et devint le principal parti du prolétariat chinois.

C'est à la même époque que le jeune Deng Xiaoping arriva en France en 1921 à l'âge de 17 ans, en même temps qu'un groupe de plusieurs milliers de jeunes Chinois envoyés dans les usines françaises pour y travailler et y recevoir une formation technique. La Chine était alors le théâtre d'un enthousiasme populaire pour l'adoption de méthodes plus avancées qui devaient lui permettre de rattraper l'Occident.

Mais la théorie d'avant-garde qui attira Deng Xiaoping fut le marxisme des débuts de l'Internationale Communiste. C'est ainsi qu'il rejoignit très tôt l'organisation des étudiants communistes chinois en France, dont l'un des leaders était Chou en-lai. Deng fut un organisateur capable, évitant la surveillance policière et l'arrestation jusqu'à ce qu'il quitte le pays en 1925 pour Moscou, ville où il étudia pendant une année et demie à l'Université Sun Yat-sen sous les auspices de l'Internationale communiste.

Le Komintern était alors déchiré par un débat orageux à propos de la question chinoise. La faction dirigée par Staline rejetait les leçons les plus fondamentales de 1917 et embrassait la théorie menchevik de la révolution en deux étapes. Elle affirmait que la classe ouvrière chinoise devait d'abord appuyer sa bourgeoisie nationale dans la lutte pour un capitalisme chinois indépendant avant de pouvoir aspirer au pouvoir pour elle même. La tactique qui découlait de cette stratégie était la subordination du PCC au parti Guomindang bourgeois qui était maintenant dirigé pat Chiang Kai-shek.

Le PCC fut donc intégré au Guomindang et forcé d'accepter la discipline de ce parti capitaliste tandis que Chiang Kai-shek était élu au comité exécutif du Komintern, le seul vote d'opposition étant celui de Trotsky. Il fut ainsi interdit au PCC de présenter des politiques sociales radicales telles que la réforme agraire et le contrôle ouvrier sur l'industrie, car une telle attitude menacerait l'alliance avec la bourgeoisie nationale que Staline qualifiait de « progressiste ».

Trotsky et l'Opposition de gauche luttèrent pour la mobilisation indépendante de la classe ouvrière en Chine. Ils soutenaient que la tâche du PCC n'était pas d'être à la remorque du Guomindang, mais bien de diriger le prolétariat chinois, et par la même occasion, la paysannerie qui se dénombrait par millions, afin de renverser le capitalisme et le latifundisme et ainsi prendre le pouvoir. Trotsky rejetait l'affirmation selon laquelle la Chine étant un pays opprimé, l'antagonisme de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat était mitigée.

« La lutte révolutionnaire contre l'impérialisme n'affaiblit pas, mais renforce la différentiation politique des classes, écrivait Trotsky. L'impérialisme constitue une force très puissante dans les relations intérieures de la Chine. La source principale de cette force n'est pas constituée par les canonnières du Yang Tse-Kiang (Yangzi, n.d.t.), qui ne sont que ses auxiliaires, mais bien le lien économique et politique présent entre le capital étranger et la bourgeoisie nationale.» (Problèmes de la révolution chinoise).

 

La perspective de la révolution permanente

 

Dans sa théorie de la révolution permanente, Trotsky soutient que dans les pays au développement capitaliste retardataire, les tâches de la révolution démocratique bourgeoise, soit la question agraire, l'unification nationale et l'indépendance à l'endroit de l'impérialisme, ne peuvent pas être accomplies par la bourgeoisie. L'attitude de cette dernière quant à ces tâches est déterminée par les liens étroits qu'elle entretient avec l'impérialisme et les grands propriétaires fonciers d'un côté, et sa peur du prolétariat de l'autre. Tout comme en Russie, la paysannerie chinoise vastement majoritaire, était organiquement incapable de jouer un rôle indépendant. Couche sociale intermédiaire enracinée dans la petite propriété et divisée en son sein en diverses couches nanties ou opprimées, la paysannerie ne peut que se soumettre à la direction de l'une des deux autres classes. Ainsi, le rôle dominant dans la révolution démocratique bourgeoise revient à la classe ouvrière qui mobilise la paysannerie derrière elle afin d'instaurer la dictature du prolétariat. Mais une fois engagée sur cette voie, la classe ouvrière ne peut se limiter aux tâches démocratiques : amenée à défier la propriété bourgeoise, elle insuffle alors un caractère ouvertement socialiste à la révolution démocratique.

