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Une visite présidentielle à Auschwitz :

L'Holocauste et la fortune de la famille Bush

Par Bill Vann
Le 5 juin 2003

« L'Histoire nous rappelle ce qui peut arriver ». Ce sont les mots qu'a prononcés le président George Bush après une visite guidée des chambres à gaz d'Auschwitz. L'ancien camp de la mort nazi en Pologne était une des premières étapes d'une tournée de sept jours en Europe et au Moyen-Orient.

Le sens exact de cette remarque banale du président américain n'est pas très claire. Néanmoins, si l'on examine le bilan politique de Bush ­ les files d'exécution au Texas, le camp X-Ray à Guantanamo Bay, l'emprisonnement pour une période indéterminée de citoyens américains, les deux guerres préventives - cette remarque est ouverte aux interprétations les plus sinistres.

Sans aucun doute, cette visite à Auschwitz a été mise en scène pour servir les objectifs de la politique immédiate : en parlant des horreurs des camps de concentration nazis, on soumet un agenda de militarisme et de répression aux Etats-Unis. Il est possible qu'il n'existe pas de plus grande insulte à la mémoire des six millions de personnes, Juifs ou autres, tous assassinés par les Nazis.

Le même jour, dans le discours qu'il a prononcé à Cracovie, Bush à déclaré que les camps de concentration « nous rappellent que le mal existe, qu'il faut l'appeler par son nom afin de le combattre ». Puis, « Après avoir vu l'uvre du mal sur ce continent, nous ne devons jamais perdre le courage de le combattre où qu'il soit. »

Selon Bush, la cause de cet Holocauste était le « mal ». Pour le président des Etats-Unis, le mot « mal » sert à désigner une multitude de fautes. A plusieurs reprises, il a utilisé ce mot pour parler des fondamentalistes musulmans qui ont perpétré les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Il a souvent présenté le chef d'Al Qaida comme étant « le mauvais ». Ce vocable précis à une immédiate utilité sur le plan politique, parce qu'il évite de nommer Ousama Ben Laden et par la même de rappeler les liens d'affaires très anciens entre les Bush et la riche famille Ben Laden d'Arabie Saoudite.

L'existence du « mal » constitue pour l'administration Bush la seule explication de l'apparition du terrorisme fondamentaliste musulman. Une présentation semi-mystique et religieuse comme celle-ci (et il est bien évident que le gouvernement des Etats-Unis représente les « forces du bien ») présente l'avantage d'ignorer toute considération politique ou historique. Elle ignore, en particulier, le rôle joué par la politique étrangère des Etats-Unis ­ l'alliance de Washington avec des régimes despotiques et enrichis par le pétrole comme celui d'Arabie Saoudite, le soutien des Etats-Unis aux Moudjahidines, la guerre indirecte de la CIA contre les groupes nationalistes et socialistes laïcs, le soutien inconditionnel d'Israël contre les Palestiniens - dans la mise en place des circonstances politiques qui ont permis le développement des tendances rétrogrades comme Al Qaida.

L'utilisation du mot « mal » présente la même utilité quand on parle de l'Holocauste. Le fait d'essayer d'ignorer les origines sociales, politiques et économiques de la montée du fascisme en Europe au cours des années 30 et ainsi que des crimes horribles qui ont suivi n'est pas le seul fait de Bush. L'adoption de l'anticommunisme comme élément central de l'idéologie américaine de l'après-guerre a rendu déplacé toute analyse des racines anti-socialistes du fascisme. A la place de cela, le communisme et le fascisme ont été tous les deux qualifiés de « forces du mal ».

A la veille de son assassinat en 1940, Léon Trotski écrivait : « Le fascisme est la continuation du capitalisme, c'est une tentative de prolonger la vie du capitalisme par les moyens les plus bestiaux et les plus monstrueux. Le capitalisme a pu avoir recours au fascisme seulement parce que le prolétariat n'a pas pu accomplir à temps la révolution socialiste ».

Trotski n'était pas le seul à avoir cette opinion. Beaucoup avaient compris que les Nazis, tout comme le parti fasciste de Mussolini,étaient arrivés au pouvoir grâce au soutien du grand capital pour anéantir le mouvement socialiste prolétarien et pour éradiquer toute menace de révolution. La « solution finale », développée par le régime nazi contre les Juifs, était attachée à cette mission essentielle.

