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Grande-Bretagne : la vérité supprimée à propos de la crise des retraites

Par Jean Shaoul
17 mars 2004

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A la fin de janvier, le service statistique du gouvernement a mis au pilon le tirage complet de son annuaire de statistiques sociales, quelques jours avant sa publication, dans le but de censurer l'article d'introduction. Chaque exemplaire coûte 41 livres sterling (65 euros) et contient des centaines de pages.

Le bureau national des statistiques (Office of National Statistics), O.N.S, différa le lancement du numéro 34 de Social Trends pendant qu'il réimprimait une version plus conforme à ce qu'il désirait.

Les universitaires Sara Arber et Jay Ginn du Centre de Recherche sur le vieillissement par sexe de l'Université du Surrey écrivirent l'article d'introduction de l'édition 2004 de Social Trends intitulé Aging and gender : Diversity and Change (le vieillissement par sexe : diversités et évolutions). Il retrace les caractéristiques démographiques, sociales et économiques des personnes âgées de plus de 65 ans.

Dans leur conclusion, ils avaient eu l'audace de mentionner que les plans du gouvernement travailliste conduiraient à une augmentation des retraités pauvres et du nombre des personnes âgées obligées de dépendre des allocations soumises à condition de ressources qui sont largement décriées et qui sont pour la plupart laissées en souffrance par leurs bénéficiaires potentiels. Cela démontra que l'abandon par le gouvernement de l'un des piliers centraux de l'Etat Providence, les pensions universelles alimentées par la redistribution des revenus par l'Etat, auraient des conséquences désastreuses sur les plus âgés.

Arber et Ginn révélèrent ensuite que le financement existait pour empêcher une telle situation de se produire. Le National Insurance Fund (la caisse de sécurité sociale) constitué par des cotisations salariales et utilisées pour payer les pensions, les indemnités de maladie, les allocations de chômage etc était en réalité en excédent. La rengaine selon laquelle les pensions d'Etat représentaient un coût trop élevé pour l'économie s'est clairement révélée mensongère. Loin d'être inévitable, la politique d'appauvrissement des retraités était un choix politique délibéré.

Les auteurs posèrent aussi la question de savoir si en augmentant les pensions de base suivant les ressources du retraité on obtiendrait une alternative moins chère, plus efficace et viable.

Arber et Ginn écrivirent:

« Au lieu d'augmenter les pensions d'Etat de base pour qu'elles reflètent l'accroissement régulier des revenus du National Insurance Fund, une augmentation importante de la proportion des retraités recevant des avantages sous condition de ressources est planifiée.

On verra bien si l'impopularité à réclamer les allocations sous condition de ressources diminuera. Cependant l'option consistant à étendre les allocations sous condition de ressources dans l'âge avancée plutôt que d'augmenter les pensions d'Etat de base n'est pas nécessairement une source d'économie.

On peut se demander si le complément apporté à la pension de base peu élevée par une extension des allocations sous condition de ressources est une politique efficace ou viable. »

Faire des constatations révélant la malhonnêteté fondamentale du gouvernement et même remettre en question l'efficacité de la politique gouvernementale furent intolérables pour l'ONS. Les phrases qui fâchaient furent supprimées et le numéro 34 de Social Trends fut réimprimé.

En outre, l'ONS refusa de laisser des journalistes interroger le Docteur Ginn après le lancement de Social Trends à propos de la politique en faveur des allocations soumises à condition de ressources disant qu'ils pouvaient seulement poser des questions factuelles et non des questions de politique gouvernementale. S'ils voulaient poser de telles questions ils devraient le faire en dehors des locaux de l'ONS.

Un des auteurs, Jay Ginn, expliqua à la conférence annuelle de l'association de statisticiens Radical Statistics l'échelle et l'augmentation de la pauvreté parmi les personnes âgées et démontra que la pauvreté des retraités allait s'accroître de façon dramatique.