Toutefois, la « permanence » de la révolution revêtait également un autre sens. Une révolution prolétarienne en Chine, comme ce fut le cas en Russie auparavant, aurait un impact mondial et créerait des conditions beaucoup plus favorables pour les luttes révolutionnaires des travailleurs des pays capitalistes avancés d'Europe et d'Amérique. Comme Lénine, Trotsky insista sur le fait que la construction du socialisme était impossible dans le cadre d'un État-nation isolé, et encore plus s'il était économiquement arriéré comme la Russie. Bref, le socialisme ne pouvait s'accomplir que par le prolongement de la révolution socialiste à l'échelle mondiale.

Staline rejeta néanmoins la perspective de la révolution socialiste mondiale. En prônant sa théorie conservatrice et antimarxiste de la construction du « socialisme dans un seul pays », il articulait en fait les intérêts d'une strate bureaucratique qui se développait en Union Soviétique. Selon cette théorie, la construction du socialisme en URSS ne dépendait plus de la prise du pouvoir par les travailleurs dans les pays capitalistes avancés. Elle se réaliserait plutôt par la simple mobilisation des ressources internes de l'URSS.

Sous l'influence de cette perspective rétrograde, le rôle de l'Internationale communiste connut une transformation fondamentale qui eut des répercussions catastrophiques pour la classe ouvrière à l'échelle mondiale. La faction stalinienne maintenait que la construction du socialisme en Union Soviétique isolée et économiquement arriérée était possible en autant que les impérialistes n'interviennent pas militairement. Dorénavant, les jeunes partis communistes ne devaient donc plus s'orienter vers la conduite de la lutte révolutionnaire pour le socialisme. Ils devaient plutôt conclure des alliances avec les partis et régimes bourgeois supposés « progressistes » ou sinon exercer des pressions sur les plus « réactionnaires » pour qu'ils en viennent à conclure des ententes avec l'URSS.

Alors que le Komintern, sous la direction de Staline, se solidarisait au Guomindang bourgeois en Chine, une politique similaire était élaborée en Grande-Bretagne où une alliance forgée avec la bureaucratie du Trade Union Congress allait déboucher sur la trahison de la grève générale de 1926 dans ce pays. De la même façon, le Kremlin tenta de subordonner le Parti communiste yougoslave aux diverses forces nationalistes de droite en Yougoslavie.

Entre 1925 et 1927, l'alliance du PCC avec le Guomindang semblait couronnée de succès, tandis que Chiang Kai-shek consolidait ses positions en Chine méridionale avant de préparer puis de lancer l'expédition du nord pour reconquérir le reste du pays toujours entre les mains des seigneurs de la guerre. Mais Trotsky dénonça la politique pratiquée par Staline en Chine en affirmant qu'elle menait le prolétariat chinois directement dans un piège mortel. Sa mise en garde se confirma de façon tragique en avril 1927 lorsque les troupes de Chiang Kai-shek perpétrèrent l'un des massacres les plus sanglants de l'histoire au cours duquel 20 000 travailleurs périrent à Shangai. D'autres massacres suivirent dans d'autres villes, notamment à Wuhan, et entraînèrent l'insurrection communiste de Guangzhou (Canton) qui se solda par un échec. La base urbaine du PCC ainsi écrasée, le prolétariat chinois mit des décennies à s'en relever.

Cependant, il n'y eut pas que la classe ouvrière chinoise qui souffrit de la catastrophe de 1927. Cet épisode tragique fut sans doute le coup le plus puissant qui fut asséné à la confiance de la classe ouvrière soviétique quant à la perspective de la révolution mondiale. Après Shangai, la bureaucratie stalinienne défendit son programme nationaliste avec encore plus d'arrogance et l'Opposition de gauche fut de plus en plus isolée. Avant la fin de l'année, Trotsky fut expulsé du parti, puis exilé à Alma-Ata, en Asie centrale soviétique, à quelques kilomètres seulement de la frontière chinoise. La consolidation du pouvoir de Staline en URSS allait dorénavant jouer un rôle de plus en plus pernicieux et contre-révolutionnaire lors d'événements subséquents, tant en Chine que dans le reste du monde.

 

De la classe ouvrière à la paysannerie

 

Au lendemain des défaites de 1927, les cadres du PCC s'enfuirent dans les campagnes où ils rassemblèrent des partisans parmi les paysans et les éléments déclassés, formant ainsi des « armées rouges » dans plusieurs régions rurales isolées. La plus fameuse d'entre elles, placée sous la direction de Mao Zedong, se trouvait dans la province du Jiangxi.

Dès son retour de Moscou et immédiatement après le massacre de Shangai, Deng Xiaoping fut envoyé par le PCC dans la province de Guizhou, située à l'extrême sud-ouest du pays, où il tenta de maintenir une petite zone libre. Mais soumis à une pression militaire intense en 1931, Deng mena les restes de son armée dans une marche tortueuse jusqu'au Jiangxi, où il unit ses forces à celles de Mao. C'est dans des circonstances similaires que Mao fut contrait d'entamer sa célèbre Longue Marche en octobre 1934, durant laquelle, tout en luttant, ses forces parcoururent près de 10 000 kilomètres pour aboutir dans la province reculée du Shanhsi où il établit son quartier-général dans la ville agraire de Yen-an.

