wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

La tragédie de Columbia: la NASA, le Congrès et Bush ont ignoré les avertissements

Par le comité de rédaction
4 février 2003

Utilisez cette version pour imprimer


L'enquête sur le désastre de la navette spatiale Columbia étant encore à ses débuts, il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur les facteurs technologiques spécifiques ou la combinaison de facteurs qui ont mené à cette tragédie. Mais la perte de la navette et la mort de sept astronautes ne fut pas seulement une tragédie personnelle pour les familles et un choc pour des millions de personnes dans le monde, ce fut également un important événement politique.

Indépendamment du résultat des enquêtes en cours, l'explosion de Columbia renferme des leçons importantes. Considérée dans son contexte social et politique, cet événement en dit beaucoup sur la société américaine et les forces qui la domine.

Nombreux avertissements ignorés

Après l'explosion de la navette, plusieurs rapports sont apparus à propos des mises en garde contre un désastre imminent adressées aux responsables de la NASA, aux comités du Congrès qui supervisent l'agence et au président Bush en personne.

Les responsables du programme spatial ont eu amplement vent des problèmes de sécurité croissants mais ont décidé de ne rien faire. Ils ont plutôt préféré exercer des représailles contre les scientifiques et les ingénieurs qui ont cherché à attirer l'attention du public sur les sérieux problèmes de sécurité présents dans les domaines de la maintenance et de la formation causés par des années de compressions budgétaires. Six scientifiques ont ainsi été licenciés en mars 2001 du comité en matière de sécurité parce qu'ils se sont plaints à maintes reprises à propos de déficiences dans les opérations du programme de la navette.

Il y a moins de deux mois, l'administration Bush balaya du revers de la main les mises en garde d'un ingénieur à la retraite de la NASA qui écrivit à la Maison blanche à plusieurs occasions en recommandant l'arrêt de tous les lancements de navette spatiale. L'une de ces lettres soutenait que des mesures immédiates étaient nécessaires «afin d'empêcher un autre accident catastrophique de navette».

L'auteur de la lettre, Don Nelson, un superviseur et chef de mission retraité de la NASA depuis 1999 après une carrière remontant aux premières missions lunaires, a écrit à Bush en août dernier pour lui dire que les astronautes de la navette couraient un danger imminent. Il citait dans sa lettre toute une série de problèmes tels que des fuites d'hydrogène, des conduites de carburant bossées, des problèmes de câblage et des pannes d'ordinateur.

John Marburger, directeur du Bureau de science et technologie et conseiller scientifique en chef de Bush, s'est entretenu des critiques de Nelson avec les responsables de la NASA. Il a ensuite écrit à l'ingénieur retraité pour louanger les pratiques de sécurité de la NASA et conclure que «sur la base de ces discussions, je ne pense pas qu'il soit approprié que le président impose un moratoire sur les lancements de navette spatiale pour le moment».

Nelson fit une dernière tentative après qu'il ait été fait mention d'une fuite de carburant de la navette dans un rapport. Il écrivait à la Maison blanche le 21 décembre: «j'imagine que vous êtes conscient que jamais un véhicule lancé n'a connu aucune panne catastrophique. J'imagine que vous avez informé le président que la demande pour un moratoire a été rejetée et que son administration assume ainsi la responsabilité du sort des équipages de navette spatiale». Nelson n'a reçu aucune réponse.

Les compressions dans le personnel de maintenance

Cet échange de lettres est le plus explicite de toute une série de mises en garde et de préoccupations exprimées relativement aux conditions de détériorations de la NASA en général et au programme de la navette spatiale en particulier. Dévoué à la sécurité et à la maintenance dans le programme de la navette, le personnel de la NASA est passé de 3 000 à 1 800 entre 1995 et 1999. Il est maintenant d'un peu moins de 2 000.

Selon un rapport du General Accounting Office, un organisme du Congrès, déposé au Comité sénatorial sur le commerce, la science et les transports le 15 août 2000, «plusieurs études internes de la NASA ont démontré que le personnel affecté au programme de la navette a été affecté négativement par le dégraissage des effectifs».

Le rapport se poursuit: «le programme de la navette a identifié de nombreux domaines qui ne sont pas suffisamment pourvus en ouvriers qualifiés. Le reste du personnel montre des signes de surmenage au travail et de fatigue. L'absentéisme au travail et aux cours de formation, de même que les consultations du personnel pour stress relié au travail ne font qu'augmenter».

