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Un responsable d'Attac empêche un représentant du World Socialist Web Site de parler

Par Barry Grey
24 mars 2003

Les succès militaires américains en Irak ont provoqué de sérieux conflits de fraction au sein de l'élite dirigeante française. Le gouvernement, en gros appuyé par la gauche officielle, confronte des dissensions violentes au sein de son propre parti conservateur, l'UMP. La politique extérieure du président Jacques Chirac et du premier ministre Jean-Pierre Raffarin est en désordre, tentant simultanément d'apaiser les États-Unis et de construire une position européenne indépendante.

Aussitôt qu'il a été évident que la résistance irakienne à Bagdad faiblissait, Chirac s'est mis à louanger le massacre et l'occupation de l'Irak. Chirac a ensuite annoncé le 10 avril qu'il «se réjouissait» que Bagdad soit tombée aux mains des troupes américaines. Il a ensuite ajouté qu'une «démocratie» ne pouvait jamais manquer de se réjouir à la chute d'une dictature. Dans son intervention à l'ONU le 7 avril, le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin a affirmé que «La présence militaire américaine et britannique dans la région appuie notre volonté collective».

Les cercles dirigeants français n'ont pas entièrement abandonné l'espoir qu'ils pourront profiter de l'occupation de l'Irak et des reconstructions qui y auront lieu. Le syndicat patronal, le Medef, a formé un comité pour lutter pour l'accès des sociétés françaises aux contrats en Irak. La grande société d'énergie, TotalFinaElf, a plusieurs fois souligné que ses études géologiques plus avancées de l'Irak lui donnent une année d'avance par rapport à ses concurrents pour développer et exploiter les ressources pétrolières irakiennes.

Cependant, on reconnaît de plus en plus que les États-Unis ne laisseront pas de part majeure des profits de guerre aux sociétés françaises et traiteront la France avec de plus en plus d'hostilité. Quand le secrétaire adjoint à la défense américain Paul Wolfowitz a dit que la France devait «payer» pour son opposition à la guerre américaine en se voyant refuser le remboursement des dettes contractées auprès de la France par le dernier régime irakien, les porte-parole français ont répliqué qu'ils ne voulaient pas «polémiquer». Le secrétaire d'État américain Colin Powell, que l'on considère souvent comme une influence modérée qui retient les instincts plus agressifs de l'administration Bush, a déjà indiqué que la France souffrira des rétorsions politiques et commerciales américaines à court terme.

Ernest-Antoine Seillière, chef du Medef, a fait un appel à l'Amérique le 15 avril pour demander aux Américains de ne pas boycotter les produits français. «Si [] il y a des gens qui n'aiment pas la manière dont la France se comporte sur le plan diplomatique, il faut envoyer des télégrammes à nos ambassades, mais il ne faut pas s'en prendre ni à nos bouteilles, ni à nos yaourts, ni à nos avions», a-t-il déclaré.

Le gouvernement français a fait des appels désespérés pour un plus grand rôle de l'ONU dans la «reconstruction» de l'Irak, espérant ainsi élargir la part du butin revenant aux sociétés françaises et en même temps apaiser la colère populaire en France et au Moyen-Orient causée par l'occupation américaine.

Le gouvernement favorise des liens renouvelés avec le Royaume-Uni, avec qui les relations étaient très tendues au début de la guerre. Le 9 avril, le ministre des Affaires étrangères britannique Jack Straw et de Villepin se sont rencontrés à Paris pour discuter du rôle de l'ONU dans l'Irak d'après-guerre. Straw a annoncé qu'il «demanderait de nouvelles résolutions au Conseil de sécurité confirmant l'intégrité territoriale [de l'Irak] et établissant une autorité post-conflit appropriée».

Face à l'intention clairement exprimée du gouvernement américain de ne pas permettre à l'ONU de régir l'Irak et aux premières mesures pour installer un régime fantoche, de telles déclarations ont peu de valeur. Cependant, pour le gouvernement français leur principale fonction est de retisser l'alliance européenne et obtenir de l'influence aux États-Unis par le biais du Royaume-Uni.

François Goulard, un représentant de l'UMP à l'Assemblée nationale, a dit au Monde : «Les Anglais peuvent jouer les intermédiaires [il faut] réexpliquer la position française aux Américains [et] cela passe par une harmonie européenne rétablie». Il a souhaité la formation d'un «pôle» européen pour équilibrer le monde face à la superpuissance géopolitique américaine.