L'organisation et l'agitation urbaines cédant le pas à la création de zones libérées quasi-indépendantes en zones rurales signifiait plus qu'un simple changement de tactique. Le PCC se détournait ainsi de l'orientation de classe et du programme sur lesquels il avait été fondé. Produit à l'origine suite au soulèvement international de la classe ouvrière et des masses opprimées des pays semicoloniaux, inspiré par la Révolution russe, le PCC se détournait des villes et de la classe ouvrière pour s'orienter exclusivement vers la paysannerie. La grande majorité de ceux qui rejoignirent les « armées rouges » des diverses zones étaient en fait d'origine paysanne.

En outre, le programme social avancé par le PCC correspondait à la défense des intérêts de la grande masse des paysans moyens : réduction des dettes, administrations villageoises honnêtes, résistance à l'oppression des propriétaires fonciers, des usuriers et des seigneurs de la guerre, et enfin, opposition à l'impérialisme étranger, principalement surtout depuis l'occupation de la Mandchourie par les Japonais en 1931. C'est ainsi que le PCC abandonna tout travail systématique au sein des ouvriers des villes. Alors qu'en 1925-6, les paysans ne représentaient que 5 % des effectifs du parti, ils en constituaient entre 70 et 80 % dès la fin de 1928. En 1930, Chou En-lai rapportait que sur les effectifs totaux du parti qui comptait 120 000 membres, « les ouvriers d'industrie n'étaient plus que 2000 ».

Cette transformation de la base de classe du PCC eut de profondes implications historiques, comme Trotsky le fit remarquer dans sa lettre à l'Opposition de gauche chinoise, publiée sous le titre: La guerre paysanne en Chine et le prolétariat. Rédigée en 1932, alors que Mao dirigeait toujours des actions de guérilla relativement minimes dans la province de Jiangxi, Trotsky y anticipe les contradictions d'une éventuelle victoire du PCC et de la lutte militaire contre le Guomindang. Une armée paysanne qui ferait son entrée dans les villes après avoir triomphé des forces des propriétaires fonciers et des capitalistes n'embrasserait pas nécessairement la cause de la classe ouvrière. Bien au contraire, vu les différences de perspectives de classe entre les petits agriculteurs propriétaires et les travailleurs, un conflit direct et violent était même possible.

Trotsky fit remarquer que même si les origines du PCC remontaient au soulèvement de la classe ouvrière du début des années 20, cela ne garantissait pas pour autant que le parti représenterait toujours la classe ouvrière le jour où il prendrait le pouvoir. « Si le Parti communiste chinois avait concentré ses efforts des dernières années dans les villes, les industries et les chemins de fer, s'il avait soutenu les syndicats, les clubs et les cercles d'éducation, si au lieu de se détourner des travailleurs il les avait éduqués pour qu'ils soient en mesure de comprendre ce qui se passe à la campagne, la part du prolétariat dans le rapport général des forces actuel aurait été incomparablement plus favorable. Le parti s'extirpe actuellement de sa propre classe. Conséquemment, et en dernière analyse, il peut ainsi porter préjudice à la paysannerie également. Car si le prolétariat continue d'être en retrait, inorganisé et privé de direction, la guerre paysanne, même pleinement victorieuse, débouchera inévitablement dans une impasse. » (Leon Trotsky on China, p. 527).

Cette prévision marxiste fut confirmée de façon éclatante lors des événements qui suivirent l'invasion de la Chine par le Japon en 1937 et qui culminèrent avec la prise du pouvoir de Mao Zedong en 1949. Alors que le régime du Guomindang s'écroulait sous l'impact de la pression militaire japonaise, de l'inflation et de la corruption endémique, les armées majoritairement paysannes dirigées par le PCC devinrent le fer de lance de la résistance nationale aux Japonais.

Durant les huit années de guerre, l'Armée populaire de libération passa de 90 000 à plus de 1 million de combattants. La croissance la plus rapide se fit parmi les forces sous le commandement de Deng Xiaoping qui devint ainsi l'un des lieutenants les plus capables de Mao, de même qu'un véritable héros de la lutte militaire contre les Japonais et le Guomindang.

Avec la reddition japonaise en 1945, la guerre civile était à l'ordre du jour en Chine, même si Mao et Staline faisaient tout pour l'éviter en tentant de passer un accord avec le Guomindang. Et c'est ainsi qu'à l'été 1946, Chiang Kai-shek viola le cessez-le-feu négocié par les États-Unis et lança une offensive qui se révéla rapidement un échec. À cette occasion, des détachements de l'Armée populaire de libération sous les ordres de Lin Biao conquirent la Mandchourie, tandis que d'autres, sous le commandement de Deng Xiaoping, s'emparaient de centre de la Chine au nord du fleuve Yangzi.

