wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

Livio Maitan, 1923-2004 ­ un jugement critique

Troisième partie: Au comité directeur de Rifondazione

Par Peter Schwarz
Le 23 Octobre 2004

Utilisez cette version pour imprimer

Livio Maitan est mort à Rome le 16 septembre 2004 à l'âge de 81 ans. Il était avec Michel Pablo et Ernest Mandel un des représentants les plus connus du Secrétariat unifié; il fit partie de sa direction pendant 53 ans et il contribua dans une large mesure à en déterminer la ligne politique. Ceci est la troisième partie d'une nécrologie critique.

Il n'est pas possible de revenir ici en détail sur l'histoire du Partito della Rifondazione Comunista (PRC). Nous nous contenterons de parler du rôle de Maitan qui siégea pendant dix ans à sa direction, devint un des proches et le conseiller de son dirigeant, Fausto Bertinotti; il répandit sur le rôle et le caractère de ce parti les illusions les plus grotesques.

Dans les hymnes de Maitan à la gloire de Rifondazione publiés par la presse du Secrétariat unifié, on retrouve toutes les platitudes pablistes caractéristiques, utilisées précédemment pour porter aux nues les staliniens italiens, Mao Tse Toung, Fidel Castro et Che Guevara. On y cherchera en vain une analyse sobre du programme et du rôle de ce parti dans la politique italienne. Au lieu de cela, on y verra Maitan se faire valoir à coup de « contradictions », de « dynamique objective » et de « rapport de forces ».

Le bilan qui suit du travail effectué dans les rangs de Rifondazione et rédigé cette année pour la revue International Viewpoint par une adhérente de la tendance de Maitan. Il en est un exemple typique. Flavia D'Angeli écrit :

« Depuis que le PRC existe, le courant politique autour de Bandiera Rossa essaie de créer les conditions d'une véritable intégration de ses membres dans les activités du parti, en s'efforçant de stimuler l'initiative de classe et l'enracinement social. Rifondazione nous a semblé être une occasion unique et un instrument par lequel nous pouvions nous diriger, par un procesus complexe de conflits, de ruptures, d'expériences, d'ouvertures et de regroupements, vers la réorganisation d'un nouveau sujet politique révolutionnaire.

Nous ne nous attendions pas à une évolution rectiligne vers une force anticapitaliste toute faite, mais à un processus contradictoire. Nous nous sommes ainsi efforcés, durant toute une phase, de construire au sein du parti une large gauche pluraliste, par moments avec succès, mais sans qu'il fût possible à ces initiatives de se consolider et d'offrir une orientation stratégique homogène.

[...] Nous avons investi nos forces dans le groupe dirigeant, dans une relation de travail avec les camarades de la majorité, sachant que ce scenario était le plus favorable à la construction d'un parti révolutionnaire, mais en sachant aussi que des progrès n'étaient en aucun cas garantis et que les contradictions subsistaient. » (16)

Derrière ce radotage à propos de « processus complexes et contradictoires » se cache le simple fait que le groupe de Maitan soutient un parti politique qui fait fonction de feuille de vigne de gauche de l'ordre bourgeois, qui défend celui-ci à chaque crise sérieuse et siégera, selon toute probabilité, dans le prochain gouvernement italien si la coalition de droite de Berlusconi venait à perdre les élections. Tout examen sérieux du rôle de Rifondazione montre que ce parti n'est ni un « instrument » pour la « construction d'un parti révolutionaire » ni une « force anticapitaliste », mais une barrière décisive à une orientation indépendante et socialiste de la classe ouvrière ».

La formation de Rifondazione remonte à 1991. A cette époque, le Parti communiste se sépara de son nom, de ses symboles et de tout ce qui faisait encore formellement référence à un passé communiste et se réclama de la social-démocratie. Deux événements l'avaient poussé à répudier le communisme: la dissolution de l'Union soviétique, qui avait à jamais privé de base les relations traditionnelles du PCI avec Moscou, et l'implosion, au cours d'un gigantesque scandale de corruption, des partis de gouvernement traditionnels italiens, les chrétiens-démocrates et les socialistes. En prenant congé de la symbolique communiste, le Parti de la gauche démocratique (PDS), comme s'appelait maintenant le PCI, se préparait à assumer des responsabilités gouvernementales dans le but de sauver un ordre bourgeois fortement ébranlé.