Dans sa remarquable biographie d'Hitler, Ian Kershaw, tout en décrivant le chemin qu'a emprunté le III ème Reich vers la « solution finale », a noté que la guerre dans l'Est - et en fin de compte l'Holocauste lui-même - a été présentée par la propagande nazie comme « une croisade contre le Bolchevisme » .

Dans son livre Hitler 1936-1945 : Nemesis, (New York et Londres, 2001, p 389) [traduction française Hitler Tome 2, Editions Flammarion], Kershaw a écrit : « Les plus fermes soutiens des Nazis avaleraient entièrement l'interprétation de la guerre comme une mesure préventive pour éviter la destruction de la culture occidentale par les hordes bolcheviques. Ils croyaient fermement que l'Europe ne serait jamais libérée avant la destruction complète du « bolchevisme juif ». Le chemin vers l'Holocauste, mêlé à la haine du Bolchevisme préfigurait dans de telles notions. Le testament de la haine du Bolchevisme, entièrement mélangé avec l'antisémitisme était sur le point de se révéler dans toute sa férocité ».

Immédiatement après la guerre, les autorités d'occupation américaine ont été contraintes de reconnaître la culpabilité des grandes entreprises allemandes dans les crimes perpétrés par le régime nazi. Le général Telford Taylor, un des principaux procureurs dans le procès des criminels de guerre de Nuremberg, a réclamé l'inculpation de certains grands industriels allemands. Parmi eux, se trouvait Friedrich Flick, le copropriétaire avec Fritz Thyssen du trust de l'acier allemand et financier des Nazis et des S.S.

Dans son réquisitoire, Taylor a déclaré : « Nous avons affaire à des hommes avant tout assoiffés de pouvoir et de richesse. J'ignore si Flick ou si ses associés détestaient vraiment les Juifs : il est très possible qu'ils n'ont jamais vraiment étudié la question jusqu'à ce que celle-ci revête une importance pragmatique dépassant leur propre opinion et leurs propres sentiments ».

Il a continué, « Les prévenus étaient des hommes riches, ils possédaient beaucoup de mines et beaucoup d'usines. Ils vous diront sans doute qu'ils croyaient au caractère sacré de la propriété privée et qu'ils ont peut-être apporté leur soutien à Hitler parce que les communistes allemands constituaient une menace pour cette notion. Mais les usines de Rombach et de Riga appartenaient à quelqu'un d'autre ».

On pourrait en dire tout autant des puits de pétrole en Irak.

La description qu'a faite le général Taylor de la classe dirigeante allemande pourrait tout aussi bien s'appliquer, à peu de chose près, au cercle de rapaces qui constitue la base principale de l'administration Bush.

Il est intéressant de noter que le général Taylor s'est trouvé en total désaccord avec le révisionnisme anticommuniste qui a suivi, et ceci jusqu'à sa mort en 1998. Il fut un des premiers personnages publics à affronter publiquement la chasse aux sorcières de l'époque McCarthiste. Il fut également un des opposants principaux à la guerre du Vietnam, et il a avancé que le procès du lieutenant William Calley pour le massacre de 500 femmes et enfants à My Lai devrait s'étendre à toute la chaîne du commandement militaire américain.

Prescott Bush et les Nazis

Dans le cas particulier de Bush, le fait de cacher les origines historiques du fascisme en Allemagne a un rôle particulier et même personnel. Alors que le père du président avait des liens avec la famille Ben Laden, le grand-père de celui ci a accumulé une partie importante de la fortune familiale en faisant des affaires avec l'Allemagne nazie. Il a même été suggéré que les avoirs des Bush provenaient en partie de l'exploitation du travail forcé à Auschwitz même.

Dès années 20 aux début des années 40 ­ après le début de la Deuxième Guerre mondiale - Prescott Bush était associé et administrateur au sein du holding Brown Brothers Harriman de Wall Street. Il était également administrateur d'une des principales filiales financières, l'Union Banking Corportation (UBC).