Néanmoins, la même année, le Congrès imposa un plafond de 380 millions de dollars pour chaque lancement de navette, ce qui fit dire même aux hauts responsables de la NASA que les coupures de personnel «entraînaient des risques importants dans le programme des vols de navette».

En mars 2001, le comité consultatif en matière de sécurité aérospatiale de la NASA publia un rapport très critique sur les problèmes de sécurité de l'agence, mettant l'accent spécialement sur le vieillissement de la flotte des quatre navettes spatiales. Le rapport contenait une mise en garde selon laquelle le travail sur les problèmes à long terme «s'était détérioré» à cause de l'impact des compressions budgétaires et l'accumulation de «problèmes plus immédiats».

La réponse de l'agence fut d'introduire une nouvelle procédure de sélection pour les membres du groupe de conseillers, ce qui entraîna le licenciement de cinq des membres du comité et de deux conseillers. Un sixième membre, l'amiral à la retraite Bernard Kauderer, démissionna pour protester contre le licenciement de ses collègues.

M. Seymour C. Himmel, l'un des membres licenciés, déclara au New York Times, «nous avons dit ce qui en était et nous sommes en désaccord avec certaines des décisions de l'agence». Un autre membre du comité licencié, M. Norris D. Krone, de la fondation de recherche universitaire de l'université du Maryland, a déclaré: «il est inusité de renvoyer des gens d'un groupe de haut niveau comme celui-ci en plein mandat. Nous avons tous pensé que c'était une décision vraiment mal avisée».

Malgré la purge menée chez les critiques de la NASA, le remaniement du comité consultatif a continué de signaler les problèmes de sécurité. Le président du comité, M. Richard D. Blomberg, déclarait devant le Congrès en avril dernier: «je n'ai jamais été aussi préoccupé par la sécurité de la navette spatiale. L'une des sources de mes préoccupations est que personne ne saura de façon certaine quand la marge de sécurité aura vraiment été dépassée. Tout mon instinct me suggère que l'approche actuelle sème les graines de futurs dangers». Blomberg ajouta que ses préoccupations n'étaient pas pour «le vol actuel ou le prochain, ou même peut-être celui d'après», mais à moyen terme. Le lancement de Columbia fut le quatrième à avoir lieu après cette mise en garde.

Les mesures subséquentes adoptées par le Congrès n'ont pas reflété le fait de préoccupations plus grandes en matière de sécurité. Alors que les fonds de la NASA ont été compressés de 40 % au cours de la dernière décennie, en juillet 2002, le Sénat réduisait son budget pour les vols habités d'un 10,3 % supplémentaire.

Ayant déjà volé à bord de la navette spatiale et bien familier avec le programme, le sénateur Bill Nelson (démocrate de la Floride), s'est plaint que la mise à niveau des normes de sécurité de la navette était retardée: «nous affamons le budget de la navette, augmentant ainsi énormément les possibilités de perte catastrophique». La réponse de la Maison blanche a été de proposer une augmentation d'à peine 3 % du budget de la NASA pour le prochain exercice financier.

L'impact de la privatisation

Le rôle de l'administration Clinton souligne un fait politique essentiel: les deux partis bourgeois sont responsables de la dégradation du programme de la navette spatiale.

Clinton a ordonné la privatisation de la maintenance de la navette en 1996, et une coentreprise, la United Space Alliance (USA), fut fondée par les deux plus grandes entreprises aérospatiales des États-Unis, Boeing et Lockheed-Martin, pour honorer le contrat lucratif conclu avec la NASA. La vaste majorité des gens travaillant sur le programme spatial sont des employés de USA, et non de la NASA, soit 7 600 des 10 000 employés à Houston au Texas, où se trouve le centre spatial Johnson, et 12 600 des 14 000 employés du centre spatial Kennedy de Floride.

Quelque 92 % des dépenses de 3,2 milliards de dollars de la NASA dans le programme de la navette vont dans les coffres d'entrepreneurs privés, faisant du programme de la navette spatiale le plus privatisé de tous les programmes fédéraux. Lockheed-Martin dégage des profits de 85 millions de dollars annuellement grâce à son partenariat et d'autres travaux de sous-traitance reliés à l'espace. Boeing tire des profits de USA et d'autres travaux à contrat effectués par sa filiale Rocketdyne qui fabrique les moteurs des navettes.

Selon un rapport de l'inspecteur général de la NASA, l'agence ne tente plus d'exercer un contrôle sur United Space Alliance, préférant plutôt surveiller sa performance au moyen de ce qu'elle nomme des «estimations» (une vérification périodique des standards de performance) par opposition aux «méthodes traditionnelles de contrôle intensif nécessitant la supervision du gouvernement et la concurrence des processus et des décisions des entrepreneurs».

L'administration Clinton a soutenu que l'effort de privatisation, une composante de l'initiative de «réinvention du gouvernement» tant vantée par le vice-président Al Gore était un grand succès. La décision de donner en sous-traitance la maintenance de la navette a diminué d'un quart le personnel combiné du gouvernement et de l'entrepreneur et a fait passer le coût moyen de chaque vol de navette de 600 millions de dollars à 400 millions de dollars.

Une étude récente de la Rand Corporation a prévenu la NASA qu'elle perdait le contrôle de la maintenance de la navette à un moment critique, alors que les orbiteurs ont besoin de plus d'attention que jamais à cause de leur âge. Columbia a été construite il y a 25 ans et a volé pour la première fois en orbite en 1981. Rand conclut: «la NASA doit encore mettre l'accent sur la conservation des ingénieurs et du personnel de gestion nécessaire pour assurer des estimations et des contrôles appropriés».

Le désastre de Columbia est ainsi la dernière démonstration des conséquences destructives des bonzes de droite partisans de la privatisation et des mouvements débridés du «libre marché» capitaliste. L'industrie aérospatiale américaine a construit cinq navettes en tout. Deux ont déjà été détruites lors de catastrophes, tuant tout leur équipage à chaque fois.

L'attitude grippe-sous imposée à la NASA par toute une décennie de compressions budgétaires fait partie de tout un processus d'ensemble dans lequel une élite privilégiée aux États-Unis s'est enrichie en laissant les infrastructures de base se détériorer. Alors que des dizaines de milliards de dollars sont gaspillés avec les salaires des PDG, pour des bonus et dans des actions en bourses, les astronautes de la navette sont obligés de voler dans des véhicules basés sur une conception et la technologie des années 1970.

En dernière analyse, la modernisation du programme des vols spatiaux habités et la sécurité des astronautes, comme tous les autres aspects de la société américaine, sont victimes de la subordination des besoins sociaux aux exigences du marché capitaliste et de l'accumulation des richesses particulières.

L'impact destructeur et irrationnel du système économique sous-jacent sur le programme spatial peut être illustré par de nombreux exemples. Pour n'en citer qu'un: pendant la bulle des technologies des télécommunications de la fin des années 1990, plus de 300 milliards de dollars ont été versés dans la construction de réseaux de fibres optiques redondants, résultant en une capacité 20 fois plus grande que le nécessaire utilisable par la population américaine. Durant la même période, la navette spatiale a été contrainte de fonctionner avec des puces d'ordinateur 8086 identiques à celles montées sur les premiers ordinateurs personnels d'IBM il y a plus de 20 ans.

L'administration Bush, l'espace et la guerre

Les compte-rendus de presse notent que Bush n'a démontré que peu d'intérêt personnel à l'égard du programme spatial. Il n'a jamais visité le centre spatial Johnson de Houston malgré qu'il ait occupé pendant six ans le poste de gouverneur du Texas. Le conseiller scientifique Marburger a déclaré n'avoir jamais eu une seule réunion avec Bush à propos du programme spatial, mais qu'il a dû discuter avec lui des technologies applicables à un système de défense antimissile.

Bush aurait délégué la responsabilité du programme spatial, comme bien d'autres choses dans son administration, au vice-président Richard Cheney. Il a choisi Sean O'Keefe, un protégé de Cheney, pour diriger la NASA. O'Keefe était un haut-fonctionnaire de l'Office of Management and Budget (Bureau de gestion et du budget), sans aucune expérience des questions spatiales, ce qui démontre bien que la priorité de Bush n'est que de diminuer les coûts. O'Keefe a évidemment proposé un budget réduisant les dépenses pour les mises à niveau de la navette de 43 % jusqu'en 2006, alors que l'administration Bush augmente ses dépenses militaires pour atteindre un stupéfiant 400 milliards de dollars par année.

Il y a toujours eu des tensions dans le programme spatial américain entre les progrès technologiques et scientifiques progressifs d'un côté (la conquête de la Lune, les missions non habitées vers les planètes, le télescope spatial Hubble) et la poussée de l'impérialisme américain à utiliser des avancées à des fins de prestige national et d'avantage militaire de l'autre.