Faisant fi de la demande de Staline communiquée par Anastas Mikoyan lui intimant l'ordre d'arrêter sur la rive du Yangzi et de partager le pouvoir avec Chiang Kai-shek, Mao ordonna une offensive finale sur trois fronts et conquit ainsi la partie méridionale du pays, tout en forçant le Guomindang à s'exiler à Taiwan.

Lorsque Mao proclama la fondation de la République populaire de Chine le 1er octobre 1949 sur la place Tian Anmen, il ne fut jamais question pour lui d'instaurer la dictature du prolétariat. Mao adhérait en effet à la théorie de la révolution en deux étapes de Staline. Il appelait à la préservation de la bourgeoisie et à la formation d'un « bloc de quatre classes » comprenant la paysannerie, la petite-bourgeoisie urbaine et la « bourgeoisie nationale », toutes dirigées soi-disant par la classe ouvrière. En fait, la classe ouvrière ne fut que spectatrice durant la guerre civile. En outre, elle n'exerçait aucune influence sur le gouvernement formé par le Parti communiste chinois.

L'attitude du PCC face à la classe ouvrière est bien démontrée par un télégramme que Mao Zedong adressa en 1948 aux quartiers généraux militaires du Front de Loyang après que ses troupes eurent capturé la ville. Mao ordonne alors aux responsables du parti de faire preuve de prudence et de limiter l'importance des représailles contre les responsables du Guomindang, les propriétaires fonciers et les capitalistes.

« En investissant la ville, ne lancez pas de slogans irréfléchis tels que l'augmentation des salaires et la réduction des heures de travail, décrète Mao. Ne vous pressez pas pour organiser les habitants de la ville pour lutter pour des réformes démocratiques et améliorer leurs moyens d'existence ». Il ordonna en outre au PCC de ne pas exiger l'ouverture des entrepôts de grain afin de nourrir les pauvres de la ville, soutenant que cela « propagerait parmi eux une psychologie de dépendance à l'endroit du gouvernement pour améliorer leur sort ».

Le PCC a pris le pouvoir avec une perspective éclectique mélangeant stalinisme et radicalisme paysan. Le parti avait depuis longtemps déjà divorcé de sa base originelle ouvrière. Bien qu'il n'était plus un parti ouvrier, le PCC n'était pas plus un parti paysan, sauf en ce qui a trait à ses effectifs majoritairement issus de cette classe. Le nouvel État établi par Mao ne permettait pas plus à la classe ouvrière qu'à la paysannerie d'en exercer le contrôle démocratique. C'était un appareil bureaucratique appuyé sur l'Armée de libération populaire, son corps d'officiers et ses commissaires politiques.

L'hostilité des maoïstes face à quelque action indépendante de la classe ouvrière trouva son expression la plus sauvage dans le traitement infligé aux trotskystes chinois. Malgré les persécutions combinées des staliniens du Guomindang et des Japonais, les partisans de la Quatrième Internationale avaient continué de construire un parti révolutionnaire au sein de la classe ouvrière. Pendant l'occupation japonaise, ils travaillèrent clandestinement dans les villes, principalement à Shangai. Des centaines de trotskystes ont été capturés, jugés, exécutés ou condamnés à de longues périodes d'emprisonnement. Ceux qui survécurent et qui ne purent prendre la route de l'exil furent emprisonnés de 1949 à 1978, année ou Deng Xiaoping ordonna la libération de 100 000 prisonniers politiques condamnés à de lourdes peines.

Les contradictions du maoïsme

 

Tout en établissant un appareil d'état policier pour contrôler la classe ouvrière et la paysannerie, le PCC appliqua des mesures révolutionnaires de type bourgeois. La première conquête de la Révolution chinoise, et également la plus importante, fut la liquidation de la classe des grands propriétaires fonciers et de la petite noblesse qui avaient dominé la Chine pendant deux millénaires. Leurs terres furent confisquées, puis distribuées aux paysans qui en devinrent propriétaires individuels.

D'autres mesures radicales furent adoptées par la suite en réaction aux pressions externes. D'abord, la fuite des capitalistes vers Taiwan força le régime à nationaliser la plupart des installations industrielles. Ensuite, l'agriculture fut collectivisée et la majeure partie de la population rurale organisée en vastes communes agraires. Plus tard, l'intervention militaire des États-Unis en Corée entraîna la Chine dans cette guerre et l'amena à adopter une position anti-impérialiste, principalement rhétorique, en politique étrangère.

