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La guerre en Irak divise l'OTAN

Par Peter Schwarz
13 février 2003

L'OTAN connaît ses plus profondes divisions internes de ses cinquante ans d'existence. Ces derniers jours, les positions des deux camps opposés se sont durcies. Tandis que les États-Unis et le Royaume-Uni tentent d'obtenir une attaque contre l'Irak aussi tôt que possible, la France et l'Allemagne font leur maximum pour déjouer les projets des États-Unis.

Les accusations de part et d'autre deviennent de plus en plus acrimonieuses. Mardi, le secrétaire d'État des États-Unis, Colin Powell, devant le Comité budgétaire au Sénat, a indiqué que l'OTAN pourrait se dissoudre si l'Allemagne, la France, et la Belgique continuaient à résister à ce qu'elle aide militairement les Turcs.

Le Wall Street Journal, l'organe des sections les plus belliqueuses et réactionnaires de l'élite américaine, a posé la question fondamentale: est-ce que l'OTAN «continue à servir les intérêts des États-Unis»? Le journal a accusé l'Allemagne d'avoir «un programme qui vise moins à empêcher une guerre qu'à promouvoir activement une défaite américaine». Si l'OTAN ne s'amende pas, dit l'éditorial, «elle ne sera plus utile». La conclusion déclarait: «Ce que le Président Bush appelle une "coalition des bienveillants" [ceux qui acceptent de faire la guerre à l'Irak aux côtés des États-Unis] deviendra la nouvelle organisation de défense de l'Amérique».

La France et l'Allemagne, dont les critiques des projets de guerre américains étaient jusqu'ici plutôt passives et voilées, ont récemment entrepris plusieurs initiatives diplomatiques en un ultime effort d'empêcher une frappe contre l'Irak.

Lundi, le Président français Jacques Chirac et son homologue russe Vladimir Poutine, qui venait de visiter Berlin, ont présenté une déclaration commune de la Russie, de l'Allemagne, et de la France à Paris. La déclaration demandait l'extension des inspections en Irak. «Il y a toujours une alternative à la guerre. On ne peut utiliser la violence qu'à la dernière extrémité» déclare le texte, prenant évidemment le contrepied des remarques du président américain Bush, qui a dit que l' «On a fini de jouer» plus tôt cette semaine.

Les trois pays, s'appuyant sur cette déclaration commune, pourraient tenter de bloquer un projet de résolution britannique que l'on présentera au Conseil de sécurité de l'ONU le 14 février. La résolution, appuyée par les États-Unis, donnerait en pratique le feu vert à Washington pour une frappe militaire.

Chirac et Poutine ont dit qu'ils étaient sûrs que la plupart des membres du Conseil de sécurité étaient avec eux. Depuis le discours du secrétaire d'État Colin Powell au Conseil de sécurité le 5 février, Chirac a intensifié ses efforts de trouver des alliés dans le Conseil, parlant aux chefs d'État de la Chine, du Mexique, du Chili, de la Syrie, du Cameroun, et d'autres pays.

Lundi, les représentants à l'OTAN de la Belgique, de la France, et de l'Allemagne ont apposé leur veto aux préparatifs militaires pour la protection de la Turquie en cas d'une guerre en Irak. De tels préparatifs à titre préventif pourraient, disaient-ils, «envoyer un mauvais signal» et empêcher toute résolution pacifique du conflit irakien. «Si nous approuvions cette demande», commentait le ministre des Affaires étrangères belge, «nous nous embarquerions dans une logique de guerre».

Ce veto a suscité une réaction indignée chez le secrétaire à la Défense américain, Donald Rumsfeld, qui y voit «une honte» et «une erreur horrible». Il a dit: «Quiconque empêche l'OTAN d'entreprendre les mesures les plus minimales pour défendre la Turquie menace de détruire sa crédibilité». Bush a publiquement accusé Berlin, Paris, et Bruxelles d'avoir endommagé l'OTAN.

