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Les événements arrangés du Square Firdos à Bagdad:

fabrication d'images, mensonges et la «libération» de l'Irak

par Patrick Martin
12 avril 2003

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Plusieurs photos publiées sur un site web anti-guerre jette la lumière sur la façon dont les médias américains ont manipulé les images de la guerre en Irak pour donner la fausse impression que la vaste majorité du peuple irakien ont accueilli l'invasion et l'occupation de son pays par les armées américaines et britanniques avec allégresse.

Ces photos, disponibles sur le web sur le site d'Information Clearing House, montrent que la démolition de la statue de Saddam Hussein au square Firdos qui fut si largement diffusée dans les médias américains et internationaux le 9 et 10 avril, a été monté de toutes pièces.

Tel qu'elles furent présentées au monde entier par la télévision américaine et les reportages dans les journaux, les photos du square Firdos démontraient un rassemblement de masse d'Irakiens enthousiastes envers les militaires américains et sautant sur la colossale statue de bronze de Saddam Hussein. C'est au bas mot des heures qui ont été consacrées à nous présenter ces images à la télévision et des pages entières dans les journaux, accompagnées de commentaires comparant cette scène à la chute du mur de Berlin en 1989 et de la libération de Paris en 1944.

La première photographie sur le site d'Information Clearing House montre une image grand-angle de tout le square Firdos plutôt que le cadre étroit et rapproché dont nous ont gratifiés les médias de masse. On peut y voir que la «foule» qui entourait la statue était très petite que le square lui-même était entouré de tanks américains Abrams qui l'isolait du reste de la ville.

La légende de la photo sur ce site note que le square Firdos est en face de l'hôtel Palestine, là où logent la majorité des journalistes internationaux à Bagdad, un fait que même le critique de télé du Washington Post décrit comme «soit un coup de chance splendide, soit une planification brillante de la part de l'armée». Des 200 personnes qui y étaient rassemblées, la plus grande partie était des journalistes et des soldats américains. La BBC a rapporté que seule quelques «douzaines» d'Irakiens avaient pris part aux événements.

Et quel genre de personne composait ces douzaines d'Irakiens est suggéré par deux autres photos publiées sous la photo grand-angle. Elles montrent l'arrivée d'exil du «dirigeant» irakien que le Pentagone a choisi avec soin, Ahmed Chalabi, à Nasiriya le 6 avril, accompagné par plusieurs adjoints ainsi qu'un zoom sur un des participants à la démolition de la statue le 9 avril à Bagdad. Il est clair des deux photos que l'homme qui célébrait la «libération» de Bagdad était un de ceux qui accompagnaient Chalabi à Nasiriya trois jours plus tôt.

La signification de tout ceci ne laisse aucun doute : ceux qui se sont «spontanément» réunis dans le square Firdos comprenaient des agents politiques irakiens de l'armée américaine, envoyé de Nasiriya à Bagdad pour servir de figurants dans le scénario imaginé par les faiseurs d'images de l'administration Bush. Si ce n'est pas «Wag the dog», c'est au moins un cas de «location de foule». Ou comme Robert Frisk, un journaliste du journal britannique The Independent l'a décrit, «la séance de photos la plus arrangée depuis Iwo Jima».

Pour l'observateur avec un sens critique, le reportage en direct du square Firdos suggérait que les scènes de réjouissances n'étaient pas ce que l'on tentait de faire croire. Même cette petite foule sous contrôle est demeurée silencieuse et s'est fait désapprobatrice lorsqu'un marine américaine a recouvert la tête de la statue de Hussein du drapeau américain. Un Irakien sur les lieux a alors offert le drapeau de son pays et il y a eu des applaudissements le drapeau américain a été remplacé.

Le Los Angeles Times a cité un passant irakien qui a dit que bien que certains Irakiens dans le square acclamaient Bush en anglais pour les médias américains, d'autres, en arabe, le dénonçaient. «Aujourd'hui j'ai vu certaines personnes en train de démolir ce monument, a-t-il dit au Times, mais il y avait parmi eux des femmes et des hommes qui était sur place et disaient en arabe: "Merde à l'Amérique, merde à Bush". Ce n'est pas une situation simple.»

La mise en scène cynique de cette «nouvelle» et la manipulation des images vidéos pour réaliser des mensonges aux proportions gargantuesques est typique de l'administration Bush et des médias américains. C'est cette même technique que l'Avenue Madison avait mis en oeuvre pour justifier son programme d'agression et de conquête militaire. Dans leur présentation des faits dignes d'un roman d'Orwell, conquête se dit «libération», les bombardements sont appelés «aide humanitaire» et l'appropriation des ressources pétrolières au deuxième rang quant à l'importance porte le nom de «reconstruction de l'Irak».