Avec le Grand Bond en avant, Mao tenta d'accélérer la cadence de l'industrialisation en Chine en mobilisant les paysans dans des industries technologiquement arriérées, sans la formation technique ou les infrastructures nécessaires. L'échec désastreux qui s'ensuivit dévoila au grand jour les contradictions du maoïsme qui ont marqué la révolution chinoise depuis. Ainsi, même les succès initiaux du développement planifié de l'industrie et de l'agriculture apportèrent de nouveaux problèmes et crises, alors qu'il était impossible de créer une économie industrielle avancée en Chine, isolée de l'économie mondiale et sans la participation consciente et enthousiaste des masses laborieuses. Ce développement fut bloqué par la perspective stalinienne de Mao et de ses collaborateurs, y compris Deng, qui rejetaient la perspective de la révolution mondiale au profit du nationalisme chinois et qui freinaient tout rôle indépendant des masses dans l'appareil bureaucratique.

Ces problèmes furent exacerbés par le rôle de Mao même. Encore moins instruit et cultivé que Staline, il s'était toujours positionné dans l'aile droite du PCC à l'époque où le parti était basé sur la classe ouvrière. Il occupait une position bonapartiste dans le PCC, manoeuvrant entre les factions, dressant la « gauche » contre la « droite », les militaires contre les civils, l'industrie contre l'agriculture, toujours dans le but de maintenir sa position.

Avec la structure autoritaire du PCC, ces caractéristiques personnelles pouvaient avoir un impact extrêmement destructeur. Ainsi, au bout de quelques mois, l'échec du Grand bond en avant apparut clairement tant à Deng qu'à de nombreux autres responsables du parti. Mais cette politique continua tout de même pendant deux ans et provoqua l'une des famines les plus terribles du XXe siècle où l'on estime à 30 millions le nombre de morts. Freiner le Grand Bond, c'eut été discréditer Mao, son principal artisan. Des régions entières périrent de faim non pas parce que les réserves alimentaires nationales étaient épuisées, mais parce que les dirigeants locaux et régionaux du parti n'osaient pas demander une aide d'urgence de crainte d'offenser le « grand timonier ».

De la même façon, la Révolution culturelle découla de la tentative de Mao de rétablir son autorité après l'échec du Grand Bond en éliminant son rival Liu Shaoqi et son lieutenant Deng Xiaoping, alors décrit comme le restaurateur capitaliste numéro deux par les gardes rouges de Mao. Nommée avec prétention la grande révolution prolétarienne culturelle, cette dernière fut en fait foncièrement anti-ouvrière et dirigée contre le développement de l'éducation, de la culture, de la technologie et de la science.

Bien que de manière confuse, le mouvement des gardes rouges exprimait néanmoins l'hostilité véritable de la jeunesse devant la croissance des inégalités sociales et des privilèges bureaucratiques. Mais derrière la scène, Mao et ses collaborateurs les plus proches, dont sa femme Jiang Qing et son successeur désigné Lin Biao, manipulèrent ce mouvement afin de mener une lutte factionnelle au sein de l'élite dirigeante. Finalement, les manoeuvres opportunistes de Mao ouvrirent la voie à une réorientation de la politique étrangère chinoise qui déboucha sur une alliance ouverte avec l'impérialisme américain. Cette dernière culminera avec la visite de Henry Kissinger et de Richard Nixon à Beijing, puis la trahison de la révolution vietnamienne.

 

Le rôle international du maoïsme

 

Sur la question beaucoup plus fondamentale de la relation de la Chine avec la révolution socialiste mondiale, Mao Zedong s'est placé sur le plan du nationalisme chinois après la défaite de la révolution de 1927. Lorsqu'il repoussa la demande de Staline de faire preuve de retenue durant la guerre civile et, par la suite, lorsqu'il poursuivit sa propre politique d'intervention militaire durant la guerre de Corée, il ne se basait pas sur l'internationalisme prolétarien, mais défendait plutôt les intérêts nationaux de la bureaucratie chinoise.

Beijing a toujours été toute aussi disposée que Moscou à sacrifier les intérêts de la classe ouvrière internationale pour défendre ses propres intérêts nationaux. Cela fut clairement démontré en 1954 lorsque Chou Enlai et Molotov marchandèrent tous deux les accords de Genève avec les impérialismes britannique et français en mettant fin à la première phase de la guerre du Vietnam. En agissant ainsi, les diplomates staliniens privèrent le Vietminh de sa victoire militaire à Diên Biên Phu et forcèrent Hô Chi Minh à accepter la partition du Vietnam, ce qui préparait le terrain à l'intervention éventuelle des États-Unis et à une vingtaine d'années supplémentaires de carnage.

