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France : la guerre en Irak accélère l'austérité gouvernementale

Par Alex Lefebvre
27 mars 2003

Le gouvernement Raffarin ayant annoncé à l'Assemblée nationale que la crise engendrée par la guerre en Irak contribuait à un moment «d'unité nationale», Raffarin a déclaré que «les bruits du monde accélèrent les calendriers» des réformes à mener. Ces déclarations dépassent une simple tentative d'utiliser la remontée du Président Chirac dans les sondages, après son opposition aux Etats-Unis à l'ONU, pour faire rapidement approuver les «réformes» déjà envisagées par le gouvernement. Ils représentent plus largement une tentative d'ajuster l'économie et l'opinion françaises à la nouvelle réalité mondiale inaugurée par l'invasion de l'Irak par les armées américaines.

La crise irakienne a intensifié la conscience parmi les cercles dirigeants français de leur infériorité militaire massive vis-à-vis les Etats-Unis. Henri Martre, ancien président de la société Aérospatiale, a annoncé le 4 mars que «l'Europe de la défense vole en éclats» sous une offensive commerciale américaine, visant à faire acheter des armes américaines aux pays européens. Un des succès récents de cette offensive est le fait que la Pologne s'est équipée d'avions américains F-16, non pas d'Eurofighters ou de Rafales européens.

Le Monde a commenté ainsi cette déclaration: «L'offensive [commerciale] américaine semble atteindre ses objectifs : profiter de la relative faiblesse des budgets de défense européens pour en capter le maximum et les assécher, afin de ne pas laisser de crédits disponibles pour des programmes européens autonomes».

Les armées européennes ont en effet du retard à plusieurs niveaux vis-à-vis leurs homologues américians, surtout en ce qui concerne la guerre moderne, où l'on se bat à distance : gros avions de transport, systèmes de localisation par satellite, missiles de croisière, etc. Le Monde écrit que «L'avion de transport A-400M ou le programme de localisation par satellite Galileo, qui doit concurrencer le GPS américain, sont en train
[de prendre] du retard», manquant de fonds.

Le Monde pose la question : «L'Europe de l'armement a-t-elle encore vraiment les moyens, comme sur le terrain diplomatique, de tenir tête aux Américains» ? Il remarque que le budget militaire américain (355 milliards de dollars) est plus de deux fois plus grand que tous les budgets militaires européens réunis (150 milliards d'euros), et que les fonds de recherche militaire américains sont huit fois supérieur aux fonds européens. Il ajoute que les sociétés d'armement américaines offrent des conditions de travail incomparablement supérieures aux chercheurs et aux dirigeants, vis-à-vis leurs homologues européens.

La nouvelle réalité mondiale créée par l'abandon de la légalité internationale par Bush, encouragera les milieux dirigeants dans les pays européens qui se sont opposés aux Etats-Unis à approfondir massivement l'austérité sociale, afin de libérer les fonds nécessaires pour minimiser leurs retards militaires vis-à-vis les Etats-Unis. Ceci s'inscrit dans la droite lignée de la politique du gouvernement Raffarin, qui a toujours voulu favoriser les dépenses militaires en menant des « réformes » sur les dépenses sociales ­ et qui déclare à présent qu'un moment «d'unité nationale» l'encourage à le faire.

Le gouvernement a récemment renforcé l'assaut social mené contre les fonctionnaires. Sur le front de la «réforme» des retraites, le ministre des Affaires sociales, François Fillon, a officiellement annoncé que le gouvernement vise à allonger la durée des cotisations jusqu'à 40 ans. Il a ajouté qu'après la fin de la «réforme» au niveau gouvernemental, on établira des comités de représentants patronaux et syndicaux chargés de faire les «réajustements de la réforme» que l'on juge nécessaires.

Il a aussi fait savoir qu'après avoir fini les discussions sur la «réforme» des retraites, il y aura une «réforme» des salaires. Les salaires des fonctionnaires ont perdu environ 2,6 pour cent de leur pouvoir d'achat au courant des trois dernières années. Un responsable syndical indiquait que «rien [ne] laisse augurer d'une bonne évolution sur les dossiers centraux» sur les salaires de la fonction publique.

