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Vague de chaleur sans précédent en France : plus de dix-mille morts

Par Francis Dubois
Le 22 août 2003

La vague de chaleur sans précédent qui a frappé l'Europe a été la cause de nombreuses morts sur tout le continent mais c'est en France que le nombre de victimes fut le plus élevé. Les cas de maladie et les décès causés par la chaleur y ont atteint les proportions d'une épidémie.

Le désastre sanitaire n'apparaît pas encore dans toute son ampleur, mais le grand nombre de victimes a dores et déjà produit une sérieuse crise politique pour le gouvernement français. Au début de cette semaine le nombre de morts dues à la chaleur était encore estimé à cinq mille, des experts médicaux prédisant un bilan beaucoup plus lourd, puisque la moitié de ces morts ne s'était pas produite dans les hôpitaux et n'était donc pas encore comptabilisée.

Une des plus importantes entreprises de pompes funèbres en France déclara jeudi 22 août que jusqu'à treize mille personnes étaient mortes dues à l'intense chaleur.

La vague de chaleur atteignit son point culminant entre le 6 et le 11 août, après deux mois de fortes températures en juin et juillet, atteignant souvent durant cette semaine quarante degrés centigrades (104 degrés Farenheit). Entre ces deux dates les hôpitaux furent incapables de faire face aux nombre croissant de personnes ­ pour la plupart âgées ou fragilisées par des maladies chroniques ­ que leur amenaient les sapeurs-pompiers et les ambulances.

Le nombre de morts augmenta de façon dramatique dans la région parisienne pour atteindre certains jours plus de quatre fois la normale en cette période de l'année, la plupart des décès étant dus à la déshydratation et aux coups de chaleur. Pour beaucoup de ceux qui furent admis dans les hôpitaux, il était toutefois déjà trop tard. Selon une estimation, 80% de ceux qui moururent ainsi avaient plus de 75 ans.

Pour finir, les hôpitaux saturés se virent dans l'incapacité d'accueillir les patients et on dit à ceux qui appelaient des ambulances qu'ils devaient faire ce qu'ils pouvaient, là où ils se trouvaient. En conséquence, des gens sont morts dans des hôtels, chez eux ou plus souvent encore, dans des maisons de retraites. Les sans-abris sont simplement morts dans la rue.

Puis ce furent les morgues et les pompes funèbres qui furent saturées, certains morts restèrent des jours et des jours là où ils avaient péri.

Pour faire face au nombre croissant de cadavres, le gouvernement conservateur de Jean- Pierre Raffarin décida, le 18 août, d'ouvrir une morgue centrale dans un entrepôt désaffecté pour fruits et légumes de Rungis, au sud de la capitale. Cette morgue improvisée peut contenir jusqu'à 2000 corps.

Ce choix symbolisait bien l'attitude du gouvernement Raffarin et du président Jacques Chirac. Pour les milliers de personnes qui avaient perdu des parents ou des amis, il eut l'effet d'un camouflet de plus.

Le gouvernement avait ignoré les avertissements de la météorologie nationale et avait manqué de prévoir les conséquences qu'aurait une chaleur intense et prolongée dans un pays où peu d'habitations ou de bureaux disposent de l'air climatisé. Il aggrava encore cette négligence en refusant de prendre les mesures nécessaires pour venir à bout d'une crise qui s'intensifiait de jour en jour.

De nombreux docteurs et experts médicaux soulignèrent le fait qu'un grand nombre de décès auraient pu être évités. Il y eut dès le 7 août des mises en garde que la chaleur aurait des conséquences tragiques et des appels furent lancés pour que soient mises en place des mesures d'urgence, mais le gouvernement resta totalement passif. Cela entraîna un conflit public sur le désastre qui était en train de se dérouler entre les différents services de santé et le gouvernement. Dans la seconde semaine d'août, le gouvernement se vit ouvertement accusé de négligence et d'indifférence.

Au lieu de prendre des mesures sérieuses à la hauteur de cette situation, le gouvernement réagit en faisant référence à des mesures de gestion de crise qui faisaient partie d'un plan destiné à répondre à des attaques terroristes ou à des catastrophes naturelles en général. Alors que les hôpitaux et les services de secours faisaient état de morts dues à la canicule dès les premiers jours du mois d'août, le gouvernement insistait encore au milieu de la deuxième semaine d'août qu'il s'agissait là de « morts naturelles ».

