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Nationalité, ethnicité et culture :

le Guardian héberge les idées racistes de David Goodhart

Deuxième partie

Par Ann Talbot
7 avril 2004

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En février 2004, le Guardian a publié un article du rédacteur en chef du magazine Prospect, David Goodhart. Cet article posait la question suivante : Une société diverse sur le plan ethnique est-elle encore compatible avec l'Etat Providence ? En décidant de servir de plate - forme à de telles idées racistes, le comité de rédaction du Guardian a délibérément essayé de pousser vers la droite le débat politique au sein de ses lecteurs.

Ceci est le deuxième article d'une série de trois. Le premier article a été publié le 6 avril.

La réaction à Goodhart

Les ruminations de Goodhart ont été accueillies par une quasi prostration de la part de la gauche libérale et social-démocrate. Les plus à gauche des chroniqueurs réguliers du Guardian, George Monbiot, militant antimondialiste, ainsi que Paul Foot, dirigeant important du Socialist Workers Party ne se sont pas exprimés sur le sujet. Que quelqu'un exprimant des idées comparables à celles d'Enoch Powell obtienne une double page dans le journal pour lequel eux-mêmes écrivent ne semble pas les perturber outre mesure.

D'autres intellectuels radicaux issus des milieux politiques de gauche ont exprimé leur accord dans la revue Prospect. Kenan Malik, qui s'est opposé aux théories biologiques du racisme dans son The Meaning of Race a bien accueilli l'article de Goodhart. Nigel Harris, auteur de The New Untouchables, qui s'élevait contre les contrôles d'immigration, a salué l'article de Goodhart en ces termes : " un compte rendu sensible de certaines des craintes des conséquences de l'immigration prolongée."

Bob Rowthorn, autrefois un intellectuel très en vue du Parti communiste britannique, qui a lui même écrit sur les dangers d'une perte de cohésion sociale du fait de l'immigration, pense que Goodhart sous-estime la menace. Il a prévenu du danger d'une "immense métamorphose cumulative" de la société britannique si on ne contrôlait pas l'immigration.

Ceci contraste nettement avec la réaction généralement hostile des lecteurs du Guardian aux propos tenus par Goodhart. Dr Duncan Hall de Skipton fit remarquer : " La tendance internationaliste du travaillisme ­ l'idée qu'un salarié irakien et un salarié britannique ont plus de points communs qu'un salarié et un capitaliste en Grande Bretagne- constitue une des réussites les plus importantes du genre humain." Mary Cooper de Stockton on Tees fit remarquer que Goodhart " justifiait la diminution supplémentaire du rôle de l'Etat et la réduction de l'état providence." Simon Fairlie du Somerset écrivit: " A aucun moment, Goodhart ne reconnaît dans son article que la richesse qui attire les immigrants économiques vers la Grande-Bretagne a été acquise par des siècles de pillage colonial."

En fait, ces lecteurs du Guardian et d'autres comme eux sont devenus des orphelins politiques, étant donné que le journal qu'ils ont longtemps soutenu se transforme en plate - forme pour des idées racistes et que de nombreux intellectuels libéraux de renom ou intellectuels de gauche et groupes politiques gardent le silence, ou pire encore, expriment activement leur accord avec les idées de Goodhart. En effet, ces lecteurs sont marginalisés et privés du droit de représentation dans le processus politique démocratique.

La polarisation sociale

Ce qui sous tend cette réaction politique polarisée est la polarisation sociale énorme qui s'est produite au cours de ces dernières décennies. Celle-ci a donné naissance à une couche sociale hautement privilégiée qui n'identifie plus ses intérêts avec ceux de la majorité de la population. Et le personnel du gouvernement de Blair représente cette nouvelle couche par excellence.

Un abîme idéologique s'est creusé entre ceux qui lisent le Guardian et ceux qui écrivent pour le Guardian. Ceci est le reflet de la prolétarisation de large couches de gens de profession libérale dont sont issus de nombreux lecteurs du journal.

Comme démontré par les dernières statistiques des tendances sociales, les années 80 ont été caractérisées par une forte augmentation des inégalités sociales, pas seulement dans les couches les plus élevées et les plus basses, mais entre les classes les plus riches et les classes à revenus moyens. En 1976, les 75 % les plus pauvres de la population du Royaume Uni possédaient 27% des richesses. Dès 2000, ce taux était tombé à 12%, soit moins de la moitié de ce qu'il était en 1976.

