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L'Administration Bush place la Syrie dans sa ligne de mire

Par le bureau de rédaction
16 avril 2003

Enthousiasmée par l'occupation victorieuse de Bagdad et la réduction de l'Irak dans un état de chaos et de ruine, l'administration Bush jette déjà son regard plus loin, particulièrement en direction de la Syrie. Bien que les chars américains ne soient pas encore en direction de Damas, une série de déclarations récentes émanant de Bush et de ses représentants ne laissent aucun doute sur la menace sous-entendue: soumettez-vous sans conditions aux demandes des États-Unis ou bien le même sort que celui de l'Irak vous attend.

De Washington, lundi le secrétaire à la défense Colin Powell, a réitéré la liste des accusations, qui s'allonge à chaque fois, contre le régime Syrien, et ce, sans la moindre preuve. «Nous croyons, à la lumière du nouvel environnement, qu'il devrait revoir ses actions et son comportement, non seulement en ce qui a trait à ceux qui bénéficient de l'asile syrien et aux armes de destruction massive, mais spécialement en ce qui a trait à l'appui au terrorisme», a-t-il déclaré.

Questionné sur l'allégation américaine selon laquelle des dirigeants de haut rang auraient trouvé refuge en Syrie, Powell a été incapable de donner des détails. «Je ne peux quantifier combien ont pu se faufiler par la frontière», a-t-il dit. Alors qu'il mettait l'accent sur la possibilité de sanctions économiques et de pressions diplomatiques, Powell n'a pas fermé la porte à une possible attaque militaire. «En ce qui concerne la Syrie», a-t-il déclaré, «à mesure que nous avançons, bien sûr, nous allons examiner les mesures de nature diplomatique, économique et autre.»

Samedi, le président Bush venait appuyer Powell en déclarant: «Je pense que nous croyons qu'il y a des armes de destruction massive en Syrie.» Il a mis en garde la Syrie qu'elle «devait coopérer» avec les États-Unis. La journée suivante, Ari Fleischer, le porte-parole de la Maison blanche, a sommairement rejeté les protestations de la Syrie qui affirmait ne pas avoir de programme d'armes chimiques. Fleischer a simplement dit que c'était «bien corroboré». Il a qualifié la Syrie «d'état voyou» et lui a lancé la mise en garde qu'elle devait «sérieusement penser aux implications» de ses actions.

Afin de souligner la menace militaire contre la Syrie, le secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld s'est joint au groupe. Il a répété l'accusation que «certains Irakiens ont eu la permission d'entrer en Syrie, dans certains cas pour y demeurer, dans d'autres pour y transiter». Il a ensuite ajouté sa propre touche, déclarant que «nous avons vu des tests chimiques en Syrie au cours des derniers 12, 15 mois». Il n'a fourni aucun détail pour soutenir cette allégation.

C'est Rumsfeld, qui le mois dernier a lancé l'offensive verbale en accusant Damas de fournir à l'Irak du matériel militaire sensible, incluant des lunettes à vision nocturnes. «Nous considérons ce type de trafic comme étant des gestes d'hostilité et le gouvernement syrien en sera tenu responsable.» S'adressant dimanche sur les ondes de l'émission télévisée de CBS Face The Nation, il a déclaré: «Le gouvernement [syrien] fait beaucoup de mauvaises erreurs, montre beaucoup de mauvais jugement selon notre point de vue.»

Rumsfeld a annoncé mardi que les ingénieurs militaires avaient déjà unilatéralement fermé un oléoduc crucial entre la Syrie et l'Irak. Cette mesure est un coup dur contre l'économie de la Syrie qui aurait tiré près de 2 milliards de dollars par année de la vente de marchandises à l'Irak en échange pour du pétrole irakien à prix très avantageux.
Bien que les représentants officiels à Washington aient évité de proférer des menaces militaires directes contre Damas, il ne fait aucun doute que la cause de la guerre prochaine est en préparation. La liste de plus en plus longue d'accusations sans fondement rappelle la méthode utilisée pour envahir l'Irak. De plus, même si le but immédiat est de soumettre la Syrie aux diktats des États-Unis, il y a une inexorable logique politique à ces menaces.

Les avertissements provenant des éléments les plus militaristes de l'administration Bush, les soi-disant néo-conservateurs, sont devenus particulièrement tranchants. Dans une entrevue accordée dimanche à l'International Herald Tribune, Richard Perle, un des idéologues clés de la guerre contre l'Irak, a déclaré que ce serait un «acte de folie» pour la Syrie de s'emparer des armes de destruction massive de l'Irak. Si les Syriens n'arrivent pas à mettre fin à cette menace, a-t-il déclaré, «je ne pense pas qu'il y ait quelqu'un qui puisse écarter l'utilisation de tout l'éventail de notre pleine capacité.»

