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Chasse aux sorcières contre des défenseurs des sans-abris à Toronto

Par Henry Michaels
Le 14 janvier 2003

Un procès comptant parmi les attaques les plus sérieuses sur les droits démocratiques au Canada depuis des décennies a débuté hier à Toronto. Trois membres de l'Ontario Coalition Against Poverty (OCAP) (Coalition anti-pauvreté de l'Ontario), John Clarke, Gaétan Héroux et Stefan Pilipa, sont accusés de « participation à une émeute », d'« incitation à participer à une émeute » et d'« incitation à attaquer les forces de l'ordre » - des accusations passibles de peines d'emprisonnement allant de deux à cinq ans.

Ces accusations oppressives sont reliées à leur participation à une démonstration anti-pauvreté organisée le 15 juin 2000 devant le parlement provincial à Queen's Park. Elles ont été portées en référence à des articles de loi comptant parmi les plus traîtres et antidémocratiques du code criminel de l'Ontario. Les accusations d' « incitation » - qui sont les plus sérieuses - peuvent s'appliquer à n'importe qui prônant ou même aidant à publiciser une démonstration politique qui est par la suite attaquée par les forces de l'ordre.

Ce procès relevant d'accusations portées pour la première fois en Ontario depuis la fin des années 1960 devrait durer quatre mois, sinon plus. Le gouvernement provincial conservateur de Ernie Eves consacre des ressources substantielles à cette affaire. Dès l'ouverture de l'audience, la poursuite y était représentée par six procureurs dirigés par Vincent Paris.

Toutes les circonstances entourant cette affaire démontrent l'intervention à haut niveau du gouvernement de l'Ontario et du chef de la police de Toronto, Julian Fantino, pour dépeindre l'OCAP, un groupe voué à la défense des droits des assistés sociaux et des sans abris, comme une organisation violente et terroriste, et pour criminaliser ses dirigeants et ses partisans. Ce procès est un geste calculé pour intimider tous ceux qui s'opposent au démantèlement des programmes sociaux, de logement sociaux, des soins de santé et autres par les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada.

Le 15 juin 2000, quelques 1 500 personnes ont participé à un rassemblement organisé par l'OCAP à Queen's Park pour protester contre les compressions dans les programmes sociaux. Les leaders de l'OCAP ont demandé qu'une délégation soit reçue au Parlement pour demander plus d'investissements dans les programmes pour les pauvres et les sans-abris. Plutôt que de chercher une entente, les autorités ont rejeté la demande d'emblée. Ils ont ensuite laissé les manifestants renverser une ligne de barricades policières avant d'appeler la police anti-émeute, dont une unité à cheval, pour attaquer la foule.

La police a utilisé du poivre de Cayenne avant de charger en matraquant les manifestants, dont plusieurs douzaines ont été blessés. Le lendemain, la police a déposé des accusations contre 45 manifestants qui allaient d'obstruction au travail des policiers à agression armée et agression contre les forces de l'ordre.

L'OCAP soutient que s'il y a eu une émeute cette journée là, ce fut bien une émeute policière. L'organisation a déclaré que la police a provoqué la confrontation. Les trois défendeurs vont tenter de casser leurs accusations pendant leur défense.

Au Canada comme ailleurs, les gouvernements et les autorités policières réagissent de plus en plus violemment à l'opposition politique et à l'agitation sociale et en déposant des centaines d'accusations criminelles frauduleuses. Ce fut le cas suite aux manifestations de Seattle en 1999, puis celles de Québec en 2001, et enfin contre les activistes pour le droit au logement de Montréal et de Vancouver.

Jusqu'à maintenant, les trois quarts des accusations déposées suite au 15 juin 2000 ont été retirées ou rejetées, ce qui démontre le manque de preuves sérieuses. Mais trois personnes ont tout de même été condamnées à la prison, d'autres ont reçus des peines suspendues et certains ont été placés en libération conditionnelle et astreints à des travaux communautaires et de conditions de libération leur interdisant tout « rassemblement illégal ».

Le gouvernement et la police sont maintenant clairement déterminés à procéder à un grand procès qui sera une cause type pour la liberté d'expression, le droit à s'organiser et de protester.

Intentions de la Défense pour récuser les accusations

Le premier jour du procès devant le juge Lee Ferrier de la Cour suprême de l'Ontario consista en une audience d'une demi-heure simplement pour déterminer l'ordonnance de contestation d'un ensemble de motions préalables au procès. Ces motions seront débattues vraisemblablement tout le reste du mois avant qu'un jury même ne soit sélectionné.