Une indication de l'élargissement de ce gouffre se voit dans l'augmentation des salaires les plus élevés, qui au cours des dernières décennies ont augmenté en moyenne de 288 %, alors qu'au cours de la même période, les salaires moyens n'ont augmenté que de 45%. Un seul exemple suffit à illustrer ce fait: le salaire annuel moyen en Grande Bretagne est de 21 000 Livres par an, mais Matthew Barret, directeur général de la Barclays Bank a, l'année dernière, doublé son salaire qui atteint maintenant les 3.1 millions de livres grâce à une prime d'un montant de 1,9 million de livres.

Ces couches sociales sont farouchement hostiles à renoncer à une part, aussi petite soit elle, de leur richesse fabuleuse, pour financer des fonds d'aide sociale. Une étude du Professeur Paul Johnson de la London School of Economics montre que la part d'impôts sur le revenu payée par ces hauts salaires est la plus basse jamais enregistrée depuis les années 50. Une personne gagnant dix fois le revenu moyen aurait, dans les années 50, payé 47 pour cent de son revenu en impôt. Aujourd'hui, le taux d'imposition est d'à peu près 38%. Même si ces chiffres sont suffisamment éloquents, ils sous-estiment néanmoins l'étendue du transfert des richesses vers les membres les plus riches de la société, étant donné qu'une part très importante des richesses des entreprises est cachée dans des comptes offshore.

Il y a eu non seulement augmentation de la pauvreté, mais la division entre la classe ouvrière manuelle et la classe moyenne de profession libérale a aussi été de plus en plus érodée tandis que les classes les plus élevées se sont de plus en plus détachées du reste de la société et ont fini par constituer un groupe fermé.

Dans son livre Who Runs this Place ?( Qui dirige cet endroit ?) Anthony Simpson a fait le commentaire suivant :

" De nos jours, l'élite semble beaucoup plus unie, avec un petit nombre de noms de famille qui réapparaissent tout le temps sous des formes différentes­ aux postes de magnats, ou d'administrateurs, ou encore de pourvoyeurs de fonds du secteur public. Quand les américains visitent notre pays, ils sont très surpris de pouvoir rencontrer la plupart des gens qu'ils souhaitent voir dans un nombre très restreint de clubs, de dîners et de réunions tous limités à quelques codes postaux du centre de Londres. »

L'article de Goodhart exprime la voix authentique de ces "quelques codes postaux du centre de Londres". Les gens très riches insistent pour que le droit à l'état providence universel soit supprimé car il représente une ponction inacceptable sur les bénéfices des entreprises. Et les quelques privilégiés qui se trouvent immédiatement en dessous d'eux ­ comme les Blair et les Goodhart ­ servent autant les intérêts de leurs supérieurs que les leurs, en traduisant ces exigences en mesures gouvernementales de droite et justifications théoriques pour de telles mesures.

Une politique sociale peut se baser soit sur des principes éclairés de droit universel, soit sur des intérêts de classe étroits visant à diviser la société et à avilir ceux qui reçoivent ces richesses. La vision de Goodhart sur l'état providence relève clairement de la deuxième catégorie.

Pour Goodhart, comme pour le Gouvernement, la politique de l'état providence ne peut se baser sur le droit universel au minimum vital parce que cela sous entend le partage d'un "gâteau national"déterminé. Mais, cela n'est pas le vrai problème : la taille du "gâteau national", la richesse de la société, est en fait en augmentation. Ce qui diminue c'est la volonté des classes aisées d'accepter qu'on touche à leur "part" du gâteau. Et ils s'assurent qu'on n'y touchera pas en réduisant radicalement l'état providence et en se désengageant le plus possible du fardeau des impôts.

Bien sûr, ce souci réel de la part de la minorité privilégiée de ne pas avoir à payer son dû est habituellement présenté comme un souci pour les droits des "britanniques ordinaires" et comme une opposition au " parasitage " et aux "tourismes sociaux" des immigrés, mais dès lors que l'on attaque le principe d'universalité des droits et d'une certaine égalité alors ceci devient la base pour exclure des droits sociaux des catégories toujours plus importantes de personnes.

