World Socialist Web Site www.wsws.org

wsws : Nouvelles et analyses : États-Unis

Pourquoi Washington ne permet-il pas aux inspecteurs de l'ONU de rentrer en Irak ?

Par Peter Symonds
26 avril 2003

Il n'y a pas de justification sérieuse pour le refus de l'administration Bush cette semaine de permettre aux inspecteurs d'armements de l'ONU de rentrer en Irak. En fait, les porte-parole de la Maison Blanche n'ont même pas pris la peine d'essayer.

Les Etats-Unis et leurs alliés militaires ont envahi et occupé l'Irak prétextant que le régime Hussein avait de vastes stocks « d'armes de destruction massive », et qu'il refusait de coöpérer avec les équipes d'inspection de l'ONU ou de respecter une série de résolutions onusiennes datées à partir de 1991.

S'il y avait même un peu de vérité à ces affirmations, Washington aurait applaudi l'intervention d'experts onusiens en armement pour donner une vérification indépendante, et donc une semblance de légitimité, à l'occupation américaine de l'Irak. L'ONU et ses organisations internationales, telles l'Agence Internationale d'Energie Atomique (IAEA) sont, après tout, les seules organisations ayant le mandat de faire des inspections d'armes, en Irak ou ailleurs.

Par contre, l'administration Bush fait à présent tout ce qu'elle a accusé Saddam Hussein de faire. Elle refuse de respecter les accords onusiens sur l'Irak. Elle a rejeté avec dédain les appels de la Russie, de la France, et d'autres pays pour le retour des inspecteurs onusiens. Et elle a simplement déclaré que l'on devrait faire foi à ses responsables et à ses scientifiques sans vérification indépendante. Bref, les Etats-Unis agissent comme « Etat voyou », laissant de côté les voeux de la « communauté internationale ».

La seule différence est que l'Irak, qui ne pouvait faire face aux Etats-Unis du point de vue militaire, a accepté les conditions du Conseil de Sécurité de l'ONU, a produit de nombreux documents pour se justifier, et a permis aux inspecteurs onusiens de parcourir le pays. S'appuyant sur sa force militaire, l'administration Bush, comme un gangster mafieux, fait la loi et déclare au monde : arrêtez-moi si vous le pouvez !

John Negroponte, l'ambassadeur américain à l'ONU, a abruptement rejeté des demandes françaises et russes pour des inspections onusiennes, sans offrir de justification. Il a simplement déclaré : « Pour le moment, et au prochain avenir, nous voyons [les inspections] comme une activité de la coalition. Celle-ci a assumé la responsabilité de désarmer l'Irak ».

Les déclarations du porte-parole de la Maison Blanche Ari Fleischer n'étaient guère meilleures. « Le régime de Saddam Hossein est parti, et nous devons repenser les plans pour désarmer le régime vu la nouvelle situation sur le terrain », a-t-il proclamé aux médias. Quel est la « nouvelle situation sur le terrain » qui justifie une interdiction des inspecteurs onusiens ? Tout ce que Fleischer acceptait de dire, et cela plusieurs fois, était « Nous regardons à l'avenir, non pas au passé ». Bref : oubliez tout cela.

La seule explication plausible pour ce comportement extraordinaire est la plus simple. La guerre criminelle d'agression de l'administration Bush contre un pays petit, pauvre, et largement sans défense se basait sur un immense mensonge. Irak n'avait pas de prétendues armes de destruction massive, ou de prétendus « précurseurs » de telles armes, ou de moyens de les fabriquer, et l'administration Bush le savait.

Ayant pris le contrôle du pays, Washington ne peut permettre que l'on expose la vérité. Les Etats-Unis ne peuvent admettre aucune équipe d'inspection en Irak qui ne soit pas directement sous leur contrôle. Ils ont donc barré la route aux anciens dirigeants des inspections de l'ONU, Hans Blix et Mohamed El Baradei, qui, en plus d'être des experts techniques, ont fait preuve d'une certaine indépendance et d'une certaine honnêteté.

Blix, qui a fait un discours à une session fermée du Conseil de Sécurité mardi sur les capacités de ses inspecteurs de rentrer en Irak, a présenté des critiques en filigrane de l'administration Bush cette semaine. Sans mettre en question la probité des inspecteurs américains, il a déclaré : « L'Amérique ne va pas convaincre le reste du monde qu'elle a découvert une menace chimique ou biologique en Irak si elle persiste à refuser de se soumettre à une investigation indépendante, de l'extérieur ».

