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Nationalité, ethnicité et culture :

The Guardian héberge les idées racistes de David Goodhart


Troisième partie

Par Ann Talbot
8 avril 2004

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La peur d'une révolution

Toutes les idées que Edmund Burke exprime dans son livre 'Réflexions sur la révolution française' se retrouvent dans ses écrits précédents. Il n'a rien dit de nouveau. La différence ne réside pas dans Burke lui-même mais dans l'époque. Pendant la Révolution américaine, il était encore possible pour sa branche conservatrice des Whigs de défendre la révolution, puisque de nombreux américains se considéraient comme des Anglais se battant pour défendre leurs droits régis par l'ancienne constitution remontant à Magna Carta et enchâssés dans le droit coutumier. Burke défendait un ensemble de droits politiques, définis historiquement, qui étaient spécifiques à un groupe restreint de personnes, mais la Déclaration d'Indépendance avait établi une toute autre perspective ­ les droits de l'homme universels. Les deux points de vue étaient incompatibles, mais ce ne fut pas immédiatement évident. Cette contradiction ne frappa l'esprit de Burke que sous l'impact de la révolution française et grâce à l'émergence d'une classe ouvrière en Grande Bretagne.

Pour Burke, les travailleurs qui mirent en place des groupes politiques sur le modèle des Jacobins constituaient "la multitude des porcs". Ils réagirent de la sorte. Quand 5000 travailleurs marchèrent dans Sheffield pour célébrer la victoire de l'armée française à Valmy en Novembre 1792, ils portèrent une effigie de Burke chevauchant un cochon. Celui déclara au parlement qu'un cinquième du corps électoral et la majorité des non-inscrits étaient "de purs jacobins; totalement incapables de s'amender; et devaient faire l'objet d'une éternelle vigilance." [3]

L'agitation de Burke mit en branle un mouvement de répression - les journaux furent interdits, les réunions proscrites, les organisations dissoutes; les militants politiques furent arrêtés, déportés et exécutés ­ fait qui culmina avec le massacre de Peterloo en Août 1819.

Quand on le compare aux théoriciens politiques français de son époque, Burke ne se distingue pas, mais 'Réflexions' eut un impact mondial car Burke avait suffisamment d'intuition pour reconnaître que lui et ceux de sa classe se tenaient au bord d'un abîme et que les anciennes formes politiques ne convenaient plus. Par dessus tout, il comprit qu'ils devaient rejeter explicitement les droits universels et l'égalité.

Les origines de l'état providence

Alors que Burke était le porte-parole des marchands de la City et des aristocrates propriétaires terriens, Goodhart, lui, est le porte-parole du capital financier et des PDG d'entreprises.

Comme Burke, Goodhart sent la "multitude des porcs", les pauvres demandant l'égalité. Comme Burke, il sait qu'il doit attaquer et tourner en ridicule les droits universels et l'égalité si il veut faire progresser ses arguments séparatistes.

Il soutient que "si on nie l'hypothèse que les humains sont des primates sociaux, organisés en groupe, avec des contraintes, aussi imprécises soient-elles, imposées à leur volonté de partager, on se retrouve à devoir défendre des positions invraisemblables : par exemple, que nous devrions dépenser autant en aide au développement des pays pauvres que pour le National Health Service (service public de santé) ou encore que la Grande Bretagne ne devrait exercer aucun contrôle sur l'immigration."

La dichotomie qu'avance Goodhart entre le système public de santé et le développement est complètement fallacieuse. Il présente la question en terme de moralité individuelle, dans une tentative d'impliquer ses lecteurs dans son arithmétique pernicieuse. Il argue qu'un britannique aisé, d'esprit libéral, dépenserait 200 £ pour la fête d'anniversaire de son fils ou de sa fille plutôt que de sauver la vie d'un enfant du tiers monde. Mais la situation du tiers monde ne résulte pas d'un manque de générosité individuel car il existe de nombreuses actions généreuses individuelles ; c'est plutôt le résultat d'un pillage systématique sur plusieurs siècles. La plupart des pays du tiers monde dépensent plus pour le remboursement des intérêts de leur dette qu'ils ne reçoivent en aides.

