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France : les Roms dans la ligne de mire du ministre de l'intérieur, Sarkozy

Par Françoise Thull et Marianne Arens
28 janvier 2003

La nouvelle loi sur la sécurité intérieure adoptée cette semaine par l'Assemblée nationale française, n'a pas seulement pour cible les mendiants, les prostituées, les hooligans et les squatters, mais aussi les Roms (Gitans). Les gens du voyage sont passibles d'une peine de six mois d'emprisonnement et de 3.750 euros d'amende pour l'occupation sans autorisation d'un terrain appartenant soit à une commune «soit à tout autre propriétaire». En cas d'occupation au moyen d'un véhicule automobile, le permis de conduire pourra être suspendu pendant «une durée de trois ans au plus» et le véhicule automobile confisqué «à l'exception des véhicules destinés à l'habitation».

C'est ainsi que la loi sanctionne la pratique du gouvernement Raffarin qui, depuis des mois, discrimine et persécute des Roms. Il y a deux mois à peine, le gouvernement avait fait procéder à une vaste opération de descente policière dans plusieurs campements roms près de Paris et de Lyon - opération qui coïncidait avec la fermeture définitive du centre de la Croix-Rouge de Sangatte, dans le Pas-de-Calais.

Le 3 décembre au petit matin, cinq escadrons de gendarmes, aidés par des policiers et des CRS avaient effectué une rafle dans les bidonvilles de Choisy-le-Roi et de Rungis, dans le département du Val-de-Marne au sud-est de Paris et qui sont habités depuis près de deux ans par des familles de Roms roumains. 208 personnes, parmi lesquelles des enfants, furent contrôlées et soixante-dix furent placées en rétention judicaire.

Dès le 4 décembre, 22 Roms furent expulsés par vol charter à destination de Bucarest en Roumanie. Une cinquantaine d'autres Roms qui avaient fait l'objet d'un arrêté d'expulsion furent remis en liberté suite à la décision de trois juges des libertés et de la détention de Créteil qui estimèrent qu'il y avait vices de procédure. D'autres furent acheminés par petits groupes en bus dans des foyers situés aux quatre coins de la France.

Le 9 décembre, ce fut le campement rom situé sur un terrain vague servant de décharge publique à Vaulx-en-Velin, au nord-est de Lyon, qui fut assailli par la police. Ce terrain vague, sur lequel quelque 400 à 500 personnes dont 170 enfants vivent ou survivent depuis des mois, appartient à la société Pathé-Cinéma qui projette d'y faire construire un cinéma multiplexe.

95 Roms de Vaulx-en-Velin, résignés ont accepté de quitter le camp de leur plein gré. Le juge du tribunal de grande instance de Lyon a accordé aux Roms restants un sursis de deux mois avant l'évacuation définitive du campement.

Les réfugiés y vivent dans le froid, sans électricité et sans eau courante. Le maire de la ville de Lyon, Gérard Collomb (PS) se refuse de faire installer des branchements sanitaires, vu que les Roms évacueront de toute manière les lieux d'ici deux mois. Les habitants du campement sont continuellement soumis aux traques de la police.

Alors que l'association Médecins du Monde a décelé plusieurs cas d'asthme et de suspicion de tuberculose tout en stigmatisant les conditions d'hygiène déplorables, la presse a fait cas d'une épidémie de gale - dans le but apparemment d'empêcher toute action de solidarité de la part de la population.

Cette solidarité qui existe pourtant contrecarre la politique des autorités. Un comité de soutien s'est créé qui approvisionne les Roms en produits de première nécessité.Son président, Michel Leclercq a déclaré : «Ils [les Roms] ont beaucoup de choses à nous apprendre, en particulier sur l'état de l'Europe, dont ils sont un des maillons les plus faibles.»

A Choisy-le-Roi, des enseignants et des aides-éducateurs d'une école primaire que fréquentent depuis deux ans des enfants roms, ont participé à une manifestation organisée contre ces mesures d'expulsion. Ils confirment que les familles roms se sont pleinement engagées à ce que leurs enfants participent activement à la vie scolaire. Le directeur de cabinet du préfet du Val-de-Marne, par contre, a déclaré : «Il n'y a pas de trêve hivernale en matière de squat».

Le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy (UMP), a réagi furieusement contre la décision des juges de Créteil de remettre en liberté cinquante Roms. La préfecture du Val-de-Marne avait fait appel de la décision, mais la cour d'appel de Paris a validé les remises en liberté. Dans une unterview radiophonique Sarkozy a pesté : "Ce qui est en cause, c'est oui ou non, est-ce que la France a le droit de décider qui doit rester sur son territoire?"

Le ministre a critiqué «le caractère parfaitement absurde d'une procédure à laquelle personne ne comprend rien et qui permet à quelques professionnels de s'amuser (...) avec des préoccupations uniquement idéologiques. Je ne vois pas bien l'utilité de remettre en liberté un étranger en situation irrégulière alors que 24 heures plus tard, il doit faire l'objet d'une reconduite dans son pays», a-t-il précisé.

Pour l'Union syndicale des magistrats «il n'appartient pas à un ministre de la République d'être le législateur et le juge». Les juges ont affirmé avoir agi conformément à la législation que Sarkozy était lui aussi en devoir de respecter. Le ministre a annoncé un durcissement de la législation qui devrait à l'avenir faciliter la procédure d'expulsion.