Le nombre et la proportion des retraités vivant dans la pauvreté à la suite du refus de gouvernements successifs d'augmenter les pensions d'Etat en les alignant sur l'augmentation des salaires se sont accrus. En 2001, 21 % des retraités vivaient dans la pauvreté contre 16 % en 1981. De plus en plus de personnes âgées, surtout des femmes n'ayant pas droit à une seconde pension d'Etat suffisante, à une pension liée à leur activité professionnelle ou à une épargne personnelle, à cause de leurs responsabilités domestiques, sont forcées de dépendre de l'Income support (allocation d'aide aux revenus trop bas pour vivre), maintenant remplacé par le Pension Credit scheme (plan de crédit de pension), allocation également soumise aux conditions de ressources.

Une enquête d'Eurostat sur les ménages européens montre que le taux de pauvreté des plus de 65 ans au Royaume Uni est plus élevé que la moyenne européenne. La même enquête montre que le revenu moyen des personnes âgées au Royaume Uni par rapport au reste de la population est substantiellement plus bas que la moyenne européenne. Ainsi ils sont victimes d'une plus grande chute de leur niveau de vie après la retraite que les retraités des autres pays européens.

Une autre enquête menée pays par pays sur les revenus des retraités montrait que les revenus comparés des retraités étaient plus bas en Grande Bretagne que dans les huit plus grands pays industrialisés à l'exception de l'Australie. Les revenus comparés étaient légèrement plus bas qu'aux Etats-Unis, au Canada, et au Pays Bas mais sensiblement plus bas qu'en Allemagne, en Italie et en France.

Ginn expliqua que tandis que les dépenses des pensions d'Etat représentaient 4,4 % du PIB en 2000, les prévisions indiquent qu'elles tomberont à 3,4 % en 2050. La pension d'Etat de base qui s'est effondrée à quelques 15% des salaires moyens en 2000, tombera à tout juste 7 % des salaires moyens en 2050. La pension d'Etat plus la seconde pension d'Etat tomberont de 37 à 20 % des salaires moyens durant la même période tandis que leurs coûts passeront de 37 milliards à 26 milliards de livres.

De ce fait, les dépenses concernant les allocations Income support passeraient de 1 % du PIB en 2000 à 2,6 % en 2050. En d'autres termes, le coût de ces allocations sous condition de ressources augmenterait plus que la chute du coût des pensions d'Etat, un état de chose absurde qui ne coûtera ni moins cher ni ne sera viable comme en avaient conclu Arber et Ginn. Et cela suppose bien sûr que la bourgeoisie maintienne le niveau actuel des allocations Income support.

Le gouvernement justifie le recours aux allocations sous condition de ressources comme un moyen de diriger les financements vers ceux qui en ont le plus besoin. Cependant, le fait que très peu de gens réclament cette prestation a un intérêt implicite pour le gouvernement. La moitié des bénéficiaires éligibles ne réclament pas les 23 sortes de prestation disponibles.

Selon Malcom Wicks, ministre des pensions, seulement 2 530 000 sur 4 900 000 ayants droits possibles reçoivent Pension Credit. Le petit nombre de retraités le réclamant n'est guère surprenant : Les retraités doivent remplir un formulaire de 35 pages d'une complexité byzantine pour en faire la demande. Selon un rapport de Public Account Committee (comité de la comptabilité publique) publié en avril 2003, 2 milliards de livres d'allocations n'avaient pas été réclamés.

De même, tandis que 1 500 000 retraités peuvent prétendre au Council Tax relief (abattement des impôts locaux), moins de 40% le font, laissant la somme faramineuse de 750 millions de livres d'abattement non revendiquée.

Dans les vingt dernières années, les gouvernements successifs ont pressé les travailleurs de prendre en charge le financement de leur retraite au moyen des pensions privées. Cela se révéla être un désastre pour beaucoup. Des études d'actuaires ont montré que les plans individuels de retraite ont connu des pertes allant jusqu'à 30 % de valeur entre 1999 et 2002.