Goodhart suppose que ses lecteurs seront automatiquement d'accord avec lui car il s'agit de "positions invraisemblables". Mais qu'il y a-t-il d'invraisemblable à abolir le contrôle de l'immigration ? Ce contrôle n'est qu'un moyen de diviser la classe ouvrière et d'en dresser une section contre une autre. Les restrictions sur l'immigration créent une masse de travailleurs clandestins qui sont contraints d'accepter des conditions de travail et de salaire bien pires que celles des travailleurs du pays. Défendre le contrôle de l'immigration, dans une économie mondialisée où le capital se déplace librement autour du monde, revient en réalité à dire que les travailleurs de chaque pays devraient rester à la merci du capital mobile. Les contrôles d'immigration dégradent les conditions de tous les travailleurs, quel que soit l'endroit où ils vivent.

À l'époque de la Première Guerre Mondiale, seule une minorité de socialistes défendit les principes internationalistes. Les ouvriers partirent à la guerre, pleins de ferveur patriotique et les partis socialistes votèrent avec enthousiasme l'argent pour financer le massacre des ouvriers dans d'autres pays. Il fallut l'expérience des tranchées pour confirmer aux millions d'ouvriers que ce que la minorité avait dit était vrai, et un mouvement révolutionnaire puissant émergea, lequel produisit la Révolution russe de 1917. La Révolution américaine et la Révolution française purent formuler les principes universels de liberté, d'égalité et de fraternité, mais elles furent incapables, dans les conditions d'une société divisée en classes, de les mettre en pratique. La Révolution russe, en dépit du destin tragique qui fut le sien par la suite, commença à le faire parce qu'elle se basait sur la classe ouvrière et avait balayé toutes les distinctions de classe.

Goodhart aurait sans aucun doute ricané devant les idéaux universalistes de cette génération, mais ces idéaux alimentèrent les luttes de classe de la période d'entre-deux-guerres. Et quand les luttes révolutionnaires éclatèrent encore après la Deuxième Guerre Mondiale, les politiciens britanniques de chaque parti comprirent qu'ils devaient soit créer un état providence qui se conformerait suffisamment à ces idéaux, soit faire face à une révolution. C'est ce lien - quoique indirect - entre état providence et mouvements sociaux basés sur les idéaux les plus élevés d'égalité sociale et de droits universels, qui rend l'attaque de Goodhart sur l'universalisme particulièrement significative. L'état providence britannique a intégré une teinte d'universalisme, en dépit des intentions de ses architectes, parce que ses origines et ses forces motrices trouvent leur racine dans les luttes révolutionnaires du vingtième siècle, et pas dans une chimérique homogénéité ethnique ou culturelle de la période d'après-guerre.

Goodhart prétend que les états providence naissent d'une espèce de contrat entre chaque citoyen et l'état, et que ce contrat n'est possible que si tous les citoyens sont suffisamment similaires pour vouloir partager leurs ressources les uns avec les autres. C'est purement fantaisiste. Quand on considère les états providence, historiquement et concrètement, on peut très clairement voir qu'ils sont le pur produit de la lutte des classes.

Les premières mesures modernes de sécurité sociale furent introduites en Allemagne quand le Chancelier Bismarck tentait de contrer l'influence grandissante du Parti Social Démocrate Marxiste au sein de la classe ouvrière en pleine expansion. La révolution de 1905 en Russie et les grèves qui précédèrent la Première Guerre Mondiale déclenchèrent une vague de mesures de protection sociale en Europe, car chaque gouvernement cherchait ainsi à éviter des bouleversements révolutionnaires similaires. En Grande Bretagne et en France, les retraites et les indemnités chômage furent introduites à cette époque.

