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Al Gore et la politique de l'oligarchie

Par Barry Grey
21 décembre 2002

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Le fait qu'Al Gore ait abandonné la course à l'investiture présidentielle du Parti démocrate de 2004 en dit long sur l'état du système politique américain et du Parti démocrate.

L'ancien vice-président et le chef, du moins de nom, des démocrates, qui a remporté le vote populaire avec 50 millions de voix lors des élections présidentielles de 2000, a choisi d'annoncer sa décision lors d'un interview le 15 décembre à 60 Minutes du réseau de télévision CBS. Le fait que Gore, de loin le mieux connu des présumés présidentiables démocrates, jette la serviette à une date si éloignée des prochaines élections montre à quel point le système politique est contrôlé par une élite politique et médiatique, qui elle-même dépend de l'oligarchie financière américaine.

Depuis plusieurs mois, Gore préparait agressivement le terrain pour un nouvel affrontement avec George W. Bush, faisant des discours sur la politique intérieure et extérieure, apparaissant sur des programmes télévisés et menant une campagne nationale de lancement de son livre avec sa femme. Selon les sondages, il était de loin le choix préféré des électeurs démocrates pour s'opposer à Bush en 2004.

Mais l'opinion essentielle pour une campagne présidentielle n'était pas celle des électeurs, mais celle des conseils de direction des grandes sociétés, des dirigeants des médias, et des bureaucrates les mieux placés du Parti démocrate. Parmi les quelques centaines de personnes dont les opinions comptent vraiment dans la politique électorale américaine, Gore n'avait pas la cote.

Leur verdict s'exprimait par le rythme ralenti des contributions à sa campagne et par ce que les associés de Gore appelaient "l'opinion sceptique des médias" sur la campagne de lancement de son livre. Les nouveaux revenus de Gore, provenant en partie de sa direction d'une firme d'investissements sur la côte ouest, ont en partie adouci le coup porté à ses aspirations présidentielles.

Pour expliquer sa décision, Gore a offert une unique motivation politique, mais elle est très importante. Parlant obliquement de la bataille de 36 jours autour du vote en Floride et la décision de la Cour suprême qui a finalement accordé la présidence à son adversaire républicain, Gore a dit à son intervieweur de 60 Minutes, "Je pense qu'une autre campagne entre moi-même et le président Bush impliquerait forcément un rappel du passé qui, dans une certaine mesure, nous distrairait de l'avenir, ce sur quoi toute campagne doit se concentrer."

Bref, une deuxième élection opposant Gore et Bush poserait inévitablement la question de la façon ouvertement antidémocratique par laquelle s'est résolue la crise électorale de 2000, mettant ainsi en question la légitimité de l'administration Bush. Par son désir d'éviter de telles questions, Gore fait écho aux préoccupations de l'ensemble de l'élite dirigeante et des deux partis politiques.

Dire qu'une discussion de l'installation de Bush par la suppression des votes distrairait le peuple américain des questions politiques qui le confrontent aujourd'hui n'est qu'un sophisme. L'idée n'est pas nouvelle. Gore et l'ensemble des dirigeants politiques et médiatiques le disent depuis que Gore a prononcé son discours servile annonçant son abandon de la campagne, quand la Cour suprême a mis fin au décompte des voix en Floride en décembre 2000.

À l'époque, c'était une démonstration non ambiguë de l'incapacité et du refus de l'ensemble de la classe politique de défendre le droit démocratique le plus fondamental aux États-Unis: le droit de voter. Deux ans plus tard, l'importance politique de l'élection volée est évidemment immense. Les instincts antidémocratiques d'un gouvernement arrivé au pouvoir par la fraude et le diktat judiciaire ont trouvé leur expression dans l'attaque la plus radicale sur les protections constitutionnelles et les procédures démocratiques dans l'histoire du pays.

Gore lui-même, dans un discours largement médiatisé à San Francisco au mois de septembre, a dénoncé "l'attaque de l'administration sur les droits constitutionnels fondamentaux". Il a déclaré il y a trois mois que "l'idée qu'un citoyen américain peut être emprisonné sans recours à des procédures ou des remèdes judiciaires, et que ceci se fasse sur l'ordre ou au nom du président, est inacceptable".

Ce n'était pas, paraît-il, suffisamment inacceptable pour le forcer à affronter Bush en 2004 et d'essayer de mettre fin à un gouvernement dont les politiques proviennent, forcément, du caractère antidémocratique et anticonstitutionnel de ses origines.

D'où vient cette profonde crainte que le débat public revienne sur les élections 2000 au sein de l'élite américaine, une crainte qui vient démolir les affirmations selon lesquelles l'administration Bush est populaire et invulnérable politiquement? On pouvait entendre un soupir de soulagement dans la réaction des médias. Le New York Times a bruyamment loué sa décision, y discernant un courage immense. Il a consacré son éditorial du 17 décembre à la sagesse et l'altruisme prétendus dont Gore a fait preuve avec son choix de ne pas faire revivre l'élection controversée.