Parmi les pensions d'activité conçues avec un régime d'avantages définis dont 50 % des salariés dépendent, 39 % sont fermées aux nouveaux membres, 18 % sont prêtes à être fermées, 14 % sont closes tandis que 10 % ont été liquidées ou procurent des avantages réduits.

Cependant les subventions publiques à travers les abattements fiscaux accordés aux pensions privées ou aux pensions d'activité sont passés de 1,2 milliards de livres en 1979 à 13,7 milliards en 2000, soit plus 2,5 % du PIB.

Des recherches universitaires récentes ont révélé comment cela a servi à alimenter les inégalités qui sont la marque de la Grande Bretagne d'aujourd'hui. Les principaux bénéficiaires des abattements fiscaux ont été les riches. La moitié de ces abattements sont allés au 10 % des contribuables les plus aisés tandis que de manière stupéfiante un quart de ces abattements a profité à 2,5 % des plus hauts contribuables, exacerbant ainsi les inégalités par classe et par sexe. Comme le dit le vieux dicton, aux riches on donnera, des pauvres on prendra.

Et ce n'est pas tout. D'abord le gouvernement colporte inlassablement le mythe que les tendances démographiques rendent les pensions d'Etat non viables. Cela est démenti par ses propres statistiques. L'augmentation au Royaume Uni de la population âgée a été relativement modeste et n'est pas la cause du problème comme de précédents articles du World Socialist Web Site l'ont démontré.

Ensuite, le gouvernement, de manière systématique, affirme qu'il est impossible de financer, sans augmentations massives d'impôts, des pensions d'Etat et une protection sociale décentes. Mais les ressources tirées des impôts ne sont jamais soigneusement examinées. En effet, elles ne peuvent l'être car l'ONS ne rend pas accessibles toutes les données disponibles. Il suffit de citer un exemple. Les abattements fiscaux octroyés aux pensions privées et aux pensions d'activité sont seulement l'un des moyens de subvention accordés aux riches par le système fiscal. Tandis que le gouvernement publie des données sur les ressources provenant des impôts, il feint remarquablement la timidité pour publier des informations qui permettraient de mesurer les abattements et cadeaux fiscaux accordés aux riches et aux grosses entreprises. Sans cela, une compréhension de la viabilité financière d'une mesure sociale spécifique ou de l'action de redistribution des richesses du système fiscal est impossible.

Le plan gouvernemental en matière de retraite est d'autant plus obscène que les propres données de l'actuaire du gouvernement montrent tout à fait clairement que l'attitude pingre du gouvernement travailliste n'a aucune raison d'être. Non seulement le National Insurance Fund (caisse de sécurité sociale) a enregistré un excédent de 24 milliards de livres en 2000 mais en outre cet excédent croît de 4 milliards de livres par an.

L'actuaire du gouvernement en personne a précisé non seulement que les pensions peuvent être augmentées mais que le surplus peut être investi en bons d'Etat ou couvrir d'autres dépenses sociales.

Ainsi, les personnes âgées sont menacées par la perspective de privation, de misère et de pénurie dans leurs dernières années parce que le gouvernement refuse d'utiliser leurs contributions et celles des générations actuelles de travailleurs à la caisse de sécurité sociale pour financer une augmentation des pensions ou de tout autre élément de la protection sociale. Le gouvernement cherche plutôt à multiplier les coupes les unes après les autres.

On vole aux retraités leur propre argent. C'est précisément la raison pour laquelle l'ONS a censuré l'article de Social Trends. La dernière chose qu'il veut est que le public se rende compte que la politique du gouvernement est basée sur un tissu de mensonges.