Le succès de la révolution russe de 1917 produisit en Union Soviétique elle-même le système de sécurité sociale le plus complet jamais créé, et il demeura conséquent même après des décennies d'érosion sous le Stalinisme, jusqu'à ce qu'il soit complètement détruit par la réintroduction du capitalisme. Et il n'y avait certainement pas d'homogénéité ethnique en URSS.

A la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, quand une vague de mouvements révolutionnaires balaya l'Europe, il apparut clairement à l'élite dirigeante que si elle voulait empêcher une révolution il lui fallait mettre sur pied rien de moins qu'un vaste système de sécurité sociale universel couvrant tous les risques. Dans la période d'après-guerre, tous les gouvernements d'Europe Occidentale mirent en place des états providence avec chacune des variantes. Dans le cas britannique, l'accent fut mis sur la gratuité des soins médicaux ; dans d'autres cas, une plus grande importance fut accordée aux allocations basées sur le principe de l'assurance - mais ces différences étaient relativement mineures.

Goodhart pense qu'il peut jouer sur un certain anti-américanisme viscéral qui caractérise la gauche britannique."L'état providence", affirme-t-il, "a toujours été plus faible aux Etats Unis, individualistes et divisés ethniquement, que dans les pays plus homogènes de l'Europe." Il espère s'appuyer sur les stéréotypes nationaux d'une Amérique dans laquelle domineraient l'intérêt personnel et la recherche impitoyable de la richesse, alors qu'en Europe les valeurs sociaux-démocrates et libérales auraient engendré une société plus solidaire et plus cultivée. Mais bien loin d'être diamétralement à l'opposé des notions américaines, les états providence européens n'auraient pu exister sans les prêts américains et les théories économiques de Keynes que les Etats Unis sponsorisèrent dans le monde entier.

Même un examen bref de l'histoire des Etats Unis montre que la conception bigote qu'a Goodhart des Etats Unis est fausse. Pour une courte période entre1933 et 1945, l'administration Roosevelt mit en oeuvre des réformes avec le New Deal qui étaient, d'un certain point de vue, bien plus innovantes que tout ce qui existait alors en Grande Bretagne. Si on avait comparé le Royaume Uni et les Etats Unis à l'époque du New Deal, on aurait considéré que le pays des réformes de protection sociale, c'était les Etats Unis, et pas la Grande Bretagne. L'expression même "du berceau à la tombe" qui en Grande-Bretagne est souvent associée à Sir William Beveridge, concepteur de l'état providence d'après-guerre, a été inventée par Roosevelt.

Le New Deal produisit un bond en avant des dépenses pour l'assistance sociale. En 1932, 208 millions de dollars furent alloués à la sécurité sociale aux USA ; en 1935, 3 milliards de dollars. [4 ] Si les bénéfices du New Deal demeurèrent limités ­ notamment du fait que celui-ci n'a jamais fourni la gratuité des soins de santé- et furent presque immédiatement érodés, ce n'est pas parce que les USA étaient une société ethniquement mélangée. Quand Roosevelt arriva au pouvoir, la classe dirigeante américaine se crut au bord de la révolution. Le Général Douglas MacArthur, qui dispersa à la baïonnette d'anciens combattants campés à Washington, les décrivit alors comme une populace animée par "l'essence de la révolution."[5 ] Seule la crainte d'une révolution aurait persuadé l'Amérique des industriels de faire les concessions qu'elle fit. Et ce fut le recul de la perception de la menace politique révolutionnaire érigée face au capital qui encouragea le saccage des programmes d'assistance sociale qui suivit.

Internationalisme et égalité

Goodhart ridiculise la notion que la solidarité internationale peut poser les bases de la vie politique et sociale, et il répète avec insistance que seule la préservation de l'homogénéité nationale pourra permettre d'éviter l'érosion finale des normes sociales existant en Grande Bretagne - normes éminemment "civilisées".

