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La France passe à l'offensive en Côte d'Ivoire

Par John Farmer
Le 7 janvier 2003

Le week-end dernier, le ministre des Affaires étrangères français, Dominique de Villepin, a terminé sa visite dans l'ancienne colonie française de Côte d'Ivoire après deux journées de pourparlers avec le gouvernement et le groupe rebelle originaire du nord du pays, le Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI) qui sont impliqués dans une guerre civile de plus en plus sanglante.

De Villepin a déclaré que la France agissait pour mettre fin à ce qu'il a présenté comme « une spirale dangereuse » . Néanmoins sa visite était une nouvelle tentative pour imposer le cessez-le-feu à un conflit qui dure depuis quatre mois. Il a invité le gouvernement, les partis politiques ainsi que le MPCI à participer à une conférence au sommet à Paris fin janvier.

La visite de de Villepin était une réponse à l'envoi par le président ivoirien d'hélicoptères pilotés par des mercenaires pour attaquer le village de pêcheurs de Menakro, à 65 kilomètres à l'ouest de la ville de Bouaké, le bastion du MPCI. Le porte-parole de l'armée française, le lieutenant colonel Angel-Antoine Leccia, a jugé le raid en hélicoptère, qui a tué 12 civils comme étant « inadmissible et intolérable». Des militaires français ont rapporté que les villageois « avaient été tirés comme des lapins ».

Le ministre français des Affaires étrangères a, à plusieurs reprises, ordonné à Gbagbo d'expulser les mercenaires étrangers et d'arrêter les bombardements aériens. Lors d'une rencontre avec le MPCI, il a également cherché à les convaincre de ne pas exercer de représailles. En perpétrant ce massacre derrière les lignes rebelles, Gbagbo n'a pas seulement enfreint le cessez-le-feu précédent mais a essayé de forcer le MPCI à franchir la ligne de cessez-le-feu occupée par l'armée française, dans la direction du sud vers Abidjan, le siège du gouvernement.

Les pourparlers de de Villepin ont tenu à l'écart les deux groupes rebelles nouvellement formés comme le Mouvement pour la Justice et la Paix (MJP) ou le Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (MPIGO). Les dirigeants de ces deux groupes ont signalé vouloir participer à la conférence de Paris. Ils n'étaient pas concernés par l'ancien cessez-le-feu et ils sont en ce moment mêlés à des échauffourées avec des troupes françaises bien armées.

Au cours des dernières semaines, la France s'est dirigée vers une occupation militaire ouverte de la Côte d'Ivoire. Le 28 décembre dernier, des renforts et du matériel militaires français (des hommes, des camions, des jeeps et plus d'une trentaine de véhicules blindés) ont été livrés de France à Abidjan après un voyage de 10 jours. Les effectifs français ont été portés à quelque 2.500 hommes dans le cadre de « l'opération Licorne ».

Malgré leurs déclarations initiales affirmant qu'ils n'étaient sur place que pour protéger les civils français afin d'imposer par la suite un cessez-le-feu, il est de plus en plus flagrant que sans leur présence les forces rebelles occuperaient le pays tout entier et que Gbagbo serait renversé. Ce dernier ést fortement soutenu par des troupes constituées de mercenaires sud-africains, croates ou français. Les rebelles contrôlent déjà plus de la moitié de la Côte d'Ivoire, y compris les régions productrices de café sources de la richesse du pays.

Comme la France n'a aucune intention de céder aux rebelles l'économie dont elle est la plus tributaire en Afrique de l'Ouest ­ le MPCI est un groupe de militaires dissidents dont ont dit qu'ils sont soutenus par des hommes d'affaires du nord du pays et il est possible que le MJP et le MPIGO soient soutenus par le Liberia - la volonté de de Villepin de réunir toutes les parties « autour d'une table » pour la conférence de Paris sera un moyen pour la France de diriger les affaires du pays de façon plus directe.

La France a investi en Côte d'Ivoire quelque 3 milliards de dollars et la majeure partie de ce que les privatisations ont rapporté lors du Plan de Réforme structurelle est tombée entre les mains des sociétés internationales françaises. La Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial de cacao et les prix du cacao ont atteint leur plus haut niveau au cours des onze dernières semaines en entraînant une inquiétude croissante quant à une éventuelle rupture de stock. Le pays est également un carrefour économique ainsi qu'une fenêtre maritime pour de nombreux pays africains voisins. Même si la Côte d'Ivoire ne dispose d'aucune ressource pétrolière, les Etats-Unis s'intéressent plus en plus à la région depuis que des dépôts importants de pétrole ont été découverts sur la côte occidentale de l'Afrique.

Outre l'engagement d'une partie de sa propre armée, la France a également essayé de réunir une force de maintien de la paix issue de pays d'Afrique de l'Ouest pour intervenir en Côte d'Ivoire. Une telle force fournirait une crédibilité « internationale » à l'intervention française, mais les régimes africains ont clairement exprimé qu'ils ne souhaitaient s'impliquer dans cette situation instable. Le 3 janvier, les premières troupes ouest-africaines sont arrivées ­ les premiers éléments d'une force de paix de 49 personnes issues de quatre nations ouest-africaines. Le président du Sénégal, Abdoulaye Wade a déclaré à la BBC que le reste des troupes sénégalaises de maintien de la paix ne serait déployé que quand les différentes parties se seront mises d'accord.

Il semble que les Etats-Unis soient disposés à laisser la France, leur principal rival économique dans la région, imposer une certaine stabilité dans la région. Par contre, ils n'ont pas l'intention de soutenir la force de maintien de la paix et le Nigeria a refusé de faire partie de cette force.

En France, une certaine nervosité se fait jour au sein des cercles dirigeants quant à l'implication militaire. Sous le titre « La France prise au piège ». le quotidien Libération a fait le rapprochement avec l'implication des Etats-Unis au Vietnam et a accusé le gouvernement français d'imprudence.

Il est évident qu'il existe une certaine répugnance en ce qui concerne le soutien de Gbagbo par la France, même si la montée du chauvinisme ethnique au sein des classes dirigeantes et les attaques contre les opposants ont commencé sous des gouvernements précédents également soutenus par la France - en l'occurence Conan Bédié et le général Gueï. Le correspondant du Monde a fait le commentaire suivant: « L'opération Licorne risque ainsi d'apparaître comme le rideau de sécurité derrière lequel s'abritent des criminels de guerre et comme le gardien de la trésorerie du régime en place, les droits perçus sur les exportations du cacao constituant les principales ressources du pouvoir de Laurent Gbagbo, qui lui permettent de continuer de rémunérer les fonctionnaires et d'acheter des armes.»

Tous les doutes sont permis quant à la solidité de l'actuel cessez-le-feu, tout particulièrement dans les régions de l'ouest. Au cours de la semaine dernière, le MJP et le MPIGO ont ouvert un nouveau front au sud de la ligne de cessez-le-feu, débordant en apparence sur la frontière du Libéria. Ils se trouvent en ce moment à presque 200 kilomètres du port clef de San Pedro, situé sur la côte sud du pays. Des troupes françaises ont été déployées aux carrefours stratégiques de Duékoué afin de stopper l'avancée des rebelles vers San Pedro. 20.000 citoyens français habitent dans ce port primordial pour les exportations de cacao.

La France fera tout son possible pour rassembler une coalition multinationale afin de garder le contrôle sur la Côte d'Ivoire tandis que les événements de la semaine passée ont mis en évidence une hostilité répandue envers l'ancienne puissance coloniale. A son arrivée à Abidjan, de Villepin a été bloqué pendant une heure par une foule de plusieurs centaines de manifestants qui portaient des T-shirts nationalistes et qui hurlaient des slogans accusant le ministre français de soutenir les rebelles. Dans la région du nord le soutien pour les rebelles a été accentué quand il a été démontré que les troupes françaises étaient utilisées pour protéger les forces gouvernementales.

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