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Venezuela: la CIA prépare-t-elle un autre coup d'état?

Par Bill Vann
11 décembre 2002

Tandis que la «grève» organisée par les patrons vénézuéliens commence sa deuxième semaine, tout laisse penser que le pays d'Amérique du Sud subit une campagne classique de déstabilisation organisée avec l'aide des services de renseignement américains.

N'ayant pu renverser le président vénézuélien Hugo Chavez lors du coup d'avril 2002, qui avait du soutien des Etats-Unis, les cercles dirigeants vénézuéliens, travaillant avec Washington, tentent de le forcer à se retirer ou de provoquer une autre tentative de putsch militaire.

On ne peut éloigner la possibilité que Washington interviendra directement au Venezuela, une source stratégique de pétrole pour le marché américain.

La «grève», en fait un lock-out patronal, a commencé le 2 décembre. Elle est dirigée par FEDECAMARAS, l'association patronale vénézuélienne, et la CTV, la Confédération des travailleurs vénézuéliens, une bureaucratie syndicale corrompue qui est étroitement liée aux syndicat AFL-CIO aux Etats-Unis. La CTV reçoit aussi des fonds importants du Fonds National pour la Démocratie, une agence américaine créée pour verser des fonds aux organisations étrangères auparavant financées directement par la CIA.

L'action patronale/CTV a ses effets les plus visibles dans les quartiers riches ou commerciaux de Caracas, où des manifestants nantis, y compris des gorilles sur des motocyclettes, ont forcé les magasins à fermer. Dans les zones ouvrières et les ghettos pauvres dans les collines autour de la ville, elle a eu un impact très limité sur l'activité quotidienne.

Des centaines de milliers de manifestants ont déferlé sur la capitale samedi dans une démontration «pour la démocratie et pour défendre la constitution» à la demande du gouvernement, une mobilisation bien plus large que tout ce que les organisateurs FEDECAMARAS/CTV ont pu atteindre.

Dans un pays où 80% de la population vit sous le seuil de la pauvreté, il n'est pas surprenant qu'une «grève» organisée par et créée pour l'oligarchie richissime ait laissé les masses tièdes. Pour suppléer à leur manque de soutien populaire, ceux qui tentent de renverser Chavez utilisent la violence terroriste, le sabotage économique et un bombardement de propagande médiatique qui finit par être une forme de guerre psychologique contre la population.

Vendredi dernier, tandis que les dirigeants des manifestations discutaient de la possibilité de continuer leur action, des coups de feu sont partis dans une plaza dans le riche quartier d'Altamira de Caracas. Depuis le mois d'octobre, un groupe d'officiers y tient une manifestation anti-Chavez grotesque. La plupart étaient impliqués dans le coup manqué d'avril dernier et ont depuis perdu leurs positions. Leur QG implanté dans un hôtel de luxe du quartier, les généraux, amiraux, et colonels ont désigné la plaza une «zone libérée».

Une quantité de participants aux manifestations anti-Chavez étaient sur la plaza quand les coups de feu sont partis ; il y a eu au moins trois morts et une vingtaine de blessés.

Immédiatement après la fin de l'attentat, le Général Enrique Medina Gomez, un des officiers dissidents, a fait une déclaration à la radio pour imputer la responsabilité de l'attentat à Chavez et demander à l'armée de le renverser «comme elle l'a fait le 11 avril», quand on a gardé incommunicado le président vénézuélien pendant deux jours tandis que régnait une junte composée de civils et de militaires. Ce coup s'est rapidement effondré face à des manifestations énormes et des dissensions au sein des forces armées.

Entretemps, les principales chaînes télévisées, qui appartiennent toutes à des anti-chavistes, ont commencé à diffuser constamment des scènes du massacre sur la plaza.

Cependant, après les attentats, on a découvert que le principal suspect, capturé sur place, était un Portugais nommé Joao Gouveia. Se comportant d'une manière instable, il a déclaré qu'il était arrivé hier de Lisbonne et qu'il avait executé l'attentat pour se venger d'une chaîne télévisée qui le persécutait.

Un journaliste pro-Chavez, député au Congrès, a affirmé cependant que Gouveia feignait ses problèmes mentaux et qu'il avait avoué qu'il avait executé l'attentat après avoir été payé par le Général Medina Gomez. Entretemps, la presse vénézuélienne a indiqué que l'on avait vu autre homme présent sur la plaza, dont on soupçonnait la participation à l'attentat, en compagnie du maire de Caracas, un personnage-clé du mouvement anti-Chavez.

