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L'essor
et la chute de Howard Dean
Une leçon de choses sur la politique du Parti démocrate
Par David North et Bill Van Auken
19 Février 2004
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L'annonce, mercredi, par l'ancien gouverneur du Vermont Howard
Dean qu'il retirait sa candidature dans la course à l'investiture
démocrate pour l'élection présidentielle,
marque la fin d'une brève et fugace campagne.
Il fit son discours de renoncement à Burlington, Vermont,
après avoir obtenu une troisième place lors de
la primaire dans le Wisconsin - loin des premiers avec 18% des
votes, alors qu'il avait déclaré devoir absolument
remporter ce scrutin.
L'essor et la chute étonnamment rapides de Dean contiennent
des leçons essentielles sur la nature du système
politique bipartite américain. La méthode utilisée
pour choisir des candidats politiques de la bourgeoisie en Amérique
a longtemps été un processus assez brutal dans
lequel des gens sont mis en avant et, dans certains cas, aussitôt
éliminés. Quoi qu'il en soit, même à
l'aune de ces durs critères, le cas de Dean est exceptionnel.
Il y a à peine six semaines, Dean était encore
mis en avant comme le favori incontesté, ayant quitté
une relative obscurité de 11 ans en tant que gouverneur
du Vermont pour défier l'establishment du Parti démocrate.
Quand il commença sa campagne l'année dernière,
il fit preuve d'indéniables qualités qui le démarquaient
des autres candidats éligibles du Parti démocrate.
Dean sentit que l'image de Bush renvoyée par les médias,
et largement acceptée par le Parti démocrate où
Bush était considéré comme un colosse politique
inattaquable, n'avait pas de fondements réels. Il remarqua
que l'administration Bush était vulnérable face
à des attaques agressives; et sa campagne puisa dans la
colère et la frustration, sentiments répandus dans
l'électorat, non seulement à l'égard de
la politique de l'administration Bush, mais aussi à l'égard
du comportement lâche du Parti démocrate lui-même,
dans son virage toujours plus à droite et dans son adaptation
aux républicains.
En tant que candidat, Dean s'appuya sur ses instincts et ses
sentiments, plutôt que sur les perspectives plus larges
et plus développées de la situation politique en
Amérique. Médecin de formation, son programme ressemblait
à la sacoche d'un docteur de campagne, contenant tout
: depuis les antibiotiques jusqu'à l'aspirine et le remède
de charlatan. C'était une combinaison éclectique
de mesures de gauche, de droite et du centre. Il critiqua violemment
la guerre en Irak, tout en dénonçant Bush pour
sa négligence de "la guerre contre la terreur".
Il plaida pour une couverture maladie universelle, tout en jurant
que la "responsabilité fiscale" serait le "cachet
de la présidence Dean".
Néanmoins, sa campagne prit son élan en s'appuyant
sur quelque chose qui avait été ignoré par
les directions des deux partis et par les médias : la
colère grandissante de millions de personnes quant au
vol des élections de 2000, de la guerre illégale
menée en Irak et de l'impact des mesures économiques
mises en place dans le seul but d'enrichir plus encore l'oligarchie
financière américaine.
Dean annonça avoir reçu plus de 600 000 signatures
de soutien sur son site Web, et avoir collecté quelques
41 millions de dollars de contributions, un record pour les primaires
démocrates. On se demande jusqu'à quel point il
a lui-même pris la mesure de la profondeur du mécontentement
politique qui a alimenté sa campagne. Quoi qu'il en soit,
ce qui est sûr, c'est que jusqu'à la fin 2003, il
a eu quasiment le champ libre.
C'est ce qui rendit d'autant plus extraordinaire l'implosion
soudaine de la campagne de Dean. A la fin janvier, sa position
dans les scrutins avait chuté et, depuis le premier scrutin
dans le New Hampshire jusqu'au vote du 17 février dans
le Wisconsin, il ne réussit pas une fois à arriver
premier, dans aucune primaire, et finit troisième ou pire
dans la plupart d'entre elles.
Comment peut-on expliquer ce revers politique? Les médias
ont fait leurs choux gras du discours maladroit de Dean suite
à sa troisième place, loin derrière les
autres, dans l'Iowa- le fameux cri qui fut diffusé en
boucle et qui fut ridiculisé un nombre incalculable de
fois dans les talk-show de fin de soirée.
Clairement, cet incident fut délibérément
déformé et amplifié hors de toute proportion
par les médias. En soi, ce fait ne peut fournir une explication
au revers politique de Dean. Néanmoins, celui-ci ne fut
ni accidentel ni dénué de signification politique.
Au fur et à mesure que l'insurrection de Dean au sein
du Parti démocrate recueillait du soutien, la confusion
montait sur la direction que ce mouvement pourrait prendre et
sur l'inconsistance de la politique de l'ancien gouverneur du
Vermont. Dès que la campagne rencontra de sérieuses
difficultés, Dean n'eut guère mieux à proposer
en terme de réponses politiques que des bravades creuses.
Dans une certaine mesure, la campagne de Dean fut victime de
ses propres succès précoces. Elle a aussi été
minée du fait de changements politiques au sein de la
classe politique américaine.
En effet, tant que Bush était considéré
comme politiquement inattaquable, un point de vue soutenu par
les médias - aveuglés par leur propre propagande
- l'élite dirigeante s'intéressait peu de savoir
qui serait choisi comme candidat du Parti démocrate.
La campagne de Dean fut un indicateur de la large et intense
désaffection populaire vis-à-vis de la présidence
Bush, ce que les primaires démocrates n'ont fait que souligner,
au cours desquelles les sondages à la sortie des isoloirs
montrèrent qu'un nombre significatif d'électeurs
décrivait leur attitude envers le président comme
de la "colère" ou même de la "haine".
Ce malaise populaire est entré en résonance
et accru l'inquiétude des cercles financiers et industriels
quant à la viabilité de l'administration Bush.
L'inquiétude au sein de ces cercles quant au fiasco
de la politique américaine en Irak et les craintes que
la politique fiscale (dettes et déficits publics)puisse
créer les conditions pour une crise économique
sévère, sont devenus de plus en plus répandus,
comme le prouve le livre récent de l'ancien secrétaire
au Trésor Paul O'Neill, qui relate sa propre consternation
quant à ces orientations politiques.
Au début de l'année, la préparation d'une
possible alternative démocrate à la réélection
de Bush, apparut comme une question importante pour la classe
dirigeante américaine, et le point central des primaires
démocrates devint de plus en plus clairement le choix
d'un candidat qui aurait la faveur et la confiance de l'oligarchie
financière qui, en fin de compte, contrôle les deux
grands partis.
Il existait un malaise palpable dans ces cercles vis-à-vis
de la candidature de Dean. Ce n'était pas tellement que
son programme politique était inacceptable, ce dernier
étant en grande partie constitué de mesures passe-partout
que partagent les hommes politiques des deux partis. Il s'agit
plutôt que Dean, dont l'expérience se résume
au rôle de gouverneur dans un État d'à peine
plus de 600 000 habitants, était considéré
comme un homme sans réelle histoire politique, n'ayant
été ni confirmé ni mis à l'essai.
Du fait qu'il attirait le soutien des gens en colère et
ayant le soutien d'une partie des étudiants, Dean fut
de plus en plus considéré avec suspicion.
En conséquence de quoi, Dean devint l'objet d'attaques
implacables, et souvent humiliantes, de la part des médias.
La tentative de manipuler l'opinion publique eut ses effets,
en partie à cause de l'énorme hostilité
envers l'administration Bush que sa campagne avait exploitée.
En effet, les votants aux primaires devinrent de plus en plus
soucieux de choisir le candidat qui aurait la meilleure chance
de remplacer Bush à la Maison blanche. Beaucoup de votants
reconnurent instinctivement qu'un candidat n'avait de chance
d'être élu que s'il était acceptable aux
yeux de la classe politique existante.