L'enquête annuelle d'opinion sur les questions sociales a étudié l'attitude des britanniques concernant les impôts et la protection sociale y compris le problème des pensions. Elle montre que depuis 1983, en dépit d'un contexte de coupes dans le budget social et de la rhétorique sur la responsabilité individuelle, il y a un soutien croissant à l'augmentation de l'imposition pour financer les dépenses à caractère social. Plus de la moitié des personnes interrogées sont en faveur de l'augmentation des impôts et du budget des dépenses sociales.

Les pensions d'Etat sont l'avantage social le plus populaire. Pas moins de 80 % des personnes interrogées pensent que la pension d'Etat de base est insuffisante et 78 % désirent qu'une part plus importante du budget soit consacrée aux pensions d'Etat. 48 % disent que les retraites sont uniquement de la responsabilité du gouvernement, tandis que 33 % estiment que le gouvernement et les employeurs doivent se partager cette responsabilité équitablement. 42 % sont favorables à l'augmentation des contributions à la sécurité sociale.

Statistiques et démocratie représentative

La création d'un « service de statistiques indépendant » était une promesse électorale du nouveau gouvernement travailliste qui arrivait au pouvoir en 1997. Il s'engageait à restaurer la confiance publique dans les statistiques officielles. Au lieu de cela, les travaillistes ont non seulement failli à leur engagement mais l'ONS s'embourbe de plus en plus dans des controverses au sujet de statistiques de recensement manifestement fausses et son désir de faire en sorte que les résultats correspondent aux exigences du gouvernement.

Cet exemple de censure par l'ONS de faits indéniables et de questions légitimes sur la politique gouvernementale et son refus de publier des informations financières plus larges a une plus grande signification historique. Cela souligne le fait que la culture du mensonge et de la malhonnêteté qui fut révélée si explicitement par les justifications du Premier Ministre Tony Blair pour s'engager dans la guerre en Irak est endémique, pénètre chaque pore de la machine gouvernementale de Whitehall.

Le recueil et la publication des statistiques économiques et financières sont liés au développement de l'Etat moderne et ont une longue histoire en Grande Bretagne qui remonte à des centaines d'années. Le prédécesseur de l'ONS lui-même, le Central Stastistical Service, CSO (service central des statistiques) fut créé en 1941 au service de l'effort de guerre.

Après 1945, le domaine des statistiques officielles se développa parallèlement à la gestion consensuelle de l'économie et à la limitation du conflit de classe à travers une politique des revenus et des dépenses publiques, Etat providence keynésien, fondée sur l'intégration de la comptabilité publique nationale et des statistiques économiques. La mesure clé fut le Stastistics of Trade Act (loi des statistiques du commerce) de 1947 qui rendit possible la collecte obligatoire de données sur l'industrie. L'ONS fut établi par la fusion du CSO et de l'Office of population censuses and surveys (bureau des recensements de la population et des enquêtes) en 1996.

Il est impossible de maintenir un consensus social et par là même une démocratie parlementaire représentative efficace sans que certaines conditions soient satisfaites. Premièrement, les citoyens ou au moins leurs représentants politiques, les media, les syndicats, les universitaires, etc doivent savoir comment les ressources de la société sont utilisées. Deuxièmement aucun membre de cette société ne doit bénéficier d'un avantage indu sur les autres, et officiellement sanctionné, quant à la façon dont ces ressources sont utilisées.

Tout ceci explique pourquoi censure, dissimulation et mensonge officiel sont devenus tellement universels. Les mensonges du gouvernement, déformation et suppression de l'information sont le produit de politiques visant à enrichir une élite sur le dos de la majorité de la population pour qui aucun mandat démocratique ne peut être assuré. Face à l'irrésistible soutien aux pensions d'Etat et à la montée toujours plus forte de la pauvreté, pour ne pas dire du dénuement des retraités, tandis que quelques privilégiés affichent de manière éhontée leur richesse provenant, du moins en partie, des concessions accordées par l'Etat, l'ONS ne peut pas dire la vérité et publier des informations qui contredisent la version officielle de "la vérité" que proclame le gouvernement.

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