Avec une certaine ironie, Blix a remarqué qu'il était « évident que jusqu'ici [les inspecteurs américains] ne se sont pas retrouvés face à quoi que ce soit ». Dans les semaines avant l'invasion prônée par les Etats-Unis, l'administration Bush s'est largement moquée des inspecteurs onusiens, prétendant que le régime Hussein les bernait. Washington prétendait avoir des renseignements irréfutables sur les « armes de destruction massive » irakiennes, mais refusait de les montrer à Blix pour ne pas « compromettre les sources » des renseignements.

La plupart de l'Irak est fermement sous le contrôle américain depuis deux semaines. Mais malgré les tentatives vigoureuses des troupes et des spécialistes américains de trouver des « preuves fraîches » pour justifier la guerre, on n'a rien trouvé à part des masques à gaz et des tenues protectrices datant de la guerre avec l'Iran des années 1980. Après avoir fouillé 80 des 100 sites considérés comme abritant le plus probablement des « armes de destruction massive », les Etats-Unis n'ont rien trouvé. Les renseignements irréfutables se sont avérées complètement sans valeur.

Où est la prétendue capacité de « déployer des armes nucléaires en 45 minutes » proclamé hystériquement par le dossier de Blair en septembre dernier ? Ou les tubes d'aluminium que Bush et les responsables américains insistaient être destinés à faire des gaz centrifuges pour enrichir l'uranium. Il est donc logique que M. Fleischer préfère regarder à l'avenir et non pas au passé ­ il espère que l'on oubliera simplement les mensonges du passé. Et si la question refuse de s'en aller, les Etats-Unis ont envoyé leur propre équipe de 1.000 inspecteurs, qui pourront largement « trouver » quelquechose pour résoudre le problème.

On a déjà découvert que les Etats-Unis et les Britanniques avaient inventé des documents pour démontrer que l'Irak avait importé de l'uranium du Niger. Blix a exprimé ses inquiétudes sur la radio BBC, disant : « Je pense que c'était un des éléments les plus déroutants que tant des renseignements sur lesquels les capitales construisent leurs arguments étaient très faibles ». Il a ensuite demandé : « N'est-il pas inquiétant que les services de renseignement qui ont tous les moyens techniques à leur disposition n'ont pas découvert que c'était truqué ? Je pense que c'est très, très inquiétant. Qui a inventé ceci » ?

Une litanie de mensonges américains

Le caractère factice des affirmations américaines se voyait dès le départ dans le fait que l'administration Bush a commencé par opposer tout retour des inspecteurs de l'ONU en Irak. En août dernier, le vice-président Richard Cheney a carrément déclaré que l'Irak possédait un arsenal d'armes chimiques et biologiques et était sur le point de développer une bombe nucléaire. Balayant les objections de la section des dirigeants américains qui affirmait que la participation de l'ONU donnerait une certaine légitimité à l'affaire, Cheney a répondu : « Un retour des inspecteurs [de l'ONU] ne donnerait aucune assurance de l'observation [par Hussein] des résolutions de l'ONU ».

Washington a seulement accepté l'inspection par l'ONU de l'Irak à contrecoeur, quand il devenait évident que de ne pas le faire isolerait complètement les Etats-Unis. Par contre, l'administration Bush a insisté pour mettre en place le régime d'inspection le plus sévère possible, espèrant que le régime Hussein refuserait, mais sachant que s'ils essayaient de le respecter, ce serait presque impossible.

La résolution 1441 du Conseil de Sécurité de l'ONU, passé début novembre, établissait une série de dates limites extrêmement rapprochées pour des déclarations irakiennes complètes et compréhensives sur les capacités d'armement. Les inspecteurs onusiens pouvaient chercher partout et à n'importe quel moment. On a arrangé des interviews privés avec des scientifiques irakiens, y compris à l'extérieur de l'Irak, et une surveillance aérienne « libre et sans restrictions ».