Le rapprochement franco-britannique a un contenu militaire. La France a annoncé un sommet fin avril avec la Belgique et l'Allemagne pour commencer à former un commandement uni. Cependant, la presse a critiqué ces projets : la Grande Bretagne a les plus grandes dépenses militaires en Europe, la France la suivant de près, mais l'Allemagne et la Belgique ne feraient pas d'aussi larges dépenses. Certains commentateurs ont comparé une force unifiée européenne sans la Grande Bretagne à une union monétaire européenne sans l'Allemagne.

Comme presque toute la politique étrangère du gouvernement, l'initiative pour inclure le Royaume-Uni n'est pas entièrement convaincante. Tenter d'absorber ce qui est dans les faits la principale puissance pro-américaine en Europe dans un commandement militaire censé constituer un pôle européen indépendant des États-Unis posera évidemment des problèmes politiques sérieux.

La crise en politique mondiale et en politique étrangère française qu'a créée l'invasion américaine de l'Irak a provoqué des luttes ouvertes à l'intérieur des différentes fractions des partis conservateurs dirigeants. Un membre anonyme de l'UDF, qui ne s'est pas intégrée à l'UMP l'année dernière mais qui fait partie de sa coalition dirigeante, a dit à Libération que l'«on va se retrouver isolé, on va nous faire payer très, très cher d'être dans le camp des perdants».

Pierre Lellouche, un représentant UMP pro-américain, a dit que la France devrait abandonner toute considération légale et morale pour retisser ses liens avec les États-Unis : «il faut cesser de poursuivre une guerre idéologique avec les États-Unis autour de la légalité internationale de cette guerre et ne pas s'enfermer dans une culture du niet».

Les cercles de discussion lancés au sein de l'UMP par Alain Madelin, ancien chef de Droite libérale (DL ­ un parti avec des attaches à des éléments de type néo-fasciste) regrouperaient l'activité pro-américaine. Le New York Times cite ainsi Madelin : «La France a fait un mauvais choix, un faux calcul [] en pensant que cette guerre serait longue, difficile, et stimulerait des réactions à travers le monde arabe». [retraduit de l'anglais]

Le premier ministre Raffarin, ami de Madelin et membre de longue date de DL, a tenté de calmer la situation en disant à l'UMP qu' «il y a certains sujets sur lesquels les polémiques sont inutiles». Cependant, le magazine africain L'intelligent a dit que «ses amis en sont persuadés : seule sa fonction l'empêche d'exprimer ses réserves» quant aux manoeuvres diplomatiques françaises.

La question des relations franco-américaines aggrave de puissants clivages politiques au sein de l'UMP ­ les éléments plus ouvertement autoritaires et pro-américains se regroupant contre les représentants traditionnels de la politique conservatrice bourgeoise. La publicité faite à Villepin et sa montée dans les sondages officiels pendant les négociations avec les États-Unis avant la guerre ont nourri des rumeurs que Chirac le préparerait comme successeur à la Présidence. Ceci nuirait aux ambitions présidentielles largement reconnues du ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy. Chirac et Sarkozy se sont déjà confrontés sur des questions de politique étrangère, par exemple quand Sarkozy a essayé d'arranger un voyage en Algérie avant que Chirac n'ait eu le temps de le faire. Avant la formation de l'UMP, Sarkozy s'est présenté plusieurs fois sur des listes de DL.

Il faut remarquer que la gauche s'est avérée un soutien politique plus fiable pour Chirac que la droite, une situation politique qui ressemble à celle des élections présidentielles de 2002. Jean-Marc Ayrault, chef du groupe parlementaire du Parti socialiste, a dit que Chirac «devait nous dire ce qu'il pense nécessaire pour construire la paix». Le secrétaire national du PS, François Hollande, a adopté l'optique exacte de Chirac, déclarant qu'il avait «salué la chute de Saddam Hussein, car c'est celle d'un dictateur [] mais il faudra, hélas, faire la somme de toutes les victimes de ce conflit», ajoutant que l'ONU est la seule institution avec la légitimité internationale pour organiser un gouvernement irakien.

La secrétaire nationale du Parti Communiste Français (PCF), Marie-George Buffet, a aussi applaudi la chute de Bagdad et souhaité une conférence internationale sur la reconstruction en Irak sous l'égide de l'ONU. Ces réactions à la crise irakienne démontrent à quel point la gauche officielle française s'est alignée avec Chirac et les forces choisies de la réaction sociale.




 

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