Il y avait au sein du PCI une aile pour laquelle ce tournant à droite allait trop loin. Elle craignait que cela ne laisse un vide dangereux à gauche. C'est ainsi qu'est née Rifondazione Comunista. Se retrouvaient dans la nouvelle formation, les staliniens durs menés par Armando Cossuta qui, dans les années 1970, s'était fait une renommée comme opposant, fidèle à Moscou, de la ligne eurocommuniste de Berlinguer. Mais le parti s'ouvrit aussi aux nombreux groupes radicaux qui, dans les années 1970, avaient, pour certains, fait une forte propagande contre le PCI.

Mais les calculs du PDS se révélèrent tout d'abord faux. Ce n'est pas lui qui sortit vainqueur des élections de 1994 mais le Forza Italia de Berlusconi. Berlusconi s'assura une majorité en faisant, pour la première fois depuis Mussolini, entrer des néofascistes au gouvernement. Son gouvernement de droite ne put toutefois se maintenir que quelques mois. Des manifestations de masse contre sa politique économique et sociale le firent tomber.

C'est alors que Rifondazione montra pour la première fois le rôle qu'il jouait en tant que défenseur de l'Etat. Il assura au gouvernement provisoire de Lamberto Dini, ancien ministre de Berlusconi et ancien chef de la Banque centrale, la majorité au parlement pour toute une année. Dans les deux années qui suivirent, il soutint le gouvernement de centre gauche de Romano Prodi, sans y entrer lui-même. Rifondazione assura ainsi trois ans durant les majorités parlementaires requises pour commencer une démolition sociale draconienne, consolider le budget de l'Etat et habiliter l'Italie à participer à la monnaie unique européenne.

En 1998, Rifondazione retira pour finir son soutien à Prodi, déclenchant une crise gouvernementale qui, de façon paradoxale, s'acheva avec la nomination, pour la première fois, du chef du gouvernement par le PDS, le successeur du PCI. Le chef du PDS, Massimo D'Alema, obtint une nouvelle majorité gouvernementale en élargissant à droite la coalition de centre gauche. Rifondazione n'étant plus désormais liée à la majorité gouvernementale put se permettre d'adopter une attitude plus nettement oppositionnelle. Les vieux staliniens d'Armando Cossuta lui tournèrent donc le dos et fondèrent leur propre parti, les Comunisti Italiani, qui continuaient de soutenir le gouvernement.

Inutile de dire que Maitan et ses partisans applaudirent la manoeuvre de Rifondazione comme tournant à gauche et comme confirmation de leur politique. « Il faut donner à Fausto Bertinotti son dû parce qu'il a compris que le parti risquait de s'engager dans une impasse, d'échouer et de subir un évidement irréversible » écrivit Maitan rétrospectivement, affirmant encore que Bertinotti avait décidé d'«ouvrir une campagne contre le stalinisme et en même temps de stimuler une réflection stratégique sur la base d'une analyse actualisée des traits fondamentaux et de la dynamique du capitalisme à l'époque de la globalisation. » (17)

Le virage tactique de 1998 n'impliquait pas une nouvelle orientation stratégique. La majorité autour de Bertinotti n'avait fait que réaliser qu'elle risquait de faire naufrage avec les partis au gouvernement si elle continuait de soutenir servilement leur politique impopulaire. Cela aurait ôté à Rifondazione sa plus importante fonction: capter l'opposition croissante à la politique gouvernementale et la mettre sur une voie où elle était inoffensive.

Au cours des années suivantes, Rifondazione s'orienta de plus en plus vers le mouvement protestataire antimondialisation en essayant de s'y implanter - un cours soutenu avec enthousiasme par Maitan et bien que ceux qui déterminent la politique de ce mouvement rejettent de façon explicite une perspective socialiste. Ce qui ne voulait pas dire que Rifondazione avait abandonné sa ligne de participation au gouvernement. Cela devint clair au plus tard en juin 2003. Immédiatement après l'échec du référendum sur l'extension aux petites entreprises de la protection contre le licenciement, dont Rifondazione avait prit l'initiative, Bertinotti annonça à la presse que son parti s'efforçait d'obtenir un accord programmatique commun avec les partis de centre gauche pour les prochaines élections et qu'il était prêt à envoyer des ministres dans un futur gouvernement de centre gauche.

Fausto Bertinotti, qui est à la tête de Rifondazione depuis 1994, personnifie le caractère opportuniste de ce parti. Né en 1940, il appartint pendant de nombreuses années au PCI, sans toutefois faire directement partie de son cercle dirigeant. Il en grimpa les échelons en tant que fonctionnaire syndical de la ceinture industrielle de l'Italie du Nord où il se fit une réputation de syndicaliste de gauche. Il a la faculté de se servir, si besoin est, de formules marxistes qui sonnent de gauche, alors que sa politique est dictée par des considérations purement opportunistes. Chaque démarche pratique est jugée par ses suites immédiates. Les réflexions à long terme et de principe ne jouent aucun rôle dans l'élaboration de la ligne politique. Les déclarations de circonstance en faveur du socialisme ne servent qu'à se concilier l'humeur des adhérents.