Perle a clairement laissé entendre que ce n'était pas seulement la Syrie qui était visée. «Si la question est de savoir de quels pays les États-Unis doivent s'occuper parce qu'ils constituent une menace, alors la liste est bien connue. C'est l'Iran. C'est la Coré du Nord. C'est la Syrie. C'est la Libye et on peut continuer ainsi de suite», a-t-il déclaré. Affirmant avoir une préférence pour les solutions pacifiques, il n'a laissé planer aucun doute que les forces militaires américaines seraient utilisées contre tout gouvernement qui refuserait de répondre aux demandes des Américains.

Les porte-paroles syriens ont vigoureusement nié les accusations dans un effort désespéré d'enlever leur pays du champ de vision du regard menaçant de Washington. Le ministre des Affaires étrangères, Farouk al-Sharaa a qualifié les accusations comme étant sans fondement et dénoncé les ÉU pour leur incapacité à rétablir l'ordre en Irak. Il a ensuite poursuivi sur un ton plutôt plaintif: «Nous n'aurons aucun problème si vous nous montrez une preuve quelconque. Quels sont les indices, les preuves que vous avez ? Ils ne présentent aucune preuve.» À Washington, le député et ambassadeur syrien, Imad Moustapha, a offert d'ouvrir le pays pour permettre une inspection complète de son armement.

Les menaces de Washington ont provoqué la consternation dans les capitales européennes, particulièrement à Londres, où le gouvernement Blair s'évertue à déclarer qu'il n'y a pas de plan militaire. S'adressant à la chambre des communes lundi, Blair a rejeté les allégations d'invasion en Syrie, qui ne sont qu'une «théorie de la conspiration». «J'ai l'avantage de pouvoir parler au président américain sur une base régulière et je peux vous assurer qu'il n'y a pas de plan pour envahir la Syrie», a-t-il déclaré. «Il n'y a personne, en autant que je sache, sur l'autre rive, qui a de tels plans.»

Cependant, comme le rapportait l'édition d'hier du Guardien, les craintes d'une attaque contre Damas sont loin d'être sans fondement. L'article explique que durant les semaines précédentes, Rumsfeld, le secrétaire à la défense des ÉU, a ordonné que le plan des effectifs pour une guerre contre la Syrie soit revu. L'article indiquait aussi clairement que la série d'accusations émanant de Washington faisait partie d'un plan élaboré afin d'obtenir la casus Belli nécessaire.

«Son sous-secrétaire politique [de Rumsfeld] , Doug Feith, et William Luti, le dirigeant du bureau des plans spéciaux du Pentagone, ont été mandatés pour préparer un document justifiant une guerre contre la Syrie, soulignant son rôle en tant que fournisseur d'armes à Saddam Hussein, ses liens avec les groupes terroristes du Moyen Orient et son soi-disant programme avancé d'armes chimiques. Monsieur Feith et monsieur Luti ont tous deux été très impliqués dans le processus de persuasion pour le déclenchement de la guerre contre l'Irak», a expliqué le journal.

Les pressions pour la guerre

Selon la source du Guardian, «les discussions n'allaient nulle part». Cette brève affirmation ignore l'existence de la campagne actuellement menée par l'administration Bush et les facteurs qui poussent les ÉU à aller en guerre contre Damas. Les déclarations publiques provenant de Washington constituent un avertissement sans équivoque de la réelle possibilité que l'invasion de l'Irak soit étendue à la Syrie voisine dans un avenir rapproché.

En autant que les planificateurs du Pentagone soient concernés, l'invasion de la Syrie est tout à fait logique. Les troupes américaines et un important arsenal militaire sont déjà en place. Les ÉU sont en train de mettre en place une occupation militaire à long terme dans une région hautement instable alors que déjà une opposition vigoureuse des Irakiens se dessine. Pour les haut-gradés militaires, la Syrie représente un flanc exposé qui devrait être éliminé plus tôt que tard en remplaçant le régime baathiste de Damas par un régime fantoche soumis aux ÉU.

