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Nationalité, ethnicité et culture :

le Guardian héberge les idées racistes de David Goodhart


Par Ann Talbot
6 avril 2004

Nous publions ici la première partie d'un commentaire en trois parties.

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En février, le journal anglais The Guardian a publié un article banal et complètement réactionnaire du rédacteur en chef du magazine Prospect, David Goodhart, qui remettait en question la compatibilité entre une société ethniquement diverse et l'état providence.

Dans un commentaire sur deux pages, Goodhart suggère qu'il est impossible de maintenir un état providence dans une société hétérogène. Il soutient que les gens ne veulent partager des ressources matérielles qu'avec ceux avec lesquels ils partagent une culture et des valeurs communes. Cette culture commune est en train de s'éroder, affirme-t-il, car "non seulement nous vivons parmi des citoyens venus d'ailleurs, mais nous devons partager avec eux. Nous devons partager les services publics et des parts de notre revenu dans l'état providence, nous partageons les espaces publics dans les villes où nous sommes compressés ensemble dans les bus, les trains et les métros."

C'est cela qu'il identifie comme le "dilemme progressiste" : est-il encore possible de concilier un engagement à des mesures d'assistance sociale progressistes avec une opposition à un contrôle strict et renforcé de l'immigration. Après quoi, il écrit : " Dit brutalement, la plupart d'entre nous préférons les gens comme nous. "

Pour un journal synonyme de valeurs libérales, la décision du Guardian de donner la prééminence à de telles vues doit être interprétée comme une tentative délibérée de la part des éditorialistes de pousser vers la droite le débat politique parmi ses lecteurs. Ceci est confirmé par les réponses généralement positives de la part de journalistes éminents et d'intellectuels libéraux publiées dans ses pages en réponse à Goodhart. Bien loin de condamner les vues de Goodhart, la plupart des réponses sollicitées sont positives, alors que les critiques sont dirigés plutôt sur ses détracteurs.

Nombreux sont ceux au sein de l'élite libérale britannique prêts à admettre qu'ils préfèrent eux aussi les gens comme eux, et qu'ils n'aiment pas beaucoup côtoyer de trop près des gens d'autres groupes ethniques ou culturels dans les trains, les métros et les bus.

Goodhart dément vivement être un raciste et prend bien soin de compenser chaque remarque qui pourrait être interprétée comme telle par une affirmation de ses convictions libérales sur le mérite de la diversité, mais dans sa réponse au débat, dans la dernière édition de Prospect, il identifie explicitement ses critiques en termes ethniques.

Sa réponse est titrée : "Les avis sur mon essai sur la diversité se divisent, en partie, selon des lignes ethniques". Le qualificatif "en partie" est caractéristique de son style, mais s'il demeurait le moindre doute quant à la teneur générale de son argumentation, il poursuit :

"Avant de le publier, j'ai montré cet essai en cours de réalisation à une section transverse représentative de l'intelligentsia libérale, des blancs principalement mais pas exclusivement, et j'ai obtenu une réaction largement positive. Après publication, la plupart des lecteurs blancs, qu'ils aient été d'accord ou non avec la ligne générale, l'ont acceptée comme une argumentation parfaitement légitime."

Le fait même que Goodhart se sente libre d'identifier ses lecteurs par la couleur de leur peau, plutôt que par leur fonction - philosophes, journalistes ou économistes - montre comment un libéralisme intellectuellement et moralement compromis accepte l'ethnicité comme moyen légitime d'évaluer la validité et le caractère des vues d'une personne.

Goodhart peut bien penser qu'il n'est pas raciste, mais il est difficile de mettre une autre interprétation sur une argumentation qui dépend si lourdement de critères génétiques et biologiques.

Dans son article original, afin d'appuyer sa mise en garde selon laquelle le soutien à venir pour des mesures d'assistance sociale est menacé, il note que 9 % de la population du Royaume Uni est "issu d'une minorité ethnique". Goodhart reconnaît ensuite que la proportion en Suède, avec un état providence bien plus développé, est de 12 %. Néanmoins, "d'après les tendances actuelles," Goodhart avertit solennellement, "un cinquième de la population sera issu d'une minorité ethnique en 2050, bien que, pour une grande partie, de la quatrième ou cinquième génération."

Un tel alarmisme sur un soi-disant problème créé par la diversité ethnique n'a de précédents intellectuels que dans l'extrême droite. Il y a peu de différence entre Goodhart et Margaret Thatcher, qui avait elle aussi averti que la Grande Bretagne courait le danger d'être "inondée" du fait d'une immigration excessive, mis à part le fait que Goodhart essaie de quantifier le processus.

Que dit Goodhart ? Que dans un demi siècle, une personne sur 20 pourrait avoir un arrière - arrière - arrière - grand - parent qui était issu d'une minorité ethnique. Vu que très peu de gens sont à même de remonter leur arbre généalogique plus loin que trois générations, il est difficile de voir là un problème. Si on considère que comme tout individu a deux parents, quatre grands-parents, huit arrière-grands-parents, 16 arrière arrière-grands-parents et 32 arrière arrière arrière-grands-parents, la chose la plus remarquable est que seulement un cinquième de la population peut se réclamer d'un ancêtre issu d'une minorité ethnique parmi ces 62 personnes.

Si les critères de Goodhart pour une citoyenneté sans problèmes étaient mis en oeuvre, quasiment personne au Royaume-Uni ne serait considéré comme vraiment britannique. Goodhart proteste que la citoyenneté dont il parle n'est pas "un concept ethnique du sang et du sol" mais c'est précisément ce qu'il défend dans son scénario générationnel. La seule autre circonstance où les citoyens ont été contraints de prouver leurs statuts ancestraux de cette façon fut en Allemagne Nazie, et même les Nazis n'exigeaient que trois générations pour délivrer un Ariernachweis, le certificat de pureté ethnique qui était essentiel pour recevoir une éducation ou obtenir un travail.

Le racisme sous-jacent de Goodhart s'exprime dans ses commentaires sur les politiques américaines d'état providence. Il prétend que les Etats Unis n'ont pas d'état providence parce qu'il s'agit d'un pays ayant une diversité ethnique. "Trop de gens en bas de l'échelle aux Etats Unis sont noirs ou hispaniques" déclare-t-il.

Il cite des chiffres de diversité ethnique comme si le rapport avec le financement de l'état providence ou son absence en faisait un fait sociologique. Mais les afro-américains, qu'il classifie comme "citoyens étrangers", ont une généalogie américaine qui remonte à plus de 300 ans - soit 12 générations ou plus. Mais il semble que 12 générations ne suffisent pas à faire de vous un citoyen américain vraiment intégré, d'après Goodhart. Les hispano-américains ont probablement une ascendance dans le Nouveau Monde encore bien plus ancienne, mais selon le critère de Goodhart, ils seront toujours des Mexicains ou des Portoricains, et ni eux ni leurs voisins blancs ne seront vraisemblablement disposés à financer conjointement des écoles et des hôpitaux avec leurs dollars d'impôts.

Les arguments de Goodhart sont chargés de connotations et choisis pour inspirer la peur. "Y a-t-il", demande-t-il sinistrement, "un 'point de rupture' quelque part entre les 9 % de population issu d'une minorité ethnique en Grande Bretagne et les 30 % en Amérique, qui crée une société 'à l'américaine' totalement différente - avec de profondes divisions ethniques, un état providence faible et peu de participation politique ? Personne ne le sait mais c'est une hypothèse plausible."

Il ne laisse aucun doute dans l'esprit du lecteur que, d'après lui, l'état providence est menacé non pas du fait de l'inadéquation des moyens alloués par le gouvernement, de la réduction des personnels et des privatisations, mais du fait de la croissance de la diversité ethnique et culturelle.

Défense du racisme anti-immigré du Parti travailliste

Le président de la Commission pour l'Egalité Raciale, Trevor Phillips, identifia le caractère politique de l'article de Goodhart dans sa réponse : "Les xénophobes devraient se déclarer."