Goodhart écrit : " C'est une chose d'accueillir des personnes intelligentes et ambitieuses d'Inde ou d'Asie de l'est. Cependant beaucoup de gens ne voient pas en quoi c'est une si bonne idée d'accueillir des gens venant des régions pauvres des pays en voie de développement qui ne savent pas grand-chose de l'urbanisation, de la laïcité ou bien des valeurs occidentales».

Goodhart parle de valeurs culturelles partagées, mais la distinction qu'il fait pour les groupes ethniques pourrait s'appliquer à un malade mental, un criminel, un toxicomane, un alcoolique, une mère encore adolescente ou un jeune délinquant. On pourrait dire que tous ces gens vont à l'encontre des normes culturelles et donc les accuser, d'une certaine manière, de ne pas pouvoir partager les valeurs qui sont celles du reste de la société.

Il y a, en fait, un modèle d'état providence qui correspond exactement au critère de pureté ethnique et de cohésion sociale de Goodhart. C'est le système qui existait dans l'Allemagne Nazie. Il est indéniable que les Nazis introduisirent des mesures d'aide sociale. Ils augmentèrent les allocations familiales et de maternité. Ceci était partie intégrante de leur politique de pureté raciale et d'eugénisme. Mais le corollaire de ce système était que les malades mentaux, les handicapés, les asociaux, les minorités ethniques ou religieuses étaient systématiquement supprimés.

Universalité

La pratique persiste toujours, et ceci malgré les tentatives désespérées du gouvernement pour qu'il en soit autrement, que toute personne malade qui se présente à l'hôpital public (National Health Service) sera prise en charge selon ses besoins quelle que soit son origine. Ceci est en partie le cas parce que l'hôpital n'a aucun moyen de les faire payer, mais aussi parce qu'il serait impensable pour le personnel de renvoyer quelqu'un chez lui sans soin. Goodhart réclame maintenant un état providence à deux vitesses selon lequel un commerçant d'origine asiatique ayant la nationalité britannique aurait accès à tous les soins de santé, alors qu'il n'en serait pas de même d'un salarié slovène, ne disposant que d'un permis de travail temporaire. Il ne donne aucune indication sur la manière dont ceci s'organiserait. Si tous deux étaient impliqués dans un accident de la route, est-ce que l'ambulance emmènerait le commerçant et laisserait le salarié slovène perdre son sang dans la rue?

Le rejet par Goodhart des droits universels apparaît clairement dans son adoption de la philosophie de Edmund Burke. Il écrit " Le point de vue traditionnel de Burke est que nos affinités découlent de notre famille et de notre entourage et s'étendent jusqu'à la nation mais guère plus loin. Ce point de vue s'oppose à un point de vue universaliste libéral qui considère en quelque sorte que nous sommes également obligés envers tous les êtres humains, de Bolton au Burundi ­ un point de vue qui est aussi associé aux aspects universalistes du Christianisme et de l'Islam, à l'universalité de la philosophie kantienne et à l'internationalisme de gauche.

Le Guardian ne parle pas souvent de Burke car celui-ci est considéré comme un des pères du Conservatisme. Il serait plutôt à sa place dans le Daily Telegraph. Mais même dans la presse de droite, cette lecture particulière de Burke serait inhabituelle. Il est la plupart du temps présenté comme un défenseur du changement constitutionnel progressif. Le fait de citer Burke dans ce contexte et sur la question des droits universels en particulier devrait alerter nos antennes politiques.

Il faut se rappeler qui était Burke, parce qu'il y a des parallèles intéressants à faire entre le parcours personnel de Burke et celui de l'intelligentsia petite-bourgeoise d'aujourd'hui.

Edmund Burke était un homme politique Whig du 18e siècle et un propagandiste politique. Ce n'était pas un penseur original et l'éloquence largement reconnue de sa plume et de sa langue dépassait la profondeur de sa pensée qui évoluait selon des trajectoires conventionnelles et des chemins battus.