Une compréhension tardive

Les efforts de l'Allemagne et de la France de nuire aux projets de guerre américains proviennent de leur compréhension tardive du fait que les institutions et les accords internationaux n'empêcheront pas l'administration Bush de lutter unilatéralement et agressivement pour ses intérêts.

Washington table depuis longtemps sur une occupation militaire de l'Irak. Les débats dans le Conseil de sécurité, les inspections en Irak, et les fausses «preuves» de l'existence d'armes de destruction massive étaient simplement un mécanisme pour tromper le public.

L'ancien secrétaire d'État Henry Kissinger a récemment avoué dans un interview avec le journal allemand Welt am Sonntag que le gouvernement américain a toujours considéré la résolution de l'ONU qui forçait l'Irak à accepter de nouvelles inspections comme un simple prétexte pour une guerre. «Aucun gouvernement qui a parlé au Président Bush et à ses conseillers depuis que la Résolution 1441 a été votée en novembre 2002 ne pouvait douter que d'ici quelques mois les Américains annonceraient une violation patente de cette résolution et des mesures punitives».

Étant donné que plus de 100.000 soldats américains sont déjà dans la région, disait Kissinger, un retrait américain laissant Saddam Hussein au pouvoir serait une catastrophe.

Le général américain retraité Wesley Clark, chef du QG de l'OTAN pendant la guerre en Yougoslavie, a dit dans une interview avec le même journal que l'on avait pris la décision «de diriger la question de l'Irak vers la guerre» en fin 2001. Après la défaite de Saddam Hussein, il y aurait «une présence massive dans la région» et «une administration militaire en Irak». Clark a ensuite nommé les prochaines cibles militaires des États-Unis: la Syrie ­ «d'ici 12 mois» ­ et l'Iran.

Considérant leurs propres intérêts à long terme, l'Allemagne et la France ne peuvent accepter une telle hégémonie américaine au Moyen-Orient. Ceci mettrait le ravitaillement énergétique de l'Europe et de vastes marchés d'exportation sous le contrôle total de son plus grand rival économique. En plus, ils craignent qu'une guerre contre l'Irak déstabilise toute la région et radicalise les immigrés musulmans qui sont nombreux en Europe. Ils craignent aussi qu'une guerre en Irak aggrave le conflit en Afghanistan ­ une situation qui prendrait les soldats allemands à Kaboul au dépourvu.

Pendant plusieurs mois, les gouvernements allemands et français ont pensé qu'ils pourraient trouver une position commune avec les États-Unis. Ils nourrissaient des espoirs sur les sections modérées de l'élite américaine. Après la prise de position en faveur de la guerre de la part des démocrates dirigeants et la conversion des prétendues «colombes» autour du secrétaire d'État Powell en faucons, ces espoirs sont morts.

Le discours de Powell à l'ONU le 5 février, où il a ranimé de vieux mensonges de propagande au lieu de présenter les preuves sérieuses qu'il avait promis de présenter, a définitivement détruit les dernières illusions sur l'aile plus modérée de l'administration américaine.

L'élite politique allemande ne cache plus son amertume face aux efforts américains diviser l'Europe sur la question de l'Irak. La déclaration de solidarité avec l'Europe, rédigée et signée par huit états européens à la suggestion du Wall Street Journal, était un assaut direct sur les tentatives européennes d'arriver à une politique extérieure commune. Depuis, le ton est monté des deux côtés de l'Atlantique.

Lundi, à une réunion des membres sociaux-démocrates du Parlement, le chancelier allemand Gerhard Schröder a reçu une approbation bruyante en déclarant «une décision historique pour l'Allemagne». L'avenir proche démontrera, selon Schröder, si un monde multipolaire prédominera ou si Washington prendra toutes les décisions importantes unilatéralement.