Sous le double coup de la très faible croissance économique en France et de la guerre en Irak, le Président Chirac menace aussi l'emploi des fonctionnaires. Il a invité les ministres à évaluer «en détail les modalités d'exécution de [leurs] crédits et de [leurs] dépenses publiques». Le ministère des finances table sur l'élimination de 10.000 à 30.000 postes dans la fonction publique. Le gouvernement a donné des assurances que la hausse des crédits destinés à la police et à l'armée ne souffrira pas de ces réductions.

Les cercles dirigeants français font aussi pression sur le gouvernement pour étendre l'assaut social aux travailleurs du secteur privé. Ernest-Antoine Seillière, chef du Medef (Mouvement des entreprises de France, l'association patronale) a lancé une campagne pour insister que la «réforme» des retraites ne doit pas se limiter aux fonctionnaires.

Alain Madelin, ancien chef de Droite libérale (un parti néo-libéral avec des attaches à des élements semi-fascistes) et à présent membre de l'UMP, y forme des «cercles» pour discuter les réductions à 70 pour cent de leur niveau actuel des impôts sur le revenu, promises par l'UMP pendant la campagne 2002. Ainsi s'exprime l'opposition parmi les cercles dirigeants aux propositions de Chirac, qui considère la possibilité de remettre les réductions jusqu'à ce que la situation fiscale en France s'améliore, et de ralentir leur application.

La situation économique en France, même avant d'éventuels effets déstabilisateurs de la guerre en Irak, laisse prévoir un assaut contre les positions sociales des travailleurs. Le gouvernement a prévu un taux de croissance économique de 1,3 pour cent pour 2003 ­ un taux si faible qu'il prévoit une hausse «régulière» du chômage.

Plusieurs grandes entreprises se trouvent en difficulté, ayant annoncé des pertes record et souffrant d'un fort endettement. France-Télécom, avec environ 70 milliards d'euros de dettes, a annoncé l'élimination de 13.000 postes, dont 7.500 en France. Alcatel annonce des pertes records d'environ 4 milliards d'euros pour 2002 et un plan de restructuration. La société énergie/transports Alstom, «au bord du désespoir» selon un analyste financier à Londres, a annoncé 1,4 milliards d'euros de pertes pour 2002 et plusieurs cessions d'actifs ; les syndicats craignent que ceci résulte en des pertes d'emplois massives.

Même les résultats risquent d'être une surestimation basée sur des fraudes comptables. La Commission des opérations en bourse (COB) a adressé une réprimande à plusieurs sociétés ­ dont Vivendi, Suez, Vinci, et Wanadoo ­ pour avoir publié des rapports bâtis «uniquement ou principalement sur des concepts non définis par les textes comptables français». La COB pourrait demander aux sociétés concernées de publier «un nouveau communiqué de résultats».

Les difficultés économiques en France, l'expression d'une crise capitaliste qui sévit dans tous les grands centres économiques mondiaux, prennent aussi à présent une nette coloration politique. Il y a le risque d'une guerre commerciale avec les Etats-Unis, suite à l'opposition des milieux dirigeants français à la guerre en Irak. Le représentant new-yorkais Pete King a annoncé que «Nous avons servi trop longtemps de punching-ball public à cette nation de troisième rang [la France] Nous ne devons plus les considérer comme des alliés et le leur faire comprendre là où ça fait mal, au porte-monnaie». Le secrétaire d'Etat Colin Powell a évoqué des «conséquences sur les relations bilatérales au moins à court terme». Le milieu patronal français table pour le moins sur une perte de contrats auprès du gouvernement américain.

A l'heure de l'éruption des tensions interimpérialistes, le caractère politique et international de la lutte pour défendre le niveau de vie des travailleurs, en France comme ailleurs, devient évident. Les classes dirigeantes françaises ne pourront faire de véritables concessions aux travailleurs. Elles se sont déjà commises à une politique d'austérité pour financer une position plus puissante dans un monde où la loi de la jungle est le seul principe déterminant en politique internationale.




 

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