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Chirac et Schröder rejettent le cours guerrier de Bush

Par Peter Schwarz
Le 19 mars 2003

La déclaration de guerre à l'Irak de George W. Bush a rencontré une véhémente opposition à Paris et à Berlin.

Mardi à l'aube, peu de temps après le discours que Bush avait prononcé à deux heures du matin, heure de l'Europe centrale, la présidence de la République française publiait un communiqué laconique dénonçant la décision de déclencher la guerre comme une rupture déclarée avec le droit international.

On peut y lire entre autre « Un ultimatum vient d'être adressé à l'Iraq, sans consultation du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Cette décision unilatérale est contraire à la volonté du Conseil de sécurité et de la communauté internationale qui souhaitent poursuivre le désarmement de l'Iraq conformément à la résolution 1441. »

Le communiqué rappelle que «seul le Conseil de Sécurité est habilité à légitimer l'usage de la force. » et conclut en disant que « La France en appelle à la responsabilité de chacun pour que la légalité internationale soit respectée. S'affranchir de la légitimité des Nations Unies, privilégier la force sur le droit, ce serait prendre une lourde responsabilité ».

Le chancelier allemand s'exprimait quelques heures plus tard à la télévision en des termes semblables à ceux du président français, mais de façon un peu plus nuancée.

« Le monde se trouve à la veille d'une guerre », dit Schröder. « Ma question était et demeure : "l'importance de la menace qui émane du dictateur irakien" justifie-t-elle une guerre qui signifiera une mort certaine pour des milliers d'enfants, de femmes et d'hommes innocents? Ma réponse dans ce cas était et reste : non ! »

Schröder poursuivit en disant qu'il n'y avait aucune raison d'interrompre le processus de désarmement de l'ONU maintenant. Sur ce point il était d'accord « avec la grande majorité de notre peuple, mais aussi avec la majorité du Conseil de sécurité et des peuples du monde ».

La déclaration de guerre de Bush suscita des réactions similaires à Moscou, Péking, Toronto, Djakarta et dans de nombreuses autres capitales. Elles exprimèrent toutes l'indignation et le doute quant à la légitimité de la guerre contre l'Irak. Hormis la Grande-Bretagne et l'Espagne, seuls l'Australie, le Japon et la Pologne ont suivi ouvertement le gouvernement américain dans la voie de la guerre. Mais les populations de ces pays refusent la guerre dans leur grande majorité.

En Allemagne, les chrétiens-démocrates de la CDU/CSU ont apporté leur soutien à Bush. Leur groupe parlementaire a adopté une résolution en faveur de l'ultimatum de 48 heures lancé par Bush à Saddam Hussein. La présidente de la CDU, Angela Merkel, a déclaré que le parti assumait toutes ses responsabilités quant aux conséquences que cet ultimatum auraient pour l'Irak.

La fin de l'ancien ordre mondial

La virulence avec laquelle les gouvernements français et allemand ont réagi à la déclaration de guerre de Bush a surpris plus d'un observateur. Des spéculations avaient circulé un moment selon lesquelles Paris et Berlin s'efforceraient de se rapprocher de Washington dès que la décision de la guerre serait irrémédiablement prise.

En ce qui concerne l'immédiate question de l'Irak, c'est le cas, en partie du moins.

C'est ainsi que le chancelier Gerhard Schröder a, en dépit de protestations verbales, à maintes reprises fait savoir qu'il n'entraverait pas les efforts de guerre américains. Les militaires américains sont autorisés à utiliser sans restriction leurs bases militaires en Allemagne et l'espace aérien allemand et ce malgré les doutes émis par d'éminents juristes quant à sa compatibilité avec la constitution allemande. Des blindés de l'armée allemande spécialisés dans la détection d'armes biochimiques et nucléaires sont toujours présents au Koweït et les soldats allemands à bord d'avions AWACS continuent de survoler le territoire de la Turquie bien que ces forces puissent se trouver aisément entraînées dans la guerre. Par ailleurs, le gouvernement fédéral a déjà signalé sa volonté de participer, après la guerre, à la « reconstruction » de l'Irak dans la mesure où celle-ci aurait lieu dans le cadre de l'ONU.

Le gouvernement français a lui aussi fait connaître des intentions similaires en affirmant que les Etats-Unis pourraient compter sur la France en cas de difficultés en Irak. « Nous n'allons pas tirer de la crise actuelle des arguments pour diviser encore plus la communauté internationale demain. » déclarait dernièrement le ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin. « Quand viendra ce moment, il faudra serrer les rangs, épauler les Etats-Unis dans la recherche de solutions".

Le communiqué du président français révèle pourtant que ce qui est en jeu dans ce conflit dépasse de loin la réorganisation de l'Irak. Avant même que les premières bombes ne s'abattent sur Bagdad, la déclaration de guerre américaine a déjà fait une première victime : l'ordre mondial, qui durant un demi siècle avait assuré des relations plus ou moins stables entre les grandes puissances, n'est plus qu'un monceau de ruines.

Nonobstant la brièveté du communiqué français, ses implications n'en sont pas moins d'une portée considérable. Si la « légalité internationale » - à savoir, les règles et institutions qui, après la Seconde guerre mondiale, avaient été en grande partie établies à l'initiative des Etats-Unis - ne sont plus respectées par les Etats-Unis eux-mêmes, comment devront alors à l'avenir être réglés les conflits entre Etats ? Des conflits commerciaux, des divergences d'opinions politiques ou, comme présentement, des décisions ayant trait à la guerre et à la paix ? Il ne reste plus qu'un seul critère : le droit du plus fort.

Ceci ne s'applique pas seulement à des conflits avec des pays tel que l'Irak, mais à des conflits entre les grandes puissances elles-mêmes. Le monde menace de retomber dans une situation semblable à celle du début du siècle dernier où les antagonismes entre grandes puissances provoquèrent deux guerres mondiales.

Les commentaires parus dans la presse européenne étaient largement consacrés ces dernières semaines à ce sujet. On constate en les lisant que l'idée que l'administration Bush a détruit l'ancien ordre mondial de façon irrémédiable s'impose peu à peu. Le journal Frankfurter Rundschau écrivait par exemple: "La façon grossière dont Washington a traité l'ONU, l'OTAN ou les Européens et son aveuglement face aux suites complexes d'une attaque de l'Irak ne sont qu'un avant-goût du nouvel ordre mondial à la Bush junior. »

Ce journal qui est proche du SPD et des Verts et reflète l'état d'esprit qui règne dans les milieux gouvernementaux, en tire la conclusion suivante : « L'Union européenne doit se développer en puissance mondiale. »



 

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