Le procureur en chef Paris a commencé en accusant la défense de violer un accord préalable sur l'ordonnance à respecter en présentant des soumissions tardives. Après que la défense ait souligné que la poursuite avait connaissance des arguments de la défense depuis novembre dernier, les deux parties ont finalement accepté un ajournement de deux jours jusqu'au mercredi.

Ce jour là, la première motion visait à clarifier les particularités des accusations. L'un de principaux points sera la contestation constitutionnelle par la défense de l'accusation ajoutée d'« incitation à attaquer les forces de l'ordre » qui n'a pas été déposée avant la fin de janvier 2001, soit plus de six mois après les événements et cinq mois après que les trois activistes de l'OCAP ait été arrêtés en juillet 2000.

La défense va ensuite demander la publication des documents et autres sources relatives aux incidents du 15 juin et relatifs à la décision de poursuivre. La poursuite a déjà indiqué qu'elle cherchera à bloquer les diverses citations à comparaître sur la base du privilège parlementaire. Paris a également indiqué que certains membres du gouvernement provincial conservateur pourrait demander à intervenir dans cette affaire pour bloquer la publication de certains documents.

Deux des défenseurs, Héroux et Pilipa, vont ensuite contester leur accusation sur la base qu'il s'agit de poursuites sélectives et qu'ils ont été choisis parmi les centaines de personnes qui ont participé à la démonstration. Clarke ne se joindra pas à cette motion puisqu'il est le leader reconnu de l'OCAP et qu'il s'est adressé à la foule ce jour là.

Pour les autres motions, le trio de l'OCAP demandera la suspension de la poursuite sur la base qu'ils ont subis une fouille à nu illégale, des arrestations arbitraires et que la preuve est inadmissible. Ils demanderont également que le procès soit abandonné à cause de la couverture punitive et préjudiciable faite par les mass médias et le rôle provocateur de la police. Enfin, ils vont insister sur le fait que leur droit de défendre les sans-abris soit maintenu. Plus tard, lors de la sélection du jury, ils vont tenter d'affirmer leur droit à questionner les jurés potentiels sur leur attitude à l'égard des sans-abris.

Hormis l'ordonnance d'écouter ces motions, la seule autre décision que le juge ait pris en cette première journée fut de permettre aux trois accusés de s'asseoir à la table de la barre avec leur avocat plutôt qu'au banc des accusés plus inconfortable. La poursuite et le juge ont accepté cette demande compte tenu de la longueur et de la complexité attendue du procès.

S'adressant au World Socialist Web Site après cette première audience, Clarke a déclaré qu'une défense politique serait montée et a accuser la police de monter une provocation et le gouvernement d'attaquer les pauvres et les sans-abris. Il a confirmé que la poursuite semblait intenter ces procédures avec de pleines accusations, sans même offrir la moindre entente de négociation de plaidoyer. « Il faut remonter aux années 1930 pour voir un procès de la sorte, alors que le gouvernement tentait de briser le Parti communiste à Toronto » a t-il déclaré.

Clarke a dit que les autorités tentent d'associer l'OCAP au terrorisme. Le chef de police a en effet publiquement qualifié la manifestation du 15 juin d'« acte terroriste », une accusation qui a d'ailleurs été répétée suite à un incident survenu en 2001 lorsque des manifestants de l'OCAP sont entrés dans les bureaux d'un ministre provincial. Cette fois là, Clarke se vit refuser la libération sous caution pendant 25 jours sur la base qu'il représentait un « danger pour le public ». Pourtant aucune accusation n'a jamais été portée en Cour; Clarke s'est plutôt vu offrir une caution qu'il a acceptée pour être en mesure de préparer le procès actuel. Un autre supporter de l'OCAP, Sean Lee Popham, a été placé en détention à domicile pendant 57 jours.

« C'est ce que l'on appelle de la provocation politique » a déclaré Clarke.

Au début, la Couronne a imposé aux accusés comme conditions à une libération sous caution l'interdiction d'entrer en contact avec tout membre de l'OCAP et de participer à une manifestation. Ces injonctions inconstitutionnelles ont certes été cassées, mais elles démontrent néanmoins que le but de la poursuite est de briser un groupe qui organise des manifestations contre le gouvernement provincial.

L'attaque contre les droits démocratiques de l'OCAP a dépassé les frontières pour s'étendre jusqu'aux États-Unis. En février dernier, Clarke se voyait interdire l'entrée dans ce pays par les fonctionnaires du département d'État et de l'immigration des États-Unis alors qu'il voulait s'adresser aux étudiants de l'université du Michigan. Après un interrogatoire de cinq heures par les douaniers américains du poste frontière de Port Huron, au Michigan, où il fut questionné en détail sur la manifestation du 15 juin pour ensuite être accusé de connaître les allées et venues d'Oussama ben Laden, Clarke s'est vu refusé l'entrée aux États-Unis.