Maitan a dépensé beaucoup d'énergie à peindre Bertinotti dans les rouges les plus vifs. Il développa une relation étroite avec le fondateur de Rifondazione, avec lequel il avait eu, quelques heures encore avant sa mort, une discussion politique approfondie. Ses louanges à l'égard de Bertinotti rappellent un peu le style de la chronique féodale au moyen-âge. Il y a quatre ans, Maitan, discutant le livre de Bertinotti paru depuis peu « Ces idées qui ne meurent pas », s'extasiait: « En ce qui nous concerne, nous partageons le jugement de Bertinotti : la contradiction décisive réside présentement dans le fait qu'il est plus que jamais nécessaire de mettre à l'ordre du jour la perspective du renversement du capitalisme, alors que le rapport de forces et la conscience anticapitaliste en recul en représentent l'obstacle principal. » (18)

Faire dire au dirigeant de Rifondazione qu'il a l'intention de « mettre la perspective du renversement du capitalisme à l'ordre du jour » est, au vu de son bilan politique, absurde. En réalité, le parti de Bertinotti est lui-même l'obstacle décisif empêchant le développement de la conscience anticapitaliste.

Bertinotti a rendu la politesse à Maitan en rédigeant à son tour la préface de son autobiographie, parue en 2002, et le couvrant de louanges.

Maitan a également défendu la majorité du parti autour de Bertinotti contre la critique de l'aile gauche. Le courant de type syndicaliste Progetto Comunista ne rejette pas seulement l'ouverture en direction de la coalition de centre droit, il critique aussi l'adaptation au mouvement antimondialisation. Il ne fallait pas faire de celui-ci « un mythe » expliqua son dirigeant, Marco Ferrando. Maitan fit ainsi publiquement à Ferrando le reproche de représenter « une couche sectaire du mouvement antimondialisation » et d'avoir décidé « de se marginaliser à l'intérieur du PRC par rapport au processus de transformation historique». (19)

Nonobstant des divergences d'opinion de temps à autre et une occasionnelle critique que Maitan présentait toujours accompagnée de nombreuses excuses, sa tendance de Bandiera-Rossa constitue un soutien politique important pour Rifondazione et Bertinotti. Elle protège le parti et ses dirigeant d'une critique de gauche et bloque en même temps le chemin de la classe ouvrière vers une orientation socialiste indépendante. A aucun moment Maitan et ses partisans n'ont mis la classe ouvrière en garde contre le caractère opportuniste et dénué de principes de cette organisation. Jamais ils n'ont préparé la classe ouvrière pour qu'elle puisse s'engager, indépendemment de Rifondazione, sur une voie socialiste. Maitan s'enthousiasmait encore, il y a deux ans, dans International Viewpoint, de son « caractère particulier et même unique dans l'histoire du mouvement ouvrier italien » avant d'ajouter: « Il serait difficile de trouver aujourd'hui quelque chose de semblable, non seulement dans les partis de la gauche européenne, mais encore dans les partis qui, en Europe et dans le monde entier, s'identifient avec la classe ouvrière et le socialisme. » (20)

Il s'agit ici d'une pure tromperie. En réalité, Rifondazione ne se distingue pas d'autres partis opportunistes qui ont une jambe dans les mouvements de protestation antiparlementaires et les mouvements de grève et l'autre fermement dans le commerce politique bourgeois. Le PDS en Allemagne, la Ligue communiste révolutionnaire pabliste ou le Parti communiste français, la Socialist Alliance en Angleterre et bien d'autres jouent, sous une forme ou une autre, un rôle similaire. A une époque de violents conflits sociaux, ils deviennent des soutiens de gauche de l'ordre bourgeois. Ce n'est pas un hasard s'ils entretiennent tous des rapports avec Rifondazione.

La dernière apparition internationale de Maitan

Alain Krivine, qui est membre du Secrétariat unifié et dirigeant de la LCR, a fourni l'attestation que Maitan a été, sur le plan international aussi, un pionnier de l'« ouverture » aux partis bourgeois et aux forces petites-bourgeoises.

