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Portrait d'un « opposant » irakien

Par Peter Symonds
12 mars 2003

Un article paru sur la page couverture du journal Australian vendredi dernier sur l'exil d'un résident irakien à Sydney fournit des indices révélateurs quant aux types de personnages que Washington a réunis pour former ses conseillers et ses planificateurs irakiens. Intitulé « Un mentor trahi par Saddam Hussein prépare sa vengeance, » il s'entretien avec Mohamed Al Jabiri, un ancien diplomate irakien de haut niveau et un officiel du parti Baas.

Comme le journal l'a fièrement noté, Al Jabiri, qui travaille dans un petit bureau de la banlieue sud-ouest de Sydney, est le seul membre australien du « Groupe pour une justice transitoire » dirigé par le Département d'État Américain. Apparemment, Al Jabiri est sur le point de s'envoler pour Washington afin de rejoindre un groupe de 30 autres « opposants » et officiers supérieurs dans le but de mettre la touche finale aux préparatifs américains visant à mettre en place un régime néo-colonial en Irak.

Indéniablement, l'ancien diplomate, comme plusieurs Irakiens, a souffert sous la dictature d'Hussein. Selon Al Jabiri, il a été incarcéré et gardé en isolation pendant deux ans et assigné à résidence après sa libération. Hussein orchestra le meurtre de son frère et de son fils. En janvier 1993, Al Jabiri a obtenu la permission de quitter l'Irak pour des traitements médicaux et, en mai 1995, il a été accepté en Australie en tant que réfugié.

L'aspect le plus révélateur de l'article, cependant, concerne le récit de Al Jabiri sur sa collaboration avec Saddam Hussein dans les années 1950 et 1960. Dans leur première rencontre en 1959, Al Jabiri, dans la trentaine, était « une sorte d'éminence grise » dans le Parti Baas naissant et le fils d'une famille commerciale bien nantie. Hussein était dans le début de sa vingtaine et, comme le rappelle Al Jabiri, n'était pas impressionnant ni charismatique.

« J'étais assis avec un groupe d'Irakiens et deux personnes se sont approchés ­ Saddam était l'un d'eux, » explique Al Jabiri. « Il s'est assis avec nous et nous avons décidé de l'aider parce qu'il était impliqué dans un groupe qui s'apprêtait à tuer le premier ministre de l'époque, Abdul Karim Qasim [emphase ajoutée]. [Hussein] avait belle allure et je ne m'imaginais pas qu'il allait devenir un boucher aussi cruel.

Cette stupéfiante remarque démontre premièrement que, en dépit de toutes les protestations contre la violence d'Hussein, la seule raison pour laquelle Al Jabiri et sa clique ont appuyé Hussein était parce que le jeune homme était un tueur. Deuxièmement, cela met en évidence l'hypocrisie débridée du personnel éditorial de l'Australian, qui rapporte fréquemment la brutalité de Hussein comme une justification pour la guerre, mais n'a aucune réticence a glorifier un homme qui a été directement complice des agissements de Saddam Hussein. Un peu d'histoire aide à rendre compte de la quantité de sang qu'Al Jabiri a sur ses mains.

En octobre 1959, Saddam Hussein et ses gangsters ont essayé d'assassiner Qasim qui, l'année précédente, en tant que leader du mouvement des Officiers Libres, avait renversé la monarchie irakienne méprisée. Le coup d'état militaire, qui avait été largement appuyé, avait soulevé les attentes que la nouvelle administration instituerait des réformes sociales et démocratiques importantes. Qasim compta en majeure partie sur le Parti Communiste Irakien (PCI), qui supporta sans broncher son nouveau régime et empêcha le mouvement populaire de prendre une direction ouvertement anti-capitaliste.

Le caractère « gauchiste » de la nouvelle administration fit de Qasim la cible de divers groupe de droite, incluant le Parti Baas ­ et Washington. La tentative d'assassinat de Hussein échoua. Le chauffeur de Qasim fut tué, mais le premier ministre échappa à la tentative sans blessure. Les assassins s'enfuirent et la majeure partie de la direction du Parti Baath quitta le pays. Cet épisode donna une certaine notoriété à Hussein qui était auparavant inconnu.