Cet attentat bizarre ressemble à celui d'avril passé, au cours duquel 18 personnes ont été tuées et 30 blessées quand des assassins non-identifiés ont tiré sur une manifestation anti-Chavez. On a utilisé l'attentat comme prétexte pour le coup militair : l'assaut du palais gouvernemental, l'arrestation de Chavez, et la proclamation d'une junte provisoire. Plusieurs heures avant l'attentat, les généraux rebelles avaient enregistré un message qui déclarait leur opposition au gouvernement, qu'ils jugeaient responsable de la mort de nombreux manifestants. La junte, qui n'a duré que quelques jours, a relâché plusieurs des personnes que l'on avait arrêtées en relation aux attentats.

Entretemps, les effets de la grève ont été largement amplifiés par les actions de la direction de la société nationale de pétrole, PDVSA. C'était la tentative de Chavez de réorganiser cette institution (que les riches subventionnant les anciens partis dirigeants, Copei et Acción Democrática, avaient longtemps utilisée comme source de revenus) qui a provoqué la tentative de coup de l'année dernière. Il a ensuite négocié un compromis avec la direction, s'arrangeant même pour qu'ils reçoivent des augmentations généreuses.

Les anti-chavistes ont recruté les gérants des pétroliers et des compagnies qui déploient les camions-citernes pour tenter de paralyser l'industrie pétrolière du pays et ainsi l'économie nationale. Pour le Vénézuela, le cinquième exportateur mondial de pétrole, les ventes de pétrole représentent 80% des ses revenus d'exportation. Il fournit 13% des besoins en pétrole des Etats-Unis, qui consomment 70% de sa production journalière de 2,5 millions de barils.

Lundi, Ali Rodriguez, président de la PDVSA, disait : «L'exportation du pétrole est paralysée ; l'activité portuaire est paralysée ; l'activité des raffineries commence à être paralysée et bien sûr l'activité de production aussi».

«Un désastre national nous menace ; aucun travailleur qui aime sa compagnie ou son pays peut permettre à cette situation de durer», a-t-il dit. Il a prévenu qu'à moins que la PDVSA recommence la distribution normale du pétrole, il ne pourrait payer ses fournisseurs à temps, et risquerait des amendes massives pour avoir failli à ses livraisons. Rodriguez est le seul des 8 directeurs de la PDVSA à ne pas avoir démissioné pour protester contre Chavez.

On estime que les raffineries ont une quantité suffisante de pétrole, mais qu'elles ne peuvent le distribuer à cause du blocus des transports. Ainsi des stations de service ont commencé à fermer et au moins une grande ligne aérienne a annulé des dizaines de vols à cause d'inquiétudes sur une pénurie d'essence. On annonce que certaines lignes étrangères ont aussi annulé leurs vols en direction de Caracas, pour éviter que leurs appareils ne puissent refaire le plein.

Chavez a riposté en ordonnant à l'armée de prendre le contrôle des raffineries, des centres de distribution de pétrole, et des pétroliers qui avaient cessé leurs opérations.

Dans une autre tentative de saboter l'économie déjà chancelante du pays, les banques ont annoncé une fermeture d'un jour lundi et ont indiqué qu'elles limiteraient indéfiniment leurs heures d'ouverture.

L'atmosphère de provocation et de sabotage économique du patronat rappelle la campagne de la CIA pour déstabiliser le gouvernment d'Unité Populaire du président chilien Salvador Allende en 1973. On a su par la suite que les services secrets américains, travaillant dans les organisations patronales et les syndicats de droite corrompus, avait donné les fonds pour organiser une grève des routiers qui avait paralysé le pays. La dislocation économique qui en a résulté a préparé le coup militaire du 11 septembre 1973, dirigé par le Général Augusto Pinochet, qui a dirigé un bain de sang contre la classe ouvrière chilienne et 15 ans de dictature.

On ne peut douter que Washington est profondément impliqué dans les troubles au Venezuela. Avant de lancer sa guerre contre l'Irak, l'administration Bush voudra certainement s'assurer que le pays restera une source stable de pétrole. A long terme l'élite dirigeante américaine et l'oligarchie vénézuélienne anticipent des profits immenses en privatisant la compagnie pétrolière nationale.

Depuis le mois d'avril, Chavez tente d'arriver à une entente avec Washington, mettant en sourdine sa rhétorique nationaliste et faisant même une déclaration publique que le Vénézuela resterait une source «sûre» de pétrole pour le marché américain si une invasion de l'Irak nuisait au ravitaillement américain en pétrole.

Même si le gouvernement vénézuélien a largement obéi aux prescriptions économiques du Fonds monétaire international, l'administration Bush a fermement décidé de lutter pour l'expulsion de Chavez, dont les condamnations des bombardements américains en Afghanistan et les relations amicales avec Cuba ont provoqué la colère de Washington. Comme la classe dirigeante vénézuélienne, l'administration Bush voit ses réformes limitées et ses appels populistes aux masses pauvres du pays comme une menace intolérable à la richesse et au privilège.

Le coup contre Chavez au mois d'avril avait reçu le soutien des porte-parole américains. On a révélé à l'époque que des membres haut placés de l'administration Bush, y compris le sous-secrétaire d'État Otto Reich et le conseiller à la Maison Blanche Elliott Abrams, deux membres importants des réseaux secrets de l'administration Reagan soutenant la lutte terroriste des contras au Nicaragua dans les années 1980, avaient plusieurs fois rencontré les organisateurs du coup à Washington.

Faisant loyalement écho à la position de l'administration à Washington, la presse américaine déguise délibérément la nature des évènements au Vénézuela. Le New York Times, par exemple, parle d'une «grève nationale», quand en fait un nombre relativement restreint de travailleurs vénézuéliens se sont joints aux actions anti-gouvernementales ; les patrons empêchent la plupart d'accéder à leurs lieux de travail. Dans certains cas les travailleurs ont occupé des usines fermées pour protester contre ces actions.

On présente aussi la confrontation comme un conflit opposant une faction démocratique insistant que Chavez se soumette à un référundum national sur sa présidence, et un régime autoritaire qui refuse tout vote de la sorte.

Ainsi le Times prétend que le but de l'opposition est «d'éviter d'avoir à attendre jusqu'à la prochaine élection en 2006» pour résoudre la crise.

En fait, la constitution vénézuélienne, approuvée par un vote populaire en 1999, permet précisément un tel référundum au milieu du mandat présidentiel, ce qui sera en août 2003. Les représentants politiques de l'oligarchie vénézuélienne, cependant, insistent que Chavez se soumette à un vote extra-constitutionnel le 2 février.

Leur refus d'attendre sept mois s'explique par leurs inquiétudes sur un projet de loi de réforme agraire et sur la réorganisation de la PDVSA, et aussi les craintes de l'opposition «démocratique» qu'elle ne pourrait pas de toute façon obtenir le nombre de voix nécessaire pour remplacer Chavez. (La constitution stipule qu'un référundum obtienne un plus large pourcentage de l'électorat que celui obtenu par le président aux dernières élections, c'est-à-dire 57% dans le cas de Chavez.)

Au Vénézuela, la colère contre les médias du pays à cause de leur rôle d'outil de propagande pour les anti-chavistes a provoqué des manifestations de masse à l'extérieur des stations de télévision lundi soir ; des milliers de manifestations scandaient «Meneurs de coup, dites la vérité» ! Les cinq stations privées ont ouvertement donné leur soutien aux actions anti-gouvernementales, diffusant des mensonges pour attaquer le gouvernement. A Maracay, des manifestants ont occupé la station.

Ces manifestations ont provoqué une condamnation coléreuse du Secrétaire Général de l'Organisation des Etats Américains (OAS), le Général César Gaviria, qui les a qualifiées d' «actions intimidantes» et insisté que le gouvernment «passe aux actes» pour défendre «la liberté de la presse et de l'expression».

Ces commentaires indiquent le parti pris de Gaviria, un ancien président colombien, qui est censé organiser un compromis entre Chavez et l'opposition. Comme le Département d'Etat américain, il indique de plus en plus clairement son soutien à un rapprochement de la date des élections nationales tel qu'exigé par l'oligarchie vénézuélienne.

Chavez a lui-même indiqué sa volonté de négocier sur cette question. L'opposition, cependant, tente à présent d'utiliser la dislocation économique pour insister sur sa démission immédiate, refusant d'accepter son vice-président, José Vicente Rangel, même en tant que successeur temporaire.

 

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