Mais la prétention de la part de n'importe quel défenseur du gouvernement de Blair que Goodhart défend l'état providence sonne creux. Ce qu'il défend, en fait, c'est l'existence privilégiée de sa propre strate sociale - les possédants - qui ne craint rien autant que la menace posée par ceux d'en bas­les pauvres.

Son argumentation rappelle fortement l'appel au nationalisme culturel fait par le démagogue hollandais de droite Pim Fortuyn - mort assassiné. Homme riche, Fortuyn a également insisté sur le fait qu'il ne s'opposait pas à l'immigration du point de vue du modèle Nazi d'un racisme "du sang et du sol", mais il le faisait parce que les hollandais devaient prendre soin d'eux-mêmes et ne pas voir dépenser leurs impôts pour une population musulmane toujours croissante qui ne partageait pas les valeurs éclairées de la Hollande et qui ne parlait même pas néerlandais.

Pour Goodhart aussi, la défense de l'état providence allant de pair avec une soi-disant culture partagée est à peine plus qu'un appel au nationalisme. Il calcule que c'est la manière la plus sûre d'insuffler dans une partie de la population britannique un fort sentiment émotionnel d'exclusivité nationale.

Son approche va tout à fait dans le sens d'un soutien de la politique étrangère militariste et agressive du gouvernement. Blair a déclaré plusieurs guerres contre des pays sans défense et il a menacé de le faire à nouveau. Et un gouvernement, qui s'engage dans des conflits de l'envergure et du caractère de ceux que Blair a déclenchés, n'a pas les moyens, tant d'un point de vue politique qu'économique, de maintenir des mesures de protection sociale universelles sur son propre territoire. L'article de Goodhart reflète le besoin de justifier politiquement ce système organisé d'inhumanité.

Ici encore, les comparaisons entre les théories de Goodhart sur l'assistance sociale et les politiques des Nazis en Allemagne ne sont pas superficielles. Il y a une certaine logique sinistre impliquée dans l'utilisation de l'agression militaire à l'étranger et de la répression dans le pays. Les immigrants et les demandeurs d'asile sont aujourd'hui choisis comme boucs émissaires, mais le traitement qui leur est réservé aujourd'hui s'appliquera demain à d'autres membres de la société qui, soudainement, seront identifiés comme n'étant plus "des gens comme nous". Soit les droits sont universels, soit ils ne le sont pas et alors dans ce cas, ce ne sont pas réellement des droits.

Mais, à l'image de ce que Bush et Blair ont découvert quand ils furent confrontés aux manifestations de masse, dans le monde entier, contre la guerre en Irak, il n'est pas si facile de mobiliser le sentiment national, précisément parce que les divisions sociales au sein d'un pays sont devenues très aiguës et qu'elles ne sont plus atténuées par aucune mesure substantielle d'assistance sociale. En effet, les perspectives internationalistes que Goodhart écarte, les jugeant non pertinentes et irréelles, se présentent aujourd'hui devant la classe ouvrière comme la seule base réaliste pour défendre chacun de ses acquis sociaux du passé.

A l'échelle mondiale et nationale, la plus grande division réside entre la vaste majorité de la population et une minuscule couche sociale, d'une richesse obscène dont les intérêts sont en opposition fondamentale avec les précédents. Les riches s'enrichissent aux dépens de l'ensemble de la classe ouvrière, sans que cela ait quoi que ce soit à voir avec le pays d'origine, la couleur de la peau, la langue ou la religion des travailleurs qu'ils spolient. Et c'est seulement par une unité basée sur la réalité des intérêts communs de classe, plutôt que sur une chimérique identité nationale partagée, que peuvent être défendus les acquis sociaux incarnés par l'état providence, et plus généralement, c'est uniquement par cette unité que l'on peut accomplir quelque chose de progressiste.

Références:

3. E. P. Thompson, The Making of the English Working Class, Penguin Books, 1980.
4. Anthony J. Badger, The New Deal, Hill and Wang, 1989.
5. Arthur M. Schlesinger Jr., The Age of Roosevelt, Heinemann, 1957, p 272.


 

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