Cela conduisit Patric Pelloux, le président de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France à dire : « Ils osent parler de morts naturelles je ne suis absolument pas d'accord pour dire cela ».

Le 11 août, le ministère de la Santé soutenait encore qu' « il n'exist[ait] pas d'engorgement massif des urgences » et que « les difficultés rencontrées [étaient] comparables aux années antérieures, en dehors de cas ponctuels de certains établissements et d'un ou deux départements d'Ile-de-France ».

Le « Plan blanc » qui est sensé libérer matériel, transport, personnel et lits supplémentaires dans des situations d'urgences, fut déclenché le 13 août seulement, après que la critique publique se soit intensifiée et que la canicule ait atteint son apogée.

Cette situation n'est pas seulement due à l'attitude du gouvernement au cours des dernières semaines. Comme l'ont souligné docteurs et experts médicaux, elle est liée à l'absence de mesures préventives, qu'il aurait été relativement facile de mettre en uvre et à la dégradation générale des services de santé durant les quinze dernières années. Les hôpitaux doivent fonctionner avec des budgets restreints. Ils n'ont pas de marges de manuvre pour faire face à des situations imprévues et ils n'ont pas d'argent pour engager du personnel.

Selon le professeur Pierre Carli, le chef du SAMU de l'hôpital Necker de Paris et le Professeur Bruno Riou, chef des services des urgences de l'hôpital de la Pitié Salpêtrière également à Paris, la canicule « met en lumière de façon criante une pénurie permanente Même si cette situation peut paraître scandaleuse, (celle de victimes de la chaleur n'ayant pas de lit d'hôpital ) c'est souvent un scandale quotidien dans de nombreux hôpitaux en dehors de toute période épidémique ».

A la fin du mois de juillet, l'Association des médecins urgentistes avait averti de ce que la fermeture de 25 à 30 pour cent de lits dans les hôpitaux durant l'été avait créé une situation dangereuse. Selon cette même association, ces fermetures d'été sont effectuées afin de contenir les déficits financiers des hôpitaux.

Le président de l'Association des directeurs d'établissements d'hébergement pour personnes âgées, Pascal Champvert, dénonça le « manque de personnel » dans les maisons de retraites et y vit la cause du nombre élevé de décès dus à la chaleur. « Des milliers de personnes âgées sont mortes » dit-il « parce qu'il n'y a pas suffisamment de personnel dans les maisons de retraites. On sait que dans ce milieu le manque de personnel tue au quotidien ». Il exigea du ministre de la Santé qu'il rétablisse le crédit de 100 millions d'Euros destinés aux maisons de retraites et qui avait été « gelé » au début de 2003.

Dans une maison de retraite de Vitry-sur-Seine, dans la banlieue parisienne, un docteur explique qu'il y a une infirmière pour 72 personnes et que le reste du personnel n'est guère compétent pour apporter des soins médicaux.

Le gouvernement fut mis sur la défensive par la réaction provoquée par son indifférence. Il répondit avec un mélange d'arrogance et d'ignorance. Avant tout, il lui fallait limiter les dégâts. Il fit aussi appel au soutien des partis de l'opposition disant qu'il ne fallait pas s'engager dans des polémiques partisanes.

Obligé d'interrompre ses vacances le 14 août, Raffarin fit d'abord porter la responsabilité du nombre croissant de morts au public, accusant les familles de partir en vacances en abandonnant les parents âgés et en les laissant sans aide. Une accusation clairement contredite par le fait que la moitié des personnes mortes étaient dans des maisons de retraites et n'étaient pas du tout isolées.

Lui et son ministre de la Santé, Jean-François Mattei, accompagnèrent cela de déclarations pontifiantes sur le besoin de solidarité et de commisération ­ précisément la seule chose dont le gouvernement n'ait pas fait preuve. Raffarin se précipita dans une maison de retraite de Bourgogne (une qui n'avait pas eu de victimes dues à la canicule) pour essayer de répondre à retardement aux critiques disant que son gouvernement avait abandonné les personnes âgées et les malades.

Mattei fit des déclarations qui rappelaient les paroles mal famées de Marie-Antoinette en 1789 : « Qu'ils mangent de la brioche !». Il dit dans une interview que la raison pour laquelle tant de personnes âgées étaient mortes de la chaleur était qu'elles étaient plus nombreuses qu'avant, l'espérance de vie étant plus longue.

