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Le processus d'unification européenne dans une impasse

Par Peter Schwarz
Le 8 juin 2001

Une petite décennie à peine après la ratification du traité de Maastricht qui ouvrit la voie à l'introduction de l'euro comme monnaie unique les efforts en vue de l'intégration de l'Europe connaissent à un arrêt brutal. Les chefs de gouvernement de l'Allemagne et de la France ont clairement établi dans des questions de principe qu'il n'existe plus de vision commune quant à un concept de la future Europe entre les deux pays dont la collaboration étroite était la condition sine qua non pour le succès du traité de Maastricht.

Le chancelier allemand, Gerhard Schröder, avait présenté, fin avril lors du congrès du parti social-démocrate SPD, dans le texte d'orientation, ses projets pour l'avenir de l'Europe. Se référant à un discours tenu il y a un an à l'Université Humboldt de Berlin par le ministre des affaires étrangères, Joschka Fischer, il s'était déclaré en faveur d'un développement de l'Union européenne vers une «véritable fédération européenne».

Selon la vision de Schröder, les institutions européennes devraient être renforcées aux dépens des gouvernements nationaux. Il a l'intention de transformer la commission de l'Union européenne en un «exécutif européen fort» tout en conférant des pouvoirs supplémentaires au Parlement européen. Le Conseil des ministres, qui est constitué par des représentants des gouvernements nationaux et qui, jusque-là, prend les décisions devrait être transformé en une deuxième chambre parlementaire à l'image du Bundesrat (chambre haute du parlement) allemand.

Le premier ministre français, Lionel Jospin, a clairement rejeté ces propositions dans un discours qu'il a tenu le 28 mai à Paris devant un parterre choisi. La France, tout comme d'autres nations européennes, ne pourrait accepter l'idée d'une fédération dans laquelle les Etats européens auraient le statut des Länder allemands ou des Etats fédérés américains, a-t-il précisé. «Je désire l'Europe mais je reste attaché à ma nation. Faire l'Europe sans défaire la France - ni aucune des autres nations européennes : tel est mon choix politique».

Jospin résumait ses propres conceptions dans la formule: «Fédération d'Etats-nations». Il désire maintenir le conseil des ministres, la représentation des gouvernements nationaux comme organe de décision central en le renforçant même. La commission, par contre, devrait subsister en tant qu'organe exécutif et le Parlement ne devrait remplir qu'une fonction de conseil.

A la différence de Schröder, Jospin veut élargir davantage les domaines d'influence de l'Union européenne. C'est ainsi que la politique fiscale devrait se faire selon un modèle centralisateur et les décisions économiques devraient être prises entre les partenaires de l'Union européenne après consultation. Jospin parle dans ce contexte d'un «gouvernement économique européen», ce qui est considéré en Allemagne comme une attaque contre l'autonomie de la Banque centrale européenne et, de ce fait, est refusé. C'est avant tout la presse économique qui a réagi furieusement contre les conceptions de Jospin. Le quotidien économique allemand Handelsblatt a qualifié son projet de «programme pur sang, détaillé en vue d'un projet anti-libéral de l'Union européenne».

Dans la politique agricole et structurelle, il existe également des divergences mais qui sont plutôt d'ordre financier. Schröder veut reporter du niveau européen vers le niveau national la compétence en ce qui concerne ces domaines qui, sous forme de subventions engloutissent la majeure partie du budget communautaire. Ceci allégerait le budget national allemand qui contribue nettement plus qu'il ne récupère sous forme de subventions. Ce faisant, les revendications des futurs nouveaux membres de l'Europe de l'Est se réduiraient. Jospin qui craint pour les subventions versées au grand secteur agricole français tient, par contre, à maintenir la compétence européenne.

En Grande-Bretagne, les propositions de Schröder au même titre que ceux de Jospin ont encouru un refus violent. Le premier ministre, Tony Blair qui, jusque-là, n'a même pas été en mesure de prendre une décision en faveur de l'union monétaire, est par principe contre toute centralisation supplémentaire et élargissement des compétences de l'Union. Il serait même intervenu auprès de Jospin pour que celui-ci ne prononce son discours qu'après les élections législatives anglaises dans le but de ne pas fournir de munitions supplémentaires aux adversaires conservateurs et aux eurosceptiques dans ses propres rangs.

Les divergences entre Schröder et Jospin tournent en premier lieu autour de la forme et des tâches futures des institutions européennes. Des différences similaires avaient déjà existé de par le passé et avaient toujours pu, après des négociations parfois longues et ardues, être surmontées. Cette fois-ci, des problèmes bien plus fondamentaux se cachent derrière le désaccord et qui ne se laisseront pas résoudre si facilement par un compromis.

D'une part, la peur traditionnelle française face à une hégémonie allemande en Europe joue un rôle dans l'attitude de Jospin. Le poids économique, stratégique et démographique de l'Allemagne s'est considérablement accru depuis la réunification allemande et l'élargissement projeté de l'UE vers l'Est. Dans une Europe organisée selon un modèle de fédération, l'Allemagne pourrait pleinement mettre en valeur un tel poids et jouer ainsi un rôle prépondérant. Le modèle de Jospin d'Etats-nations offrirait à la France une chance plus grande de contrecarrer la dominance allemande. Le sommet de Nice, en décembre dernier, avait déjà failli échouer en raison de cette question, la France et l'Allemagne n'ayant pas été en mesure de trouver un accord sur la question de la nouvelle répartition des voix au sein du conseil des ministres.