Mao a toujours fait valoir les intérêts de la bureaucratie stalinienne chinoise face à son homologue soviétique, une politique qui culmina avec la scission sino-soviétique de 1960. Toutefois, cette séparation ne correspondait aucunement à un rejet de la perspective contre-révolutionnaire stalinienne. La preuve en vint rapidement en Indonésie, pays abritant le plus grand parti communiste hors de l'URSS et de la Chine. Puissante force au sein de la classe ouvrière et tirant sa ligne politique de Beijing, le Parti Communiste Indonésien poursuivit la même politique que celle que Staline imposa au PCC entre 1925 et 1927. Il forma en effet un bloc avec le parti nationaliste bourgeois de Sukarno et supprima toute action révolutionnaire indépendante du prolétariat indonésien. La catastrophe qui s'ensuivit fut encore plus sanglante que la défaite de la révolution chinoise de 1927. S'emparant du pouvoir en 1965, les militaires indonésiens interdirent le PCI et massacrèrent 1 million de travailleurs et de paysans, un massacre qui consolida la position de l'impérialisme dans toute l'Asie du Sud-Est, malgré la force croissante du Front national de libération vietnamien.

Similairement, l'aide de Beijing au Vietnam n'était pas basée sur la sympathie révolutionnaire, mais bien sur des considérations découlant du conflit sino-soviétique. Dès que Mao décida de profiter du support de l'impérialisme américain contre Moscou, il invita Kissinger et Nixon à Beijing, tandis que le génocide perpétré par les bombardiers américains se poursuivait toujours au Vietnam. Puis, trois ans après la mort de Mao, Deng Xiaoping déclencha une guerre frontalière de deux semaines contre le Vietnam dans laquelle des dizaines de milliers de soldats chinois et vietnamiens périrent.

Comme Kissinger le signale dans le Newsweek du 3 mars dernier, Mao était complètement cynique quant à la perspective de la révolution mondiale. Ainsi, il déclara à Nixon : « Des gens comme moi semblons être de gros canons, par exemple, lorsque nous affirmons : ' Le monde entier doit s'unir et lutter contre l'impérialisme, le révisionnisme, tous les réactionnaires et établir le socialisme ! ' ». Kissinger poursuit : « Il riait à grands éclats en pensant aux implications que cela aurait si jamais quelqu'un avait pris au sérieux un slogan griffonné pendant des décennies sur tous les panneaux publics de Chine ».

L'un des aspects importants de l'influence idéologique pernicieuse du maoïsme fut la théorie de la « guerre populaire ». Selon cette théorie, la guerre prolongée menée par des armées paysannes encerclant les villes, et non la mobilisation révolutionnaire indépendante de la classe ouvrière, constituait la voie à suivre pour le renversement de l'impérialisme.

Ce type de conflit ne fut qu'un des éléments de la victoire de Mao. L'invasion japonaise joua en fait un rôle beaucoup plus décisif. La même situation s'applique également au Vietnam, où la moitié du pays était déjà sous le contrôle du Vietminh. Ces victoires militaires ont d'ailleurs été les seules et ont toutes deux débouché rapidement sur une entente avec l'impérialisme et la restauration des relations de marché capitaliste. Ailleurs dans le monde, les tentatives de mener la « guerre populaire » ont entraîné de sanglantes mésaventures: de l'extermination de la petite bande de guérilleros de Che Guevara en Bolivie, aux actions militaires prolongées et stériles des Naxalites en Inde.

Le culte de la guérilla a provoqué un enthousiasme idolâtre parmi les couches petites-ebourgeoises des intellectuels dans les années 60 qui chérissaient des charlataneries maoïstes du type : « Le pouvoir politique est au bout d'un fusil ». D'ailleurs, l'évolution subséquente de ces couches s'est faite vers la droite, avec des personnages comme Régis Debray, principal écrivain politique de Che Guevara, qui est devenu un haut-fonctionnaire du gouvernement français.

 

La voie vers la place Tian Anmen

 

Disgracié à deux reprises, Deng Xiaoping a été obligé de se sauver de la capitale durant la Révolution culturelle. Selon son propre témoignage, il devait sa survie à Mao qui le protégea en bloquant les efforts faits pour l'emprisonner ou l'exécuter, puis qui le rappela par la suite à Beijing en 1973.

Démis de ses fonctions une fois de plus en mai 1976 à la demande de la Bande des Quatre (composée de Jiang Qing et de trois autres proches collaborateurs), Deng recueillit des appuis dans les provinces et l'armée, faisant campagne dans l'ombre jusqu'à la mort de Mao en septembre de la même année, qui fut suivie de l'arrestation et de l'emprisonnement de la Bande des Quatre un mois plus tard. Après deux années supplémentaires de manoeuvres factionnelles, Deng prit la place de Hua Guofeng qui avait brièvement succédé à Mao et assuma le contrôle complet de l'appareil stalinien.