Cette contradiction atteint son paroxysme avec Bush, qui a proclamé son engagement pour la militarisation de l'espace tout en cherchant à annuler les missions scientifiques les plus importantes proposées par la NASA, dont celle prévue vers Pluton et le survol de la lune jovienne Europa, l'un des rares astres du système solaire où la présence d'eau a été détectée.

L'impact politique du désastre de la navette

Le désastre de la navette spatiale qui a entraîné la mort des astronautes lors de la désintégration du vaisseau spatial est une tragédie pour les familles de l'équipage, mais aussi pour l'ensemble de la collectivité scientifique, les ingénieurs et les techniciens qui ont dédié leur vie au programme spatial, et pour tous ceux qui partagent la conviction que l'exploration spatiale est une expression des efforts progressistes de l'humanité pour comprendre et dominer la nature.

Pour l'administration Bush et le monde des affaires américain, la perte de Columbia est un coup différent. Elle remet en question le mythe de leur invincibilité technologique cultivé par toute une série d'interventions militaires, depuis la guerre du Golfe en 1991 jusqu'à l'invasion de l'Afghanistan, des conflits ponctués de défaites unilatérales subies par des forces militaires ennemies avec en contrepartie pratiquement pas de pertes américaines.

À la veille de l'assaut américain contre l'Irak, cette catastrophe vient contredire les prétentions du Pentagone et de la Maison blanche selon lesquelles les prouesses technologiques américaines garantissent une victoire facile et que leurs armes de précision ne frapperont que Saddam Hussein et ses partisans tout en épargnant la très vaste majorité du peuple irakien.

La réaction de l'administration Bush suite au désastre de la navette a mis en relief ses véritables priorités. Le lendemain de la tragédie, le porte-parole de la Maison blanche Ari Fleischer a déclaré que cet accident n'interférerait pas avec l'accélération des préparatifs de guerre contre l'Irak. Il a insisté sur le fait que le secrétaire d'État Colin Powell allait livrer son discours au Conseil de sécurité de l'ONU le 5 février comme prévu afin de lancer la dernière offensive diplomatique avant le déclenchement de la guerre.

Les remarques télévisées de Bush quelques heures après le désastre de la navette furent toutes autant routinières que banales. Elles reflètent les préoccupations de l'élite dirigeante qui craint que le désastre de Columbia ne nuise au prestige des États-Unis et ne fasse qu'augmenter les inquiétudes de vastes sections de la population américaine relativement aux politiques militaristes à l'étranger et aux attaques contre les droits démocratiques et les conditions sociales sur le plan intérieur menés par leur gouvernement.

Fidèle à la tradition, il a pratiquement produit un sermon, complet avec des invocations à dieu et des passages de la bible. Ce vautrage dans la consolation religieuse avait une fonction politique définie. Tout en confiant les âmes des astronautes décédés au paradis, Bush cherchait à mettre la responsabilité de leur mort sur des raisons divines également.

Capitalisme, État-nation et exploration spatiale

Les origines du désastre de Columbia sont non seulement terrestres mais également tout à fait compréhensibles. Un ordre social dont les priorités condamnent des millions de personnes à être privées d'emploi, de soins de santé, de logements appropriés ou d'éducation, laissent des villes entières se détériorer et manquer de services essentiels tels que les transports en commun et les ressources désespérément nécessaires, afin d'enrichir encore plus quelques privilégiés, un tel ordre social est organiquement incapable de développer la science et la technologie de façon socialement progressiste.

Par ailleurs, le développement de la science et de l'exploration spatiales, comme toutes les autres branches de la connaissance humaine, est retardé et déformé par un ordre social qui reste enchaîné aux confins étroits du nationalisme et de l'État-nation. La science ne peut être développée pour le bénéfice de l'humanité que dans la mesure où sa poursuite est réorganisée consciemment sur une base internationale.

L'éruption de la guerre et de la réaction aux États-Unis témoigne de la perversion de la science et de la technologie lorsqu'elles sont subordonnées au profit et à l'État-nation et servent d'instruments de conquête militaire et de répression. La science, y compris la science et l'exploration spatiales, ne fleuriront que lorsque la classe ouvrière internationale l'aura libérée des mains des oligarchies financières de façon à être développée sur la base d'une économie socialiste planifiée, démocratique et contrôlée.


 

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés