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Grande-Bretagne: de l'avis d'un ancien juge siégeant à la Chambre des Lords, les Etats-Unis sont « coupables de manquement à la loi à vraiment grande échelle »

Par Chris Marsden et Julie Hyland
Le 8 décembre 2005

Lord Steyn, l'un des plus grands juges britanniques qui vient de prendre sa retraite dernièrement, a déclaré mardi que la politique du gouvernement Bush, à savoir la pratique de la rendition (transferts secrets de prisonniers vers des pays pratiquant la torture) et le traitement des détenus à Guantánamo étaient des crimes de guerre. Il ajouta que quiconque prenait part sciemment à ces pratiques ou les facilitait se rendait également coupable.

Steyn fut interviewé le 6 décembre par le présentateur de la chaîne anglaise Channel 4 news, Jon Snow, sur les pratiques de la CIA consistant à kidnapper des personnes suspectées de terrorisme et à les transférer par avion, en faisant escale dans différents aéroports européens, vers des centres de détention secrets, hors des USA, où ils sont soumis à la torture.

Selon des commentaires de presse, de tels « lieux secrets » furent localisés dans au moins huit pays, y compris deux pays de l'ancien bloc soviétique d'Europe de l'Est. Certains rapports de presse ont identifié ces pays comme étant la Pologne et la Roumanie, et la télévision américaine ABC affirme que des personnes suspectées de terrorisme auraient été transférés pas plus tard que la semaine dernière vers des installations en Afrique du Nord, et ce juste avant la visite de la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice en Europe.

Steyn rejeta l'affirmation de Rice selon laquelle la loi internationale en vigueur actuellement n'était pas adaptée au terrorisme du vingt et unième siècle et dit que sa déclaration, selon laquelle les Etats-Unis n'étaient pas impliqués dans la torture, ne pouvait pas être étayée.

« Précisément, si vous vous référez à la torture il est très important de savoir ce que l'on entend par là », dit-il. « Je parle strictement en tant que juriste. L'administration américaine a adopté une définition de la torture qui est extrêmement restreinte. Elle renferme des concepts tels que causer la mort, défaillance d'organes, etc. La véritable définition est bien plus large et comprend aussi le questionnement sous contrainte. »

Répondant à Snow qui lui demandait si le camp militaire américain de Guantánamo Bay à Cuba était « un modèle de ce qui se passait », Steyn répondit, « Je pense que Guantánamo Bay est la clé à beaucoup de choses qui ont été révélées jusqu'à ce week-end. Nous assistons à un manquement à la loi à grande échelle qui, à mon avis, est l'extension logique de Guantánamo Bay, parce que à Guantánamo Bay on a rassemblé des prisonniers venus d'Afghanistan et de bien d'autres endroits, dans une île où il y aurait un lieu secret, sans loi ni droit, d'où ils ne peuvent jamais s'échapper et où ils n'ont aucun droit à un procès. Logiquement, ceci n'est pas vraiment différent de ce que les Américains appellent rendition et qui, en vérité, est un rapt. La loi internationale n'autorise pas de tels actes et il existe un lien très étroit entre ceci et Guantánamo Bay. »

Snow demanda si la déclaration de Rice, selon laquelle la pratique de la rendition était légale, était réellement un argument solide. Steyn répondit catégoriquement, « C'est assurément illégal. » Tous les prisonniers « doivent être traités conformément aux exigences de la Convention de Genève, » dit-il, et « la Convention de Genève n'est pas quelque chose dont ont peut disposer à souhait. Il s'agit là de conventions dont l'application est obligatoire. »

En ce qui concerne l'affirmation du gouvernement Bush que les prisonniers détenus à Guantánamo et ailleurs n'étaient pas des prisonniers de guerre mais des ennemis combattants illégaux, vu qu'ils ne portaient pas d'uniforme, Steyn dit qu'il ne pouvait en aucune façon accepter ceci. « De toute manière, si la Convention de Genève n'est pas d'application obligatoire, alors il en est de même de la loi internationale coutumière. » Cet ensemble de lois « est contraignante pour les Etats-Unis et elle l'est aussi pour le gouvernement britannique », ajouta-t-il.

Snow fit remarquer à Steyn que « le gouvernement britannique lui-même a fait beaucoup pour dire que ce qui se passait était légal. »

Steyn répliqua : « Eh bien, il est vrai que le gouvernement britannique a fait savoir par son ministre de la défense que ce que les Américains faisaient à Guantánamo Bay était légal, mais c'est là une chose bien surprenante de la part du gouvernement britannique. J'ai en ma possession une copie de ce que le ministre de la défense a dit. Mr. Hoon a dit : ' Il n'y a aucune raison de douter de la légalité de la manière dont ces combattants furent emprisonnés.' Il ajouta : ' Il n'y a pas à douter de la légalité des Etats-Unis à les déplacer en vue d'un procès.' Ceci c'est pour Guantánamo Bay. C'est là une chose bien surprenante à entendre de la part du gouvernement britannique, et je ne suis pas sûr que le gouvernement britannique aimerait que cela soit répété aujourd'hui. »

Steyn accepta le point de vue de Snow à savoir que le « système juridique international a jusque-là totalement échoué » à obliger les Etats-Unis à rendre des comptes.