Exposer la fraude du square Firdos n'est pas la même chose que dire que chaque compte rendus d'accueil des troupes américaines et britanniques est faux. Il n'y a aucun doute que des millions d'Irakiens haïssaient et craignaient le régime de Saddam Hussein et ont accueilli sa fin, peu importe leurs sentiments sur le nouveau régime de violence qui remplace la dictature baasiste.

Mais la réalité est plus compliquée que la propagande simpliste et cynique de l'administration Bush et ses complices dans les médias. Par dessus tout, la vaste majorité des Irakiens ne sont pas descendus dans les rues pour acclamer les armées conquérantes des États-Unis et de la Grande-Bretagne.

Plutôt, comme même certains médias américains l'ont dit, depuis l'épisode du square Firdos ce 9 avril, peu importe l'euphorie qui avait pu exister à Bagdad, elle s'est largement transformée en peur et en colère envers les occupants américains. ABC News, en soirée de vendredi, a montré des citoyens de Bagdad en colère qui dénonçait les États-Unis pour avoir engendrer le chaos et une vague de meurtres et de pillage. Plusieurs criaient devant les caméras que les conditions infernales dans lesquelles se trouvait la ville était la preuve que les États-Unis n'étaient pas venus pour libérer le pays mais plutôt pour lui voler son pétrole.

Les premiers jours de l'invasion, on a vu une résistance ardente autant des soldats que des civils irakiens. Loin de provoquer une vague d'émigration, le début de la guerre a plutôt résulté en un retour de milliers d'exilés irakiens de la Jordanie, de la Syrie et d'ailleurs pour venir s'opposer et lutter contre les agresseurs de l'Occident.

Les soldats américains et britanniques n'étaient pas couverts de fleurs par la population, mais ont dû faire face à une résistance héroïque et courageuse. Ce n'est que lorsque Blair et Bush ont changé de tactique, en ayant recours aux bombardements massifs des quartiers civils et de l'incinération en gros des troupes irakiennes que la résistance a pu être vaincue.

Selon les chiffres du Pentagone, plus d'Irakiens ont été tués à Bagdad, samedi le 5 avril, le jour où la Troisième Division des blindés a mené une avancée meurtrière à travers la ville, qu'il y a eu de morts au World Trade Center le 11 septembre 2001. Le nombre total d'Irakiens tués durant les trois semaines de la guerre dépasse fort probablement par leur nombre les 50.000 Américains tués tout au long des douze années de la guerre du Vietnam, et ceci pour une population qui ne fait pas le dixième de la population des États-Unis.

Il faut ajouter à ceci l'impact à long terme du régime répressif de Hussein (qui a bénéficié de l'appui des États-Unis jusqu'en 1990), de la guerre Iran-Irak, de l'immense défaite de la première Guerre du Golfe et des effets de douze ans de sanctions économiques imposées par les États-Unis qui ont affamé la société irakienne, entraînant selon les travailleurs de l'aide humanitaire de l'ONU, la mort d'un million à un million et demi de personnes, dont la moitié sont des enfants.

Le résultat est une société qui a été physiquement, émotionnellement et moralement traumatisée, telle que l'a montré le pillage à grande échelle non seulement de symboles du régime comme les maisons de l'élite baasiste mais aussi des hôpitaux, des institutions de l'éducation, du programme alimentaire de l'Unicef et d'autres éléments de l'infrastructure sociale de l'Irak.

Si des sections du peuple irakien sont maintenant prêtes à accueillir les forces des envahisseurs, et combien au juste reste encore à déterminer, il faut leurs motivations comme un mélange complexe de haine envers Hussein (non seulement pour la répression et la corruption, mais aussi pour son échec à défendre le pays contre l'invasion), de soulagement que les bombardements soient terminés, d'espoir de restauration des services essentiels et pour certains, de désir de se gagner les faveurs de nouveaux maîtres.

Beaucoup plus d'Irakiens ont perdu un proche à cause des bombes, des missiles, des tanks et des fusils américains ou à cause de l'embargo imposé par les États-Unis, pour ensuite embrasser des soldats américains ou acclamer George W. Bush. Alors que le principal objectif des Américains en Irak deviendra plus clair (le contrôle des réserves de pétrole en Irak et la domination du Moyen-Orient, en partenariat avec l'Israël), il n'y a aucun doute que l'opposition populaire à l'occupation américaine s'intensifiera.

Les menteurs et les faiseurs d'image de Washington et les médias ne comprennent pas grand chose de ce processus historique et de son impact profond sur la conscience populaire. Ils ne peuvent saisir ce que signifie l'héritage de décennies de lutte contre le colonialisme et la domination étrangère. Peu importe ce que de larges couches de la société irakienne peuvent penser de Saddam Hussein, elles gardent une inextinguible haine de l'impérialisme et une détermination à résister au retour à la domination coloniale sous une nouvelle forme et sous de nouveaux maîtres, les Américains.

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