« Avec la mort de Livio, une page se tourne, mais une autre a commencé à s'écrire grâce à lui, celle de l'ouverture. » écrit-il dans un hommage à Maitan. « Dès les années 1990, Livio et d'autres dirigeants de l'Internationale avaient compris les phénomènes de décomposition et de recomposition du mouvement ouvrier révolutionnaire. Il savait que cela ne pouvait passer uniquement par la IVe Internationale, et qu'il fallait aider à la refondation d'un programme et d'une force anticapitaliste de rupture avec les capitulations sociales-démocrates comme avec les trahisons staliniennes. Déjà, se profilait la perspective d'aider à regrouper les forces anticapitalistes, quelles que soient leurs traditions ou leurs origines. » (21)

La boucle est ainsi bouclée. Maitan a conduit l'orientation politique prise par le Secrétariat unifié en 1953, à son terme logique. A l'époque, Pablo refusait la construction de sections indépendantes de la Quatrième Internationale en arguant qu'il fallait s'intégrer au « mouvement réel des masses »; dans les partis staliniens, les formations nationalistes petites-bourgeoises et d'autres organisations ayant eu une influence dans la période d'après-guerre. Aucune d'entre elles n'ayant rempli les espérances placées en elles et l'Union soviétique s'étant effondrée, le Secrétariat unifié cherche le contact avec d'autres forces « quelles que puissent être leurs traditions et leurs origines ».

Cela veut dire l'intégration complète dans les affaires politiques de la bourgeoisie. Maitan compta notemment parmi les forces « anticapitalistes » non seulement Rifondazione en Italie, mais aussi le Parti des Travailleurs (PT) du Brésil qui gouverne depuis des années ce pays de 175 millions d'habitants. Miguel Rossetto, un membre de la section brésilienne du Secrétariat unifié, est à la tête du ministère de la Réforme agraire. Au 15ème congrès du Secrétariat unifié, le dernier auquel il participa, Maitan approuva cela expressément.

Il déclara dans son discours d'ouverture: « En principe, nous n'avons jamais souffert de crétinisme parlementaire, cette maladie funeste du mouvement ouvrier. C'est pourquoi nous n'avons pas peur de souligner le fait que, dans la décennie passée, nous avions des représentants élus au parlement dans nombre de pays, du Brésil aux Philippines, du Danemark au Portugal ainsi qu'au Parlement européen. Au Brésil, un camarade comme Miguel Rossetto, dont les qualités et l'esprit militant sont bien connus, est aujourd'hui membre du gouvernement sorti de cette réussite extraordinaire du peuple que représente l'élection de Lula. Miguel a pris, avec la tâche de réaliser une réforme agraire radicale qui soit en mesure d'entraîner une dynamique plus générale de rupture avec le système, une responsabilité cruciale. Nous soutiendrons et suivrons sa lutte et nous l'assurons de notre solidarité la plus chaleureuse.»(22)

La « dynamique de rupture avec le système » annoncée par Maitan s'est vite avérée être une chimère. Rosetto assume des responsabilités dans un gouvernement qui poursuit intégralement la politique économique néolibérale de ses prédécesseurs de droite, possède la confiance de la bourgeoisie brésilienne et dont le Fonds monétaire international fait l'éloge sincère. Il n'est même pas « anticapitaliste » de nom. L'autorité acquise par le président Inácio « Lula » da Silva en tant que dirigeant syndical militant, sert à tenir la classe ouvrière tranquille qui, sans cela, se rebellerait violemment. La contribution pabliste à cela est précieuse.

S'il est une leçon à tirer de la vie de Maitan, c'est que rien ne peut se substituer à la construction patiente d'un parti socialiste international qui organise la classe ouvrière indépendamment des partis bourgeois et des appareils bureaucratiques sous le drapeau de la Quatrième Internationale. La crise profonde du capitalisme mondial qui se manifeste par des attaques permanentes contre les droits sociaux et démocratiques de vastes couches de la population et dans des guerres impérialistes comme en Iraq, donnera à un tel parti une grande force d'attraction.

Fin

Notes

16) Traduit de: Flavia D'Angeli, « New turn for PRC », International Viewpoint 359, May/June 2004

17) Traduit de: Livio Maitan, « Refounding Rifondazione »", International Viewpoint 340, May 2002

18) Traduit de: Livio Maitan, « On Fausto Bertinotti's book », International Viewpoint 326, December 2000

19) Traduit de: Livio Maitan, « Refounding Rifondazione », International Viewpoint 340, May 2002

20) Traduit de: Livio Maitan, « Refounding Rifondazione », International Viewpoint 340, May 2002

21) Alain Krivine, « Ciao compagno! », Rouge, 30 septembre 2004

22) Traduit de: Livio Maitan, « Opening Speech of the Congress », International Viewpoint 349, May 2003

Voir aussi:







 

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés