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Le Gouvernement français encourage le chantage à l'emploi des employeurs

De Pierre Mabut
9 septembre 2004

Au cours des dernières semaines, les entreprises françaises ont lancé un nombre significatif d'attaques contre les emplois et le niveau de vie des salariés. Parmi ces attaques on compte la menace de délocalisation comme moyen d'imposer des réductions de salaires, pour exemple la tentative réussie par Bosch, industrie de pièces automobile, qui a obligé ses employés à accepter une semaine de 36 heures payée 35 en brandissant la menace, en cas de refus, d'un transfert de la production en République Tchèque.

Puis il y a eu le démantèlement précipité, en 24 heures, des chaînes de montage par Snappon GDX Automotive et leur expédition en République Tchèque. L'opération s'est déroulée sous le regard protecteur des CRS (police anti-émeute). Les 225 emplois ont disparu en une nuit. Snappon, qui fabrique des pièces pour automobile, est une filiale du groupe américain Gencorp.

La direction avait déjà tenté de déménager ses outils de production dans la nuit du 15 juillet, mais l'intervention des ouvriers érigeant des barricades l'en avait empêché. Cependant, le 26 août, l'entreprise était forte d'une décision du juge visant à « protéger les droits de propriété et de commerce sans entraves ». Bien que le juge ait également autorisé le comité d'entreprise à entreprendre un recours légal pour s'opposer aux licenciements, le préfet l'avait, de façon fort opportune, ignoré du moins jusqu'à ce que Snappon ait fini de délocaliser en République Tchèque.

La délocalisation de l'entreprise est en phase avec l'objectif visant à faire baisser les coûts de production (notamment le coût du travail) et le désir de rester à proximité de ses clients tel P.S.A Peugeot, qui établit une nouvelle usine de production de voitures en Europe de l'Est.

Du fait de la faiblesse politique du Président Chirac suite aux défaites de son parti dans les élections régionales et européennes, le gouvernement de Raffarin fait mine de se préoccuper de la cohésion sociale du pays. En réalité, le régime de Chirac soutient sans réserve les efforts des entreprises françaises à parcourir le globe à la recherche de main-d'uvre la moins chère possible et à rester compétitive face aux pressions du marché mondialisé.

Néanmoins, le gouvernement de droite de Jean-Pierre Raffarin subit des pressions de plus en plus fortes de la part des patrons du MEDEF (mouvement des entreprises de France) pour l'abandon pur et simple de cette politique de cohésion sociale. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, a été on ne peut plus clair ce mois-ci, lors de la réunion annuelle du MEDEF, sur la politique de Chirac et Raffarin qu'il estime trop indulgente à l'égard des gens défavorisés, et qu'il qualifie d'assistance publique à outrance.

Ceci faisait référence au plan du gouvernement d'étaler l'augmentation du Smic (salaire minimum national) sur deux ans et qu'il a été contraint d'abandonner face au tollé général et de ramener à douze mois. Seillère a lancé son barrage de critiques contre la protection sociale dans une interview récente accordée au Figaro magazine.

Par contre le Medef n'a rien à redire quant à l'attaque de Raffarin contre les chômeurs, laquelle va obliger les sans emplois à accepter presque n'importe quel poste et n'importe où, après six mois de chômage, sous peine de perdre toute ou partie des allocations de chômage. Le baron Seillière, dans son interview au Figaro magazine est sans équivoque sur une question : « il vaut mieux travailler plus et garder son emploi que sacraliser les 35 heures et risquer de le perdre ».

Récemment, le gouvernement a modifié la loi du travail permettant ainsi aux employeurs de renégocier les accords syndicaux sur les 35 heures au niveau local, entreprise par entreprise ce qui ouvre la voie à d'autres accords du genre Bosch . Le principe fondamental régissant les relations sociales depuis la guerre et selon lequel aucun accord local ne peut être imposé s'il aggrave les conditions de travail des salariés par rapport à un accord national, a été sévèrement affaibli par les changements dans le code de travail opérés par le ministre des affaires sociales, de l'emploi et de la solidarité de l'époque, François Fillon devenu maintenant ministre de l'éducation.

Seillière a souligné lors de l'ouverture de la réunion du Medef que la réduction des salaires chez Bosch démontrait que « la nécessité économique » doit primer sur « l'acquis social ».