Une des formules constamment répétées par le gouvernement disait qu'il n'était pas responsable de la canicule. La presse cita ainsi un proche du ministre de la Santé : «Ce n'est quand même pas son rôle (celui du ministre de la Santé) de donner des biberons d'eau aux bébés sur les aires d'autoroutes !».

Mattei tenta de détourner les critiques en faisant porter la responsabilité de la situation à ses subordonnés immédiats, expliquant que le manque d'intérêt manifesté par le gouvernement venait du fait qu'il n'avait pas été informé du sérieux de la crise. Il désigna comme coupable la DGS (Direction générale de la santé), l'administration qui surveille la situation sanitaire au niveau national. Ceci mena à la démission de Lucien Abenhaïm, le chef de la DGS qui au cours d'interviews données après sa démission contesta la version du gouvernement et insista pour dire qu'il avait fait les mises en gardes nécessaires à temps.

Dans une tentative un peu trop voyante de soudoyer et de calmer ceux qui durent faire face à la crise ­ docteurs, infirmières, personnel des services de secours et des maisons de retraites ­ le gouvernement promit le versement d'une somme d'argent à ceux qui avaient aidé ceux qui souffraient de la chaleur.

Le gouvernement Raffarin arriva au pouvoir l'an dernier à la suite de la réélection de Chirac à la présidence de la République. Suivant la défaite du candidat du Parti socialiste au premier tour de l'élection, devancé par Jean-Marie Le Pen, le candidat du Front National fasciste, l'ensemble de la gauche officielle ­ le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts ­ tout comme des partis de la soi-disante « extrême-gauche », firent ouvertement campagne pour la réélection de Chirac. La « gauche » présenta Chirac, le principal dirigeant des partis de la droite traditionnelle, comme le défenseur de la démocratie contre Le Pen et appelèrent la population travailleuse à voter massivement pour lui. Le résultat, qui était prévisible, ne fut pas seulement que Chirac fut réélu mais que les partis de la droite obtinrent une écrasante victoire dans les élections législatives qui eurent lieu quelques semaines plus tard.

La crise politique, due à la canicule, par laquelle passent actuellement Raffarin et Chirac, montre combien leur gouvernement droitier est isolé et faible, malgré leur grande majorité à l'Assemblée nationale. Coupé de la réalité à laquelle des dizaines de millions de gens ordinaires doivent faire face et représentant les intérêts d'un groupe peu nombreux de riches et de fabuleusement riches, il ne dispose que d'une base sociale extrêmement étroite.

Cette catastrophe sanitaire est une sombre illustration des intentions générales du gouvernement concernant le système de santé en France et elle a rendu les gens plus conscients, que Raffarin et Chirac ne l'auraient souhaité, de ce qui se préparait. Cette crise a éclaté quelques jours seulement avant que le gouvernement ne lance une attaque de grande envergure contre la sécurité sociale et la santé en général, une attaque ayant pour but de s'en prendre aux fondements mêmes du système de santé tel qu'il a existé depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.

Cette crise politique s'est développée quelques semaines seulement après que le gouvernement ait lancé une attaque sans précédent contre le droit à la retraite, ce qui lui fut facilité par le sabotage par les syndicats d'un mouvement de masse de grèves et de protestations.

La réaction des partis de la gauche traditionnelle à la situation fut de contribuer à contenir la crise du gouvernement Raffarin. François Hollande, le premier secrétaire du Parti socialiste, reprocha faiblement au gouvernement de n'avoir pas agi à temps, tandis que les Verts appelèrent à la démission de Mattei et qu'un certain nombre de députés de gauche appelèrent à une enquête parlementaire sur la gestion de la crise par le gouvernement.

Les staliniens du Parti communiste ont qualifié la performance du gouvernement face à la vague de chaleur de « fiasco » mais ont évité de poser toute revendication politique.

Aucun de ces partis ne remet sérieusement en cause la politique qui a conduit à ce désastre ni ne souligne l'échec que cela représente pour le système capitaliste français, puisque ces mêmes partis imposaient, lorsqu'ils étaient au gouvernement il y a à peine un an de cela, des coupures de budget dans la santé.