L'OCAP et la pauvreté

L'OCAP récolte un certain appui parmi les étudiants, les ex-radicaux politiques et les pauvres car elle apparaît comme le seul groupe montant une opposition stridente contre la destruction des programmes sociaux et la destitution de vastes couches de travailleurs.

Selon un récent rapport préparé par les banques alimentaires du grand Toronto, une fois le loyer payé, le ménage moyen faisant appel à l'aide des banques alimentaires n'a plus que 4,11 $ par jour et par personne pour acheter de la nourriture, des médicaments, des vêtements et autres nécessités de la vie. Les ménages avec des enfants et vivant sur l'aide sociale n'ont que 3,26 $ par jour.

Ces sommes ont diminué depuis 1995, année où les conservateurs ont pris le pouvoir en Ontario sous le premier ministre Mike Harris alors qu'elles étaient à 7,40 $ par jour. Les conservateurs ont abruptement compressé les taux de prestations d'aide sociale de 22 pourcent. Ils ont utilisé le travail obligatoire et modifié les lois pour couper les allocations des gens, geler le salaire minimum et arrêter la construction des logements sociaux. Au cours des sept dernières années, ils ont refusé d'augmenter les taux de prestations d'aide sociale, ce qui équivaut à une réduction réelle de près de 40 pourcent compte tenu de l'inflation.

Pour ne pas faire de jaloux, le gouvernement Harris a effectivement mis fin en 1998 au contrôle des loyers, qui ont augmenté depuis de près de 20 pourcent à Toronto -soit pratiquement la même progression que dans les demandes d'aide aux banques alimentaires pour la même période. Alors qu'il était auparavant relativement rare de voir des travailleurs faire appel à ces banques alimentaires, l'an dernier les gens occupant un emploi comptaient pour près de 20 pourcent des demandeurs d'aide aux banques alimentaires.

Du fait qu'aucun logement social n'a été construit, 86 000 familles de Toronto et des banlieues sont maintenant sur des listes d'attentes pour avoir accès à un logement subventionné.

Parallèlement, le gouvernement libéral de Chrétien à Ottawa a abaissé l'assurance-emploi à 55 pourcent du revenu précédemment gagné, en plus de rendre tellement difficile la qualification pour recevoir de l'aide que seulement 27 pourcent des chômeurs ontariens touchent maintenant de l'assurance-emploi. Au Canada, plus d'un million d'enfants, soit près du sixième de tous les enfants, vivent dans la pauvreté - une augmentation importante depuis 1989, année où le parlement canadien s'était solennellement engagé à abolir la pauvreté chez les enfants.

Les organisations qui prétendent traditionnellement parler au nom des travailleurs, le Nouveau parti démocratique (NPD) et les syndicats, ont été tout à fait complices dans l'imposition de ces conditions. Les politiques anti-ouvrières du NPD ontarien de Bob Rae de 1990 à 1995 ont ouvert la voie à Harris qui a dirigé le gouvernement le plus à droite de l'après-guerre au Canada. Lorsque l'assaut social de Harris provoqua une opposition de masse et une vague de grèves dirigées par les travailleurs du secteur public et les enseignants en 1997-1998, les syndicats ont agi de façon à briser la résistance.

Le WSWS a déjà présenté les différences fondamentales qui existent entre ses politiques et la perspective de protestation de l'OCAP qui nourrit le faux espoir de faire pression sur les politiciens et la grande entreprise pour qu'ils fassent des concessions aux travailleurs et aux gens dans le besoin. Cette perspective non seulement s'oppose au programme socialiste qui est la seule solution à la pauvreté et à l'itinérance, mais elle mène inévitablement à la pagaille et aux confrontations délibérées avec la police et fournit ainsi des prétextes pour la répression politique.

Le WSWS ne défend pas moins sans condition l'OCAP et ses trois membres accusés et exige l'abandon des accusations frauduleuses portées contre eux. Ce procès qui est mené pour l'exemple est une menace sérieuse contre les libertés civiques et les droits démocratiques essentiels. Si des activistes de l'OCAP peuvent être condamnés et emprisonnés pour « participation à une émeute », aucun piquet de grève, aucune manifestation ne sera à l'abri de l'application de ces vieux articles du code criminel.

Bien que Mike Harris qui fut le fer de lance de la victimisation des pauvres et du lancement d'accusations contre l'OCAP a quitté la scène politique l'an passé après une série de scandales, l'administration conservatrice de son successeur Eves n'en maintient pas moins la poursuite avec toute la puissance de l'État. Le WSWS fera tout en son pouvoir pour dénoncer cette chasse aux sorcières en la portant à l'attention d'une audience internationale et luttera pour casser ces accusations.

 

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