Avec son beau-père, George Herbert Walker - l'arrière grand-père du président actuel - Prescott contrôlait un autre avoir de ce holding, la compagnie de navigation Hamburg-Amerika, que les Nazis utilisaient pour le transport de leurs agents vers ou de l'Amérique du Nord.

En 1933, une autre filiale du groupe Harriman, Harriman International Company, a conclu un accord avec le régime d'Hitler afin de coordonner les exportations allemandes vers les Etats-Unis.

Pendant ce temps, UBC a dirigé toutes les opérations bancaires en dehors de l'Allemagne pour Fritz Thyssen, le magnat de l'industrie allemande. Dans son livre, J'ai payé Hitler, Fred Thyssen a reconnu avoir soutenu financièrement le mouvement nazi de 1923 jusqu'à l'arrivée au pouvoir de celui-ci.

En octobre 1942, 10 mois après son entrée en guerre, le gouvernement américain opéra la saisie de l'UBC et de plusieurs autres sociétés dans lesquelles les Harriman et les Prescott Bush possédaient des parts. En plus de Bush et de Roland Harriman, il fut donné les noms de trois administrateurs nazis dans l'ordre de saisie de la banque.

Une enquête de 1945 a révélé que la banque dirigée par Prescott Bush avait des liens avec le trust allemand de l'acier dirigé par Thyssen et par Flick, un des inculpés au procès de Nuremberg. Cette firme industrielle géante a produit au moins la moitié de l'acier ainsi que plus d'un tiers des explosifs, sans oublier d'autres matériaux stratégiques, utilisés par la machine de guerre allemande pendant les années de guerre.

Le 28 octobre 1942, le gouvernement américain a confisqué les avoirs de deux compagnies qui servaient de façade pour le régime nazi - la Holland American Trading Corporation et la Seamless Steel Equipment Corporation, toutes deux contrôlées par l'UBC. Un mois plus tard, ils ont également saisi les avoirs nazis au sein de la Silesian-American Corporation (SAC), dirigée par Prescott Bush et par son beau-père, George Walker.

L'ordre de saisie, émis dans le cadre de la Loi concernant les Liens commerciaux avec l'Ennemi, a présenté la Silesian-American comme « Un holding américain avec des filiales allemandes et polonaises » qui contrôlait d'importantes mines de charbon et de zinc en Silésie, en Pologne et en Allemagne. Cet ordre de saisie précisait en outre que depuis septembre 1939 (quand Hitler a déclenché la IIème guerre mondiale) ces propriétés étaient sous contrôle du régime nazi qui les avait utilisées pour la poursuite de son entreprise de guerre.

Parmi les avoirs de la Silesian American, il y avait une aciérie située près d'Auschwitz. Il a été établi que cette usine a utilisé des déportés d'Auschwitz comme main-d'uvre forcée.

On trouve parmi ceux qui ont enquêté sur les liens entre les Bush et les Nazis un certain John Loftus. John Loftus est un ancien procureur au sein du département des crimes de guerre au ministère de la Justice et il dirige le Musée de l'Holocauste de Floride à Saint Petersburg. Loftus a accusé la famille Bush d'avoir reçu 1,5 million de dollars de ses parts dans l'UBC à la liquidation de cette banque en 1951. Dans un récent discours, Loftus a déclaré : « C'est l'origine de la fortune de la famille Bush : le Troisième Reich ».

Loftus avance que l'argent, une somme très importante à l'époque, incluait un profit direct provenant du travail forcé de ceux qui étaient morts à Auschwitz. Dans une interview donnée au journaliste Toby Rogers, l'ancien procureur a dit : « Il est déjà scandaleux que la famille Bush ait contribué à récolter de l'argent pour que Thyssen puisse financer l'arrivée d'Hitler au pouvoir, mais fournir un soutien à l'ennemi en temps de guerre, c'est de la trahison pure et simple. Même si financer la machine de guerre nazie est détestable, favoriser et encourager l'Holocauste est encore pire. Les mines de charbon de Thyssen ont utilisé des déportés juifs avec le même mépris que s'ils étaient des produits jetables. Il y a 6 millions de squelettes dans le placard de la famille Thyssen, et il reste à trouver la réponse aux nombreuses questions criminelles et historiques quant à la complicité de la famille Bush.