Ce ne sont pas tant les idées de Burke en soi que les relations de celles-ci avec son époque qui lui ont conféré une importance politique durable. Burke connut trois révolutions : la révolution américaine, la révolution française et la révolution industrielle. Il passa la plus grande partie de sa vie politique au sein de ce que l'on pourrait considérer de nos jours comme la gauche. S'il était mort à soixante ans, l'histoire aurait retenu de lui qu'il était une sorte de radical qui avait soutenu l'octroi du droit de vote aux catholiques et aux dissidents religieux, qui avait souhaité l'autonomie pour l'Irlande, s'était opposé à l'esclavage, avait fait destituer Warren Hastings pour son pillage de l'Inde, avait soutenu la réforme parlementaire, s'était attaqué à la corruption gouvernementale, avait essayé de freiner le pouvoir de la monarchie et soutenu la Révolution Américaine. C'était un ami de Tom Paine et il avait évolué au sein d'intellectuels dissidents qui avaient des idées sociales et scientifiques avancées.

Mais au cours de sa soixante et unième année, Burke écrivit Reflections on the French Revolution, Réflexions sur la révolution française, l'ouvrage sur lequel repose sa réputation et dans lequel il dénonça chacun des principes de la révolution et des Lumières et particulièrement toute affirmation d'égalité sociale et d'internationalisme. Il affirma "qu'il abandonnerait ses amis les plus chers pour rejoindre ses ennemis les plus farouches " afin d'empêcher que les idées françaises ne contaminent la Grande Bretagne. Et c'est exactement ce qu'il fit. Il divisa les Whigs et rompit avec ses amis de toujours. Le 6 mai 1791, aux Communes, Charles James Fox se leva en pleurs et le supplia de rester son ami, bien que lui-même refusât de changer d'opinion sur les évènements en France. Burke fut inflexible et "ainsi prit fin une amitié entre Mr Burke et Mr Fox, une amitié qui avait duré plus d'un quart de siècle."[1]

Ce qui avait semblé, à l'origine, être une querelle personnelle était en fait un tournant politique qui réaligna la politique britannique. Burke reconnut que la politique Whig, telle qu'elle était née de l'opposition aux Stuart, au 17e siècle était dépassée. Aux lendemains de la Guerre Civile anglaise il avait été possible d'établir une alliance entre les artisans et les paysans d'un côté et entre les aristocrates terriens et les oligarques de la City d'autre part. Même au cours du 18e siècle, des magnats Whigs avaient pu utiliser les doléances économiques des classes laborieuses dans des contestations extra parlementaires à leurs propres fins politiques. La Révolution française, et peut être encore plus fondamentalement la Révolution industrielle sonnèrent le glas de cette période. La Révolution industrielle avait engendré un prolétariat et la Révolution française avait montré ce dont étaient capables les masses urbaines. Il revient à Burke d'avoir été le premier à reconnaître ce changement politique. Avec les Réflexions de Burke nous entrons dans le monde de la politique de classe britannique moderne.

Burke passa les sept dernières années de sa vie à faire campagne pour réorienter la politique intérieure et étrangère britannique. Ce qu'il fit avec succès. William Pitt « le Jeune », qui avait lui aussi été un radical à une époque, s'aligna publiquement avec Burke et mena une guerre implacable contre la France tout en réprimant sans pitié toute manifestation de résistance à l'intérieur du pays. La tournure des événements fut d'autant plus remarquable que, comme le fait remarquer Eric Hobsbawm, il ne se trouvait pas une seule personne de talent et éclairée qui n'ait de sympathie pour la révolution [2]. Parmi les soutiens les plus illustres de cette révolution, figuraient des poètes, des scientifiques, des industriels et des politiciens mais il y avait aussi énormément de gens ordinaires qui s'étaient organisés à travers la Grande-Bretagne en associations politiques soutenant la Révolution Française. L'ouvrage de Burke, Réflexions, se vendit à 19 000 exemplaires, alors que The Rights of Man, ( Les droits de l'homme), réponse de Thomas Paine à ce livre, se vendit à 200 000 exemplaires. On n'avait pas connu pareille guerre de pamphlets depuis les années 1640.

Références:

1. Parliamentary History, XXIX, p 426.
2. Eric Hobsbawm, Age of Revolution, Mentor, 1962.

A suivre.

 

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