Le président français Jacques Chirac a exprimé son opposition à un monde dans lequel les Américains seraient à la fois les procureurs, les juges, et les bourreaux.

Aucune opposition de principe

Ce serait, cependant, une erreur majeure que de prendre la position de Berlin et de Paris pour une opposition de principe à la guerre en Irak. Les deux gouvernements acceptent le mythe des prétendues armes de destruction massive de Saddam Hussein, acceptant ainsi le but avoué de la politique américaine: le «désarmement de l'Irak» ­ un euphémisme pour la subjugation coloniale du pays. Ils n'acceptent pas que ceci se fasse sous le contrôle exclusif des États-Unis.

Comme le magazine allemand Der Spiegel a correctement remarqué, l'initiative française et allemande pour intensifier les inspections équivaut à l'installation d'un protectorat onusien. Ce projet, distribué par la délégation française sous forme d'un «non-paper», envisage de doubler ou tripler le nombre d'inspecteurs onusiens. Ils seraient accompagnés par des unités armées d'un corps de sécurité de l'ONU, tandis que les avions U2 américains et les Mirage français établiraient une surveillance constante au-dessus du pays. Ceci aurait l'effet d'étendre les «zones aériennes interdites» à l'ensemble du territoire irakien.

Si ce régime voyait le jour malgré les objections américaines, il serait très facile de créer une provocation pour justifier une guerre ­ que la France et l'Allemagne accepteraient alors. «Tout empêchement ou sabotage violents de cette mission de désarmement verrait une réponse militaire immédiate» écrit Der Spiegel. «Et cette frappe ne se baserait pas simplement sur la force d'une seule superpuissance, mais sur le droit de l'organisation mondiale d'utiliser la force, établi dans l'Article VII».

La tentative franco-allemande d'étouffer les projets de guerre de l'administration Bush par des manoeuvres diplomatiques est vouée à l'échec, car elle ne prend pas compte de leurs racines. La politique extérieure agressive du gouvernement américain est sa réaction à une profonde crise interne de la société américaine face à laquelle l'élite dirigeante n'a aucune solution.

La division profonde au sein de l'OTAN n'est ni un simple épisode ni le résultat d'un faux calcul politique. C'est une conséquence inévitable des contradictions internes du capitalisme mondial, qui trouvent leur expression la plus développée aux États-Unis. L'ère des relations pacifiques entre les grandes puissances est révolue. Comme à la première moitié du siècle dernier, toute crise économique ou sociale sérieuse pose le risque d'une guerre mondiale.

La seule réponse valable à ce danger de guerre est la mobilisation internationale des travailleurs sur un programme socialiste. La politique des manoeuvres diplomatiques, par contre, exclut la masse de la population de la vie politique.

Sur cette question, il est intéressant d'étudier les arguments cités contre le chancelier Schröder en Allemagne. Schröder a fait plusieurs commentaires peu diplomatiques sur la politique américaine. Il l'a fait pour des raisons purement internes: tenter d'améliorer sa position dans les sondages par des appels démagogiques au sentiment anti-guerre, très largement et profondément ressenti dans la population allemande. Cependant, le ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer (Vert) et même certaines sections des médias qui critiquent les États-Unis ont jugé qu'il y allait trop fort. Ils ont accusé le chancelier d'isoler l'Allemagne dans le monde et de limiter son champ de manoeuvre diplomatique.

Un éditorial du Süddeutsche Zeitung résume ainsi ces critiques: l'opinion publique est la plus grande menace pour la diplomatie. «La diplomatie risque un court-circuit si l'on expose trop ses mécanismes délicats aux courants puissants de l'émotion publique». Depuis l'effondrement de l'Europe de Metternich en 1848, ce danger est inévitable, écrit l'auteur avec regret. «Depuis lors», déclare-t-il, «les affaires étrangères ne sont plus purement des questions de politique des cabinets ­ elles commencent à rejoindre les sentiments de nations entières exprimés par l'opinion publique».


 

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