Une raison majeure au blocage des efforts à l'unification européenne est cependant la polarisation sociale en Europe. Le cap adopté à Maastricht en ce qui concerne les mesures d'austérité et de consolidation a entraîné une aggravation des contradictions et des tensions sociales qui mine la stabilité des gouvernements dont les actions s'orientent de plus en plus en fonction de problèmes nationaux, renforçant de ce fait les tendances centrifuges en Europe.

Le refus catégorique de Jospin des projets européens allemands est dû en fin de compte également à la crise croissante de sa propre coalition gouvernementale qui, un an avant les élections présidentielles et législatives, est menacée d'éclatement.

C'est avant tout le Parti communiste français (PCF) qui est fortement affecté par le mécontentement grandissant dans la population suite aux réductions des dépenses sociales, aux licenciements et à la dégradation des conditions de travail. Il perd rapidement en influence et s'entre-déchire en luttes internes. Les Verts qui, pendant longtemps, n'avaient été en France qu'un groupuscule marginal risible les ont dépassés en devenant la seconde force au sein du gouvernement. Lors des élections municipales en mars dernier, le PCF avait perdu un grand nombre de ses bastions dans lesquels il avait, durant de nombreuses décennies, fournit les maires et les élus locaux.

A ceci s'ajoute le fait qu'il doit faire face à une nouvelle concurrence de la part de la soi-disant «extrême gauche». Les organisations, Lutte ouvrière (LO) et la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), enregistrent, depuis quelques années aux élections, des résultats avoisinant les 5 pour cent. Ceux du PCF sont encore de l'ordre de 7 à 8 pour cent. Depuis 1999, LO et la LCR sont représentés au Parlement européen par six députés et, en mars dernier, ils remportèrent 62 mandats municipaux. Ils recueillirent ainsi - avec un score d'une moyenne de 6,2 pour cent - des résultats de pointe de l'ordre de 19 pour cent dans plusieurs municipalités. LO tout comme la LCR se qualifie de trotskiste - à tort. Toutes deux ont depuis longtemps abandonné l'objectif de la Quatrième internationale créée par Trotski, à savoir la mobilisation de la classe ouvrière et l'unité internationale de la classe ouvrière. Ces organisations défendent un programme réformiste, semblable à celui avancé dans le passé par les partis socialiste et communiste. Elles sont surtout actives dans les syndicats où elles représentent un appui important pour la bureaucratie.

Et pourtant leur progression est le signe d'une radicalisation de la population, ce qui est un vrai casse-tête pour le gouvernement Jospin. Le parti communiste a réagi à un telle concurrence en se donnant des allures plus radicales. Après les élections municipales, il a rejeté à l'Assemblée nationale un projet de loi de modernisation sociale qu'il avait déjà adopté en première lecture. Jospin n'a pu éviter un échec de la loi et une éventuelle rupture de sa coalition qu'en reportant de deux semaines le débat sur le projet de loi.

La question de l'Europe pose, elle aussi, des difficultés majeures à la coalition gouvernementale. Elle est confrontée à des divergences profondes. La coalition de Jospin a déjà perdu l'un de ses partenaires, le Mouvement des Citoyens (MDC) de Jean-Pierre Chevènement, dont l'orientation fortement nationaliste n'a pu s'accommoder ni des concessions faites par Jospin à l'Union européenne ni du statut d'autonomie partielle pour la Corse. Le PCF a également exprimé des réserves quant à l'Union européenne, alors que les Verts appellent, de façon véhémente, à son renforcement. C'est avant tout le porte-parole des Verts français au Parlement européen, Daniel Cohn-Bendit, qu'une forte amitié lie à Joschka Fischer, le ministre des affaires étrangères allemand, depuis ses années communes de provocateur gauchiste passées dans le milieu «Sponti» (gauchiste-anarchiste) de Francfort, qui défend à grands cris les conceptions allemandes pour une fédération européenne.

L'élargissement prévu de l'UE vers l'Est accentuera considérablement les tensions sociales existantes au sein de l'UE. En guise de soutien aux dix nouveaux membres devant joindre l'UE dans les cinq prochaines années, ce sont tout juste 80 milliards d'euro qui sont prévus au budget pour couvrir la période allant de 2000 à 2006, soit un dixième de l'ensemble du budget.

Des subventions agricoles directes comptant pour un tiers du budget de l'UE, doivent être réservées aux anciens membres. Ceci signifie le coup de grâce pour l'agriculture arriérée de l'Europe de l'Est. ««L'UE future risque de devenir ainsi une société à deux classes qui, bien qu'ayant des institutions politiques communes, repose sur un fondement social et économique cependant bien fragile», conclut le journal allemand Süddeutsche Zeitung.

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