Les dernières semaines de la campagne de Dean, et les
réactions de l'ancien gouverneur du Vermont à ces
attaques concertées visant à miner sa candidature,
devinrent de plus en plus pitoyables à la fois sur le
plan politique et personnel. Toutes les faiblesses et les contradictions
de sa propre politique sont apparues toujours plus clairement.
Alors qu'il avait entamé sa course à la candidature
en dénonçant la guerre en Irak, il eut recours
toujours plus fréquemment à la critique du nouveau
favori, le sénateur du Massachussets, John Kerry, en l'attaquant
sur son opposition à la première guerre du Golfe,
lancée par le père de Bush en 1991. Cette ligne
d'attaque servit seulement à souligner le fait que l'opposition
de Dean au militarisme américain et à l'agression
impérialiste n'était, au mieux, qu'épisodique,
et manquait de toute profondeur, tant au point de vue de la compréhension
théorique que des convictions politiques.
Finalement, sa campagne fut celle d'un politicien bourgeois totalement
conventionnel, tandis que ses principaux rivaux - Kerry et le
sénateur de Caroline du Nord John Edwards - s'appropriaient
sa rhétorique anti-guerre, minimisant leur propre rôle
qui avait consisté à voter pour la guerre en Irak.
Dans son discours d'abandon, hier dans le Vermont, Dean déclara
à ses partisans qu'ils devaient "continuer l'effort
de transformation du Parti démocrate et de changement
de notre pays."
Il continua ainsi : "Je vais être clair, je ne me
présenterai pas en candidat indépendant, ni en
candidat d'un troisième parti, et j'enjoins ceux qui m'ont
soutenu de ne pas être tenté d'apporter leur contribution
à un autre candidat. L'essentiel c'est de battre George
W. Bush en novembre, à tout prix."
Pourtant, la leçon fondamentale à tirer de l'essor
et de la chute de Dean est précisément le contraire.
La question essentielle qui se pose aux travailleurs américains
dans leur combat contre la politique de l'administration Bush,
est la nécessité d'une alternative politique qui
se situe hors du système bipartite bourgeois et qui s'y
oppose.
Le succès initial de Dean était le symptôme
du développement d'une opposition de masse au système
politique existant aux États-Unis. Ainsi, s'il parvint
à recueillir un véritable soutien populaire, ce
fut parce qu'il apparut comme une tête nouvelle, un homme
en colère capable de donner une voix à l'immense
ressentiment qui existe vis-à-vis d'un système
politique - soutenu à la fois par les démocrates
et les républicains - qui rime avec guerre, corruption
politique, inégalité sociale et destruction des
droits démocratiques.
Maintenant, il explique à ses partisans que la leçon
à tirer de sa défaite est qu'ils doivent donner
une autre chance à ce système. Son rôle,
dicté par la classe politique et les médias, consiste
à ramener dans le carcan "sûr" du Parti
démocrate les sentiments de protestation sociale dont
il était le pôle d'attraction.
La formule "battre Bush en novembre à tout prix",
ou "n'importe qui sauf Bush" ne propose aucune perspective
pour réaliser les aspirations des travailleurs américains.
Au contraire, c'est cette philosophie politique qui a conduit
à la situation actuelle. Changer l'occupant de la Maison
blanche n'altérera en rien le système économique
et social qui a engendré les politiques belligérantes
et réactionnaires, soutenues tant par les républicains
que par les démocrates.
Cette tâche requiert la construction d'un nouveau mouvement
politique des travailleurs, un mouvement de masse indépendant,
pour une transformation révolutionnaire de la société
et la fin de la soumission du peuple américain aux intérêts
économiques de l'élite financière.
La condition préalable pour un changement politique sérieux
aux États-Unis est une rupture décisive et définitive
avec le système bourgeois du bipartisme, dont le Parti
démocrate est un pilier essentiel.
Nous appelons tous ceux qui aspirent à aller de l'avant
à apporter leur soutien à la campagne du Parti
de l'égalité socialiste pour l'élection
de 2004.
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