De tels objectifs, soit de redessiner la carte du Moyen Orient, font partie des plans des sections les plus à droite du Parti républicain, explicité le plus clairement par les néo-conservateurs. Depuis 1996, Perle, Feith et d'autres, écrivant sous les auspices de l'Institut avancé d'études stratégiques et politiques (Advanced Strategic and Political Studies), ont produit un document pour le nouveau gouvernement Netanyahu en Israël dans lequel ils développaient une statégie régionale aggressive y compris des plans pour «éliminer Saddam Hussein du pouvoir» et «affaiblir, contenir et même renverser le régime syrien».

Immédiatement après les attaques du 11 septembre à New York, l'extrême droite a saisi l'opportunité pour pousser de l'avant ses plans. Une lettre ouverte à Bush du groupe Projet pour un nouveau siècle américain (Project for the New Americain Century) désignait l'Irak, la Syrie et l'Iran en tant que supporteurs du terrorisme. La lettre demandait au président Bush de demander à la Syrie et à l'Iran de cesser immédiatement leur appui à la milice du Hezbollah et déclarait: « Si l'Iran et la Syrie refusent de se soumettre, l'administration devrait penser à prendre des mesures punitives appropriées.»

Plus récemment, l'agenda de cette couche fasciste a été explicitement mis de l'avant par l 'ex-directeur de la CIA, James Woolsey, qui a été promu à la tête du ministère de l'information de Baghdad. S'addresant à un auditoire d'étudiants de niveau collégial à l'université de Californie à Los Angeles le 2 avril dernier, Woosley a élaboré sa théorie selon laquelle les ÉU sont déjà au milieu de la IVe guerre mondiale, la guerre froide comptant pour la IIIe.

«Cette quatrième guerre mondiale, je pense, va être considérabement plus longue que la première et la seconde ne l'ont été pour nous. Souhaitons que ce ne sera pas aussi long que les quatre décennies et plus de la guerre froide», a déclaré Woosley. Il a inclus parmi les ennemis immédiats durant cette guerre: les dirigeants religieux de l'Iran, les «régimes fascites» de l'Irak et de la Syrie, et les groupes islamistes extrémistes comme Al Qaïda. Ces remarques visaient aussi le président Hosni Moubarak et le dirigeant de l'Arabie Saoudite.

En autant que Woosley soit concerné, une guerre contre la Syrie et sa transformation en une semi-colonie des ÉU ne serait qu'un pas de plus dans un plan beaucoup plus vaste, avec Israël comme assistant, pour contrôler le Moyen Orient et ses vastes ressources pétrolières. La mise en place d'un régime fantoche à Damas a son corrolaire: la transformation du Liban en fief israélien. Le ministre de la défense israélien, Shaul Mofaz a signalé la volonté d'Israël de travailler de concert avec les ÉU en déclarant: «Nous avons une longue liste de questions que nous pensons soumettre à la Syrie et nous croyons que la façon de le faire est de passer par les Américains.»

Bush est sous d'immenses pressions, tant publiques que privées, provenant des sections les plus à droite de son propre parti Républicain afin qu'il donne le feu vert à une guerre contre Damas. Parmi ces couches, le moindre recul serait un signe inacceptable de faiblesse, ou même de trahison. Ces extrémistes sont déjà en train de comparer un éventuel retrait de Bush à l'égard d'une invasion contre la Syrie avec l'échec de son père qui n'a su saisir l'opportunité durant la guerre du Golf de 1990-91 pour marcher sur Bagdad.

Loin de s'opposer à une guerre contre la Syrie, des sections du Pari Démocrate cherchent à surpasser l'administration Bush. Le candidat présidentiel Bob Graham a raconté au Orlando Sentinel durant la fin de semaine: «Nous avons lancé quelques missiles de croisière dans les camps d'entrainement terroristes en Afghanistan c'est ce que nous devrons peut-être faire en Syrie.» Alors que d'autres figures ont adopté une approche plus modérée, il n'y aucun doute que le parti, comme dans le cas de l'Irak, va rapidement se ranger derrière l'administration Bush en cas d'attaque contre Damas.

En dernier analyse, la force motrice pour l'invasion de la Syrie est l'immense contradiction sociale et économique aux États-Unis même. L'administration Bush a plongé dans la guerre contre l'Irak dans le vain espoir d'endiguer la crise économique nationale en détournant l'attention du public de sa politique domestique dévastatrice et en canalisant les tensions générées par la pauvreté et les inégalités sociales croissantes vers l'extérieur. Mais n'ayant rien résolu, Washington n'a d'autre alternative que de pousser plus loin ses aventures militaires.

Telle est l'inexorable logique du militarisme. Voulant se maintenir au pouvoir, l'administration Bush est forcée soit de s'impliquer dans une guerre ou de préparer la prochaine.



 

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