Une fois fermement en place, Deng engagea le pays dans des politiques qui allaient recevoir les approbations de la bourgeoisie mondiale : décollectivisation, ouverture de la Chine aux capitaux étrangers et privatisation d'une bonne partie des propriétés d'État. Les politiques de Deng sont généralement décrites comme une rupture radicale d'avec le maoïsme. Cette caractérisation est erronée de part en part. Deng est l'héritier et le continuateur des politiques de Mao : il les a poussé jusqu'à leur conclusion logique tout en continuant de défendre la même couche sociale, soit la bureaucratie stalinienne privilégiée sur laquelle Mao a assis sa domination.

Sous Deng, la bureaucratie a en grande partie complété sa transformation en classe dominante bourgeoise propriétaire, soit en s'appropriant directement les fermes collectives et d'État (par la corruption ou le vol pur et simple), soit par le biais des entreprises conjointes partagées avec le capital chinois d'outre-mer et étranger. Comme fit remarquer un observateur : « Il est symbolique de la nature du capitalisme chinois de l'ère post-Mao que les premiers membres importants de la nouvelle 'bourgeoisie' sont les fils et les filles des hauts responsables communistes qu'on a vite appelés d'ailleurs les 'princes et princesses couronnés'. » (Maurice Meisner, The Deng Xiaoping Era, p. 319).

Au début de son règne, soit entre 1978 et 1980, Deng chercha l'appui de l'intelligentsia chinoise en faisant vaguement allusion à une libéralisation culturelle et politique du même type que Gorbatchev allait instaurer plus tard en Union Soviétique. Durant cette période, le PCC tenta une réévaluation officielle de l'héritage politique de Mao. Chen Du-xiu fut ainsi réhabilité à titre posthume, bien que la direction du Parti prit bien soin de ne pas approuver les critiques de Trotsky concernant la débâcle de 1927. C'est alors que deux événements provoquèrent un brusque changement de cours. Tout d'abord, une section des cadres du PCC issue de la classe ouvrière, dont plusieurs furent victimes de la Révolution culturelle, lancèrent le Mouvement du mur démocratique qui consistait en critiques publiques des privilèges et des revenus des bureaucrates staliniens. Ensuite, la classe ouvrière polonaise se révolta dans un mouvement de masse antistalinien : Solidarnosc. La « peur polonaise » prit alors les staliniens chinois : des arrestations massives furent ordonnées et la lourde main du dogmatisme officiel s'abattit sur la vie culturelle du pays.

Selon les interprétations conventionnelles des deux décennies du règne de Deng Xiaoping, il y aurait un conflit entre sa promotion du capitalisme et la suppression brutale de toute popposition politique, suggérant en cela que les « réformes économiques » vont de pair avec les « réformes politiques ». Or, rien n'est plus faux : il n'y a pas de lien entre capitalisme et démocratie. Les mesures économiques de Deng servirent à privatiser les propriétés d'État dans l'intérêt de quelques privilégiés. De plus, elles créèrent un écart entre les riches et les pauvres encore plus grand que dans la plupart des pays capitalistes industriels, et elles ouvrirent la Chine à l'exploitation impérialiste en ressuscitant sous la forme des zones économiques spéciales les infâmantes « concessions » de l'époque pré-révolutionnaire. Ces politiques sont donc incompatibles avec les droits et les aspirations de la grande majorité constituée des travailleurs et des paysans chinois, et elles ne peuvent conséquemment être appliquées que par des moyens dictatoriaux.

La bureaucratie du Parti communiste chinois était consciente que les tensions sociales créées par le progrès des relations économiques capitalistes risquaient de déclencher un défi politique direct à sa domination dans les rangs de la classe ouvrière. Aussi, lorsque Deng Xiaoping s'apprêta à étendre la campagne de privatisation de l'agriculture à l'industrie en 1983, il proposa la création d'une police armée populaire, c'est-à-dire une police anti-émeute forte de 400 000 hommes, lourdement armée et dont les unités ont été formées en Pologne sous Jaruzelski et au Chili sous Pinochet.

Alors que les étudiants et les intellectuels à l'origine des protestations démocratiques en 1989 représentaient un vaste éventail de vision politiques et sociales, dont certaines étaient fondées sur des illusions dans le capitalisme, l'axe social et politique de l'agitation fut radicalement poussé vers la gauche lorsque les travailleurs de Beijing entrèrent dans la lutte au milieu du mois de mai. Les jeunes travailleurs qui s'attroupèrent sur la placeTian Anmen par centaines de milliers étaient motivés avant tout par leur hostilité face aux inégalités sociales croissantes, aux privilèges et à la corruption flagrante de l'élite dirigeante.