Le cas de Prescott Bush n'était certes pas unique, même si ses liens financiers avec le IIIème Reich étaient peut-être plus étroits que ceux de la plupart de ses homologues. Henry Ford était un admirateur déclaré d'Hitler et GM associé à Ford ont joué un rôle prédominant dans la production des camions militaires qui ont transporté les troupes allemandes à travers toute l'Europe. Après la guerre, les deux fabricants d'automobiles ont demandé et obtenu des réparations financières pour les dommages causés par les bombardements alliés sur leurs usines allemandes.

La Standard Oil et la Chase Bank, tous deux sous contrôle de la famille Rockfeller, investirent massivement dans l'Allemagne nazie, tout comme le firent les maisons de courtage les plus en vue de Wall Street. Ces transactions ne cessèrent pas à l'avènement de la guerre. Standard Oil envoya du pétrole aux Nazis via la Suisse jusqu'en 1942 et collabora avec I.G. Farben, la firme qui fabriquait le Zyklon B utilisé dans les chambres à gaz des Nazis et qui faisait fonctionner une usine de caoutchouc synthétique en utilisant la main-d'uvre des déportés d'Auschwitz.

Dans son livre Trading with the Enemy: The Nazi American Money Plot, l'ancien journaliste du New York Times, Charles Higham notait que le gouvernement américain avait cherché à taire le soutien à Hitler de Prescott Bush et d'autres financiers américains et industriels importants.

Il écrivait que si le gouvernement américain essayait de traîner en justice ces personnages, le seul résultat serait « un scandale public » et « aurait des conséquences importantes sur la morale publique, causerait des grèves répandues et provoquerait peut-être des mutineries au sein de l'armée. » En outre, Higham écrivait que le gouvernement croyait que « leur procès et leur emprisonnement auraient empêché les entreprises de contribuer à l'effort de guerre des Etats-Unis. (Trading with the Enemy ­ The Nazi American Money Plot 1933-1949, New York, 1983, p. xvii).

L'administration Roosevelt et les membres les plus influents des deux partis firent tout leur possible pour arranger les problèmes de Prescott Bush suite à ses affaires avec les Nazis. Prescott Bush fut installé à la tête du National War Board, avec en charge d'aider à récolter des fonds privés pour les organisations de secours de guerre. Aussitôt après avoir récolté 1,5 million de dollars d'indemnités de l'UBC, il se présenta avec succès à un poste de sénateur du Connecticut qu'il conserva jusqu'en 1963.

Une partie importante des principaux patrons américains avaient de la sympathie pour les nazis et partageaient leurs idées antisémites, même s'ils ne l'exprimaient pas aussi clairement que Henry Ford. Ces sentiments ont continué à prévaloir dans la politique des Etats-Unis après le début de la guerre. L'administration Roosevelt refusa de modifier dans le moindre détail sa politique d'immigration pour admettre les réfugiés juifs qui fuyaient l'Holocauste, tandis que les militaires refusaient de bombarder les voies ferrées qui menaient à Auschwitz, avançant que ces voies n'étaient pas un « objectif militaire. »

Même si les gens qui écrivent les discours de Bush se plaisent à présenter la politique des Etats-Unis en termes d'idéaux moraux ­ la lutte du bien contre le mal - le souvenir de la complicité de la classe dirigeante américaine en général, et de la famille Bush en particulier, avec l'Allemagne nazie démontre que le seul élément constant est la défense du pouvoir et des privilèges de l'oligarchie dirigeante par tous les moyens possibles.

Dans les années 1930 et 1940, cet objectif prépondérant a poussé le grand-père de George Bush à établir une relation commerciale profitable avec les Nazis. Au cours des années 1980, cet objectif a également servi de base à l'alliance conclue entre le père de George Bush et les islamistes fondamentalistes dans leur guerre contre le régime afghan qui était soutenu par les Soviétiques. Aujourd'hui, c'est la préoccupation centrale de la politique de George Bush : militarisme et colonialisme à l'extérieur, répression et attaques sociales à l'intérieur des Etats-Unis.


 

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