Le soutien d'Al Jabiri pour la tentative d'assassinat d'Hussein va de pair avec la nature du Parti Baas qui fonctionne par le complot et la violence. Ce groupe de gangsters d'Hussein était juste un groupe parmi plusieurs autres sur lesquelles le Parti Baas s'appuie.

En 1963, le Parti Baas chassa Qasim lors d'un coup d'état organisé par des officiers sympathisants et mit en place un règne de terreur contre les gauchistes. Comme une histoire de l'Irak le raconte : « Les mois entre février et novembre 1963 ont été témoins des scènes de violence les plus terribles jamais expérimentées dans le Moyen-Orient de l'après-guerre Ayant pris possession des points stratégiques principaux et ayant exécuté Qasim, les Baaths commencèrent à éliminer physiquement leurs rivaux »

« C'est impossible de déterminer exactement combien de gens ont été tués, mais plusieurs milliers ont été arrêtés et les terrains réservés aux sports ont été transformés en prisons de fortune afin de détenir le flux de détenus. Des gens étaient tués dans les rues, torturés à mort dans les prisons ou exécutés après des « procès » simulés. Plusieurs de ceux qui en sont sortis vivants ont été condamnés à de longs emprisonnements sous des conditions atroces. » [Iraq Since 1958: From Revolution to Dictatorship, Marion Farouk Sluglett and Peter Sluglett, pp 85-86].

Comme le livre le souligne, le Parti Baas, même s'il bénéficiait de l'appui des autres groupes nationalistes de droite, était à ce stade relativement petit ­ environ 850 membres à part entière et peut-être 15 000 sympathisants. L'étendue du massacre laisse entendre qu'il y a eu une assistance extérieure et, comme ce fut le cas lors des coups antigauchistes en Iran (1953), en Indonésie (1965-1966) et ailleurs, les mains sales de la CIA y sont trempées.

« Bien que des gauchistes furent assassinés de façon intermittente pendant les années précédentes, l'étendu des assassinats et des arrestations pendant le printemps et l'été de 1963 indique que la campagne était finement coordonnée, et c'est presque certain que ceux qui ont orchestré les raids aux maisons des suspects travaillaient à partir de listes qui leur étaient fournies. Dire précisément comment ces listes ont été compilées relève de la supposition, mais c'est certain que quelques leaders baas étaient en contact avec les services du renseignement américain, et c'est aussi indéniable que divers groupes en Irak ou ailleurs avait un intérêt direct à briser ce qui était probablement le plus fort et le plus populaire parti communiste de la région » [ibid, p.86].

Al Jabiri a affirmé égoïstement à l'Australian qu'il avait essayé de garder le parti propre. Mais, ayant encouragé une tentative de meurtre en 1959, Al Jabiri était, par ses propres aveux, l'ami et le mentor d'un des voyous en chef du parti qui n'avait aucun remord à tuer un de ses opposants politiques. Quand le parti s'est lui-même donné le pouvoir en 1968, Hussein s'est rendu indispensable au leader baath Ahmad Hasan al-Bakr en consolidant son pouvoir sur l'armée et en mettant en place un système de police et de renseignement sans pitié.

Hussein, même s'il était encore jeune gravit rapidement les échelons pour devenir le vice-président. Al Jabiri demeura un confident loyal et continua de servir le régime dans différentes fonctions diplomatiques. « J'avais l'habitude de le rencontrer et de lui donner des conseils, » a-t-il dit à l'Australian. Il est seulement entré en conflit avec Hussein pendant les disputes internes qui ont suivi le remplacement d'al-Bakr par Hussein en 1979. Al Jabiri et sa famille devinrent des victimes de la dictature cruelle du Parti Baas, qu'il a aidé à créer, dans laquelle il a participé et, en tant que diplomate, a défendu et justifier.

La volonté de Washington d'utiliser des hommes comme Al Jabiri met en évidence une fois de plus le fait que les actions des États-Unis en Irak n'ont rien à voir avec la démocratie et la justice. Le fait que l'Australian de Rupert Murdoch ait choisi de passer sous silence le dossier d'Al Jabiri parle pour lui-même.



 

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