Un autre coup dur pour les ouvriers, cette fois dans l'industrie de la volaille, était annoncé chez Doux- le plus grand producteur de poulets d'Europe. Le 26 août, l'entreprise annonçait l'abandon de la semaine de 35 heures, diminuant le salaire moyen de 500 euros par an, selon les syndicats, pour des salariés déjà rémunérés au Smic, soit 7,61 euros de l'heure..

Ailleurs, l'entreprise Sediver, faisant partie du groupe italien Vertoarredo, a l'intention de transférer la production des isolateurs électriques en verre à ses filiales en Chine et au Brésil à moins que le personnel n'accepte une réduction de salaire de 25 à 30%, ce qui, selon l'entreprise sauverait 150 des 294 emplois. Les syndicats croient cependant que même en acceptant les concessions exigées, l'entreprise fermera ses portes dans deux ans.

Dans l'est de la France, le fabricant américain de composants électroniques, Vishay, a décidé de fermer son usine de Colmar, mettant ainsi 292 ouvriers au chômage, car afin de « sauvegarder l'activité compétitive, le montage des diodes sera regroupé sur les sites de Chine et de Hongrie, et l'activité terminée à Colmar » comme l'indique le communiqué de presse.

L'usine Vishay de Colmar se spécialise dans les diodes et transistors utilisés par les fabricants dans la production de l'électroménager. L'annonce de l'entreprise explique plus clairement les raisons de la délocalisation : « cette unité de production est confrontée à un marché caractérisé par le transfert massif de la fabrication électronique et des fournisseurs de composants vers les pays moins chers, et plus spécialement vers l'Asie, une baisse continue des prix au détail, et un fort ralentissement de la croissance est attendu dès 2005 ».

Les salariés de Vishay estiment que les salaires dans les sites tchèques sont inférieurs de 40% Le site de Colmar fut, à l'origine, installé par la multinationale américaine ITT dans les années 1960 et employait quelques 600 personnes. Le nombre de postes n'a cessé de diminuer jusqu'à ce que American Semiconducteurs reprenne l'entreprise et fusionne avec Vishay il y a quelques années.

Face à un taux de chômage national de 9,8% (20% chez les jeunes) et le chômage de longue durée en progression constante, les syndicats font mine de rejeter le principe de toute flexibilité apportée à la loi des 35 heures. Pourtant, sur le terrain, une large brèche a déjà été ouverte dans la loi, puisque les entreprises ont le droit de renégocier au niveau local toutes les concessions qu'elles exigent.

Confrontés aux conséquences de l'expansion de l'Union Européenne vers l'Est et à l'impact généralisé de la mondialisation, les syndicats, ancrés dans le cadre national, sont incapables de riposter au chantage des entreprises et à la menace de délocalisation. Leur unique réponse consiste à en appeler à une collaboration directe avec le gouvernement, exigeant avec insistance de ne pas être tenus à l'écart des négociations visant à casser les droits des travailleurs et les emplois.

A la fin des pourparlers cette semaine avec le gouvernement, les syndicats C.G.C et C.F.T.C. qui représentent les cadres moyens, se sont plaints que les employeurs rompaient avec les accords de branches en s'adressant directement aux ouvriers au niveau de l'entreprise afin de miner la solidarité entre eux. La solution, disent-ils au gouvernement, serait de négocier tout
'ajustement' au niveau du secteur ou de la branche industrielle. Bernard Thibault, dirigeant du syndicat C.G.T, dominé par le parti communiste, a, quant à lui, appelé à une réunion tripartite urgente entre employeurs, syndicats et gouvernement « pour discuter d'un plan anti-délocalisations ».

Pendant ce temps, le patron du Medef, Seillière, après s'être plaint que le régime de Raffarin n'avait soi-disant rien donné aux employeurs depuis le début de son mandat, était récompensé sans plus attendre par un allègement de surtaxe sur les bénéfices de l'ordre de 900 millions d'euros. L'abolition de cette taxe de 3% est prévue pour 2005 ;

Ce type de chantage à la délocalisation et ces attaques à l'encontre des emplois et des droits des salariés en France, se produisent aussi en Allemagne, partout en Europe et à travers le monde. Mais les dirigeants syndicaux préfèrent ignorer la réalité internationale qui se cache derrière le chantage à la délocalisation qui n'est rien d'autre que la recherche effrénée par le capital de coûts de production les plus bas sur la planète dans le cadre de la mondialisation. Ils affirment qu'une solution nationale quelconque peut être trouvée et dépeignent l'état nation comme le garant des acquis sociaux des ouvriers.