Phillips écrivit : "Ce sont des Powellites libéraux ; ce qui les tracasse vraiment c'est la race et la culture."

Il faisait référence au célèbre discours de 1968 d'Enoch Powell "rivières de sang", dans lequel ce dernier déclarait : "dans ce pays, dans 15 ou 20 ans, l'homme noir aura la haute main sur l'homme blanc".

The Economist fit aussi remarquer les véritables antécédents de l'argumentation de Goodhart et la signification du soutien du Guardian, en commentant : "Ce qui est intéressant c'est que des liens entre immigration et dislocation sociale ont déjà été invoqués, et pas seulement par des hommes en bottes nazies."

Phillips évoque une comparaison légitime, mais il y a des différences importantes. Powell était un député conservateur de droite ; l'article de Goodhart est paru dans un magazine libéral et a obtenu une double page dans le journal anglais le plus libéral et le plus en faveur du Parti travailliste. Les réactions non plus ne sont pas comparables. Le discours de Powell déclencha des manifestations de masse de la part de la gauche s'opposant à son racisme. Edward Heath le limogea du cabinet fantôme, et sa carrière politique britannique fut marginalisée, bien qu'il restât un mentor en coulisse de Margaret Thatcher.

En comparaison, la majeure partie des réactions à Goodhart de la part de journalistes et d'intellectuels établis fut favorable, alors que Phillips était lui-même soumis à une volée de bois vert pour avoir énoncé l'évidence. Une ancienne journaliste du Guardian, Melanie Phillips, qui écrit maintenant dans le journal de droite Daily Mail, demanda à savoir "comment diable en est-on arrivé là, comment est-ce qu'une personne manifestement respectable peut-elle être traînée dans la boue et traitée de raciste pour avoir voulu préserver l'identité nationale ?"

Julian Baggini, éditorialiste du Philosophers' Magazine, accusa Trevor Phillips d'entacher Goodhart avec la "brosse Powellite".

D'après Goodhart, le Président de la Commission pour l'égalité raciale commencerait à avoir des doutes. Lors d'un récent séminaire sur les races au Ministère de l'Intérieur (Home Office) où les deux hommes étaient invités à s'exprimer, Phillips assura Goodhart qu'il ne l'avait pas traité de raciste.

La présence de Goodhart à un séminaire du Home Office, ministère de l'intérieur, et l'uniformité du soutien à ses vues suggèrent que nous sommes en présence de quelque chose qui va plus loin que l'opinion d'un individu ou d'un journal distillant une idée. Il se fomente quelque chose derrière tout cela.

Le magazine Prospect fonctionne comme un laboratoire d'idées pour le développement de nouvelles politiques du parti travailliste. Le Premier Ministre Tony Blair et son premier conseiller Peter Mandelson ont tous deux écrit dans ce magazine. Mais il incorpore et cherche à rendre acceptables des idées de sources différentes, y compris à partir de sources de droite. Goodhart lui-même tire la thèse centrale de son article des remarques du politicien conservateur David Willets, qui définissait le "dilemme progressiste" à une table ronde que le magazine Prospect avait organisée sur la politique de l'état providence.

Dans le fond, Prospect et The Guardian tentent tous deux de fournir une légitimité à une campagne raciste qui trouve son expression finale dans les politiques anti-immigration et contre le droit d'asile du gouvernement Blair.

Les demandeurs d'asile ont été une cible de longue date du racisme dans la presse à scandale, mais en août dernier le Sun - journal de Rupert Murdoch - le Daily Express et d'autres ont commencé une campagne hystérique visant à exclure les migrants venant des pays de l'Europe de l'Est qui sont censés devenir citoyens de l'Union Européenne cette année. La population tsigane a été désignée comme cible d'une diabolisation spéciale dans la presse britannique, d'une manière qui n'était pas sans rappeler la propagande nazie.

Le 14 février, Goodhart apparut dans les pages du Guardian pour débattre de la question de l'immigration de l'Europe de l'Est avec Khalid Koser, maître de conférence en géographie humaine à UCL (University College London). Goodhart émit la crainte que si l'immigration était autorisée à continuer, "nous allons nous réveiller dans 20 ans et découvrir que nous sommes devenus une société à l'américaine avec des tensions ethniques aiguës et un état providence faible."

