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Québec : le gouvernement libéral lance une nouvelle offensive contre les assistés sociaux

Par François Legras
26 août 2003

Le nouveau gouvernement du Parti Libéral du Québec a annoncé qu'il allait appliquer rigoureusement les mesures punitives de la loi sur la sécurité du revenu (aide sociale) adoptées par le Parti Québécois dans le but de réduire de 25.500 le nombre de ménages vivant de ces maigres prestations et de couper 188 millions dans le budget du programme.

Les prestataires de la sécurité du revenu devront désormais obligatoirement suivre une formation ou accepter un emploi qui leur sera offert par l'État sous peine de voir le montant de leur chèque mensuel réduit.

Les assistés sociaux sont encore une fois les premières victimes de toute une série de mesures rétrogrades annoncées par les Libéraux. Après son élection, le Premier ministre Charest a clairement laissé entendre que tous les ministères allaient devoir réduire leur budget. Presque aucun programme ne sera épargné : l'éducation, la santé (malgré les promesses électorales), les frais de garderies, le coût de l'électricité, malgré les profits mirobolants d'Hydro-Québec, etc.

Cette nouvelle offensive contre les personnes les plus pauvres de la société sera appliquée, explique le ministre responsable Claude Béchard, immédiatement à tous les nouveaux assistés sociaux qui seront, dans les 24 heures de leur admission, référés à Emploi Québec pour un suivi durant lequel une formation ou un emploi leur sera «offert». La même formule sera appliquée aux 175.000 personnes actuellement bénéficiaires et considérées aptes au travail, c'est-à-dire sans «contraintes sévères» à l'emploi. Ces personnes représentent près de 40% du nombre total des 544.229 assistés sociaux (359.305 familles) du Québec.

Avec l'application de ces mesures, un refus de participer à une formation entraînera une réduction de 75$ et un refus d'emploi entraînera une réduction de 150$. Une seconde réduction du même montant s'ajoute en cas de second refus pour une réduction totale allant de 150$ à 300$ sur une prestation de base de 523$ par mois (pour une personne seule apte à travailler), déjà considéré comme le minimum vital. Les assistés sociaux devront se contenter de survivre avec 223$ par mois.

Aucune modification à la loi ne sera nécessaire puisque le Parti Libéral ne ferra qu'appliquer à la lettre les règles adoptées par le PQ en 1999 et sanctionnées depuis par la Cour suprême du Canada.

L'annonce des libéraux est en fait la poursuite de la même politique introduite par les péquistes au début des années 80 et suivie par les différents gouvernements successifs au cours des 20 dernières années.

En 1984, le gouvernement provincial du Québec dirigé par le Parti Québécois, adoptait un nouveau régime d'aide sociale qui visait à réduire massivement le nombre des bénéficiaires en attaquant les plus jeunes. Dorénavant, les moins de trente ans ne recevraient plus que le tiers du montant alloué qui se situait déjà au niveau du «minimum vital» devant combler «le strict nécessaire». Les effets furent dévastateurs pour des milliers de personnes.

L'adoption de ces mesures réactionnaires avait été la réponse de l'élite financière et politique à la profonde crise économique du début des années 80 et la constatation que la crise sociale allait en s'aggravant depuis l'adoption de la loi sur l'aide sociale au début des années 70. Le manque d'emplois et les coupures dans l'assurance-chômage au niveau fédéral avaient provoqué une hausse importante du nombre des assistés sociaux, une réserve de «cheap labor» qu'il fallait «libérer» pour pouvoir l'utiliser dans une offensive générale contre le niveau de vie de la classe ouvrière dans son ensemble afin de contrer la baisse des profits.

Ce fait est illustré clairement par les mesures qui furent prises au moment de l'adoption de la loi en 1984. Pour recevoir le montant complet à plus ou moins cent dollars, les moins de trente ans devaient participer à un programme de formation ou à un stage en milieu de travail. Mais il était notoirement connu que le gouvernement n'avait absolument rien fait pour s'assurer qu'il y ait suffisamment de place en formation ou en stage pour tous les jeunes assistés sociaux et des milliers d'entres eux furent jetées dans la pauvreté la plus abjecte.

En 1989, le gouvernement a aboli la distinction d'âge vivement décriée mais non les programmes de stages en milieu de travail. Mais le 29 octobre 2002, soit 13 ans plus tard, la Cour suprême du Canada décide que cette distinction d'âge n'était pas discriminatoire mais au contraire, visait à venir en aide aux jeunes.

La Cour suprême a eu à décider de cette question suite à la plainte portée par madame Gosselin dans le cadre d'un recours collectif représentant des milliers d'assistés sociaux victimes de cette politique réactionnaire et qui réclamaient du gouvernement le remboursement des montants dont ils avaient été privé.

Il ne fait aucun doute que la décision de la Cour suprême dans Gosselin a donné le feu vert pour la reconnaissance par les tribunaux à travers le pays de la légitimité des programmes de main-d'oeuvre à bon marché. L'aide de dernier recours comme l'aide sociale n'est pas un droit constitutionnel et l'état n'a aucune responsabilité reconnue par les chartes à soutenir les personnes victime de la crise sociale, a déclaré la Cour suprême.

Les commentaires des juges dissidents dans l'affaire Gosselin illustrent bien la profondeur du gouffre qui sépare l'élite dirigeante, dont les juges de la cour suprême sont parmi les représentants les plus conscients.

Le juge Bastarache détruit un des principaux arguments du gouvernement en soulignant une évidence. Il écrit : «L'argument du gouvernement, selon lequel il donnait aux jeunes la chance d'acquérir des compétences visant à leur permettre de s'intégrer dans la population active [] ne tient pas compte du fait que la raison pour laquelle ces jeunes ne faisaient pas partie de la population active n'était pas exclusivement le fait qu'ils possédaient des compétences ou des études insuffisantes, mais aussi le fait qu'il n'y avait pas d'emplois disponibles.»

Tout récemment, la Cour suprême a re-confirmé le principe énoncé dans Gosselin en refusant d'entendre la cause de Frank Lambert et de 5 autres personnes qui contestaient la légalité des programmes de stages en milieu de travail tel que le prévoyait la loi sur l'aide sociale, levant ainsi l'incertitude qui pesait toujours.

La principale objection de Lambert tenait au fait qu'en vertu du programme de formation en milieu de travail, il devait travailler un semaine entière au même rythme et au mêmes conditions que les autres salariés de l'entreprise sans être protégé par les lois minimales du travail et en ne recevant qu'un maigre 100$ supplémentaire à sa prestation d'aide sociale de base. Le volet formation était tellement maigre et si peu contraignant, qu'un employeur n'avait à y consacrer que 10% du temps total et qu'il pouvait se faire sur les lieux mêmes du travail. Considérant en plus que le travail de Lambert consistait à faire du classement, le caractère frauduleux du programme de «formation» et son véritable caractère de «cheap labor» était encore plus apparent.

La différence entre les mesures du gouvernement Libéral actuel et celles du Parti Québécois se situe au niveau de leur ampleur. Les mesures actuelles du gouvernement sont financièrement plus radicales que celles contestées par Lambert qui prévoyaient en 1989 qu'un prestataire apte au travail recevra un montant supplémentaire de 100$ par mois s'il participe à une mesure volontaire d'insertion au travail.

À titre comparatif, en 2000, le Parti Québécois avait proposé le même type de programme, c'est-à-dire une application à la lettre de la loi, pour réduire de 8000 le nombre de ménages soutenus par l'aide sociale (les libéraux proposent aujourd'hui de réduire ce nombre de 25.500 en un ans).

En 2002-03, sous le règne péquiste, 20.000 assistés sociaux ont vu leur chèque réduit à cause d'un refus, permettant au gouvernement de réduire sur leur dos, les dépenses du budget de 6,7 millions de dollars.

Très peu d'assistés sociaux trouvent un emploi malgré ces soi-disant incitatifs. Par exemple, en 2002, sur les 120.000 nouveaux emplois créés, seulement 6000 ménages ont quitté les rangs de l'aide sociale pour un travail.

Selon les propos Jean Yves Desgagnés, du Front commun des personnes assistés sociales du Québec, publiés dans l'édition du 4 juillet du journal Le Devoir, l'objectif de 25.500 ménages en une seule année est irréaliste compte tenu du fait qu'au cour des sept dernières années, alors que l'économie était en croissance, le nombre moyen de ménages ayant quitté l'aide sociale est de 16.000.

Les coupures dans les programmes sociaux se sont poursuivies et même intensifiées durant les dernières années. Malgré le soi-disant boum économique des années 90, le niveau de vie de la vaste majorité de la population ne s'est pas amélioré et continu d'être plus bas que ce qu'il était au début des années 70.

Le gouvernement Charest prépare une offensive sans précédent contre le niveau de vie de la population alors que tout indique qu'une profonde crise économique est à nos portes à une échelle jamais vue.



 

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