Au grand dam de Washington, le régime Hussein a annoncé qu'il respecterait la totalité de cette résolution sciemment provocatrice et humiliante. Non seulement il a fourni des milliers de pages de documentation aux heures voulues, mais il a donné aux équipes d'inspection de l'ONU un droit de visite illimitée de tous les sites. Des semaines d'inspections n'ont produit aucun indice infamant, malgré des centaines de visites-surprises, y compris des raids sur des maisons privées. On a seulement trouvé des documents et quelques vieilles ogives chimiques vides.

Blix et El Baradei ne voulaient pas offenser Washington, mais avec une opposition grandissante en Europe, ils ne pouvaient non plus agir comme organes de presse de l'administration Bush. Leurs rapports au Conseil de Sécurité accusaient Hussein de ne pas coöpérer pleinement, particulièrement de ne pas forcer des scientifiques irakiens réticents à donner des interviews et à permettre des vols d'espionage. En même temps ils ajoutaient que l'on avait découvert aucune arme.

L'impatience de Washington a résulté en des critiques de plus en plus sévères des inspecteurs onusiens, particulièrement après le deuxième rapport de Blix au Conseil de Sécurité à la mi-février, où il a fait observer la « coöpération améliorée » de l'Irak et l'inexactitude des affirmations américaines que l'Irak bernait ses équipes. A la même session de l'ONU, le rapport d'El-Baradei était même moins favorable, concluant que jusque là, il n'y avait aucune indice suggérant des activités nucléaires prohibées en Irak.

Dans des commentaires cette semaine, Blix a remarqué avec une certaine amertume qu'au mois de mars, les Etats-Unis avaient secrètement communiqué à la presse des rapports d'un drone irakien capable de disperser des armes chimiques ou biologiques pour discréditer les inspecteurs de l'ONU. « Les Etats-Unis voulaient vraiment obtenir des votes au Conseil de Sécurité, et ils pensaient que des histoires là-dessus seraient utiles, et ils les ont communiquées », a-t-il dit. « Et ainsi ils essayaient de nous nuire et de dire que nous avions supprimé ceci. Ce n'était pas le cas, c'était un peu injuste, et cela nous a nui ».

Quand l'Irak a décidé de détruire ses missiles Al Samoud 2, dont la portée était légèrement supérieure aux 150km prescrites pas les résolutions de l'ONU, les Etats-Unis n'avaient plus de preuves concrètes, même du style le plus forcé, pour maintenir que l'Irak avait enfreint la résolution 1441. Quand leur combinaison de chantage et de pots-de-vin n'a pu convaincre une majorité au Conseil de Sécurité de voter une seconde résolution donnant un prétexte pour une guerre, les Etats-Unis et la Grande Bretagne ont simplement déclaré la guerre unilatéralement. Les inspecteurs de l'ONU ont reçu à peu près le même ultimatum que Saddam Hussein : faites vos bagages et quittez l'Irak ou souffrez les conséquences.

Personne ne devrait avoir d'illusions qu'en demandant le retour de Blix en Irak, la Russie, la France, et les autres pays veulent à présent établir la vérité sur les prétendues capacités en armement de l'Irak. Cette question est simplement une manière pratique pour Paris, Berlin, et Moscou d'appliquer une certaine pression sur Washington pour protéger leurs intérêts économiques et stratégiques en Irak et au Moyen-Orient.

Le fait que les équipes de l'ONU et à présent des Etats-Unis n'ont trouvé rien de semblable à des armes proscrites en Irak démontre simplement que Washington, avec la complicité de l'ONU, de l'Europe, et des autres grandes puissances, participe à des charades énormes. Depuis le milieu des années 1990, il est clair que l'on avait démantelé le programme nucléaire embryonnaire de l'Irak, comme sa capacité de fabriquer des quantités importantes d'armes chimiques et biologiques. Ce qu'avait l'Irak avait été ou bien détruit ou sérieusement endommagé.

Mais les « armes de destruction massive » ont continué à servir de prétexte pour maintenir des sanctions économiques dévastatrices, qui selon les estimations ont fait plus d'un demi-million de morts irakiens, pour maintenir le dépeçage de l'Irak par des « zones aériennes interdites » et pour des bombardements contre des cibles en Irak. A présent ce mensonge gigantesque sert à justifier la subjuguation néo-coloniale du pays. C'est pourquoi l'administration Bush ne peut permettre le retour des inspecteurs de l'ONU où de qui que ce soit d'autre qui pourrait exposer la vérité.


 

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés