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La France réclame à grands cris l'intervention de l'ONU

Par Chris Talbot
Le 24 mai 2003

Une mission de reconnaissance de l'armée française a été envoyée à Bunia, la capitale régionale du nord-est de l'Ituri dans la République démocratique du Congo (RDC). Il s'agit de préparer la voie à un millier de soldats français qui dirigerait le déploiement d'une force de l'ONU en vue de stopper le violent conflit qui sévit dans la région.

Pour ne pas être laissé pour compte, le premier ministre britannique Tony Blair, a déclaré envisager un éventuel envoi d'une force britannique et ce malgré les critiques de l'amiral Sir Michael Boyce, l'ancien chef d'état-major britannique qui a pris sa retraite le mois dernier après l'intervention britannique en Irak, et qui a déclaré que la Grande-Bretagne était tellement sollicitée qu'il lui serait impossible de gérer une nouvelle opération d'ici 18 mois.

Un rapport, préparé par l'Organisation non gouvernementale (ONG), International Rescue Committee, fait état de 3,3 millions de personnes mortes dans les cinq provinces orientales du Congo à cause de la guerre. En conclusion, le rapport précise qu'il s'agit « de la guerre la plus meurtrière qui ait jamais été documentée en Afrique, il s'agit en effet du nombre de morts le plus élevé jamais enregistré dans le monde au cours de ces cinquante dernières années. »

Kofi Annan, le secrétaire général de l'ONU, ainsi que plusieurs ONG et organisations des droits de l'homme ont lancé des appels en faveur d'une intervention à Bunia. De récents rapports, signalant que 300 corps, dont un grand nombre étaient mutilés, ont été découverts dans la région par une force de maintien de la paix de l'ONU, font suite à des rapports antérieurs relatant des combats sanglants durant lesquels deux casques bleus avaient été tués.

Sont impliqués dans le conflit des miliciens issus de deux tribus locales rivales ­ les Lendu, fermiers et les Hema éleveurs ­ qui se disputent le contrôle des richesses de la région. Près de Bunia se trouve Kilo Moto la plus importante mine d'or du monde. Il existe un négoce lucratif dans le secteur du bois mais aussi dans d'autres domaines au-delà de la frontière avec l'Ouganda. A la recherche de pétrole, la compagnie canadienne Heritage Oil Corporation prospecte la région du lac Albert.

Il ne s'agit pas d'un conflit isolé qui vient de redémarrer dernièrement. Les combats se déroulent depuis plusieurs années et font partie de la guerre qui s'est déclenchée en 1998 en République démocratique du Congo (RDG). La milice ethnique des alentours de Bunia dont on affirme qu'elle dépasse 25.000 hommes et qui n'est qu'une partie d'un réseau compliqué de groupes armés couvrant un territoire de la superficie de l'Europe de l'ouest. Dans la partie orientale du Congo, riche en minerai, il y a des armées rebelles soutenues par l'Ouganda et le Rwanda, divers groupes ethniques soutenus par l'Ouganda, le Rwanda ou le gouvernement de la RDG de Kinshasa. De plus, s'y trouvent des troupes du Rwanda et de l'Ouganda, les combats les plus récents étant dus à la décision de l'Ouganda de retirer son armée officielle sous la pression des puissances occidentales. Il existe aussi des milices Hutu soutenues par la RDC qui initialement avaient formé l'armée rwandaise et qui furent obligées d'aller dans la jungle du Congo après avoir perpétré le génocide de 1994.

Alors que cette situation complexe trouve son origine dans un conflit pour le contrôle du Congo entre l'Ouganda et le Rwanda, d'une part, et le gouvernement de la RDC soutenue par l'Angola et le Zimbabwe, d'autre part, elle a mené à une impasse dans laquelle les milices et les armées s'auto-financent en pillant les ressources minérales et en terrorisant la population locale.

Selon un rapport de l'ONU d'il y a un an au sujet de « l'exploitation illégale des ressources naturelles » du Congo, le conflit entre les Hema et les Lendu ­ quoique remontant aux divisions encouragées par les colons belges à l'image de celles entre les Tutsi et les Hutu au Rwanda voisin ­ escalada lorsque des hommes d'affaires Hema, soutenus par le réseau de l'armée ougandaise organisant l'exploitation de la région, décidèrent de mettre sur pied leur propre milice.

Quand les Lendu organisèrent leur propre milice pour y répliquer, l'armée ougandaise forma et arma la milice Hema tout en vendant des armes aux Lendu. L'Ouganda pouvait ainsi justifier sa présence dans la région comme force de maintien de la paix. Les derniers rapports signalent que la milice Hema est à présent soutenue par le Rwanda ; les troupes ougandaises s'étant retirées sous la pression de l'Ouest. Les Lendu bénéficiant, dit-on, du soutien du gouvernement de la RDC.

Au cours de ces trois dernières années, une tentative de paix chancelante soutenue par les Etats-Unis n'a fait que très peu de progrès dans ce vaste territoire. Alors que le conflit armé a diminué en intensité dans la plus grande partie de la RDC, les négociations en vue de l'établissement d'un gouvernement intérimaire à Kinshasa - devant comprendre des ministres des factions rebelles ougandaise et rwandaise ainsi que le groupe entourant Joseph Kabila - ont échoué. L'Angola constitue le principal soutien de Kabila. Ses troupes, avec l'appui des Etats-Unis, assurent la sécurité de Kinshasa et sont censées, avec l'Ouganda, avoir facilité les négociations actuelles.

La Grande-Bretagne fut à la tête des pourparlers diplomatiques avec l'Ouganda et le Rwanda, tentant d'aplanir le conflit qui les oppose ­ un conflit qui débuta en 2000 au sujet du contrôle des diamants de Kisangani - et les poussant à retirer des troupes en échange d'une aide supplémentaire.

Washington a agi en coulisse pour arriver à un accord, au moyen principalement de médiateurs sud-africains, sans pour autant avoir envoyé au Congo une force substantielle de maintien de la paix. L'actuelle Mission de l'ONU en RDC (Monuc), est financièrement sous-alimentée, comptant moins de 4.000 hommes dans ce vaste pays et ne disposant pas de mandat lui permettant d'intervenir dans les combats. Dans la région de l'Ituri, elle ne dispose que de 700 hommes et peut à peine défendre ce qui reste de la population à Bunia des milices ethniques.

L'intervention dans la région de l'Ituri proposée par la France et peut-être aussi de la Grande-Bretagne a très certainement pour but de justifier une intervention plus « musclée » sous couvert du présent désastre humanitaire. Le président Jacques Chirac, tout comme le premier ministre Tony Blair, a clairement fait connaître son ambition néocolonialiste en Afrique. Il ne fait pas doute que Blair s'attend à ce que les Etats-Unis permettent à la Grande-Bretagne de revêtir un rôle plus important sur ce continent en échange du soutien en Iraq. La question de savoir si la France va recevoir le feu vert des Etas-Unis et d'autres puissances occidentales, fait encore l'objet de chamailleries diplomatiques qui durent depuis des jours et est vraisemblablement liée à la capitulation du gouvernement français en acceptant de signer la résolution anglo-américaine sur l'Iraq au Conseil de sécurité des Nations unies.

Selon un rapport de l'agence Reuters, les Etats-Unis ne sont pas prêts à intervenir eux-mêmes, mais encouragent des pays à joindre une force d'intervention qui comprendrait probablement l'Afrique du Sud au même titre que la France et la Grande-Bretagne.

Le porte-parole américain, Fred Eckhard, a exigé une force qui serait « suffisamment forte et politiquement équilibrée pour être acceptable de toutes les parties impliquées dans le conflit », ce dernier point faisant certainement allusion à l'hostilité que connaît la France dans cette région. Le Rwanda a tout particulièrement protesté contre la participation de la France compte tenu du soutien qu'elle avait apporté au régime génocide Hutu et des liens qu'elle entretient actuellement avec Joseph Kabila.

L'on ne peut vraiment pas croire à une quelconque intention humanitaire sincère de la part de Paris ou de Londres. L'actuel nombre de morts à Bunia, les terribles mutilations et les meurtres d'enfants sont le fait d'un nombre relativement restreint de milices mal équipées. L'intérêt réel de l'occident est de contrôler la richesse minérale de la région de l'Ituri qui pourrait facilement être exploitée depuis l'Ouganda, le pays voisin. Au cours de ces cinq dernières années, l'occident a assisté sans intervenir à l'épuisement des armées de la région dans une guerre qui a causé des souffrances sans précédent. D'autres occasions ne tarderont pas à s'offrir aux compagnies minières occidentales.

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