Ainsi, l'un des documents de cette période originant du Syndicat ouvrier de Beijing et en date du 17 mai 1989, démontre bien l'hostilité de classe nourrie au sein du prolétariat chinois : « Nous avons consciencieusement étudié l'exploitation des travailleurs... en nous basant sur les méthodes d'analyse données par Marx dans son ouvrage Le Capital... Nous avons été étonnés de constater que les fonctionnaires 'du peuple' se sont appropriés toute la plus-value produite au prix de la sueur et du sang du peuple. » Organisation indépendante des travailleurs, le syndicat réclamait : « Le premier groupe à enquêter quant à sa consommation matérielle et ses retraites grandioses doit comprendre : Deng Xiaoping, Zhao Ziyang, Li Peng, Chen Yun, Li Xiannian, Yang Shangkun, Peng Zhen, Wan Li, Jiang Zemin, Ye Xuanping et les membres de leur famille. Leurs avoirs doivent être immédiatement gelés et soumis à l'examen du Comité d'enquête national populaire. » (Han Minzhu, Cries for Democracy, pp. 274-77).

Toute la puissance répressive du régime contre les opposants politiques s'abattit sur la classe ouvrière. La plupart de ceux qui ont été tués lors des massacres des 3 et 4 juin 1989 étaient des jeunes ouvriers habitant le quartier situé juste à l'ouest de la place Tian Anmen. Ils avaient érigé des barricades et s'étaient opposés à ce que l'Armée populaire de libération ne pénètre dans la ville. Enfin, presque tous ceux qui ont été exécutés lors des purges qui ont suivi les événements de la place Tian Anmen étaient de jeunes travailleurs qui ont entre autre tenté de mettre sur pied des organisations indépendantes au niveau des lieux de travail et des organisations syndicales.

Dans son approche à porte ouverte pour courtiser les investissements étrangers, le PCC n'impose aux investisseurs étrangers qu'une seule demande politique, soit l'établissement d'une section de la Confédération syndicale chinoise officielle dans leur usine. Ainsi, les syndicats contrôlés par l'État peuvent mieux surveiller et réprimer toute opposition de la classe ouvrière au régime.

La carrière de Deng Xiaoping illustre la transformation du Parti communiste chinois qui est passé d'une organisation basée sur la classe ouvrière luttant pour sa libération du capitalisme et de l'impérialisme, à une organisation servant de principal instrument du développement du capitalisme en Chine et pour la suppression de la classe ouvrière. Deng Xiaoping, dont l'éveil politique coïncide avec le mouvement radical de la jeunesse du 4 mai 1919, passera à l'histoire comme le boucher des jeunes et des travailleurs chinois de la place Tian Anmen qu'il a fait faucher à la mitrailleuse alors qu'ils chantaient l'Internationale.

L'héritage de Deng en Chine est rempli de contradictions sociales : 200 millions de travailleurs et de paysans ont abandonné les provinces de l'intérieur pour trouver un emploi et obtenir un meilleur niveau de vie dans les zones côtières en développement. L'écart entre la ville et la campagne est plus grand qu'il n'a jamais été. L'économie est prise dans une alternance de fortes expansions et de récessions, ponctuée de périodes d'inflation galopante débouchant par la suite sur un resserrement du crédit et un chômage de masse. Enfin, la corruption gouvernementale, le gangstérisme, la consommation de drogues, la prostitution et les autres maux sociaux atteignent des niveaux sans précédent depuis les pires périodes de l'époque de Chiang Kai-shek.

Alors que la dernière décennie du XXe sièlce arrive à sa fin, aucun des problèmes que la Chine confrontait au début du siècle n'a été réglé. Loin d'être une alternative révolutionaire au capitalisme, le maoïsme a démontré qu'il était une impasse historique. Toutes les vissicitudes des cinq dernières décennies de l'histoire chinoise trouvent ultimement leur source dans l'impossibilité de résoudre les questions fondamentales de la Révolution chinoise sur des fondations nationales limitées et non-prolétariennes. La question critique est l'échec de la perspective stalinienne du socialisme national, qu'il s'agisse de la version maoïste « radicale » ou de la version plus conservatrice prônée par Deng Xiaoping. En rejetant la perspective de la révolution socialiste mondiale, la Chine n'a d'autre alternative que l'intégration dans la structure du capitalisme mondial.

La libération des ouvriers et des paysans chinois exige la résurgence des traditions marxistes des fondateurs du PCC et du début de l'Internationale communiste, reprises par la suite par l'Opposition de gauche, la Quatrième Internationale, et enfin, le Comité International aujourd'hui. À cette fin, il est indispensable d'étudier les oeuvres de Trotsky des années 20 et 30, de même que la lutte du trotskysme contre le stalinisme et le maoïsme.

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