Un tournant

Les mesures draconiennes prises par Sarkozy contre des Roms impuissants à se défendre marquent un tournant politique. La conception politique française d'après-guerre visait à intégrer les Roms et à encourager leur sédentarité. Après qu'un demi-million de Sinti et de Roms ait péri dans les camps de concentration nazis, une loi avait été passée qui aurait dû leur garantir de pouvoir vivre en toute dignité.

En 1990, sous la présidence de François Mitterrand, il avait été décidé que chaque commune de plus de 5.000 habitants devait mettre à la disposition des Roms un terrain d'accueil, assurer la scolarisation de leurs enfants et leur permettre d'exercer une activité économique.

Dans la pratique de telles lois furent en grande partie ignorées. Seules un millier de communes les respectèrent en mettant à leur disposition quelque 10.000 places de caravanes alors que la demande était de l'ordre d'au moins 60.000. Les seuls emplacements où les Roms étaient sensés s'implanter étaient des terrains vagues, bruyants, souvent infectés de rats et de produits chimiques, au pied des autoroutes ou le long des voies de chemins de fer.

Il est un fait que les Roms qui, ces dernières années, ont quitté la Roumanie et la Yougoslavie dévastée par la guerre n'étaient nullement des nomades. Ces familles qui avaient déjà été sédentarisées au 19e siècle furent contraintes au nomadisme en raison de l'extrême pauvreté et de la discrimination dont elles souffraient suite à la restauration du capitalisme dans les pays de l'Europe de l'est.

Dans un rapport du programme de développement des Nations unies (UNDP) qui relate de la misère sévissant dans les pays d'Europe centrale et d'Europe de l'est, il ressort que se sont tout particulièrement les Roms roumains qui vivent dans des conditions comparables à celles de l'Afrique subsaharienne. Seuls deux enfants roms sur trois fréquentent une école et un Rom sur six endure régulièrement la faim. Les Roms représentent en Hongrie, en République tchèque, en Slovaquie, en Bulgarie et en Roumanie avec cinq millions de personnes la minorité ethnique à la fois la plus importante et la plus pauvre.

Ceux d'entre eux qui avaient porté leurs espoirs sur la France dans le but de trouver du travail et de la reconnaissance sociale, ne trouvèrent pour gîtes que des bidonvilles situés aux portes des grandes villes où ils sont obligés de végéter dans des cabanes de bois et des caravanes mis à leur disposition par des associations humanitaires. Ecartées de toute possibilité de travailler normalement, les familles roms immigrées étaient réduites à mener une existence de paria.

Un groupe de Roms qui avait trouvé refuge dans le canton de Waadt en Suisse après qu'un incendie ait détruit une rangée de caravanes à Choisy-le-Roi en septembre dernier, fut immédiatement rapatrié vers Bucarest par les autorités suisses et ce avec l'aide financière de la France.

Une action contre les Roms à l'échelle européenne

A peine était-il arrivé au pouvoir au printemps 2002 que le gouvernement de droite de Jean-Pierre Raffarin initiait déjà une campagne de propagande contre les Roms. Ils furent assimilés à des bandes de mendiants et de voleurs, dont il fallait préserver la population laborieuse française. Cette campagne était une partie intégrante de la revendication démagogique «pour plus de fermeté» qui s'est vue concrétisée dans la nouvelle «loi sur la sécurité intérieure» de Sarkozy.

Le gouvernement Raffarin, pour ce faire, a pu compter sur une gauche parlementaire complètement édentée. Ni le parti socialiste (PS) ni le parti communiste (PCF) ne combattit cette nouvelle loi. Le président du groupe PS, Jean-Marc Ayrault s'est même déclaré en faveur du texte en précisant : «La sécurité est la première des libertés».
Sarkozy avait minutieusement préparé sa campagne contre les Roms. Le 30 août il s'était rendu à Bucarest, accompagné de Dominique Versini, la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, pour y rencontrer le premier ministre roumain Adrian Nastase et signer un accord destiné à empêcher que les Roms ne parviennent à quitter la Roumanie à destination de la France.

La Roumanie s'était pliée aux exigences de la France vu que son adhésion à l'union européenne était en jeu. Un accord similaire fut également signé avec Jack Straw, l'envoyé britannique.

Le protocole d'accord signé par Nastase et Sarkozy prévoit que des ressortissants roumains, arrêtés sur le territoire français et qui ne seraient pas en possession d'autorisation de séjour, seraient rapatriés dans le cadre de la collaboration établie entre les deux pays. La France se chargeant de payer les billets d'avion et la Roumanie fournissant l'accompagnement policier à bord des avions charter de la compagnie roumaine Tarom.

Dans un autre accord franco-roumain signé en octobre 2002, il est question de «rapatriement» et de «réinsertion» de victimes de bandes roumaines qui contraignent des enfants, des femmes et des handicapés à la mendicité, au vol et à la prostitution. La signature se fit en présence de plusieurs organisations humanitaires d'ONG françaises et roumaines, qui servirent ainsi à conférer aux rapatriements un semblant d'humanitaire.


 

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