Le Times a écrit: "M. Gore a battu M. Bush par plus de 500.000 voix mais a perdu le vote au Electoral College par 271 contre 267 dans une bataille acharnée qui a fini à la Cour suprême." "On devra toujours applaudir" Gore, continuait le journal, pour avoir "refusé de mettre son ambition au-dessus de la sécurité du pays, lors du tollé qui a suivi ces événements. "

E. J. Dionne, Jr., le commentateur libéral pro-démocrate pour le Washington Post, a du même souffle souligné la profonde colère largement ressentie face au vol de l'élection 2000 et loué Gore pour passer outre ces sentiments démocratiques. Déclarant dans un éditorial du 17 décembre qu'il faisait partie "des millions d'Américains" qui croient que la pluralité des votes était allée à Gore en Floride et que la Cour suprême "n'avait pas raison d'arrêter les tentatives de recompter le vote en Floride", il a ensuite loué la décision de Gore de ne pas se présenter comme un exemple honorable de "clarté, de connaissance de soi, et de sens de la responsabilité".

Gore lui-même a suggéré que de larges sections de la population ne considèrent aucunement l'élection de 2000 comme appartenant au passé, remarquant à une conférence de presse le 16 décembre que lors de sa campagne nationale de lancement pour son livre, la question qui préoccupait le plus son public était la manière antidémocratique par laquelle on a installé Bush. C'était précisément l'actualité de la question qui l'a décidé à ne pas faire campagne contre Bush en 2004.

Tout ceci indique une conviction profonde que rappeler la crise électorale de 2000 aurait des conséquences politiques et sociales des plus explosives. Malgré les affirmations de l'ascendant mondial américain et d'unité politique nationale, le premier grand événement de la campagne électorale de 2004 indique que l'élite dirigeante est loin de se sentir en sécurité. L'abandon de Gore n'est qu'une expression d'un système secoué par une crise si profonde qu'il ne peut tolérer la moindre expression des questions politiques et sociales qui concernent les masses populaires.

L'impact profond de l'élection volée n'est pas le seul facteur dans la réaction hostile des classes politiques et médiatiques aux préparatifs que Gore menait pour faire une nouvelle campagne. En considérant ses discours et ses prises de position, il était clair que Gore comptait exploiter le mécontentement largement répandu que soulève la politique extérieure militariste, la politique économique régressive, et l'assaut massif contre les droits démocratiques entrepris par l'administration Bush. Dans son discours du 23 septembre à San Francisco, Gore a attaqué la course frénétique de l'administration Bush vers la guerre comme téméraire et politiquement inopportune, dénonçant la doctrine de guerre de prévention de Bush. Par la suite il a proposé un système public de couverture médicale universelle.

La réaction des classes politiques et médiatiques aux initiatives politiques de Gore a été largement hostile. En général, on a passé sous silence ou ridiculisé ses critiques de l'administration Bush.

Les chefs démocrates au Congrès et le Comité national démocrate ont aussi passé les interventions de Gore sous silence. Ils ne voulaient pas se prêter à une attaque ouverte sur l'administration Bush ou à une expression des inquiétudes sociales ou économiques des travailleurs, surtout lorsque se prépare une guerre qui jouit de peu de soutien populaire. Les chefs démocrates ont ensuite répudié l'intervention politique de Gore par leurs votes, qui autorisent Bush à faire la guerre en Irak.

Le message était clair, et la décision de Gore du 15 décembre indiquait qu'il l'avait compris. Depuis on a indiqué qu'une large majorité au Comité national démocrate s'opposait à une candidature de Gore pour l'investiture du parti. Finalement, la décision de Gore provient du fait qu'il dépend des mêmes forces sociales qui voulaient l'empêcher de faire campagne.

Deux conclusions fondamentales s'imposent. D'abord, le Parti démocrate est foncièrement incapable de s'opposer à la politique profondément réactionnaire de la droite républicaine. Sa propre trajectoire vire rapidement à droite, tandis qu'il tente de s'adapter au consensus des corporations en faveur des guerres impérialistes, de l'élimination de toute contrainte à l'accumulation des fortunes, et de l'imposition de formes gouvernementales autoritaires.

L'écroulement politique du Parti démocrate est lui-même la manifestation d'un second phénomène, plus fondamental: la subordination totale de la vie politique aux demandes et aux besoins de l'oligarchie financière américaine. La polarisation de la société américaine entre la vaste majorité des travailleurs et la mince couche sociale qui monopolise les biens sociaux rend le système politique complètement incapable de tolérer toute expression des problèmes et des inquiétudes de la population générale. Les formes démocratiques traditionnelles, y compris le fonctionnement des deux partis bourgeois, sont de plus en plus dépourvues de contenu démocratique. À l'intérieur de l'élite dirigeante, il y a de moins en moins de soutien pour la sauvegarde des vieilles formes que sont les élections, les procédures constitutionnelles et le reste.

Dans un pays aussi vaste et complexe que l'Amérique, avec une classe ouvrière immense et un rassemblement hétérogène de peuples et de cultures d'à travers le monde, les médias et la classe politique proposent l'image d'un pays où règnent le contentement général et le conformisme. On ne peut tolérer dans l'arène politique aucun aspect de la vie sociale qui exposerait cette présentation complètement banale et fausse. On ne peut exprimer publiquement des différends sérieux.

Le gouffre énorme entre cette façade politique et la réalité sous-jacente de divisions sociales et de tensions de classe doit inévitablement engendrer, dans un avenir proche, des bouleversements politiques immenses. Ceux-ci auront lieu dans des conditions sous lesquelles se sera écroulé le mythe politiquement débilitant selon lequel le Parti démocrate est un "parti du peuple". Des masses de plus en plus larges de travailleurs et de jeunes chercheront une alternative politique dans la lutte pour la défense de leurs conditions sociales et de leurs droits démocratiques.


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