« C'est vrai, bien sûr, » répondit-il, en remarquant qu'un jugement de la Cour suprême américaine en faveur des détenus de Guantánamo fut cassé par une décision ultérieure et « ayant pour effet de déclarer comme légal le fait de juger ces prisonniers devant des commissions militaires sur l'île. »

L'effet cumulatif de Guantánamo et de la rendition « est un manquement à la loi à grande échelle, » poursuivit-il en ajoutant que ceci était une régression par rapport à tous les cas précédents qui avaient défendu les droits de l'homme après la Seconde guerre mondiale « et ce pour une durée très, très longue. »

Steyn établit un lien direct avec les réactions internationales face aux crimes du régime nazi en Allemagne. « Je me réfère tout spécialement à Nuremberg, à la Charte des Nations unies, à la déclaration universelle des droits de l'homme, aux conventions internationales, » ajouta-t-il.

Il précisa que la violation de la loi internationale par le gouvernement Bush a « fait un tort considérable » aux institutions telles que la Cour criminelle internationale. Mais ce n'était pas de la seule responsabilité des Etats-Unis. Les pays qui avaient permis aux Etats-Unis de commettre de tels actes pourraient également être poursuivis pour crimes de guerre, insista-t-il.

Le procès de Nuremberg avait établi que ceux qui avaient participé directement à la torture n'étaient pas les seuls criminels de guerre, expliqua-t-il. « La personne qui autorise quelqu'un à frapper peut se rendre coupable de torture et de crimes de guerre. Et, qui plus est, quelqu'un qui mettrait en place un système destiné à ce que de tels actes puissent se produire, pourrait lui aussi être accusé de crimes de guerre.

« Si des prisonniers sont torturés à Guantánamo Bay ou dans des lieux secrets ­ si c'est le cas ­ ceux qui commettent ces actes se rendront coupables de crimes de guerre, et ceux qui les autorisent peuvent également être coupables de crimes de guerre. »

De plus, si le gouvernement britannique, ou quelque autre gouvernement, savaient que des avions faisant escale dans des aéroports relevant de leur juridiction transportaient des détenus courant le risque d'être torturés, « il se peut que les autorités britanniques elles-mêmes encourent le risque d'être coupables de crimes de guerre, » dit-il.

Steyn fit remarquer que ceci serait difficile à prouver rétrospectivement. Mais en fait, il existe déjà une masse de preuves détenue par le domaine public indiquant une collaboration entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis en ce qui concerne la rendition. De plus, il est impossible d'imaginer que les services secrets britanniques n'aient pas été conscients des vols de la CIA. De toute manière, la Grande-Bretagne, au même titre que les Etats-Unis, est impliquée dans l'élaboration et la conduite d'une guerre d'agression ­ délit de base défini dans l'acte d'accusation contre les dirigeants nazis à Nuremberg.

Steyn conclut en disant : « D'un point de vue juridique, je dirais que nous sommes au moins en droit de demander à notre gouvernement qu'il prenne fait et cause pour la loi internationale et qu'il le fasse sans ambiguïté et publiquement. Ceci implique obligatoirement qu'il n'y ait pas la moindre marque de déférence envers le gouvernement américain coupable de manquement à la loi. »

Dans son interview, Steyn expliqua que l'une de ses principales inquiétudes était que les agissements des Etats-Unis « ont offensé une grande partie du monde. » Il poursuivit, « ils ont offensé les musulmans croyants, les musulmans modérés. C'est un fait que, par exemple, les événements d'Abou Ghraib auront offensé les musulmans modérés dans le monde entier. »

Steyn parle au nom d'une section de la bourgeoisie britannique qui craint les conséquences de la politique unilatéraliste et téméraire des gouvernements des Etats-Unis et de Grande-Bretagne et de leur non respect de la loi internationale. Comme sa référence à Nuremberg l'indique, il est préoccupé par l'abolition du cadre juridique international qui contribua au maintien de relations relativement pacifiques et stables entre les principales puissances durant la période d'après-guerre.

Il est également préoccupé par le fait que fouler aux pieds les droits démocratiques et ébranler l'autorité judiciaire sont autant de menaces à la stabilité sociale et politique nationale. Steyn est à présent président du groupe de droits de l'homme Justice, et joua un rôle prédominant en s'opposant aux efforts du gouvernement Blair de criminaliser les actions qui « glorifient » le terrorisme, dénonçant ces efforts comme une attaque contre la liberté d'expression. Il s'opposa aussi aux mesures du premier ministre Blair d'étendre la période durant laquelle une personne peut être détenue sans chef d'accusation.

Il qualifia de « conte de fées » l'affirmation de Blair faite à la suite de l'attentat du 7 juillet à Londres que « les règles du jeu sont en train de changer. » Le « maintien d'un état de droit n'est pas un jeu, » fit remarquer Steyn, « Il s'agit de l'accès à la justice, des droits de l'homme fondamentaux et des valeurs démocratiques. ».

Ses craintes sont influencées par la décennie durant laquelle il a exercé les fonctions de senior law lord (juge siégeant à la Chambre des Lords). De plus Steyn est né en Afrique du Sud en 1932. Après des études à Oxford, il y retourna en 1958 pour y ouvrir un cabinet d'avocat.

Il écrivit que la tyrannie, cautionnée par la loi du pays, le força à quitter l'Afrique du Sud une fois de plus en 1973, trois ans exactement avant la révolte de Soweto. En tant que tel, Steyn bénéficia d'une expérience directe des conséquences révolutionnaires émanant d'un régime qui gouverne sans légitimité démocratique. La crainte de Steyn est que le gouvernement Blair en répudiant les normes démocratiques de longue date, mine pour de bon, à la fois juridiquement et idéologiquement, les piliers fondamentaux de l'ordre bourgeois.


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