Quelques jour auparavant, toujours dans le Guardian, Goodhart pressait : "Fermez la porte avant qu'il ne soit trop tard." Il déplora l'hésitation des libéraux à parler de l'immigration, mais fut reconnaissant que "grâce en partie à la direction donnée par [le Ministre de l'Intérieur] David Blunkett, nous avons une argumentation politique plus ouverte et plus robuste qu'il y a même dix ans."

Quand le gouvernement décida de restreindre la migration en provenance de nouveaux pays de l'Union Européenne, le Guardian réagit par un éditorial louant la sagesse d'une telle politique. Dans un commentaire, le journaliste du Guardian Martin Kettle accueillit même la mesure comme "un exercice intensément pratique de Goodhartisme."

Goodhart est un idéologue proche du gouvernement. Au cours des derniers mois, le gouvernement a introduit une série de mesures mettant à mal les droits des immigrants et des demandeurs d'asile. Les "nouveaux" citoyens de l'Union Européenne n'auront pas les mêmes droits que les autres citoyens de l'Union en matière de sécurité sociale. Les prestations que les autres citoyens de l'Union Européenne peuvent recevoir sont en fait très limitées - après une période de six mois de résidence, ils peuvent réclamer un revenu complémentaire, en fonction de leurs moyens, ainsi qu'une aide au logement. En introduisant une telle distinction, le gouvernement a crée des citoyens de seconde zone qui - privés de l'accès à ces avantages, même minimaux - seront livrés aux formes d'exploitation les plus impitoyables.

Les demandeurs d'asile ont été soumis à une attaque en règle de la part de la nouvelle Loi d'asile et d'immigration, qui leur refuse par exemple le droit de faire appel devant la justice. Dans une étude récente, "Get it right : how Home Office decision making fails refugees" (Ne vous y trompez pas : Comment les décisions du Ministère de l'Intérieur laissent tomber les réfugiés), l'antenne anglaise d'Amnesty International a montré que, d'après les propres conclusions du Ministère de l'Intérieur, 16 070 décisions initiales furent invalidées et déjugées en appel durant l'année 2003, comparé aux 13 875 cas de 2002 - augmentation de 2 195 cas, soit 16 % (un sur six). Le rapport révèle que les décisions sont basées sur "des informations imprécises ou périmées sur les pays, des décisions injustifiées quant à la crédibilité des gens et l'absence de prise de considération correcte des cas complexes de torture."

La clause sept de cette même loi refusera les prestations de sécurité sociale aux demandeurs d'asile déboutés, même aux enfants. Le Refugee Children's Consortium (RCC), consortium des enfants réfugiés, a prévenu que cela conduira les enfants à devenir des SDF ou des sans toit et a condamné la nouvelle loi comme étant "dangereuse et immorale". Le directeur de la British Association of Social Worker (Association britannique des travailleurs sociaux), Ian Johnston, a appelé la législation "un instrument de coercition brutal - beaucoup d'enfants seront livrés à eux-mêmes hors du filet de protection des services sociaux et seront exposés à un plus grand mal." Jacqui McCluskey de la NCH, organisme caritatif de protection des enfants, a déclaré : "Il est incroyable que le gouvernement propose même de rendre des enfants indigents à notre époque."

Les plans du gouvernement ne s'arrêtent pas là. Plus tôt cette année, Blair a reconnu qu'il envisageait d'envoyer les demandeurs d'asile dans des camps en Tanzanie. Il semblerait que le gouvernement britannique a offert à la Tanzanie 4 millions de livres sterling d'aide afin qu'elle accepte l'arrangement qui ressemble au projet concocté par Blunkett, l'an passé, d'envoyer les demandeurs d'asile dans des camps en Albanie. Ces arrangements - qui rappellent, à faire frémir, les déportations nazies - n'ont pour l'instant capoté que parce que les gouvernements des pays d'accueil n'ont pas voulu collaborer.

A suivre.

 

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